« Les mots », Timeho Plouerzoc’h, avril 2007
Las, le bateau tangue, chavire sur le doux rivage où, derrière la jetée butée par d’incroyables tourmentes d’ignorance à laquelle les yeux ne peuvent plus voir, une immense vague emporte subitement les multitudes de paillettes d’un très haut navire émouvant que colore un ciel triste aux nuages pourpres, chargés de vils pleurs involontaires.
Caché sous des cordes antiques, de diaboliques crocs filicornes se crispent dans le vent hurlant d’un plaisir clandestin. N’est-ce point tempétueux de se mouvoir dans la pénombre lorsqu’une vile lueur enchante ce bas-monde qui grignote la cale de cette épave échouée, sujet à une merveilleuse contemplation céleste que des yeux iridescents d’une émeraude noirâtre sculptent avec irrésistible passion ? Que maudit l’enchantement des toiles absconses sur ces rustiques planchers meurtris par des empressements de pas. Qui s’alourdissent. Le corps oblong voûté, les petits poils irisés martelant le plancher grignoté.
Ainsi donc le brouhaha est incessant, le canevas banal est miséricordieux. Et fort bien que le bruit des pas résonne solennellement, nous y convoitons, ribote, un breuvage d’une nature insaisissable. L’eau baigne dans ce cristal oblong où des ornements de lierre intemporel fleurissent sur un gemme alezan semi-opaque, et que sur le rivage il se dévoile une multitude de pétales appartenant vraisemblablement à un vieux pommier, planté au cœur de cette grande place pavée où jaillit une immense fontaine sur laquelle se cabrent dans un piaillement jovial des silhouettes fantomatiques ressemblant étrangement à des faucons pèlerin. Et le gouffre parait soudainement solitaire dans ce convoi nuiteux à travers lequel des larmes arcencielesques épousent avec lent dégoût les crocs sanguinolents de la lune montante, rieuse, en ce redoux fleurissant.
Là, prestement, sous la conjoncture de ce paysage merveilleusement diabolique, une ombre dort sous les cornes ancestrales de ce fier pommier à l’allure lugubre où s’agrippe dans un souffle assourdissant la valse du vent tonitruant. Cette silhouette énigmatique à la chevelure enflammée, aux yeux globuleux repose tout son être, paisible, la conscience endormie en cette fraicheur immortelle de la nuit tueuse du temps qui passe et qui invite un vent violeur de pensées insondables dans un long et angoissant soupir d’abîme innocent. C’est une nuit tranquille qui s’agite pour rien !
La svelte corpulence, dans son débat innommable que nous essayons de croître, tend de son long bras une forme, la paume emprisonnant un médaillon argenté dont la chaine s’est morcelée et dont les aiguilles en son ventre se suspendent dans une effroyable éternité. Comme pour enchanter un monde mystérieux par une porte dérobée, comme pour y bercer les étoiles diffuses d’un astre sanguinaire.
Il est minutieusement neuf secondes en quinze minutes de huit heures.
Et à travers de cette montre à gousset, une imposante forme se dessine sur de hautes marches, lasse de toute espérance, énumérant une très belle ancienne croyance que l’humanité a délibérément oublié, récitant un antique verset d’une lourde doctrine que l’humanité a aussitôt effacé.
Munie d’un chapelet, d’une bague où est inscrite à l’envers une écriture sacrée dans la jointure de son quatrième doigt, cette silhouette descend progressivement des hautes marches qui montrent dans sa puissance une vaste civilisation déchue, tombée en lambeaux dans la mémoire de l’humanité naissante.
Remember ! Que le jour décroit sur les pentes stridentes de la lune sanguinolente.
Souviens-toi ! Que des débris de rêves tombent en copeaux sur cette terre morcelée où s’agrippent avec étonnante fierté les lierres et les épines crantées.
Derrière cette silhouette qui vient de faire son apparition dans l’embouchure d’une imposante porte grinçante aux verrous antiques, cette dernière humant l’air qui s’écoule, des envolées indomptables de plumes intemporelles se jettent le vide dénudé de sens où l’accomplissement d’un évènement arrive à son dénouement.
La plus ancestrale des architectures est subrepticement fissurée sur toutes ses façades et à laquelle il nous est indubitablement habile de découvrir ces multitudes de trésors engloutis, ces multitudes ornements caducs qui reposent toute leur vitalité morbide.
Cabrée fièrement à la pointe de l’interstice qui maintient l’édifice, se trouve une ascension la plus antique, forgée dans un métal suspicieux, vaporisé par un savant fou chimiste en ces copeaux de rêves inassouvis, et par laquelle l’appel de l’anéantissement abrite en son cœur de cristal une monstruosité philosophique pour laquelle des hommes et des femmes dignes, des érudits de grands présages, des étrangers se promenant ont déposé sur leurs ravissantes lèvres un germe : une colonie de croyances… Et à ces hommes et à ces femmes de pierre signent de leur nom maintenu étroitement dans le silence cette révélation que l’aube abîmée a délibérément oublié.
Remember ! Le tintement de cette grosse cloche résonnant à travers cette immense civilisation archaïque.
Souviens-toi ! Des pétales de cendres qui brisent l’enchantement d’une rivière que le sable a aussitôt englouti.
Et derrière les hautes marches de cette vision évanescente, des chants mystiques, presque énigmatiques, venus d’une autre ère s’élèvent, laissant ainsi pleurer des envolées inquiétantes de milliers de plumes. Comme cette hideuse apparition qui berce longuement la nuit ventée sur le seul arbre écorché : les plumes noirâtres, l’iris profondément écarlate et le cri strident de cette bête monstrueuse font d’elle une hantise la plus extravagante : l’amant se noie dans l’aube naissant.
Longeant un étroit couloir le conduisant vers une terre morcelée, la silhouette fantomatique se laisse happer par ces sons singuliers qui proviennent des Cieux, où des giboulées de nuages dantesques martèlent le sol, déjà fragilisé par ces déchirures survenues en cette nuit d’accalmie. Devant elle, se trouve une abomination grotesque éparpillée. L’horreur s’émane de ces effluves d’antan que la valse du vent tonitruant a délibérément englouti sur son passage. Tel un délabrement cranté, la vision désenchantée se terre en ces débris de songes familiers que nul homme et nulle femme dignes n’a encore exploré et qu’aucun érudit portant des présages, et qu’aucune croyance, qu’aucune divinité, ni même un mythe antique n’a à ce jour broder et éteindre le mystère indiscutable de cet Empire que cette silhouette observe avec fascination.
S’inscrivent sur l’immense carte opaque sortie du long manteau de sang de cette silhouette encapuchonnée, des brisures de chimères et d’émerveillements s’effondrent. Un par un. Comme ces poussières d’étoiles qui accrochent vainement le rêve livide de l’humanité devenue dès à présent muette. Des scintillements se morcellent. Brutalement, dans une violence horrifique que la rétine viole. Des empires étendus aux civilisations archaïques s’affaissent tel que ces innombrables îles disséminées au quatre coin du globe terrestre, ou encore ces rupestres édifices venus d’un ancien monde auxquelles des empressements de pas se heurtent à leur rencontre pour y bercer l’illusion à la fois salvatrice et dévastatrice en leur esprit enchanté. Tout vole en éclats… tout vole en éclats parmi ces statues d’hommes et de femmes de pierre, le métal riche d’absorption venu d’une contrée lumineuse cède sous le poids de la bise menaçante qui valse à travers tous les continents dans lesquels des eaux se mélangent furieusement dans un grand enchantement diluvien. Aucun temple, aucune pierre, aucune divinité, ni un matériau n’a résisté aux ravages incroyablement abyssaux qui se déchainent en ces terres surannées. Les croyances d’appartenance se morfondent dans une piètre nuance fulminante, les grands bâtisseurs jadis renommés s’effondrent à leur tour, et ces paysages de copeaux de chimères et d’enchantements rustiques que des hommes et des femmes s’inspirent pour y donner un sens aiguisé à leur vie si joviale si majestueux insuffisamment lâche et miséricordieux s’évaporent violemment en ce gouffre de dense brouillard que le vent grogne avec irrésistible frénésie.
Des ponts et des architectures s’écroulent sous ces pétales vaporeux électriques.
Des songes et des eaux arides se ternissent dans un souffle livide.
Angkor, la Tour Eiffel, le Colisée, les Tours jumelles, le phare d’Alexandrie, la cathédrale Saint-Basile, ou encore des civilisations aztèques deviennent une vieille fable dans le méandre abyssal de l’humanité fragile, ainsi que des armes puissamment aveuglantes que d’autres contrées auraient déposé sur le sol tacheté d’un amas visqueux, aqueux sanglant pour y forger une connaissance, parfois trompeuse. Et aucune croyance, et aucune divinité, ni même un mythe suranné que des hommes et des femmes ont délibérément oublié, n’a à ce jour éteint ce cauchemar lancinant, fascinant, étourdissant, foudroyant que cette silhouette fantomatique observe dans le silence abscons.
Il ne reste que des vestiges.
Des vestiges de ce piteux brouillard tonitruant survenu en cette nuit fortement agitée.
Et parmi ces décombres de civilisations immémoriales, descend cette silhouette fantomatique qui hume l’air nouvelle, le dos voûté, la conscience endormie, les lèvres suspendues dans l’effroyable éternité. De l’humidité sur sa hanche de son pantalon bleuté est noyée dans un rouge ensanglanté.