Episode 4

15 mins

Cette nuit-là je ne fermais pas l’œil. Même l’alcool ne m’aidait pas à trouver le sommeil. La bouteille de whisky que je venais d’achever m’avait certes bien assommé, mais pas assez pour me mettre au tapis. Quand Pierre et Noémie me proposèrent de rentrer avec eux, j’acceptais, mais ne lâcha pas un seul mot sur le trajet. Cette fois-ci j’avais abusé davantage alors que le couple restait dans la sobriété. Ils pensaient que mon silence était dû à mon état, alors qu’il s’agissait bien d’autre chose, mais comment pourraient-ils savoir pour moi ? Et dire que cela s’était produit à seulement quelques minutes du lieu de la soirée. D’ailleurs je ne cessais de guetter si des policiers patrouillaient dans le coin. Mais je pensais qu’il s’était écoulé suffisamment de temps depuis l’incident, pour que la police soit partie.

Une fois mes compagnons rentrés, je m’asseyais alors sur un trottoir non loin de là. Je pris mon souffle pour me calmer et ne pas perdre les pédales. Pour le moment je ne pouvais rien y faire. La seule chose censée consistait à rentrer chez moi et me détendre, sans penser à rien. C’est ce que je fis une fois dans mon lit mais cela n’arrangea guère les choses. Au final, je passais ma journée à y penser. Il était totalement absurde que cela soit réel. J’essayais tant bien que mal de me persuader que rien n’était possible. Pourtant je savais ce que j’avais vu. Cet instant était passé à une vitesse fulgurante, mais mon esprit avait été lucide. Une vidéo circulait sur les réseaux. Même si l’image possédait une qualité médiocre, on pourrait toujours découvrir qui est le fameux Superman. Les experts de la police finiraient forcément par retrouver ma trace. Un tel événement ne passerai pas inaperçu. J’attendais avec frayeur le journal télévisé du soir. Si je m’y retrouvais, c’en serai fini de moi.

Lorsque ça commençait, je m’assis à ma table. Il n’y avait rien. Je ne mangeais pas. Impossible dans mon état de stress. Les images sur la télé défilèrent avec le présentateur toujours bien habillé, qui relatait les faits divers sur la montée en puissance du parti socialiste, les réformes sur la fraude fiscale, des sujets intéressants pour mes cours mais qui ne relataient pas ce qui me préoccupait actuellement. En voyant le temps filé, je repris un peu d’espoir, mais celui-ci s’anéantit quand pour la dernière info de la soirée, le présentateur mentionna la ville de Lyon et le terme « réseaux sociaux ». Je crus que j’allais fondre en larmes. En revoyant mon combat de la veille, je faillis m’écrouler. De tout mon cœur je souhaitais m’évanouir, me réveiller dans un monde ou cette agression n’a jamais existé. Mais je restais pétrifié, halluciné de voir cela devant moi. Des milliers de spectateurs le voyaient, mes parents étaient parmi eux. A cette pensée, je me mordis la main pour contenir un cri de désespoir qui aurait pu alerter tout l’immeuble. C’était officiel. Tous le monde chercherait à savoir quel individu, à lui seul, pouvait faire face à trois agresseurs et les maîtriser avec une force inhumaine. Cependant je tentais de rester concentré jusqu’au bout du reportage. J’appris alors que les trois hommes terminèrent leur soirée à l’hôpital dans un état critique et qu’ils seraient immédiatement arrêté. Apparemment ils ne n’agissaient pas de voyous amateurs. Même si ces hommes méritaient leur correction, je me sentais soulagé de ne pas leur avoir fait plus de mal. Je n’étais pas quelqu’un de violent et tenais à le rester.

Un des témoins interrogés précisait également que j’avais décidé d’agir pour défendre un homme en danger. Cela jouait en ma faveur, une nouvelle rassurante. A présent ils souhaitaient connaître l’identité du mystérieux inconnu à la force Herculéenne. Dans une série ou film, ce type d’intrigue me captiverait immédiatement. Mais à présent il s’agissait de la réalité et ça n’était ni captivant ni amusant. Le journal se clôtura et je restais de marbre. Que pouvais-je bien faire ? Je risquais d’être trouvé. Je senti alors mon téléphone vibrer. Après un instant d’hésitation, j’ouvris mes messages pour découvrir un envoi de Seb. Celui-ci m’envoyait directement la vidéo avec en commentaire «La vache c’est un truc de dingue ils en parlent aux infos ». S’il savait… Le fait de savoir qu’un de mes proches m’avait vu sans le savoir me mettait d’autant plus mal à l’aise. Si mes parents m’envoyaient un message à leur tour, je crois que je m’évanouirais. Sauf que c’était déjà le cas, et je m’y attendais. Des parents qui prennent régulièrement des nouvelles de leurs enfants, qui découvrent un fait d’actualité plutôt terrifiant dans la ville ou ce même enfant loge, il est légitime de

s’inquiéter. J’attendais donc avec frayeur l’arrivée du fameux message. Comme je m’y attendais, mon père venait de m’écrire et je lus aussi vite que mon angoisse le permettait. Lâchant mon téléphone je me mordis la main pour ne pas hurler. Je tentais de contenir toute ma colère mélangé à la peur en me la broyant. Par la même occasion, j’évitais de fondre en larmes. Après quelques minutes qui me parurent des jours, je relâchais la pression. Ma morsure avait été tellement puissante que du sang coulait en petite quantité. Mais cette blessure n’était pas douloureuse, et la cicatrisation rapide. Pour ainsi dire, si je devais choisir entre me mordre violemment la peau mille fois et souffrir le martyr ou bien me retrouver en première ligne sur toutes les chaînes du pays, la première option serait un plaisir. Encore sous pression, je répondis tout de même au sms, en prétendant que j’étais moi aussi devant les infos mais que je n’en savais pas plus qu’eux.

Cette nuit je réussis à fermer l’œil. A quoi bon rester éveiller en imaginant un moyen de me sortir de cette situation ? Car il n’y en avait pas, en tout cas je ne voyais rien. Autant accepter mon sort et dormir. Si mon cerveau passe en mode furtif, autant ne pas avoir de fatigue susceptible de me perturber.

Ma concentration pendant les cours diminua fortement. Je ne cessais de jeter des regards autour de moi, en particulier en direction de la porte d’entrée de la classe où la police surgirait si elle venait à connaître mon identité. Cependant mon attention se porta sur l’exposé oral que nous avions préparé avec Pierre et Noémie. Et à mon grand étonnement ma prestation fut bien meilleure que ce à quoi je pensais. Nos camarades nous applaudirent puis nous retournèrent à notre place. Mes préoccupations concernant mon éventuelle arrestation repris cependant le dessus.

Une fois la journée terminée, je me précipitais chez moi afin de respirer tranquillement. Avec tous ce monde autour, je me sentais étouffé. Des étudiants parlaient de mon acte héroïque et bien qu’il m’ait arrivé de me sentir quelque peu flatté, je n’étais pas tranquille. Pour être honnête avec moi-même, me rendre à la police n’avait pas l’air d’être la plus mauvaise idée. En cachant cela pour moi je me rendais la vie infernale. Cette action pourrait me soulager. Après tout je n’étais pas un criminel, juste un gars qui passait dans le coin et qui s’est décidé à porter secours à une personne en danger. Et comme ces gars que j’ai entendu dans les couloirs, mon acte ressemblait plus à une justice qu’une agression. Alors certes les blessures infligées à ces gars font de moi quelqu’un de dangereux aux yeux des forces de l’ordre, mais je n’étais qu’un simple étudiant qui à juste l’intention de terminer son école pour aller travailler comme la plupart des gens de ce pays. Mon identité serait peut-être dévoilé au grand jour et à vrai dire cette idée ne me plaisait guère, mais si c’était le prix à payer pour que tout s’oublie… Malheureusement la vidéo montrait clairement à quel point la violence émanait de moi et la façon dont je dominais les agresseurs, comme s’ils étaient des playmobils. Et les gens n’allaient pas s’arrêter sur un tel détail. Tout le monde chercherait à comprendre le pourquoi du comment. C’était l’enfer.

Je restais ainsi cloîtré jusqu’à ce qu’à une heure du matin je décide de sortir prendre l’air. Comme je n’avais pas de plan et que je frôlais la crise d’angoisse, le meilleur moyen d’oublier un peu tout cela était de sortir. Mon travail ne constituait pas une priorité ce soir. Et il ne le serai sans doute pas encore demain, puis après-demain… Je n’arrivais même pas à croire comment je pouvais ne serais-ce qu’y penser vu ma situation. Peut-être étais-ce un signe qui montrait que je restais moi-même malgré tout, et que toute notion du monde n’était pas perdue.

Ma direction prit alors le sens du lieu du crime. Je ne sais pourquoi je m’y rendais mais quelque chose m’incitait à y retourner. Des souvenirs plus précis me reviendront sans doute. Un indice oublié, quelque chose qui pourrait me sauver ou même me rassurer. Mais ma plus grande peur était de vivre de nouveau une scène du même genre. Après tout, la nuit tombée, les personnes mal intentionnées agissaient à leur guise. Mais il fallait être réaliste. Certes les agressions existaient mais pas à tous les coins de rue. Ma rencontre avec ces types n’était qu’un malheureux hasard. A l’angle de la rue, je tournais délicatement ma tête pour être certain qu’il n’y s’y passait rien. Aucune personne en visuel. Parfait.

Je me replaça à l’endroit exact où je me situais pendant l’affrontement. A ma grande surprise, mon souvenir du détail de l’évènement était très précis. Je découvris alors des fissures dans le mur, là ou le grand costaud se faisait soulever par la seule force de mon bras. Décidément, ma transformation en bête de foire n’avait rien de réconfortant. Je devais en être sûr. Si c’était bien mon œuvre, autant en avoir le cœur net. Une petite fissure de rien du tout. Sauf que j’avais peur d’alerter des gens. En vérité j’ignorais si cela pouvait faire du bruit. Je devenais de plus en plus parano mais étant donné mon numéro ici et le pétrin dans lequel je risquais d’être, je le pouvais. Le trottoir cependant, était déjà bien abîmé et un impact de plus ne ferait pas la différence. Je me baissa, serra mon poing et frappa d’un coup sec, sans y mettre trop de force. Quelle ne fût pas ma surprise de voir le bitume écrasé par l’impact, cependant trop petit pour qu’on le remarque parmi les autres.

– « Donc c’est toi ? Demanda une voix derrière moi. »

D’instinct je me retourna pour voir à seulement un mètre de moi un inconnu encapuchonné. Clairement méfiant, je reculais pour avoir une distance de sécurité. Surtout si je devais m’enfuir. Celui-ci sembla remarquer mon air méfiant et leva la main en signe de paix.

– Calme-toi dit-il. Je ne te veux pas de mal.

– Excusez-moi mais vous êtes qui exactement ? Demandai-je. Peut-être un flic.

– Je ne suis pas flic si c’est ce que tu penses. Mais à vrai dire j’ai attendu ici espérant rencontrer le fameux sauveur de la vidéo.

– Ce n’est pas moi désolé répondis-je. Pourtant, tout indiquait dans ma voix que mon mensonge était évident.

Sans que je le vois venir, l’individu s’approcha de moi et m’attrapa les deux bras. Mon traumatisme récent et mon instinct primaire ressurgirent brutalement et je n’attendis pas plus de temps pour répliquer. Je me libérai rapidement de son étreinte et lui envoya un violent coup de coude dans le thorax. Celui-ci recula de plusieurs mètres, déstabilisé, sans toutefois tomber à terre. A présent, plus de dix mètres nous séparaient.

– Je crois bien que si dit-il.

– Mais bon sang dites-moi qui vous êtes dis-je affolé. Lui ne s’était pas écroulé à terre comme les trois gaillards. Ce n’était pas pour me rassurer et je ne me sentais pas en position de force.

– Admire dit-il. Il s’approcha d’une voiture et baissa sa main sous celle-ci. D’un coup net, le véhicule fut soulever de terre. L’inconnu resta quelques secondes d’un air triomphant, de façon à montrer que lui aussi, possédait beaucoup de force, puis le reposa. J’étais bouche bée d’assister à un tel spectacle.

– Mais vous êtes qui merde ? Demandai-je avec un ton qui frôlait la panique. Je l’étais bien que je faisais en sorte de garder mon sang froid.

– Je suis comme toi me répondit-il. Il est normal que tu te sentes perdu ! Surtout avec ce qu’il s’est dit aux infos ! Mais ne t’en fais pas. Si je suis venu ici, c’est pour t’aider.

Ce type parlait avec conviction et je sentais qu’il ne me mentait pas. Cependant je me méfiais encore. Comme toujours. Mais le voir soulever une voiture aussi aisément signifiait qu’il savait de quoi cet espèce de super-pouvoir inconnu retournait, cela au moins j’en étais certain. Même les champions du monde de soulevé de terre ne pouvaient être capable d’un tel exploit.

– Écoute tout ce que je veux c’est être tranquille d’accord ? Dis-je en levant les mains en signe de défense. J’étais prêt à m’enfuir à toute vitesse. Mais celle dont il avait fait preuve pour me tester me dissuadait de fuir.

– Je comprends parfaitement dit-il. Mais dorénavant tu ne seras jamais plus le même. Tu as vu ce que tu es capable de faire et d’autres en ont été témoin.

Sa façon de me rappeler que mes exploits avaient été visionnés par des milliers de téléspectateurs dont ma propre famille ne m’aidait pas.

– Tu deviens parano et c’est normal continua-t’il. Mais reste lucide. Tout le monde ne t’en veut pas. Tu n’es pas un criminel tu as sauvé ce type. Il s’agit d’un acte héroïque.

– Je n’en suis pas si sûr répondis-je. Tous le monde va vouloir me trouver, surtout la police. Ce que j’ai fait ne passera pas inaperçu.

– Il est vrai qu’il faut que tu fasses attention dit-il. Mais si tu te fais tout petit personne ne te remarquera.

– Il y a une vidéo répliquai-je. Même si on ne voit pas, des gens finiront bien par me reconnaître.

L’inconnu me regarda sans rien dire puis reprit :

– C’est vrai mais même si cela arrive tu ne seras pas considéré comme un monstre. Du moins pas pour la plupart des gens.

– Qu’est ce que ça veut dire ?

– Certaines personnes veulent toujours en savoir plus que tous le monde et je suis certain que des chercheurs ou scientifiques voudront te poser la main dessus. Il y en a déjà qui nous ont capturé alors il faut s’attendre au pire.

– Attends…toi aussi ? La capture de l’autre soir n’était donc pas une première.

– Oui dit-il. Cela fait un bout de temps maintenant mais c’est le genre de chose impossible à oublier. Enfin bref pour le moment reste tranquille tout en gardant un œil autour de toi. Je dois y aller mais je te promets que nous nous reverrons très vite. Ou est ce que je peux te trouver ?

– A Sciences Po dis-je. Pour le moment je ne souhaitais pas lui indiquer précisément ou je logeais. Ma confiance totale envers ce type ne s’était pas encore installée.

– Très bien dit-il. A plus tard ! Il se retourna pour disparaître lentement dans l’obscurité de la nuit. Quand à moi je prenais la direction opposé pour rentrer. Sur le chemin je repensais à cette découverte. Ainsi donc je n’étais pas la seule personne sur notre planète à posséder une force hors du commun. D’un côté c’était moins effrayant de savoir qu’un autre que moi vivait avec cette particularité. En revanche si nous étions déjà deux, d’autres pouvaient se manifester. Mais je ne me prononçais pas plus sur la question au risque de croire à de fausses informations. Pour l’heure je devais rester vigilent comme il me l’avait dit. Cependant, bien qu’il ne me l’ai pas énoncé explicitement, je savais que dans son regard franc mais inquiet il voulait me faire passer un message. Et celui-ci signifiait sois prudent, mais si les choses dérapent, cours !

***

J’eus la surprise de revoir l’inconnu assis sur un banc en face de l’université deux jours plus tard. D’un pas lent je me dirigeais vers lui. Quand il m’aperçut, il se leva.

– Comment vas-tu ? Me demanda-t’il.

– Rien de neuf répondis-je. Mis à part que je continue à regarder autour de moi comme un animal traqué. Mais maintenant je commence à croire que je suis tranquille.

– Salut Tom dit une voix derrière moi. C’était Pierre. « Tu me présentes pas ? »

– Si bien sûr répondis-je surpris par cette intervention. « Pierre voici… » je ne savais pas son prénom.

– Nathan enchanté répondit-il, me sauvant ainsi d’un instant très gênant. Cette intervention de sa part me laissait le temps d’inventer une histoire.

– C’est un cousin éloigné qui est en déplacement pour sont travail le temps de quelque jour. Ça fait maintenant plusieurs mois qu’on s’est pas vu.

– Ah je vois s’exclama-t’il. Le boulot c’est prenant ! Bon je vous laisse, à demain Tom !

– Bien joué dit Nathan une fois que Pierre se fût suffisamment éloigné.

– Je ne sais rien sur toi dis-je soudainement. Tu es apparu de nulle part et tu es reparti aussi vite qu’une ombre. J’aimerais te faire confiance crois-moi, mais je ne te connais pas assez pour cela.

– Je comprends dit-il en m’entraînant un peu plus loin. «Nathan est bien mon vrai prénom. J’ai été capturé un soir par des ravisseurs dont je ne connais pas les visages. Depuis je vis avec un secret qui rend ma vie un peu moins agréable qu’autrefois. »

– Moi c’est Tom !. Sa réponse m’incitait à devenir plus confiant. «Moi aussi j’ai été capturé récemment et depuis je ne dors plus que d’un œil . »

– Je sais mais saches que dorénavant tu n’es plus seul.

– Merci de ton soutien mais au fait, comment tu m’as trouvé ? Je veux dire l’autre soir ?

– A vrai dire je n’étais pas loin d’ici quand j’ai vu la vidéo. Puis je connaissais l’endroit. Pour être plus précis j’habite sur Vienne et j’ai grandi à Lyon. Et pour être franc je n’étais pas sûr de te trouver. Mais j’étais quasiment certain de te trouver sur les lieux du crime. Tu voulais y revenir pour te convaincre que c’était réel. C’est compréhensible. J’aurais fait la même chose.

– J’espère encore à un mauvais rêve soupirai-je.

– Malheureusement tu dois vivre avec ça ! Viens on va parler de tout cela chez toi si ça te va.

J’acceptais et l’on se posa dans mon appartement. Je lui proposa une bière qu’il accepta volontiers. Il m’expliqua qu’il travaillait en tant que serveur dans un bar restaurant du centre ville appelé «Le bon coup ». Un travail qui le satisfaisait.

– Et personne ne sait pour…. ? Commençai-je.

– Pour mes pouvoirs nan ! J’arrive à mener ma petite vie sans encombre mais pour être honnête ça n’est pas évident de garder le secret.

Je voulais bien le croire. Néanmoins aucun incident n’avait croisé sa route. Sinon il serait certainement dans ma situation. J’étais simplement victime de malchance, ce dont je me serais amplement passé.

– Et tu sais s’il y en à d’autre comme nous ?. Cette question me taraudait depuis un moment.

– Comme on dit jamais deux sans trois dit-il sur le ton de la plaisanterie. Mais en voyant que ma réaction n’était pas celle qui l’espérait, il reprit son sérieux. « Sincèrement je n’en suis pas sûr. Tu es le premier que je rencontre. Mais mon instinct me dit que c’est possible. »

Pour ma part je m’attendais à tout. D’autant plus que si Nathan m’avait trouvé, d’autres pourraient suivre sa démarche. C’était complètement dingue de penser à cela, je nageais en plein délire. Si l’on m’avait raconter il y a une semaine, que des gens pouvaient soulever des voitures ou jeter des montagnes de muscles comme des poupées, je n’y aurais même pas prêter attention tellement les propos seraient ridicules. A présent, c’était aussi réel que le goût de la bière que je déglutissais.

– Il faut que je m’apprête à partir c’est bien ça ? Le fait de lui poser la question directement serait plus facile pour comprendre ce qu’il en pensait vraiment.

– Il faut que tu l’envisages oui répondit-il après un silence. Pour le moment profite de tes amis, tes études, mais s’il se passe quoi que ce soit dont tu puisses te méfier préviens-moi. Je te laisse mon numéro en cas de besoin.

Je notais sur mon téléphone ce qu’il me dictait puis le lança sur une autre question.

– Tu te souviens de ce qui s’est passé quand ils t’ont enlevé ?

– Oui ça date d’environ trois ans. Je rentrais de chez un ami assez tard. Il m’avait proposé de rester pour la nuit mais la seule chose que je voulais était de rentrer pour aller regarder un épisode de Game Of Thrones. C’est sur le chemin du retour que je me suis fait kidnapper. Je me rappelle avoir entendu la voix de deux hommes qui discutaient au loin. J’ai senti une piqûre puis je me suis retrouvé exactement au même endroit juste avant qu’on m’embarque. Mais comme je me sentais bien et que rien ne m’avait été dérobé, je n’ai pas pris la peine de me rendre au commissariat. Je l’admets, peut-être aurais-je du y aller. En tout cas maintenant que je me rends compte de ce qu’il t’ai arrivé, j’admets me sentir coupable. Cela aurait sans doute pu changer les choses.

– Tu ne pouvais pas savoir lui dis-je. De toute façon j’ai déposé une plainte au commissariat. Même si je ne crois pas en un changement radical.

– Peut-être dit-il. Mais dans tous les cas tu as bien fait. Des événements peuvent parfois découler d’actions minimes. Dans tous les cas ce qui est fait est fait. Il est impossible de revenir en arrière.

Sur ce il se leva en me précisant que son service allait bientôt commencer. Nous nous saluâmes et je restais donc en plein milieu de mon appartement, planté la sans raison. Tout cela relevait de l’irréel mais pourtant la situation dans laquelle je me trouvais exigeait que je garde la tête froide. Nathan était de mon côté. Bien que ça ne résolve pas les problèmes, je ne pouvais pas le négliger. D’accord j’aurais préféré que les circonstances aient été différentes mais le plus important était de penser à ce que j’avais avec moi, là maintenant. Jusque là personne ne remarquait rien. Il fallait continuer sur cette voie. Nathan lui, s’était accoutumé à son quotidien depuis sa…transformation. D’un autre côté il ne m’avait pas tout dit. Qu’en était-il de sa relation avec sa famille, ses amis ? Après tout rien de tout cela ne me concernait. S’il voulait en parler, libre à lui. Pour le moment, la seule chose qui détournait mon attention de mes problèmes s’appelait le streaming. Je lançais un épisode en évitant, du moins pour l’instant, de penser aux longues journées qui m’attendaient…

***

Je reprenais confiance en moi. En effet, la vidéo continuait à circuler mais le buzz qu’elle avait créée s’effaçait lentement. De plus, aucune information concernant ma démonstration de force n’avait été émise. La police ne semblait pas progresser sur l’affaire d’après les journaux, et eux-même n’en parlaient presque plus. Une excellente nouvelle. A croire que tout finirait par rentrer dans l’ordre.

Le midi je mangeais assis avec Pierre et Noémie. Je connaissais des couples qui ne cessaient de s’embrasser devant leur amis. Sebastien le faisait il y a environ deux ans avec une fille rencontrée dans son association musicale. Pour être honnête, je me sentais plutôt satisfait lors de leur rupture.

Cependant mes deux amis, qui montraient chacun leur amour l’un envers l’autre, faisaient encore attention à moi, bien que ce ne soit pas toujours réciproque en ce moment. Ils m’encourageait même à me trouver une petite amie. Malheureusement ce n’était pas ma principale préoccupation, je me contentais donc de dire un «pourquoi pas » quand ils lançaient le sujet.

La journée se terminait par un cours d’histoire, la matière pour laquelle je montrais le plus d’intérêt. Nous étudions toujours l’aspect politique au 20 e siècle. Je terminais par un exposé oral, seul cette fois. A la fin de celui-ci, des applaudissements fusèrent mais je sentis au regard de l’enseignant que ça ne correspondait pas à ce qu’il s’attendait.

A la sortie de l’établissement je respirais un grand coup. Maintenant tout ce que je désirais consistait à finir une bière qui m’attendait sagement au frigo. Je regardais autour de moi, pas de trace de Nathan. Comme il ne m’arrivait rien de sérieux, il devait sans doute se dire que ce n’était pas utile de veiller sur moi. Quoique j’en doutais. Il avait l’air sincère. Cependant il menait sa propre vie de son côté et il ne me connaissait que depuis quelques jours, je ne pouvais pas être sa priorité.

Je vis alors une fille se diriger vers moi, téléphone à la main. Je détourna mon regard pour l’ignorer. Mais cela ne l’empêcha pas de m’adresser la parole.

– Salut dit-elle. Je peux te poser quelques questions juste une minute ? Je suis étudiante en journalisme et je travaille sur une enquête.

– D’accord répondis-je en essayant de cacher mon air las. C’est alors que je la reconnus. C’était la fille du balcon. Je n’eus pas plus le temps de l’observer qu’elle me braqua son téléphone devant moi. J’eus alors droit à me revoir en train de me battre contre les trois malfrats. Décidément…

– Qu’est ce que tu penses de cela ? Me demanda-t’elle. J’essayais de contenir mon rythme cardiaque qui s’accélérait dangereusement.

– Et bien ça relève de la folie dit-je en détournant quelque peu la tête de son téléphone.

– Mais encore ? insista-t’elle.

– Et bien c’est dingue tout simplement répondis-je. «Maintenant excuse-moi je suis pressé. » 

Elle commençait à m’agacer. Elle ne pouvait pas savoir que l’inconnu qui avait fait la une des réseaux sociaux et de la presse, ce n’était pas tellement de sa faute après tout. Seulement, le fait de revivre une énième fois ce passage désagréable me portait à croire que l’on ne cesserais jamais de vouloir me trouver. Et honnêtement, je n’arrivais pas à me faire à cette idée.

Je venais d’arriver dans la rue de mon appartement quand j’entendis des pas qui résonnèrent derrière moi. J’eus la mauvaise surprise de constater que cette personne n’était autre que la fille et ses questions embarrassantes. Mais les armes qu’elle pointaient dans ma direction rendaient la situation bien plus délicate.

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