Le conte de la Sorcière des Bois Chapitre 11 – La langue captive du goulot

11 mins

La sorcière m’entraînait au travers d’un sentier parcouru de taillis épineux effilant la laine de mon manteau et mon pantalon.

─ Pourquoi, dis-moi, faut-il toujours qu’on se lève aux aurores comme si nous devions aller à l’atelier ? Je pensais que tout l’intérêt à vivre dans une forêt c’est de ne pas être soumis à ce genre d’horaires.

─ Parce que tu as déjà trimé à l’atelier ?

À son regard malicieux, couronné de broussailles moqueuses, je répondais par un grommellement, tout en peignant mes cheveux sauvages, desquels se détacha une pomme de pin. Je la jetai sur Mù, en train de me narguer de sa queue touffue.

Nous arrivâmes aux abords du village des elfes, que je n’avais plus visité depuis la tempête. Nellis s’en écarta sans y jeter un œil. Je la suivis, docile, aussi apeuré à l’idée de croiser la vieille Gardienne et sa pipe diabolique. Mon épouse nous conduisit à l’orée d’un bosquet de frênes murs, moiré de reflets orange et rose sous les baisers du soleil, roi maigre découpé par la canopée. Les signes de l’agonie de l’hiver et de l’éveil du printemps, que saluaient les bourgeons nappés de rosée.

Nellis passa une porte éventrant une butte surplombée de buissons de gui. Derrière, une pièce voutée aux aspects de salle de prières. Des coussins éparpillés sur les tapis de nattes, entre les racines soutenant le dôme de terre. Mes yeux émerveillés suivaient les lignes des rayons traversant les entailles entre le bois et l’humus, incrustées de cristaux topaze, vermillon, mauve, ocre, crépusculaire ou encore jacinthe.

─ OUAH ! lâchai-je tel un gamin devant un éléphant de cirque.

Nellis héla le vide. D’où nous venions apparut un grand elfe offrant l’image d’un arbuste avec ses robes cousues de feuilles, ses longs cheveux de mousse ébouriffés de brindilles et sa figure d’écorce.

─ Que fais-tu ici ? trembla le chaman.

─ Que les esprits t’éclairent toi aussi, Dayl, le salua, vexée, la sorcière.

─ Oui… Que les esprits veillent sur toi et ton compagnon.

Les griffes bleues de ses doigts hagards traçaient dans l’air, imprégné de parfum d’encens, des tourbillons d’incertitude. Sous la cascade de lierre, je percevais l’impatience des jambes à s’enfuir.

─ Quel accueil ! Pourquoi une telle agitation ? De mauvais rêves t’auraient-ils visité cette nuit ? gronda Nellis.

─ N… Non. Je suis simplement surpris de te voir. Cela fait si longtemps.

─ Je viens chercher ce que je t’ai confié.

─ …

Les rides brunes blanchirent comme les feuilles de l’arbre abattu.

─ L’amulette, Dayl, insista la sorcière, son sourcil droit tendu.

─ C’est que… je ne suis plus très sûr de savoir où je l’ai rangée, bafouilla l’elfe échalas aux allures de chien battu.

─ Tu aurais égaré mon trésor ?

Si les prunelles de mon épouse avaient été flammes, le dénommé Dayl se serait embrasé.

─ Non… Simplement, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était. Je m’en vais la chercher de ce pas. Attends-moi. Reste ici.

Puis il s’en alla d’une démarche chaloupée, glissa sur un coussin avant de se rattraper à un luminaire dont l’huile s’étala au sol. Ses chaussons de peau marchèrent dans la flaque. Suivit un choc sourd et des la traîne d’un buisson émiettant sa ramure. Le chaman disparut derrière une tenture en collier de noisettes.

─ Il est bourré comme un coing, signifiai-je une fois hors de portée de ses oreilles.

Je connaissais cette moue chez Nellis. Le doute la tiraillait. Elle se précipita à la suite de Dayl qui présentait son cul feuillu en cherchant à glisser au travers d’un trou de lapin. La sorcière l’agrippa par la culotte et, en arrachant son feuillage, l’envoya rouler contre une souche servant de table. Les fioles déposées sur le rayon se renversèrent tels des dominos, la moitié bavant leur contenu odorant sur la carcasse tordue du chaman, pieds dressés au ciel et tête mangeant les racines. Je ne pus m’empêcher de rire, aussitôt gêné de me moquer ainsi de la détresse d’un inconnu.

Pourquoi a-t-il voulu s’enfuir ?

Dominant le malheureux de sa frêle silhouette, Nellis dardait sur lui le même air qu’elle avait offert au prétendu Diable désormais tas de poussière. Je déglutis au souvenir de cette journée.

─ Mon amulette, Dayl. Où est-elle ?

─ J’étais parti te la chercher justement. Pourquoi tant de brusquerie ?

La voix de l’elfe n’était plus qu’un miaulement de chaton.

─ Tu t’enfuyais, larve molle ! Ose le nier !

─ Mais non… Voyons, que vas-tu chercher ? Tu me connais.

─ Justement ! Il me suffit de te marcher dessus pour constater que tu n’es qu’une larve. Même à travers les vapeurs d’onguents, tu empestes l’absinthe. Le crottin d’élan n’y suffirait pas à effacer cette puanteur.

Le courroux de la sorcière effaça le peu d’audace qui restait au miséreux, engoncé dans ses robes feuillues couvertes de liqueurs au fumet rance qui me piquait le nez.

─ Mon amulette ? Parle maintenant ou je te fais boire une à une chacune de ces fioles, tempêta Nellis en désignant les bouteilles épargnées, jusqu’à en voir les effets sur ta face de crapaud des marais.

─ Je…

Nul doute que la peur le faisait hésiter.

─ Tu ?

─ Je l’ai perdue.

─ QUOI !!!

Mon épouse dressa ses griffes pour lacérer le champignon décomposé servant de visage au chaman.

─ Attends ! hurla ce dernier en se protégeant à la manière d’un marcassin éploré. Je veux dire… pas perdu… je ne l’ai plus.

Nellis suspendit son geste au moment où j’allais intervenir.

─ Qu’en as-tu fait ? siffla la dernière chance.

─ Je l’ai vendu.

─ À qui !?

─ Un forgeron du nom de Kieran. Un Souffleteux. Pitié !

─ Pourquoi lui avoir vendu ? Non. Ne me dis rien. Pour de l’alcool j’imagine. J’espère qu’il était bon.

Nellis s’écarta en abandonnant la piètre créature à ses sanglots.

─ Bénis la grandeur de ces bois, chaman. Si je te revois, je t’empale au sommet du plus haut sapin, en offrande au banquet des aigles.

Son ton s’enivrait de sincérité. Dans l’incompréhension, je la suivais, incapable d’autre sentiment que la pitié à l’égard de Dayl.

Au sommet de la butte-temple, nous grignotions les baies de gui sous l’aura tangente d’un croûton de soleil.

─ Ai-je droit à une explication ou tu vas te murer ainsi dans le silence jusqu’au couchant ? demandai-je en suçotant mes doigts collants.

─ Je comptais te montrer cette amulette, murmura Nellis dans le courant de la bise. Après notre discussion dans le ravin, je tenais à te la présenter.

─ Qu’a-t-elle de si précieuse ?

─ Tu le verras lorsque nous la trouverons.

─ Pourquoi l’avoir confié à un tel personnage dans ce cas ?

Pour explication, je me contentai de l’arcade droite dressée en flèche.

─ Qu’est-ce qu’un « souffleteux » ? continuai-je l’interrogatoire.

─ Les elfes des bois désignent ainsi les elfes qui vivent en ville.

─ C’est la première fois que j’entends ce terme. Il sonne le mépris.

─ Les habitants des bois moquent ainsi ceux des leurs qui ont déserté la forêt pour vivre parmi les humains une existence de citadins. Sensibles aux fléaux portés par les hommes et leurs bêtes domestiques, ces elfes tombent souvent malades, d’où le nom de Souffleteux.

─ Quel beau symbole d’harmonie que n’auraient pas renié nos vieilles tribus, commenta l’enfant des cités né dans l’opulence.

Nellis n’ajouta rien. Je savais qu’elle partageait ce ressentiment vis-à-vis des villes et de leurs peuples. Aussi me ravis-je de son abstinence destinée, je le supposais, à ne pas me vexer.

─ Nous allons en ville donc ? m’enquis-je, une bile amère au fond de la gorge.

La sorcière acquiesça. Jamais encore je ne lui avais aperçu cet air inquiet, pétri d’angoisse contenue.

Que peut bien représenter cette amulette ?

***

Les faubourgs grouillaient de vie, et avec elle allaient le bruit, les pestilences aussi riches que les dandys se baladant dans leurs tuniques d’or filé rehaussées de perles blanches. Cette atmosphère ne m’avait aucunement manqué, je le constatais à présent. Il n’est rien que désiraient plus mes jambes que de rebrousser chemin vers les bois sombres et menaçants réchauffant le ventre des montagnes. Au cœur des champs, émiettés de fermes et de granges où sommeillaient les moissons rescapées de la saison dernière, la ville tapissait les reliefs de la vallée en suivant le cours asséché des rivières, témoins antiques des forêts primaires.

Ayant laissé en arrière un furet trépignant de chasser la musaraigne, Nellis et moi marchions en travers de la poussière, levée par les chariots et les pieds des marchands pressés, sous les regards méfiants des dits-marchands, de leurs clients fatigués ou des simples baladins et autres baladeurs. La lumière céleste déclinait par-delà le nuage ocre. L’air pesant des bois me manquait. En moins d’une lune, mes poumons s’étaient décrassés de la pollution, et maintenant, se plaignaient de ce retour précipité dans le clapier aux lapins.

─ Où loge donc ce Kieran ? questionné-je la sorcière.

─ Tu n’as qu’à demander, me sortit-elle sèchement.

Soucieux, je lui jetai un œil curieux.

─ Aurais-tu peur d’aborder des étrangers, toi ?

─ C’est toi le citadin, s’énerva l’elfe. Tu connais mieux ce labyrinthe puant que moi.

Je n’ajoutai rien, amusé de voir la puissante sorcière des bois, déesse parmi les esprits de la forêt, hésiter à se renseigner auprès de la foule. Pas question de la juger. Du temps de mon enfance, si lointaine dans ma mémoire et pourtant si proche, je n’appréciais guère sortir de l’enclos réconfortant de la propriété. Papa, mais le plus souvent mes frères, ils me poussaient à passer les barrières de notre demeure. Je me souviens, alors que j’avais cinq ou six ans, une éternité, pleurer les bras de maman derrière un tonneau empestant l’huile musquée, tétanisé devant le défilé de badins, que mes yeux de gosse voyaient sous les traits d’une cohorte de trolls.

Une autre fois, Tante Hortia, devant mon insistance, m’avait tenu la main jusqu’à la Place Rossignol où se tenait un cirque avec des éléphants en vedette. Ces bedonnants gris m’émerveillaient, alors que j’avais peur des poules. À la fin de la représentation, je ne trouvais plus ma tante. Éploré, je retournai à la maison, le pantalon mouillé de pisse. Hortensia – comme je l’appelais alors – réapparut pour me consoler. Jamais encore je n’avais été témoin d’un tel émoi chez elle, d’ordinaire si mesurée.

─ Désolée, répétait-elle en boucle en séchant mes larmes de ses manches nacrées.

Elle avait fait tout cela pour réveiller ma conscience animale, celle du survivant, ignorant jusqu’ici à quel point j’étais une poule mouillée.

─ Tu n’es pas une poule mouillée, m’assura Nellis lorsque j’eus terminé l’anecdote. N’importe quel enfant elfe compisserait ses chausses au milieu d’une telle fauverie. Tu as conservé ta culotte sèche face au loup de fumée.

─ Sans toi, elle ne le serait pas restée longtemps.

Étrangement, lui raconter ce genre de souvenir humiliant ne me dérangeait pas, bien au contraire.

─ Prouve-moi donc ton courage et va demander notre chemin avant que nous atterrissions dans un égout.

Un sympathique vieillard, bien que bavard, m’indiqua le quartier des elfes. En quinze ans, je n’y avais jamais mis les pieds, n’en connaissant pas même l’emplacement. Un grand robuste, au regard émeraude étincelant, pointa de sa griffe, peinte d’arabesques, l’atelier de Maître Kieran. Le forgeron présentait l’allure d’un garnement échappé de ses classes. Le trahissait néanmoins sa façon de frapper le métal rouge sur son enclume, à la fois brutale et méthodique. Tout en fondant la tige aplatie dans le brasier, des pierres de fumée, marquées de sourcils plus épais que ceux de la sorcière, nous lorgnaient avec suspicion mêlée de surprise.

─ Que me vaut la visite de la sorcière des bois ? chanta une voix étrangement mélodieuse.

─ Tu me connais ? s’étonna Nellis dans une bataille de sourcils.

─ Tout le monde dans le quartier a entendu parler de la sorcière des bois. Il paraît même que tu mènes la vie dure à l’autre momie de Gardienne. Cela me suffit pour t’apprécier sans te connaître. Que me veux-tu ? Et qui est ce nain qui t’accompagne ?

Je mis une seconde à piger qu’il parlait de moi. Ma rogne, je la gardais pourtant ancrée, le regard fixé sur les bras de troll de l’artisan.

─ Je cherche une amulette que t’a vendue un chaman du nom de Dayl.

De ses doigts noirs, Kieran chassa la mèche collante gênant ses paupières imprégnées de suie.

─ Ce chenapan me l’a bien laissée, il y a trois lunaisons, contre une caisse d’absinthe du Père Mèléthanol.

Je fus surpris de son honnêteté.

─ Cette pièce m’appartient. J’aimerais la récupérer, s’il vous plaît, déclara sans sommation Nellis, d’une politesse un peu trop sèche.

Kieran se gratta la tempe, manifestement embarrassé.

─ C’est que… j’avais prévu de fabriquer avec un pendentif pour ma femme.

─ Tu useras d’un autre bijou, trancha la sorcière. Dayl n’avait aucun droit dessus. Il me le gardait simplement.

─ Je suis confus, je l’ignorais, bafouilla un marchand sincère. Le problème, c’est qu’elle me plaît bien cette amulette, et surtout, je sais qu’elle plaira à ma femme. Voyez-vous, ce sont nos mille lunes de mariage.

Je ne disais rien, trop intimidé pour élever ne serait-ce qu’un gargouillis.

Mon épouse, le nez fin piqué de calme, glissa une main dans sa sacoche et en ressortit une pierre bleue d’un éclat éblouissant, que Kieran ne manqua pas de relever d’un œil aussi brillant.

─ Un saphir que j’ai cueilli dans la rivière. Il vaut dix fois le prix de ta boutique, m’est avis. Donne-moi l’amulette et il sera à toi. Tu pourras l’offrir à ta bien-aimée. Comment s’appelle-t-elle ?

─ Kourulin, s’esclaffa le forgeron en brandissant le cristal pivoine à la façon d’un trophée céleste.

─ Que les esprits bénissent votre union, à Kourulin et toi, pour les mille lunes à venir.

─ Un grand merci, sorcière des bois. Les gens se trompent à ton sujet. À partir de maintenant, dès que résonneront les quolibets et rumeurs mauvaises, je me lèverai pour te défendre. Parole de fer !

Et il alla chercher l’amulette que Nellis inspecta avant de l’enfouir sous ses fourrures.

─ Tu es un elfe honnête, Kieran le forgeron. Je te compte désormais parmi mes amis. Bons vents !

─ Bons vents à toi, sorcière, et à ton compagnon de même, salua le bienveillant Kieran, un sourire de jeune coq reliant ses deux oreilles taillées en poinçon.

***

Une fois atteinte l’orée des bois, à l’aulne d’un jeune chêne, Nellis me présenta l’objet qui nous avait fait tant marcher. Des vagues ciselaient l’argent entourant le quartz abîmé aux reflets pomme. Un bel ouvrage, bien trop simple en revanche pour justifier le prix d’un saphir brut épais comme mon gros doigt de pied, jugeait mon esprit novice.

─ Quels sont donc les secrets que renferme ce trésor ? questionné-je.

─ Mes souvenirs.

─ Pardon ?

─ J’ignore la raison qui m’y a poussé. Tout cela est advenu avant que je m’installe dans ces bois. J’ai confié l’amulette à Dayl en retardant à jamais le jour où j’oserai plonger dans l’océan que ce cristal retient.

Ses doigts fins caressaient les césures au rythme de ses soupirs infimes, que je parvenais toutefois à entendre au travers de ses mots las.

─ Pourquoi maintenant ? Est-ce à cause de ce je t’ai dis ?

─ Je pense que tu dois connaître mon passé. J’ai conscience qu’il est trop tard pour faire marche arrière, mais la peur ne saurait guider notre couple. Je préfère encore ton mépris, bien qu’il m’effraie terriblement.

─ Tu ignores donc tout de ta vie… C’est horrible.

Malgré l’envie farouche de la serrer dans mes bras, je me retenais par crainte d’accentuer son malaise, palpable dans l’air frais, encore souillé des vapeurs des faubourgs grouillants.

Nellis me tendit son trésor, possesseur de ses souvenirs. Je préférai prendre ses mains tremblantes. Son état, celui d’une créature terrorisée par l’orage, me soulevait le cœur, songeant à celle qui portait le tonnerre.

─ Ces souvenirs sont tiens, lui soufflai-je en tombant dans ses iris de chat apeuré. Je me fiche de ton passé comme je choisis d’ignorer le mien. Ces cent années qui sommeillent là-dedans, elles m’angoissent presqu’autant que celles à venir que j’appréhende derrière la forêt qui les dissimule.

─ Tu es certain de vouloir rester dans l’ignorance ? grelotta une flûte qui m’était étrangère.

─ Parfois, le savoir, mieux vaut l’ignorer au lieu d’être submergé par les doutes qu’il charrie.

Par-dessous les larmes naissantes, la sorcière sourit.

─ Qui êtes-vous, sage des bois, et qu’avez-vous fait de Jilam, l’enfant peureux des villes ?

─ Tu me connais aussi bien que je te connais, et tu me connais autant que je te connais. Nous sommes deux pages blanches qu’il nous faut remplir à deux. Peu m’importe cette amulette. Nul ne m’enseignera qui est la sorcière des bois. Je serai mon propre professeur.

Le sourire se métamorphosa en rire.

─ Je sais maintenant que la faim te fait dire tout et n’importe quoi. Tu dois prendre ma tête pour une fraise. Allons, rentrons avant que tu ne me croques. Mais avant… Et elle plaça le quartz pomme et son écrin brillant au creux de ma paume, qu’elle recouvrit de ses serres de charbon.

─ Je t’ai dit que je n’en voulais pas, protesté-je.

─ Mon souhait est que tu sois le gardien de mes souvenirs, jusqu’au jour où nous déciderons ensemble de les affronter, peu importe si ce jour n’arrive jamais.

J’acceptai le présent d’une poigne ferme, accompagnée d’une pantomime basée sur l’image de Tante Hortia quand elle défiait les caprices de maman.

─ Je promets de le garder près de mon cœur… et de ne jamais l’échanger contre moins que deux caisses d’absinthe.

Une bourrade salua mon humour de chaman.

***

Je rentrai à la tanière au dernier éclat du crépuscule, crotté du bonnet aux bottes, visage rayonnant de bonheur bête. La sorcière lorgna, sourcil perplexe, les fleurs blanches que mes doigts serraient tel le butin d’un génie.

─ Très créatif.

Sa morosité feinte disparut vite, quand elle prit le bouquet, juste avant de m’enlacer, au prix de mes reins fourbus. Mais l’enfant s’en fichait, tout à la joie de l’effet de son présent. Je tirai la langue à l’intention de Mú, sa moustache frétillante de jalousie. La sorcière m’embrassa, et par ce baiser, effaça mes courbatures comme par magie – et de magie il s’agissait.

Les lèvres miellées se pincèrent.

─ Par contre, ce sont des crocus du diable, pas des nellis. Ils maudissent la main qui les cueille.

Mon sourire béat s’envola comme l’hirondelle à l’automne. Devant ma mine défaite, l’elfe maligne ne put dissimuler longtemps sa duperie.

─ Je plaisante.

La sévérité avala le début d’hilarité, tandis qu’une griffe d’ébène me piquait le bout de nez.

─ Par contre, sérieusement, arrête de cueillir tout et n’importe quoi si tu n’es pas absolument sûr. Ça m’évitera d’avoir à chercher ton cadavre.

Ma sorcière dans son élément.

─ Tu sais toujours trouver les bons mots.

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