Chapitre 1 : Longs couteaux

9 mins

Précédemment…

Il y a plusieurs dizaines d’iado, Kongeya était déchirée par une terrible guerre. Diverses alliances à travers le continent avaient décidé presque au même moment qu’il était grand temps que leurs différends se règlent dans le sang et c’est ainsi que débuta le plus important conflit de mémoire d’elfe. Ainsi, humains, nains, gnomes, elfes et gobelins partirent pour une guerre qui devait être de courte durée.

Un amas de conflits frontaliers débutés il y a plus de cent dix iado dégénéra au fur et à mesure des iado en guerre générale opposant tout le monde à tout le monde en fonction des intérêts propres à chacun. Lorsque les feux de la guerre s’apprêtaient à s’éteindre il y a soixante iado environ, orques et démons s’ajoutèrent au conflit et ravagèrent le Nord de Kongeya, ravivant la flamme. Quelques iado plus tard, les ordres sacrés naquirent pour repousser ce nouveau fléau.

Quelques iado plus tard à nouveau, le Conquérant fit son apparition et unifia les différents peuples et territoires de Kongeya sous une seule bannière. Douze iado après son arrivée, le continent était unifié et les orques repoussés dans les terres gelées du Nord. Ainsi débuta l’ère impériale. Malheureusement, le Conquérant plus connu aujourd’hui sous le nom d’Empereur Glorst, décéda durant le septième monas de l’iad 41 de l’ère impériale laissant le trône à son épouse et sans héritier. Des temps incertains où revanchisme, indépendantisme et opportunisme domineront s’annoncent…

Partie I – Le début du voyage

Comment j’ai rencontré ta grand-mère ? Ça remonte à… Il y a… Quelques dizaines d’iado à peu près… C’est une histoire assez longue, tu es sûr de vouloir l’entendre ? Comme tu voudras. À l’époque je voyageais à travers le continent et je l’ai rencontrée après de nombreuses aventures. La première a eu lieu quelques semaines avant la fête de Vima de Pavan. je m’en souviens clairement, j’ai eu la chair de poule cette nuit là. Bref, tout a commencé une nuit sombre agrémentée d’une pluie abondante…

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, sixième dan d’Arntayo

Le dernier quartier de la Mona décroissante était caché par un épais manteau nuageux déversant un véritable torrent de pluie sur les pauvres âmes obligées de voyager dans de telles conditions. Une silhouette était escortée d’une vingtaine d’autres plus massives à première vue. Elles étaient lourdement armées d’après les nombreux cliquetis métalliques émis à chaque mouvement bien qu’atténués par la forte pluie.

La silhouette frappa à la porte d’une petite demeure faite de bois et de chaume au milieu des champs. Malgré l’unia tardive, un raie de lumière vacillant apparut sous la porte. Un homme d’un âge certain, ses rides dévoilant de longues années de labeur sur son visage, ouvrit la porte l’air effrayé par ces inhabituels voyageurs. Après un bref échange, la silhouette fit un signe mettant ainsi le groupe en colonne et la fit avancer vers les ténèbres nocturnes laissant le vieil homme à ses préoccupations quotidiennes. S’il parvient toutefois à comprendre pourquoi de tels individus voyagent dans une région si reculée à la recherche d’une demeure abandonnée depuis la mort de son propriétaire. Ou à oublier cette nuit tel un mauvais rêve.

Un peu plus tard, la colonne fit halte non loin d’une demeure en bois de deux étages adjacente à un bois. Malgré son abandon, elle était toujours en bon état et pourrait appartenir à un propriétaire terrien mais la réalité était plus sombre. Les soldats encerclèrent la demeure, prêts au combat tandis que le chef enfonça la porte d’entrée, l’épée à la main en hurlant d’une voix forte.

-Chargez ! Aucun prisonnier, tous les conspirateurs doivent mourir !

Immédiatement, de multiples fracas se firent entendre suivis de hurlements et de sons de lames s’entrechoquant couverts par une pluie redoublant d’intensité.

* * *

La pièce était faiblement éclairée et sentait le moisi en plus de contenir une atmosphère des plus lourdes. Moins à cause de son emplacement souterrain que pour le sujet dont on y débattait. Un groupe de cinq hommes venant de tous horizons étaient réunis autour d’une table rectangulaire donnant l’impression de pouvoir s’effondrer au premier courant d’air. De plus les quelques gardes, qui tenaient plus du coupe-jarret au vu de leur accoutrement, peinaient à tenir dans un espace si restreint.

L’un des individus attablés, un homme assez âgé et mince prit la parole d’un ton légèrement irrité en se levant brusquement.

– Vous parlez tout de même de renverser l’impératrice voir de l’assassiner. Vous n’espérez tout de même pas que cela soit une entreprise si simple que l’on puisse y parvenir sans risque ! Restons un tant soit peu réalistes, mes amis.

Un autre homme, ventripotent et élégamment vêtu, une personne d’importance sans aucun doute, prit la parole et renchérit d’une voix claire.

-C’est évident mais nous pouvons y arriver. L’empereur est mort sans laisser ne serait-ce qu’un bâtard pour hériter du trône. Il suffit de forcer la main de l’impératrice pour qu’un nouveau dirigeant apparaisse. De plus, de nombreuses factions se forment dans tout l’Empire pour réclamer le trône.

Il prit un temps de respiration avant de reprendre son discours de plus belle.

-Tant que nous restons suffisamment discrets, nous pourrons utiliser ces dissensions à notre profit et même devenir les sauveurs de cette terre lorsque l’empire s’effritera. N’oubliez pas, cette occasion ne se représentera sans doute jamais, nous devons la saisir car c’est également notre devoir d’assurer la stabilité de notre si précieux Empire.
-Et qui montera sur le trône pour tenir les rênes de cet empire qui vous est si précieux à la place de cette femme ? Votre fils peut-être ?
-Pourquoi pas ! En vérité, n’importe qui fera l’affaire, même mon idiot de fils ! Même un valet, un mendiant ou un cochon d’ailleurs ! La seule chose qu’on lui demandera, c’est de savoir faire des enfants et d’obéir bien gentiment.

L’homme ventripotent plaça sa tête sur ses mains jointes afin de signifier à son entourage, et en particulier à son interlocuteur, qu’il avait terminé. Le vieil homme se résigna en s’asseyant devant tant d’assurance, d’arrogance ou de prétention, mais ne put s’empêcher de serrer les dents en pensant avoir fait une grave erreur en rejoignant ce groupe qu’il jugeait désormais comme dénué de tout bon sens. Les trois autres participants se contentèrent d’écouter l’échange jusque là. Toutefois, l’un d’eux décida de présenter son opinion sur la situation. Imposant de par sa carrure et effrayant de par l’origine de son armure, seul son bâton trahissait sa véritable profession, ce qui ne le rendait pas moins dangereux, au contraire. Il prit alors la parole d’une voix grave, éraillée, froide et dénuée de tout sentiment.

-Il serait plus simple de brûler l’impératrice, ses fidèles et tous ceux qui s’opposeront à nous. Et pourquoi pas son petit empire avec.

L’un de ceux n’ayant pas encore pris part à la conversation se contenta d’acquiescer silencieusement, davantage par peur que par réel accord. L’autre se contenta de toiser d’un œil prudent les participants et principalement le mage qu’il devinait être quelqu’un privilégiant étonnamment la violence comme unique solution. Il portait des habits simples, pratiques et sobres, davantage orientés pour les longs trajets, masquant ses véritables talents mais pas sa constitution moyenne, peu propice au combat. Néanmoins, il disposait tout de même d’une maigre protection en cuir au cas où. Il avait atteint le même stade d’exaspération que le vieil homme mais il savait que pour atteindre son but, il devrait collaborer avec toutes sortes d’individus, y compris, pour son malheur, ces imbéciles n’ayant pas la moindre idée de ce à quoi ils s’attaquaient. Pensant qu’imposer à l’impératrice un nouveau mari soit chose aisée ou même que l’éliminer, elle, et sa garde personnelle suffirait pour prendre le pouvoir. Il fut subitement interrompu dans ses réflexions par le vieil homme répondant à la proposition du mage d’un ton las.

-Nous utilisons d’autres méthodes que vous autres varvarisho. Contrairement à vous, nous cherchons à bâtir quelque chose, pas simplement à répandre mort et destruction en espérant pouvoir en tirer quelque chose.

Le mage lui rétorqua presque immédiatement sur un ton particulièrement sec.

-Nous n’avons pas peur d’une vieille femme se cachant dans un vulgaire palais au moins. Et chez nous, le seul qui puisse bâtir est celui qui s’est élevé comme étant le plus grand guerrier. En détruisant ses ennemis la plupart du temps.
-Et c’est pour ça que la Varvary n’est et ne sera toujours qu’une contrée perdue dénuée de toute forme de civilisation ! À moins que vous ne considéreriez les ours comme un peuple civilisé sur lequel prendre exemple.

La conversation s’envenima et prit une tournure explosive avec le retour dans celle-ci de l’homme ventripotent. Les trois hommes en vinrent aux mains. Les gardes tentèrent de les empêcher de faire quelque chose de regrettable, principalement le mage dont la main droite s’illumina lorsqu’elle commença à engendrer une petite sphère enflammée mais en vain. L’homme resté jusqu’ici silencieux resta de marbre devant cette scène d’un incroyable ridicule au vu du sujet de la réunion. Il y assista sans réaction jusqu’à qu’elle fut coupée dans son élan par un bruit sourd et des éclats de voix venant du rez-de-chaussée. Chaque personne présente dans cette petite pièce tourna le regard instinctivement vers les escaliers, vers la porte de l’étage.

Après quelques instants à retenir leur souffle sans bouger et toujours empoignés, leur pire crainte fut confirmée par un garde tombant du rez-de-chaussée par la porte et se vidant de son sang au bas de l’escalier. Ils avaient été découverts. Ils n’eurent pas le temps de comprendre l’implication des fracas métalliques d’armes ni les hurlements des gardes tombant sous les coups les uns après les autres, que le vieil homme ouvrit une cloison dans le mur, découvrant ainsi un tunnel secret. Il s’y faufila suivi du mage qui ne l’avait pas lâché du regard malgré l’imminence du danger. Les trois derniers membres de cette réunion s’élancèrent vers la seule issue lorsque les bruits de pas sourds de combattants en armure dévalant l’escalier se firent entendre. L’instant d’après ce furent leurs propres gardes qui tombèrent au sol, mourants.

Le plus réactif des trois derniers conspirateurs fut celui qui se fit le moins remarquer durant la réunion. Sans un mot il envoya le plus peureux vers les soldats qui acceptèrent ce sacrifice avec plaisir. Il passa ensuite juste devant le ventripotent avant de s’engouffrer dans le tunnel tout en activant le système de fermeture rendant toute tentative de poursuite par cette voie impossible. Il sacrifia donc le dernier conspirateur qui n’avait plus de moyen de fuir. Lorsque la cloison se referma, il put entendre les dernières suppliques et tentatives de marchandage du sacrifié.

Les trois derniers survivants couraient dans ce tunnel comme le long d’un fil, le minuscule fil du destin qui pouvait les mener à la liberté ou à une mort certaine et peu enviable.

* * *

Les trois complices progressèrent avec acharnement à l’intérieur de ce minuscule tunnel pendant ce qui leur sembla être une éternité. Ils redoublèrent d’efforts à la première vague d’air frais qui indiquait une sortie proche. Ils mirent quelques setoio avant de comprendre qu’ils étaient désormais dans le bois, le temps de comprendre que le froid qui leur mordait le visage n’était plus dû au vent frais annonçant la fin des chaleurs sèches s’engouffrant avec force dans le boyau de roche mais à la pluie dont les nuages obscurcissaient toujours le ciel et donnaient un air lugubre aux arbres environnants. Ils avaient l’air à la fois effrayants et salvateurs par ce qu’ils pourraient cacher dans de telles conditions.

Les comploteurs s’élancèrent chacun dans une direction différente par instinct. Le plus alerte des trois prit la fuite vers le cœur du bois afin de ne pas tomber nez à nez avec ces terribles assaillants. Mais malgré cette précaution il ne put s’empêcher de se sentir suivi, ni d’avoir l’impression de perdre du terrain sur ses poursuivants. Il se jeta dans un fourré et sortit la dague qui pendait à sa ceinture prêt à éliminer un de ces individus et éventuellement mourir par un second si la chance n’était pas de son côté. Son instinct ne l’avait pas trompé, la pluie battante couvrait la plupart des sons mais il put entendre les pas lourds de plusieurs combattants en armure. Il se dit que quitte à mourir autant en emporter le plus possible avec lui.

Il attrapa par surprise le premier d’entre eux et s’apprêta à lui trancher la gorge en silence lorsqu’il reconnut l’armure, celle qu’il identifia comme une récente source d’exaspération. Il s’agissait du mage qui lui décrocha un direct du droit immédiatement après avoir touché terre puis en prépara un second avant de reconnaître son compère et de lui plaquer une main sur la bouche pour étouffer un juron.

Au même instant, deux de leurs assaillants émergèrent de la nuit à leur recherche. L’un d’eux s’exprima d’une voix rauque et difficilement audible.

-Tu crois vraiment que ça vaut la peine de continuer à le chercher ? Je veux dire, il semblait être un simple mercenaire.
-Mais ils pourraient nous mener à ses complices.
-Ou dans une embuscade. Qui sait s’ils n’ont pas des renforts dans les bois ?
-C’est vrai et je me les gèle avec cette pluie et ce vent. Rentrons, les autres doivent nous attendre.

Les deux compagnons d’infortune durent attendre quelques minuto avant de s’autoriser à prendre une grande respiration. Ils avaient survécu un dan de plus et compte tenu de ce dans quoi ils étaient impliqués, c’était énorme. Après quelques instants, ils se levèrent et partirent calmement dans le sens opposé à celui de leurs poursuivants. Le mage prit la parole d’un ton calme et assuré.

-Quel est ton nom déjà ?

L’autre, prit d’apathie, ne lui prêta pas même un regard pour répondre.

-Steshin, je suis… Espion à louer… Si on peut dire.

Au son du mot espion le mage stoppa sa marche et se prépara à abattre le seul autre survivant d’une boule de feu dans le dos. À cela Steshin se contenta d’ajouter quelques mots, sans se retourner, du même ton calme quoique presque las.

-Tu penses réellement que je suis le responsable ? Tu penses réellement que j’aurais fait le maximum pour sauver ma peau si je ne craignais rien ? D’autant plus que lorsqu’on s’est séparés, je ne pensais pas que tu me tomberais dessus. Maintenant tu fais ce que tu veux, mais moi, je file aussi loin que possible.

Il continua sa marche comme si de rien n’était, en espérant ne pas mourir au pas suivant. Le mage abaissa le bras, résigné à accepter son histoire. La boule de feu crépitait encore dans sa main tout en faisant s’évaporer l’eau qui coulait le long de son bras et lui emboîta le pas toujours alerte. Steshin rajouta d’un ton sec et légèrement tendu.

-Et éteint cette boule de feu, tu vas nous faire prendre imbécile.

L’autre s’exécuta avant de se présenter d’un air plutôt irrité par la remarque précédente.

-Je suis Oronay, mage-guerrier du clan d’Eadsha.

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