Précédemment…
Steshin rencontra Oronay, un mage-guerrier varvarish, lors d’une réunion nocturne visant à comploter contre l’impératrice Loshy et l’empire sacré d’Imreva. Malheureusement pour eux, ils ont été découverts et poursuivis par la garde impériale. Aujourd’hui, ils sont les deux seuls survivants du complot.
Ensemble, ce duo improbable parvint après plusieurs dangereux contrats et divers dommages collatéraux à mettre une grande distance entre eux et la poigne de fer de l’impératrice en entrant dans le royaume elfe de Forishny. Royaume appartenant certes à l’empire mais où on ne risquerait pas de les traquer davantage dans l’immédiat.
À Pavan, la capitale elfe, Steshin fut frappé par un coup de foudre pour une archère elfe mais Oronay lui rappela une promesse faite et il l’entraîna à nouveau sur les routes en direction de sa Varvary natale. C’est non loin des côtes elfes que débute la nouvelle étape du voyage de Steshin…
Partie II – Au bout du monde
La suite de mon histoire ? La façon dont j’ai rencontré ta grand-mère ne t’a pas suffi ? C’est vrai que ce n’était pas vraiment une fin pour une histoire mais c’était la fin de cette partie ! Ne fais pas cette tête… D’accord, je vais te raconter la suite. C’était peu de temps après cette merveilleuse rencontre…
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, vingt-et-unième dan d’Aised
Des arbres bruns, grands, fins, nus. Les feuilles étant tombées il y a un certain temps déjà. L’herbe était d’un vert pâle, couverte d’une fine couche de gel en cette fin de matinée. C’était une forêt de conifères typique du Nord de Kongeya. Dans une petite clairière se tenaient deux humains face à un ours, un grand ours. Il était presque deux fois plus grand qu’un ours habituel.
Cet animal hors norme rugissait aussi fort qu’il le pouvait, au point que l’humain qui se tenait face à lui pouvait sentir l’air vibrer. Mais il tenait bon, il n’allait pas fuir devant une bête, aussi féroce soit-elle. Il avait pris l’habitude d’affronter bien pire. Le froid de cette fin d’iad n’avait pas d’emprise sur lui, sa concentration martiale, forgée par sa terre natale bien plus glaciale en général et surtout en cette période, l’empêchait de le ressentir. Ce climat hostile lui a forgé un mental d’acier et un corps robuste taillé pour les nombreuses batailles auxquelles il avait participé avec son clan. Il avait véritablement une carrure de guerrier renforcée présentement par une posture de prédateur prêt à se jeter sur sa proie à mains nues.
L’autre humain était loin d’avoir le même physique, il était bien plus commun avec sa taille un peu au-dessus de la moyenne pour une musculature moins développée que celle du premier paysan venu. Ce n’était clairement pas un habitué des champs de bataille mais il ne laissait pas la peur le submerger pour autant. Présentement, il se tenait un peu plus loin que l’autre humain, un arc tendu entre les mains.
L’ours gigantesque se lança la gueule ouverte en direction du guerrier. Ce dernier murmura quelques paroles tout en faisant un saut de côté et une fois réceptionné, il tendit le bras, paume en avant en direction de la tête de l’animal. Ses lèvres cessèrent de bouger et un cône de flamme émergea brièvement de ses doigts en direction de sa cible. La bête se retourna, furieuse, et fit de nouveau face au guerrier. Ses poils avaient roussi et une flèche s’était plantée à la base du cou, dans le gras.
Elle se jeta de nouveau sur sa proie. L’archer, quant à lui, bandait à nouveau son arc en murmurant puis en pestant. Quelque chose n’allait pas comme il le souhaitait apparemment. Le guerrier se contentait d’enchaîner esquives diverses, coups de poing dans le museau, pas de côté et sorts de feu. À force, l’ours ressemblait de plus en plus à un hérisson entre les flèches et son pelage carbonisé.
Finalement, le guerrier chancela et tomba à cause d’un moment d’inattention résultant de la fatigue issue de son usage quasi continu de la magie. L’archer, spectateur de la scène, lâcha son arc immédiatement et courut en direction de la bête tout en sortant sa dague de son fourreau. Sur la distance qui le séparait de sa cible, il eut tout juste le temps de marmonner quelques paroles, de passer le doigt sur le plat de la lame et se jeta sur l’animal avec un air féroce.
Le guerrier par contre, sentait la douleur étreindre son bras maintenant que l’ours gigantesque avait planté ses crocs dedans et tirait dessus avec force. Avec son autre bras, il avait rapidement abandonné l’idée de fracasser le crâne de son adversaire à mains nues. Il était trop épuisé pour lancer une nouvelle boule de feu, alors il fit ce qu’on lui apprit durant toute sa vie, il sortit un couteau de sa ceinture et le planta à plusieurs reprises dans la tête puis dans l’œil. Mais cela ne suffit pas.
Il vit son compagnon arriver et transpercer la peau de la bête de très nombreux coups de dague. Cet acharnement fit lâcher prise à l’ours qui recula péniblement de quelques pas, rugit et s’effondra au sol. L’animal n’était pas tout à fait mort mais mourant. Son sang s’écoulait par les nombreux trous de perforation qui parsemaient son corps.
Le guerrier se releva d’un bond et s’avança avec prudence vers sa proie, tout comme son compagnon. Leur victime respirait avec peine et elle ne pouvait faire autre chose qu’attendre la fin de son lent trépas désormais. L’archer mit fin à son agonie en lui tranchant directement une artère. La mort frappa rapidement après, ne laissant derrière elle qu’un sol gelé rougi et abreuvé de sang ainsi qu’un tas de viande encore chaud.
Les deux combattants s’attelèrent à séparer la tête du reste du corps afin de ramener une preuve de leur victoire. Le guerrier avait du mal à la trancher avec un bras blessé.
-Oro, ça va aller ?
-Ne t’en fais pas. J’en ai vu d’autres.
Ils finirent de trancher la chair, déversant davantage du liquide vital sur le sol.
-Tu n’as pas l’air d’aller si bien.
Les deux compagnons prirent chacun de leur côté la tête et ils marchèrent dans une direction. L’archer en profita pour ramasser son arc lorsqu’ils passèrent à côté.
-Stesh, c’est son sang sur moi, pas le mien !
Il agita le bras blessé pour appuyer ses dires sans toutefois parvenir à convaincre son interlocuteur.
-Un bandage et de la retenue suffiront.
J’espère.
Ils s’enfoncèrent dans le bois. Celui-ci était assez calme, hormis le croassement d’un corbeau.
Vingt et un dano depuis notre départ de Pavan. Et nous sommes loin d’être arrivés à destination. Pourquoi ai-je accepté de voyager durant la plus froide saison ? Pour honorer la dette que j’ai envers l’autre, je sais…
Ils sentirent l’air marin traverser les bois. Ils s’approchaient de la côte sans pour autant l’apercevoir actuellement.
-Stesh, tu emploies une forme de magie depuis quelques temps.
Il a remarqué ? Je pensais avoir été suffisamment discret.
-En effet.
-Je ne connais pas cette école mais ça n’a pas l’air très efficace.
-J’ai du mal à incanter en ce moment.
-Si tu t’en sers aussi peu, c’est normal. Il faut pratiquer.
Merci, je n’avais pas saisi cette évidence ! Par contre, il n’a pas fait attention à chaque fois que je m’en suis servi visiblement… En ce moment, je n’arrive pas à me concentrer. Je pense sans arrêt à Larny. Oh, cette douce Larny ! J’ai hâte d’en finir avec cette histoire pour la retrouver… Sans doute dans quelques monaso…
-Tu fais encore cette tête.
-Quelle tête ?
-Celle d’un abruti.
Je ne comprends pas.
-Tu regardes dans le vide en souriant.
-Ah…
Peut-être, oui.
-Je suis de bonne humeur.
-Tous les dano ? Depuis un monas ?
-Tu exagères.
-C’est depuis qu’on a quitté Pavan.
-Si tu le dis.
Leurs pas les amenèrent aux abords d’un bourg dont ils ne distinguaient clairement que les fortifications pour le moment.
Lorol, enfin !
Ils traversèrent les faubourgs, attirant les curieux, attisant leurs commérages, allumant une étincelle dans le regard des plus jeunes.
-Ils ont tué la bête !
-Regarde maman ! Elle est énorme la tête !
-Ils ont tué le maître des forêts ! La divine malédiction va nous frapper !
Ils continuèrent d’avancer comme si de rien n’était jusqu’au pied de la muraille du bourg, elle était assez épaisse pour souffrir un assaut mais elle n’était faite que de bois. Typique des elfes. Ils traversèrent la porte et se rendirent au poste de garde le plus proche sous le regard stupéfait des habitants.
-Incroyable ! C’est une sacrée bête !
Ils posèrent la tête au pied du garde en charge des primes. L’elfe ne put s’empêcher de la regarder sous toutes les coutures.
-C’est une sacrée prise en tout cas, vous méritez bien vot’prime. Moi qui pensais que c’taient des histoires de bonne femme ou une invention des paysans.
-C’est pas peu dire.
Le guerrier présenta sa main grande ouverte avec un regard dur et froid comme la glace. Il ne comptait pas accepter moins que ce qui avait été convenu.
-Tenez.
L’elfe lui remit une bourse remplie de pièces sonnantes et trébuchantes en argent.
-Bien.
-Pas le genre commode, hé hé. Je vois. Et vous l’archer, si ça vous intéresse, j’ai d’aut’primes.
-Merci mais sans façon. Nous sommes simplement de passage.
-Je m’en doutais vu vot’allure. Vous ne ressemblez pas vraiment à un chasseur? Pas comme vot’ami.
Ce n’est pas mon ami !
-En effet.
-Dans ce cas bon…
-Une dernière chose, de quelle malédiction parlaient les habitants ?
-Oh ! La rumeur dit que cet ours était un serviteur divin ou quelque chose comme ça… Bah, ce sont des racontars de bonne femme. Dans le doute, passez par le temple histoire d’apaiser le maître de la bête. Peut-être qu’une des prêtresses vous accordera son “pardon” .
Le garde appuya le dernier mot avant de partir dans un rire gras des plus malaisant.
-Nous allons y aller.
-Mouais, je n’ai plus qu’à trouver comment me débarrasser de ça maint’nant.
Ils firent quelques pas dans une direction au hasard afin de s’isoler un peu.
-Retour à l’auberge ? Stesh ?
-Hum… Oui, je vais faire un détour par les échoppes et je te rejoins.
-D’accord.
Ils se séparèrent. L’archer marcha tranquillement, la tête dans les nuages, jusqu’aux échoppes.
Voyons voir… Larny est une excellente archère. Quelque chose en rapport devrait lui faire plaisir.
Il se dirigea vers les facteurs d’arcs et en essaya plusieurs mais n’en trouva aucun de satisfaisant. Ils étaient tous trop communs pour faire plaisir à une archère expérimentée qui devait en posséder un très bon. Il prit la direction de l’auberge, l’air dépité. Il eut du mal à retrouver son chemin, au point qu’il arriva au port mais pas au bon endroit. Sa marche se termina devant une petite échoppe qui ressemblait davantage à un petit entrepôt. Le propriétaire était un humain, bourru, la barbe bien fournie sur une mâchoire visiblement carrée. Ses avant-bras découverts laissaient apparaître plusieurs tatouages à l’effigie de créatures marines ainsi que de nombreuses cicatrices.
-Salutation, que proposez-vous dans votre échoppe ?
Le marchand lui jeta un regard contrarié avant de répondre d’une voix grave.
-Un peu de tout. Surtout des choses venant de l’archipel.
-Auriez-vous des arcs ?
-Ha, c’est pas banal ça !
-Dans ce cas…
-J’ai pas dis ne pas en avoir.
Sa voix se fit plus tranchante. Il se leva de son tabouret pour aller farfouiller dans une malle et en ressortit un arc pour le moins original.
-Il ne vaut pas un arc elfe pour ce qui est de la portée ou de la puissance, pour sûr. Mais il ne vous lâchera pas. Sur l’archipel, la nature fait que nous devons fabriquer des armes résistantes. C’est à cause du froid et du sel.
-Intéressant.
-Sa petite taille permet de l’utiliser facilement depuis le pont d’un navire…
Ce n’est pas le meilleur qui soit mais il diffère de ses compères elfes. Surtout en ce qui concerne la forme et la méthode de fabrication.
-…Il est renforcé avec de la corne de buffle ici et là en cas d’abordage. C’est aussi utile avec d’autres problèmes qui nécessitent une solution directe.
-Je le prends.
Il lui en coûta la moitié de ce qu’il possédait mais il repartit le sourire aux lèvres. Il se dirigea vers le dépôt postal des quais.
Cela devrait faire plaisir à Larny.
L’envoi lui en coûta deux pièces d’argent, une somme conséquente, alors il en profita pour joindre une courte lettre pour sa dulcinée. Il se dirigea finalement vers l’auberge du port pour y rejoindre son compagnon de route et s’y reposer avant le départ de son navire le lendemain.
Je dois reconnaître que je pense souvent à elle. Trop souvent. Ça me perturbe lorsque j’incante. Ça pourrait me tuer au bout du compte…
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, vingt-deuxième dan d’Aised
Les deux compagnons se rendirent jusqu’au débarcadère de leur navire de bon matin.
-Départ du “Morg’sterda” pour Moron dans peu de temps !
La voix venait d’un grand gaillard, un marin à la peau halée et au visage de pierre. Les deux compagnons se présentèrent à un autre qui s’occupait des admissions à bord.
-Vous n’êtes que deux ? Visiblement. Des marchandises à déclarer ?
Ils firent mécaniquement non de la tête sans vraiment porter d’intérêt à ces formalités administratives.
-Bon, ce sera les frais normaux pour vous.
Ils s’en acquittèrent sans chercher à négocier le prix ni à créer d’esclandre.
-Vos noms. Formalité impériale obligatoire en cas d’ennuis.
-Oronay.
-Steshin.