Le peuple de l’archipel de Povistelag est courageux, loyal, féroce mais également colérique, rancunier et prompt à verser le sang pour le moindre prétexte. C’est une force armée essentielle en cas de conflit majeur qui se retournera difficilement contre nous tant que nous tiendrons nos engagements. Ces guerriers ne respectent que la force alors il faut les diriger avec une poigne de fer par temps de paix. En temps de guerre, ils iront d’eux-mêmes au combat, le problème est davantage de parvenir à les tenir dans le rang. C’est ce que j’ai appris durant la guerre de l’Unification.
-Sainte impératrice Loshy à l’amiral Marse de la flotte de Povistelag de la marine impériale
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, vingt-troisième dan d’Aised
Moron, capitale du royaume de Povistelag est une importante ville portuaire uniquement de par son statut de centre politique, si l’on peut dire. Elle n’est composée que d’environ trente deux mille âmes et seulement des humains. L’économie de la ville ne tourne exclusivement qu’autour de ce qui est utile comme la pêche par exemple, notamment à cause du rude climat. La seule chose vraiment intéressante ici est la fameuse montagne de feu qui, selon une ancienne légende, aurait été percutée il y a bien longtemps par un objet céleste, embrasant ainsi le mont Blamat. La ville s’étend de la côte à la fameuse montagne à la base de laquelle se tient le fort du roi.
Arrivés à Moron, Oronay et Steshin s’en allèrent immédiatement trouver une auberge accueillante pour la nuit. Celle qu’ils trouvèrent au bout du port fut tout juste convenable mais très abordable. On y sentait les relents nauséabonds des marées et tout semblait sentir le poisson.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, vingt-quatrième dan d’Aised
Le lendemain, les deux compagnons d’infortune se réveillèrent en début de matinée, avant le lever de Sonse. Steshin se redressa sur son lit avant de s’adresser à Oronay qui émergeait à peine.
-On s’en va où ensuite, Oronge ? Vous faites comment pour rentrer chez vous d’habitude ?
-C’est Oronay ! Attend un instant…
Oronay se releva également sur son lit en affichant un air peu enthousiaste.
-Pfff… Tu es déjà bien éveillé… Hum… Ceux qui font des pillages rentrent avec le même navire que celui qui les a amenés. Normalement.
Je m’en doutais, étrangement.
-Pour les mercenaires comme moi, il faut se débrouiller par nous-mêmes.
Ce n’est pas la réponse que j’attendais ! Pas vraiment en tout cas.
-Une fois arrivés sur l’archipel, nous nous débrouillons pour convaincre un capitaine de faire la traversée.
-Et le notre refusera avec une moitié d’équipage valide.
-Et c’est un elfe.
-Pourquoi ? Ah ! Parce qu’il déteste forcément les tiens.
-Non, Les gens de son peuple sont trop tendres pour l’endroit où nous allons.
-C’est à dire ?
-Le Nord est rude. Trop rude pour ceux qui n’ont pas l’habitude du froid et de la glace.
-Contrairement aux marins de l’archipel c’est ça ?
-C’est ça.
* * *
Steshin et Oronay passèrent la matinée à chercher un capitaine digne de ce nom parmi tous les navires amarrés au port, sans succès. Ils se rabattirent sur la taverne du port simplement nommée ” Auv fratastvirasu ” pour manger avant de réfléchir à la suite. Une fois installé, Steshin ne put s’empêcher d’entendre une conversation entre l’un des clients et la fille de salle.
-Ne doute pas de l’incroyable Borshia “tie Magsarnist” !
L’homme qui venait de parler était assurément un natif de l’archipel, il avait l’air costaud et bourru typique des locaux. Il avait un visage carré cerné de part et d’autre par une longue barbe de la même couleur que ses châtains cheveux attachés en queue de cheval qui atteignaient ses épaules.
-Et bien, “tie Magsarnist” ferait bien de se bouger un peu s’il veut pouvoir payer sa pitance.
La fille de salle qui venait de lui répondre était une femme mûre tout à fait commune en dehors de sa longue chevelure rousse rassemblée en deux longues nattes descendant au niveau de sa taille tout en tombant sur sa poitrine, la mettant ainsi en valeur.
-Oh ! Ne sois pas si dure avec moi ma jolie. N’oublie pas ma renommée d’homme le plus courageux de l’archipel !
-Si tu continues comme ça, tu vas pouvoir montrer ton courage face à la vaisselle !
-Ha ! Ha ! Ça ne peut pas être aussi terrifiant ! Je te rappelle que j’ai traversé les îles de glace à pleine vitesse et en plein Vima par une nuit sans Mona !
-Tu es cinglé, pas courageux.
-Peut-être… Ça te plairait ?
La fille pouffa à cette réplique. Steshin se leva et marcha droit vers le vantard. Oronay, bien que pris par surprise, lui emboîta le pas.
-Gudan messire “tie Magsarnist” . Je cherche un capitaine et son navire pour un périlleux voyage qui siérait parfaitement à une personne de votre renommée.
Steshin était entré dans la conversation sans crier gare. La fille de salle et le capitaine le regardèrent comme un être incroyable avec des yeux ronds comme des soucoupes. Puis ils se regardèrent. Le regard du capitaine se posa de nouveau sur l’importun et il éclata d’un rire franc et sonore.
-Oh vous ! Tu entends ça ! Il me donne du messire !
Il fit une imitation caricaturale de gentilhomme avec une sorte de courbette mal exécutée sur son tabouret. Steshin ne le prit pas avec beaucoup d’humour mais il passa outre et ne perdit pas sa contenance, amenant le marin à le considérer avec sérieux. Un peu plus en tout cas.
-Et ce serait pour aller où ? Et y faire quoi ? J’vous préviens, j’fais pas de livraisons non autorisées, spéciales ou je ne sais quoi de trop louche.
Il commença à boire doucement le contenu de sa chope, ne laissant apparent que deux yeux marqués de scepticisme.
-Pour nous déposer en Varvary.
Le marin recracha tout le liquide encore contenu dans sa bouche sous l’effet de la surprise.
-Vous vous moquez de moi !
-Non.
-La Varvary ! Ben…
Oronay venait de planter d’une main son couteau à côté de l’assiette du marin et attrapa son col de l’autre. Leurs visages étaient très près l’un de l’autre désormais. Ils pouvaient sentir le souffle chaud de leur respiration respective.
-On est très sérieux. Répond-lui avant que je ne perde patience.
La fille resta interdite et le marin prit conscience qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie.
-Je peux vous emmener en Varvary.
Oronay relâcha doucement son étreinte et replaça sa lame à sa place, à la ceinture.
-Enfin, j’aurai pu.
-Comment ça ?
-J’ai perdu mon navire ainsi que l’équipage durant une tempête. Et de toute façon je doute que vous auriez pu me payer.
Il n’a pas tort le bougre.
-Et si on vous trouve un navire avec un équipage ?
-Et pour ma paye ? Faut bien qu’je mange !
-Le bateau et l’équipage.
Le marin se gratta la barbe, faisant mine de réfléchir à cette intéressante proposition.
-C’est d’accord. Un aller simple c’est ça ?
-C’est ça.
-Nous avons un accord alors.
Ils se serrèrent la main en signe d’entente, donnant ainsi chacun leur parole.
-Nous reviendrons bientôt.
-Vous savez où me trouver. Je ne bouge pas.
Steshin le salua de la tête et paya son repas à la fille avant de ressortir accompagné d’Oronay.
-Dis Oronium, tu as une idée pour remplir notre part du marché ?
-C’est Oronay !
Un instant de flottement passa pendant lequel ils se dirigèrent un peu au hasard espérant trouver quelques boutiques d’alimentation et de vêtements.
-Oui. C’est un peu plus simple que sur le continent.
-Ah oui ? On ne pourra jamais payer un équipage et encore moins ne serait-ce qu’une frêle esquif au cas où tu l’aurais oublié !
-Ici, ce n’est pas un problème. L’équipage fera ses gains sur un pillage.
-On ne va piller personne.
-On n’est pas obligé de le leur dire.
Steshin afficha une mine peu convaincue. Il n’était pas à l’aise à l’idée de devoir donner des explications le moment venu.
-La Varvary. Tout le monde sait qu’il n’y a rien à y piller.
-Tout le monde sait qu’on y vit. Qu’il est difficile d’y survivre. Personne ne sait ce qu’il s’y cache. Et là où il y a de la vie, il y a des choses à prendre.
-Hum… c’est vrai. Au final, il faut trouver des gens assez fous ou stupides.
-C’est ça.
Steshin sembla plus rassuré. A peine plus rassuré. Il espérait que la mort frapperait au bon moment.
-Et pour le navire ?
-On va en prendre un.
-Plus précisément ?
-Sur l’archipel, tous les clans possèdent au moins un navire. On en trouve un et on le prend. En tuant l’équipage, s’il le faut.
-C’est original, en effet. Mais je ne pense pas que les autorités locales nous laissent faire.
-Les clans de Povistelag sont très autonomes et ne dépendent pas d’un roi, duc ou comte.
-Il me semble qu’il y en a bien un de roi, non ?
-C’est un titre honorifique à l’origine. Il n’a pas de pouvoir ni d’autorité. Ça veut juste dire qu’il est respecté.
-Et c’est important pour vous autres guerriers, c’est ça ?
-Ça prouve que tout le monde reconnaît ta force.
-Je vois. Donc pas d’autorité centrale. Et pas d’ennui avec les autorités locales.
-C’est ça. On va donc attaquer un petit clan. Peu nombreux et personne ne s’en plaindra.
-C’est logique. Et on commence par où ?
-On va longer la côte dans un sens ou dans un autre. On trouvera bien un village qui se plaindra de pillages.
-Ils se pillent entre eux ?
Oronay sembla amusé par la naïveté de la réflexion de Steshin qui ne connaissait absolument pas cet archipel.
-Les clans trop faibles pour piller les bourgs du continent s’attaquent aux clans qui ont déjà envoyés leurs guerriers au combat.
-Je comprends. C’est un plan qui en vaut un autre mais c’est déjà ça.
Ils se rendirent d’un bon pas chez différents marchands afin de préparer leur périple au travers de l’archipel. Ils achetèrent essentiellement de la nourriture et de quoi survivre dans le froid si jamais ils finissaient d’aventure, coincés par une tempête. Ils quittèrent finalement Moron en début d’après-midi, longeant la côte en direction du Sud-Est comme ils l’avaient prévu.
L’archipel étant en croissant de Mona avec d’importants monts pour des îles, ils n’eurent donc pas tant que ça à craindre le vent. Cependant, la neige tombant chaque dan en quantité les ralentissait.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, vingt-huitième dan d’Aised
Après quelques dano, ils arrivèrent dans un petit village où ne vivaient que des vieillards, des enfants et ceux nécessaires à la survie des deux premiers. Oronay et Steshin passèrent une longue nuit à boire et à manger en compagnie du chef du village qui fut ravi d’entendre des histoires de voyageur. Steshin, de son côté, se montra très curieux vis à vis de leur mode de vie.
-Comment se fait-il qu’il n’y ait presque aucun homme ici ?
-Ah ! Vous n’êtes vraiment pas de la région.
Oronay s’était totalement désintéressé de la conversation et se concentrait sur le contenu de son assiette.
-Ils sont partis en pillage bien évidemment ! Ils sont partis acquérir de quoi subvenir aux besoins du village. Et peut-être ramener d’autres trésors comme cette petite Viniu.
Il désigna une elfe à côté de lui. Celle-ci ne put s’empêcher de rougir tout en tenant un nourrisson dans ses bras. Cette elfe était légèrement différente de celles du continent. Des cheveux noirs de jais mais attachés en une longue tresse atteignant le fessier, une peau douce aux traits fins mais d’une couleur très claire et enfin, une musculature peu développée mais très ferme pour une elfe. Son regard aussi était différent, il était plus dur, tantôt plus chaleureux tantôt plus froid.
-C’est à dire, cher hôte ?
-Et bien… Comment dire ? Mon fils est revenu il y a quelques iado de l’un des pillages avec notre navire rempli de nourriture, d’outils et d’objets de valeur. Et au milieu de tout ce bric-à-brac y’avait cette petite.
Steshin commença à saisir ce que le vieil homme voulait lui dire par là.
-Je croyais que l’esclavage était interdit dans l’empire.
-Il n’a pas jeté son dévolu sur elle comme sur une esclave mais comme sur une servante.
-Vous jouez sur les mots.
L’ancien rit de bon cœur en se resservant une choppe d’un tord-boyau local.
-Bah ! Ça n’a plus d’importance maintenant. Non seulement elle est désormais des nôtres grâce à son dur labeur et son caractère bien trempé mais mon fils l’a même épousé !
Ils burent tous une gorgée pour marquer cette réponse avec une joie non feinte.
-Peut-être qu’il reviendra avec une autre cette fois aussi.
L’atmosphère changea d’un seul coup. Steshin comprit qu’il avait fait un faux pas en disant cela rien qu’en regardant s’assombrir le visage de l’ancien. Sa famille l’imita, partageant visiblement le même souvenir lourd et difficile.
-Mon… Fils est… Mort.
Le cœur de Steshin se serra, comprenant la peine qu’il venait de provoquer.
-Ah ! Mes condoléances et mes plus plates excuses.
L’ancien releva son visage, ses yeux brillaient comme si des flammes dansaient à l’intérieur des pupilles.
-Ce n’est rien. C’est simplement très récent.
-Puis-je vous demander comment cela s’est passé ?
-Évidemment, c’est une histoire qui mérite d’être racontée. Il est… Mort… De la plus noble et brave des manières. Au combat.
L’ancien marqua une pause. Il avait visiblement du mal à entamer ce récit douloureux.
-Un clan de pillards s’est attaqué à nous il y a quelques dano. Nos guerriers venaient tout juste de partir en mer et mon fils a préféré rester s’occuper de son fils pour cette fois.
-Rien de plus normal pour un jeune père.
-Tout à fait. Ce dan-là, une quinzaine de pillards se sont présentés exigeant qu’on leur cède biens et victuailles. Alors mon fils s’est interposé.
Il marqua de nouveau un temps d’arrêt, se remémorant cet événement tragique.
-Ce fut un beau combat, il a réussi à en importer cinq avec lui. Il est mort avec honneur. Je ne pourrais être plus fier de lui.
L’émotion s’entendit dans sa voix bien que son visage arborait la même expression de marbre.
-Dommage que mes deux filles étaient occupées à la chasse. Elles se débrouillent bien avec un arc. À eux trois, ils n’en auraient fait qu’une bouchée.
Plus personne en dehors d’Oronay ne mangeait ou ne buvait, trop absorbés qu’ils étaient par les dires de l’ancien.
-On ira s’occuper d’eux une fois les guerriers revenus. Pas tant pour la mort de mon fils que pour laver l’honneur du clan et celui des guerriers de l’archipel. C’est une honte d’en être réduit à voler ses voisins parce qu’on n’est pas capable de prendre la mer comme un homme !
-Seulement pour ça ?
-Seulement ? C’est bien suffisant !
L’ancien semblait très offusqué par la remarque de Steshin qui semblait remettre en question son mode de pensée.
-Il y a aussi autre chose. Ils ont pris l’épée de mon fils. Il s’agit d’une excellente lame que j’ai maniée durant la guerre de l’Unification et je l’ai donnée à mon fils pour son premier pillage. J’aimerais pouvoir la léguer à son enfant lorsqu’il sera en âge de lui-même partir au combat.
-Je comprends.
Une question d’une curiosité indiscrète brûla intensément les lèvres de Steshin.
-Vous avez participé à la guerre de l’Unification ?
-Oh oui ! Hé hé !
Un franc sourire apparut sur le visage de l’ancien qui prit une gorgée d’hydromel afin de s’éclaircir la voix avec quelque chose de plus doux que son tord-boyau.
-À l’époque, j’ai combattu du côté de notre chère louve impériale !
-C’est un vieux surnom ça !
-Ah ! Vous avez deviné de qui je parlais ! Oui, il n’y a plus guère que ma génération pour appeler notre impératrice de cette manière. À l’époque, c’était un sacré brin de femme et une sacrée guerrière.
L’ancien semblait se plonger dans de vieux et fiers souvenirs issus de sa jeunesse.
-Rendez-vous compte qu’elle avait soumis tout l’archipel pour le faire entrer dans la guerre !
Une spécialiste des carnages, c’est certain. Et ils ne resteront pas impunis.
Steshin serra l’un de ses poings rien qu’à cette pensée. Il le desserra aussitôt pour faire croire à un spasme musculaire.
-J’étais jeune à l’époque, ah !
L’ancien s’installa plus confortablement dans son fauteuil, la choppe à la main.
-Nous étions au courant pour la guerre qui faisait rage sur le continent mais ça ne nous concernait pas vraiment. Puis des rumeurs étranges sont arrivées au village. Des orques de ce qu’on appelle maintenant Tratoled avaient bâti des navires pour attaquer l’archipel.
Il fit un geste de la main pour signifier qu’au premier abord, cette idée était parmi les plus absurdes.
-Et un matin, elle débarqua en armure avec ses troupes. Elle s’en est allée voir le chef du clan pour exiger sa participation à la guerre. C’était le vieux Breshep qui dirigeait le clan à l’époque et il lui a ri au nez évidemment ! Alors elle l’a provoqué en duel.
L’ancien prit un os de poulet dans sa main et commença à mimer une scène de combat avec.
-Ce fut l’un des plus beaux combats que j’ai pu voir. Ce bon vieux Breshep brandissait une hache d’arme d’une façon très brutale, idéale pour briser les murs de boucliers et fendre les crânes. La louve, par contre, avait une simple lame courbe venant des elfes. Elle, elle me rappelait plus un animal lorsqu’elle se battait, un peu comme si elle chassait une proie. Prudente sur le début et bien plus agressive sur les points faibles ensuite.
Il posa finalement l’os de volaille après avoir terminé sa petite scène de combat.
-Ils ont échangés quelques passes d’armes… Pas vraiment en fait… Breshep balayait devant lui avec sa hache pour la tenir éloignée le temps de voir ce qu’elle avait dans le ventre. Mais elle aussi apprenait. Après quelques balayages, c’est elle qui s’est lancée à l’assaut. Elle a fait quelques pas rapides dans sa direction et d’autres de côtés pour éviter sa hache, le tout avec une grâce surhumaine.
L’ancien plaça sa main sous sa propre gorge telle une lame de couteau acérée.
-Et elle a mis son sabre comme ça sous la gorge de notre cher chef. Il ne pouvait plus rien faire. Il avait perdu le duel et elle l’avait épargné. Il y a difficilement pire comme déshonneur sur l’archipel. Avec le recul, Breshep ne l’a pas si mal pris à l’époque, ils se sont échangé quelques mots et le duel prit fin et nous étions désormais dans l’armée de la louve.
Le vieil homme se gratta la barbe grisonnante avec un sourire trahissant de la curiosité.
-À dire vrai… On n’a jamais su ce qu’ils se sont dits. Et chaque fois que j’y repense, j’ai la curieuse impression qu’elle s’était contentée de jouer avec lui.
-C’est à dire ?
-Je pense qu’elle était bien plus forte qu’elle en avait l’air.
-Et après cet événement ?
-Oh ! La vie normale d’un guerrier. De nombreuses batailles dont ma première en mer. C’était contre ces fameux orques bâtisseurs de bateaux. Elles étaient vraies, ces histoires. Puis j’ai posé le pied sur le continent pour la première fois. Et j’y ai rencontré ma chère épouse. C’était après l’un des premiers affrontements en Tratoled et…
-Ça suffit chéri, il se fait vraiment tard. Et nos invités ont fort à faire demain.
-Tu n’es pas obligée de me couper dans mon histoire comme ça !
-Tu n’es pas obligé de raconter toute ton existence en une nuit !
-Silence femme !
-Tiens-tu réellement à ce que je sois de mauvaise humeur ce soir ?
-Hum… Il se fait tard en effet. Je suis pris de sommeil tout d’un coup.
Il a changé d’expression du tout au tout. Les femmes et leurs astuces… C’est peut-être l’occasion de trouver notre navire…
-Très bien. Encore merci pour votre hospitalité. Nous irons porter votre juste vengeance auprès des pillards.
-Bien.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, premier dan de Grosta
Le lendemain, Steshin et Oronay se dirigèrent vers le camp des pillards aux aurores. Le froid mordait jusqu’à l’os les parties du corps à découvert. Ils s’approchèrent discrètement autant que possible du camp. Ce dernier n’était composé que de quelques huttes, un feu et un navire.
-Tu arrives à voir quelqu’un ?
Steshin parlait à voix basse ne laissant s’échapper qu’un faible son et de petites volutes de fumée.
-Non. Ils dorment à cette unia. La plupart.
-La plupart ?
-Oui, quand il fait froid…
-Hé ! Les deux !
Ils se retournèrent tout en se levant d’un coup. Steshin sortit immédiatement sa dague face à la sentinelle des pillards qui, quant à elle, dégaina une épée courte. Pendant ce temps, Oronay ne se fit pas prier pour lâcher une boule de feu en plein sur le torse de leur ennemi. Celui-ci ne s’y attendait pas et il hurla de douleur à cause de sa chair fondant petit à petit.
Steshin se jeta sur lui, le plaquant au sol après quelques pas dans la neige. Il appuya sa main sur sa bouche pour étouffer ses cris et il lui planta sa dague dans la carotide. La sentinelle, que la vie quittait, paniqua et agita ses membres en tous sens. La neige se rosit en absorbant son sang chaud.
J’espère que personne…
-Ha !
Le cri provenait d’Oronay. Steshin se retourna et vit deux autres pillards accourir à la rescousse de la sentinelle. Le plus éloigné se sépara d’une pile de bois et s’élança sur Steshin, une hachette à la main. Le plus proche par contre, était déjà sur Oronay qui venait de se débarrasser d’une hachette plantée dans son dos. Une tâche sombre apparut sur le vêtement autour de la blessure.
Steshin murmura quelques paroles et enchanta son arme avant de s’élancer furieusement sur son assaillant. Mais malgré son gain de réactivité, il ne parvint pas à prendre l’ascendant. Oronay, de son côté, était gêné par sa blessure au dos, entre les deux omoplates. Elle l’empêchait de se battre convenablement en limitant les mouvements de ses bras.
Malheureusement, son ennemi ne lui fit pas de cadeau. Il n’hésita pas à placer un coup de poing dans l’épaule d’Oronay pour le faire chanceler en appuyant indirectement sur la blessure. Ce fut une réussite et il en profita pour ramasser sa hachette gisant dans la neige et la planta dans l’artère fémorale gauche du varvarish qui, sous l’effet de la douleur, tomba au sol. Maintenant c’était son sang chaud qui rosit la neige froide. Il ne lui restait plus que peu de temps à vivre, quelques minuto tout au plus.
Son assaillant se plaça au-dessus de lui, prêt à porter le coup de grâce d’un dernier coup de hachette dans le visage. Il affichait un sourire satisfait. Oronay, pour la première fois de sa vie, prit conscience qu’il allait mourir. Son cœur battait à tout rompre. A cause du combat. A cause de l’adrénaline. À cause de la peur. Il avait peur de mourir dans ses tous derniers instants.
Steshin sentit une poussée de magie grandiose et étrange. Tous ses sens se mirent en alerte mais il n’y prêta pas suffisamment attention. Il sentit quelque chose le pousser violemment et, avant qu’il ne comprenne quoi que ce soit, il atterrit à plusieurs metro de là. Il releva péniblement la tête du sol et ne vit plus aucun des deux renforts.
Qu’est-c’que…
Il releva davantage la tête, ses yeux s’écarquillèrent de plus en plus et sa mâchoire se décrocha quelque peu.
Je pensais que ce n’était que des légendes !
Steshin se trouvait au sol à quelques metro d’une immense créature rose foncée à la peau écailleuse. Un corps massif, quatre pattes larges comme des troncs et dotées de griffes acérées. Une queue musculeuse couverte de pointes et une paire d’ailes immenses et fines. Le tout surmonté par une tête semblant avoir été taillée dans un roc et possédant une gueule étroite pourvue d’une double mâchoire aux crocs tranchants. Elle était déjà blessée à l’une de ses pattes arrières, ce qui la maintenait visiblement de bien méchante humeur.
Tous les arbres autour de la créature avaient été soufflés par son arrivé et elle en abattit davantage en tentant d’attraper l’un des pillards dans sa gueule mais elle ne parvint qu’à accrocher son vêtement. Elle le souleva de terre, il hurla de terreur et elle le jeta en l’air presque à la verticale. Le malheureux prit une belle trajectoire pour finir dans le gosier de la créature comme s’il s’agissait d’une noix à gober. Malheureusement pour lui, il vit l’intégralité de la descente vers la gueule aux crocs acérés et fut gobé tout cru.
Les autres pillards sortirent en trombe de leurs huttes, alertés par le fracas. Leur vaillance fondit comme neige sous Sonse face au monstre qui projeta sur eux un souffle ardent composé de flammes rouges et oranges. La neige devint vapeur instantanément et les plus chanceux furent ceux qui moururent instantanément et non ceux qui avaient encore le loisir de courir en tous sens telles des poules sans tête. Ceux-ci connurent une mort longue et extrêmement douloureuse en sentant leur peau fondre et leur chair à vif cuire.
La créature fit encore quelques pas un peu gauche en cherchant un nouvel ennemi, elle fit chuter quelques arbres de plus et une branche de l’un d’eux tomba sur Steshin, l’assommant.
* * *
Steshin se réveilla groggy dans un lit. Il eu de la peine à ouvrir les yeux. La simple vue de la lumière accentua la douleur qu’il avait à la tête. Après quelques instants pour s’habituer à la luminosité de la pièce, il reconnut l’épouse de l’ancien du village lorsqu’elle se retourna vers lui.
-Oh ! Vous êtes enfin éveillé ?
-Quel dan sommes-nous ?
-Le même. Vous êtes partis ce matin. On vous a retrouvé un peu après le déjeuner.
-Et la créature ?
-Quelle créature ?
-Le monstre qui a ravagé le campement.
-Mes filles n’ont rien vu de tel. Seulement les restes d’un immense brasier apparemment.
Steshin avait l’air dépité par l’absence de nouvelles concernant cette bête.
-Mais vous et votre ami allez presque bien.
Ce n’est pas mon… Aïe !
-Ah !
-Vous avez été salement amoché si vous me permettez jeune homme.
-Je vois.
Je n’arrive plus à bouger mes jambes sans douleur. Elles doivent être cassées.
-Pouvez-vous me donner l’une des fioles de mon sac ?
-Hum… Oui, laquelle ?
-La rosâtre. Avec des reflets blancs.
Elle chercha quelques instants à l’intérieur du sac et en ressortit une petite fiole de la bonne couleur. Elle la tendit à Steshin.
-La voici.
-Merci.
Steshin la déboucha et n’en but qu’une moitié avant de la refermer. Son corps fut parcouru de tremblements familiers, désagréables et légèrement douloureux durant une bonne minut.
Toujours aussi peu savoureux et agréable.
Avec prudence, il sortit du lit. Il mit les deux pieds à terre, l’un après l’autre.
-Mais que faites-vous ? Vous n’êtes pas bien !
Il lui fit signe de la main pour faire stopper ses protestations en lui faisant bien comprendre qu’il n’en accepterait aucune. Il parvint à se mettre debout et à faire quelques pas maladroits en direction de ses affaires.
C’est supportable. Je vais boiter quelques temps par contre.
-Merci pour votre aide. Et ne vous en faites pas. Ça va déjà mieux.
Il commença à enfiler son équipement sans vraiment de hâte tout en vérifiant l’étendue des dégâts.
-C’était une potion n’est-ce pas ?
-En effet.
-Ça nous aurait été bien utile…
Elle baissa les yeux au sol pour retenir les quelques larmes qui lui montèrent aux yeux.
-Je sais ce que c’est. Ça a l’air de vous avoir plus affecté que votre époux.
-Non. Il ne peut pas perdre la face en tant que guerrier.
-Surtout devant un étranger c’est ça ?
Elle hocha la tête en signe de confirmation tandis qu’il finissait de s’équiper.
-Où est mon… Compagnon de route ?
-Juste là.
Elle désigna de la main un autre lit dans lequel reposait à poings fermés le varvarish.
-Il a reçu de bien plus graves blessures que vous. C’est étonnant qu’il soit encore en vie.
-Ne vous en faites pas, il en a vu d’autres. Il s’en sortira.
Ou pas.
-Qu’allez-vous faire maintenant ?
-Retourner au camp. On vous a promis une épée il me semble.
-Hum… Soyez prudent.
-Il ne doit y avoir aucun survivant. Et pas encore de charognards.
-Sans doute, mais c’est de la nuit et du froid que vous devez surtout prendre garde.
-Je vais faire vite dans ce cas.
Steshin repartit seul en direction du campement des pillards. La nuit tombant à vue de nez, il se dépêcha. Autant qu’il le pouvait avec ses jambes en mauvais état en tout cas.
* * *
Il ne restait pratiquement rien du camp. Les huttes étaient incinérées en grande partie si ce n’est totalement. Les corps calcinés des pillards avaient été laissés en place. Steshin les fouilla à la recherche de la précieuse lame et de quoi que ce soit de valeur ayant survécu à l’incendie.
Cette épée a, au bas mot, plus de quarante iado. Elle a sans doute été forgée selon une ancienne méthode. Rien à voir avec ce que possèdent ces vermines. Enfin, leurs restes… Cette odeur de chair brûlée est ignoble !
Il se dirigea ensuite vers les ruines des huttes et les retourna morceau par morceau. Il faisait désormais sombre mais il continua sa recherche car il y avait bien assez de lumière pour lui. Dans la plus grande structure, sous un tas de bois et de cendres, il trouva une longue boîte. Elle n’était pas verrouillée.
Il ne doit pas y avoir de protection supplémentaire. J’espère.
Il l’ouvrit et posa les yeux sur une lame étrange. Elle était assez large pour une arme de cette taille. Steshin la prit en main et l’examina de plus près.
J’ai l’impression que les tranchants ne sont pas d’origine. Ils n’ont pas l’air d’avoir été aiguisés de la même manière que la pointe.
Il fit quelques moulinets dans l’air. À chaque coup, un sentiment montait de plus en plus en Steshin. Un sentiment de familiarité empreinte d’une forme de nostalgie indéfinie.
Hum… Un peu lourde pour sa taille. C’est clairement une arme d’estoc à l’origine. On en fait plus des comme ça… Ça fait longtemps que je n’en n’avais pas manié. La dernière fois, c’était quand déjà ? Ça doit remonter à…
Il prit le fourreau dans la boîte et rangea l’ancienne et curieuse épée à l’intérieur.
-Le navire !
Il se précipita sur le rivage tout proche et jeta un coup d’œil superficiel à l’embarcation des pillards qu’il venait de remarquer.
D’ici, la taille a l’air bonne. La coque n’a pas l’air trop amochée. Elle n’a que quelques dommages superficiels visiblement. Il faudra regarder ça de plus près sous le regard bienveillant de Sonse. C’est pas le moment de traîner, j’ai l’impression de me faire mordre par des loups tant il fait froid.
Steshin repartit de là, satisfait, et rentra aussi vite que possible au village. La nuit était noire, l’air glacé et le temps était à la neige. Une neige fine. Il préféra suivre la côte, la route sera plus longue mais moins que s’il se perdait en pleine forêt.
* * *
Steshin finit par rentrer au village et alla immédiatement réveiller l’ancien et sa compagne afin de leur annoncer la nouvelle. Il lui tendit l’arme et les larmes montèrent aux yeux du vieil homme.
-Merci. Mille mercis, voyageurs. Que voulez-vous en remerciement ?
-Est-ce que vos gens peuvent ramener le navire des pillards ici ?
-Ce sera fait dès demain. Vous avez ma plus sincère promesse. Vous pouvez rester aussi longtemps que vous voulez.
-Merci pour votre hospitalité. Mon… Compagnon aura sans doute besoin de se reposer quelques dano.
-Aucun problème.
-Je ne voudrais pas abuser de votre bienveillance, est-ce que vos gens pourraient également s’occuper de l’entretien du navire ?
-Évidemment ! Il sera comme neuf !
-Un grand merci à vous. Excusez-moi dans ce cas, le dan a été long.
Steshin prit congé du couple et se dirigea vers la chambre qu’il occupait avec Oronay. Il en ouvrit la porte et…
-Qui êtes-vous ?