Carthage Chaos Chapitre 2

5 mins

II

” Il faudrait que tu m’expliques, je veux dire par là, vendre de l’analyse de métadonnées sans être soi-même équipé d’un neuropro, c’est plutôt étrange, comme concept marchand… “

Darius ou “Da”, pour les intimes, habitait un cube sécurisé du niveau+2 sur Arenales, l’un de ces minuscules immeubles qui poussaient comme des champignons entre les pieds des métabuildings et où il fallait se présenter devant trois scanners de sécurité, rien que ça, avant d’avoir le droit de se tenir dans un étroit couloir où se jetaient deux rangées de portes anonymes. Les scanners étaient longs à passer, celui de la porte du domicile inclus. Sûrement que la domotique en plus de vérifier l’ID, examinait tout ce qu’il était possible d’examiner sans analyse ADN.
” Da, j’ai rien à t’expliquer. Ou faudrait que toi tu m’expliques pourquoi, alors que t’as le luxe d’avoir une imprimante moléculaire chez toi, tu choisis de te nourrir de toute cette merde de junk foood au lieu de… J’sais pas, imprimer des légumes ? “

Malgré les scanners, Darius avait à peine entrebâillé la porte et s’était dévissé les yeux afin de vérifier le couloir d’un air paranoïaque. La sécurité de son appartement, aussi dense et pénible soit-elle, ne lui suffisait pas. Quand il l’autorisa enfin à entrer dans son taudis, il partit aussitôt à la chasse d’un tas de vêtements sales qui s’empilaient tranquillement installés sur un fauteuil défoncé. Le désignant, il la pria de s’asseoir.
” Scrawler des bases de données demande beaucoup d’énergie, j’ai besoin d’un tas de calories pour tenir le coup. C’est un fait que tu saurais, si tu étais équipée. “

Enlevant son manteau, Glitch jeta un coup d’œil discret à la panse qui déformait le t-shirt informe de ce crétin – dans cet appartement elle cuisait d’une chaleur de dingue, faite d’odeurs organiques mélangées à celles de fritures. L’embonpoint du Da lui indiquait qu’il ne devait pas crouler sous les contrats en ce moment, et son appartement-prison lui coûtait un bras. Glitch prit aussitôt la décision de ne lui proposer que deux mille crédits, au lieu des quatre mille initialement prévus. En s’asseyant dans le fauteuil en tissu à l’hygiène douteuse, elle croisa son regard fixé sur sa poitrine. Grand-bien lui fasse. Qu’il fantasme de la baiser ne la dérangeait pas, puisqu’elle s’apprêtait à l’enculer sur les tarifs.
” Alors ?
– Quoi ?
– J’ai répondu à ton interrogation à propos de mon alimentation, à toi de me dire comment t’arrives à convaincre des clients de t’embaucher, alors que t’es que dalle ? “

Glitch souffla, masquant son agacement derrière un doux sourire,
” Disons que la vraie question serait : pourquoi j’aurais besoin d’un implant, hein, dis-moi ? Si j’en avais un, je n’aurais pas les moyens de le protéger. Vivre enfermée dans un trou par peur de me faire choper par des zeerovers ou pire, des corporations, c’est pas mon truc. Je préfère la liberté. Je ne suis pas une scrawler, c’est ce que tu n’arrive pas à comprendre. Je suis une courtière.
– Une courtière qui travaille pour le compte de courtiers en sécurité, c’est un peu redondant…
– Le client ou son courtier s’en fout d’allonger plus, tant qu’il ne sont pas obliger de traiter en direct avec des types comme toi.
– Comme moi ?
– Un obsédé de merde qui pratique une activité illégale en ayant ses yeux tout collants fixés sur ma poitrine.
– N’importe quoi !
– Écoute Da, entre ta conduite d’obsédé et tes questions à la con, t’auras pas plus de deux mille pour ce boulot.
– DEUX MILLE ?! “

Glitch se leva, prit son manteau…
” ATTEND ! Attends putain… Rassis-toi. T’es vraiment qu’une…
– Surveille ton language. Ou je pourrais passer par d’autres scrawlers plus respectueux de ma condition de femme.
– Okay. Va pour deux mille. Mais je veux un paiement comptant. Un réglement du genre maintenant. “

Glitch sortit son vieux moniteur afin d’effectuer le virement. Elle ignora la moue dédaigneuse du Da quand il vit son vieil appareil. Ce scrawler était stupide, et minable, mais une voix au fond de son cœur lui susurait que quelque part, Da avait peut-être raison à son sujet. Présenter bien et porter un beau manteau ne suffisaient pas à faire son trou, à devenir autre chose que ce que la ville avait décidé pour vous – une putain au mieux, ou une petite main esclave d’une corporation. Ce scrawler était minable, stupide, mais pour le prix de son thermorégulé couture, il avait pris la décision de se faire poser un bioprocesseur quitte à en assumer les conséquences, comme vivre enfermé dans une terreur permanente.
” C’est fait, t’as ton fric.
– On cherche quoi.
– L’identité d’un type et où il crèche. Je t’envoie sa captation. “

Le Da étendit ses jambes aux mollets ronds et gras, sa bedaine arrondie un peu plus le t-shirt, il porta deux doigts à ses tempes, la partie externe de son implant se mit à rougeoyer, il ferma les yeux.
A cet instant, Glitch se demanda si elle avait envie d’avoir une relation avec lui. Son surpoids pouvait se régler facilement si elle lui amenait suffisamment de travail, et surtout l’avantage, enfermé chez lui entravé par la peur, le lien le plus solide qui soit, parfaitement incapable à sortir de chez lui, Da ne serait pas le genre de mec à avoir les moyens de lui coller aux fesses. Certes, la pièce carrée qui lui servait d’habitation dans ce cauchemar de logement hyper-sécurisé, et toutes les choses répugnantes qui s’étalaient partout dans les coins ne constituaient pas un décor idéal pour s’envoyer en l’air, loin de là, mais Glitch était comme tous les habitants de Carthage, c’est à dire qu’elle était seule. La solitude était un fardeau difficile à porter, parfois. Dans la Téralopole de Carthage, les occasions ne manquaient pas. L’on pouvait facilement trouver quelqu’un de cybernétisé pour vous baiser jusqu’à la mort, si l’envie vous en prenait. Les partenaires n’étaient pas un problème, en revanche, trouver quelqu’un qui ne soit pas d’un danger mortel, ça, c’était très compliqué. Et Glitch le pressentait, Da ne pourrait jamais représenter le moindre danger pour elle, sur aucun plan. En cela résidait son seul mais puissant atout de séduction.
” Ça vient ou quoi ?
– Laisse-moi bosser.
– Le cul dans ton canapé toi t’appelle ça travailler, hein.
– Ta gueule.
– Allez, pour repartir sur de bonnes bases, je t’inviterai à dîner dès que tu m’auras localisé ce type et que je me serais faite payer… Ah, sauf que j’oubliais, c’est vrai que tu ne sors jamais de chez toi. Le bonheur d’avoir un bioprocesseur, pas vrai ?
– Ça y est.
– Hé bien tu vois, c’étaient deux mille facilement gagnés. Fallait seulement savoir comment te motiver…
– Y a que dalle.
– Quoi ?
– J’ai scanné toutes les bases de données publiques, j’ai rien trouvé.
– C’est impossible.
– Toutes les bases je te dis. Les commerciales, les religieuses, les politiques, médicales, urbanisme, sociales, éducation, j’ai même scrawlé les données utilisateurs des transports publics, y a aucune correspondance pour ce visage. Tu cherches un gars qui n’existe pas.
– Tu veux me faire croire que ce mec n’a JAMAIS rien acheté ? Alors quoi ? Il sort des plus bas niveaux sub-zéros ?
– Rien d’aussi exotique. Il possède les moyens financiers ou tecnologiques de se rendre invisible.
– Merde. Tu me fais marcher. T’as rien fait en réalité, juste pour me faire chier !
– Je suis un professionnel, et même si tu ne fais pas partie de mes clientes préférées, je t’assure avoir assuré le job. Mais si tu ne me crois pas, je peux envoyer sur ton vieux moniteur la compilation des 10 zettabytes de données que je viens de me bouffer ? “

Glitch l’observa attentivement. Le visage du Da était devenu terne, il transpirait, respirait vite et fort, tous les symptomes d’un scrawl massif de données, et puis… A priori, son regard désolé ne mentait pas. Glitch enfila son manteau, se dirigea vers la porte quand Darius la retint.
” Attend, écoute… J’ai aucune putain d’idée de l’identité de ton fantôme, mais ce que je peux déduire à son sujet… Ton homme se cache, il ne veut surtout pas être retrouvé.
– Einstein !
– Ce que j’essaie de te dire… Il faut beaucoup de moyens financiers pour arriver à un tel résultat, mais au vu ses fringues, je dirais que de l’argent, il n’en a pas. Ce qui ne peut signifier qu’une chose : ton mec est extrêmement dangereux. Glitch… Là t’es pas à la recherche de l’amant de la femme d’un vieux richard, tu ne joues plus au jeu habituel. Alors si t’as d’autres idées pour le retrouver, tu t’assoies dessus. Je te conseille de laisser tomber. Parfois, on ne peut pas gagner, c’est comme ça. L’important, c’est de le réaliser quand ça arrive, et de savoir l’encaisser. C’est exactement ça, se montrer professionnel.
– Tu as fini Darius ?
– Oui.
– Alors écoute ma réponse : toi et ta condescendance à la con, allez bien vous faire enculer. “

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