Chapitre 18 : Varvary

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La Varvary, quelle terre étrange. Elle m’a tout pris et tout donné à la fois. Nous traversions les grandes eaux du Nord lorsqu’une tempête nous a fait échouer. Nous nous sommes abrités au milieu de nulle part et avons survécu des dano puis des monaso entiers sans secours. La plupart ne survécurent pas, seuls les plus forts et les plus téméraires le pouvaient. Des iado ont passés et avec le temps, nous avons changé, cette terre nous avait changés. Nous sommes tous des guerriers désormais et n’avons plus rien de l’autre côté des grandes eaux.
-Conte oral du premier varvarish

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-troisième dan de Grosta

Qu’ai-je bien pu faire pour mériter ça ?

Steshin était emmitouflé de la tête aux pieds au centre des adeptes de son culte qui s’étaient agglutinés autour et contre lui. Ils étaient ainsi tous assis les uns contre les autres dans la cale du “Tie bastastkinol’sereo” pour se protéger du froid. Sonse était enfin sur le point de se coucher après un dan qui sembla durer une éternité. Le navire s’était échoué le matin même après une erreur de navigation et, maintenant, les deux varvarisho attendaient les premières étoiles sur le pont en compagnie de Borshia “tie Magsarnist” pour savoir où ils avaient atterri par rapport à leur destination.

Après une unia, les trois observateurs descendirent dans la cale presque intégralement couverts de neige pour annoncer les nouvelles.

-Ça a donné quoi, Oro ?
-Rien. La tempête s’est levée. On ne voit plus rien au travers de la neige.

Mesia s’appliqua à retirer la neige de son armure ainsi que celle recouvrant l’habit de son Orony.

-Merde ! On est bloqué pour combien de temps ?
-Une unia, dix, un dan, peut-être trois.

L’impuissance du mage-guerrier varvarish se ressentait dans ses propos. Il pouvait tuer n’importe qui ou détruire n’importe quoi mais il ne pouvait qu’endurer la fureur des éléments. Steshin renonça à ajouter quoi que ce soit.

-Ben… En tout cas, si quelqu’un veut faire ses besoins faudra, le faire à l’intérieur. Dehors il fait trop froid et faudra vous couper les parties.

Il nous reste assez de provisions pour survivre jusqu’à la fin de la tempête mais pas beaucoup plus.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-cinquième dan de Grosta

Deux particulièrement longs dano se sont écoulés et rien n’avait changé jusque là.

-Je vous l’avais dis, Steshin !
-Quoi donc, capitaine ?

Borshia s’était levé d’un coup sec et il invectivait un Steshin tout ce qu’il y a de plus passif.

-Je vous l’avais dis qu’il ne fallait pas contrarier Bokin ! Maintenant nous sommes bloqués dans cette tombe parce que vous vénérez un démon !
-Nous sommes bloqués dans cette tombe parce que vous ! Vous ! Vous vous êtes planté de direction !

Steshin s’était emporté en un rien de temps. Visiblement, les quelques dano d’inactivité lui avaient laissés de l’énergie à revendre.

-Et maintenant, vous paniquez pour un peu de neige ? Nous avons traversé bien pire ! Maintenant vous allez…
-La tempête est passée !

Oronay venait de descendre dans la cale sans que personne n’y prête attention alors que les cultistes se tenaient prêts à sauter à la gorge du marin.

-Hum… Très bien, Oro… Encore combien de temps ?
-Le temps que les nuages se dispersent un peu. Mesia descendra dès qu’elle saura où on est.

La tension descendit de plusieurs crans dans la cale à l’annonce de la bonne nouvelle. Un peu plus d’une unia plus tard, la varvarish descendit à son tour, porteuse de nouvelles.

-J’ai trouvé, Orony !
-Alors ?
-On a dérivé à l’Ouest du clan.
-De beaucoup ? De combien ?
-Dans les cinq cent kilometro je dirais.
-Une fois le “Tie bastastkinol’sereo” à l’eau, je pourrais vous y emmener avant le coucher de Sonse demain.

Nous savons où aller au moins. C’est une bonne nouvelle en soi.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-sixième dan de Grosta

Le dan suivant, le temps était clair et propice aux voyages malgré le grand froid qui régnait en maître par ici. Steshin, Toldaka, Borshia et les varvarisho mirent pied à terre pour voir comment remettre le navire à l’eau. Malheureusement, durant les deux dano de tempête et de froid intense, de la glace s’était formée emprisonnant toute la quille ainsi que toute la coque immergée.

-Seigneur Steshin, nous pourrions briser la glace avec notre force et vos enseignements.
-Tu peux toujours essayer l’encapuchonné, la glace est aussi dure que l’acier à cette température.
-Elle a raison, haut maître. Et nous n’avons pas d’outils pour nous faciliter la tâche.
-Et la glace est déjà trop épaisse pour la faire fondre avec ma magie.
-Oh non ! Nous sommes perdus !
-Du calme capitaine ! Pourquoi trop épaisse, Oro ?
-Je serais dans les pommes avant d’avoir fini.
-On ira à pied alors. Ça devrait nous faire un peu moins de dix dano.
-Vous êtes malades ! Nous n’avons pas les provisions pour ça ! Sans compter le froid la nuit !
-Cap’taine, rien de tout ça n’est un problème. Mesia et moi allons vous montrer comment faire pour survivre sur nos terres.
-Et pour commencer, ça nous prendra deux fois plus de temps que ce que pense le démon à cause de la neige.

Toujours aussi agréable cette petite.

-Le démon ? Vous… Steshin ?
-C’est juste pour signifier clairement qu’elle ne m’aime pas.

Borshia “tie Magsarnist” devint pour le moins suspicieux, tout du moins s’il ne l’était pas déjà, mais il n’en montra rien, préférant garder ses doutes pour lui. Néanmoins beaucoup de choses commençaient à faire sens pour lui.

-Haut maître, dit aux adeptes de faire leurs bagages. Qu’ils emportent autant de nourriture que possible. Et aussi le bois, les peaux, vêtements, bref tout ce qui peut être utile.
-Immédiatement, seigneur Steshin.

Une fois la troupe rassemblée, elle partit en direction de l’Est à un rythme tout ce qu’il y a de relatif.

-On va marcher combien de temps, Oro ?
-Une dizaine d’uniao à peu près. Puis on va bâtir des abris et manger. C’est tout ce que tu voulais savoir, Steshin ?
-Tu as lu dans mes pensées.
-Pas besoin d’être un démon de l’Elad pour ça. On est dans la merde jusqu’au cou. Et ce capitaine intrépide panique de plus en plus.
-Très drôle. En ce qui le concerne, il a dépassé un cap. Il faut lui laisser le temps de s’adapter.
-Ouais, ben il a intérêt à faire vite sinon on se passera de lui pour le retour.

Oronay l’avait dit avec tant d’amertume qu’il jeta un froid dans la conversation.

* * *

La troupe s’était avancée d’une trentaine de kilometro au milieu d’une vaste étendue glacée dans le froid et la neige avant de s’arrêter pour monter un camp.

-Steshin, on a besoin de nourriture et de combustible. Vois avec tes… Hommes. Ah et gardes en pour construire les abris. Il ne reste que deux ou trois uniao avant le coucher de Sonse. Ici il se couche un peu plus tôt que sur le continent.

Steshin se contenta de répondre au varvarish par un hochement de la tête.

-Haut maître !
-Oui, seigneur Steshin ! Qu’avez-vous en tête ?
-Que la moitié des adeptes partent en chasse, haut maître. Et qu’ils en profitent pour ramasser tout ce qui peut brûler.
-Considérez cela comme déjà fait, seigneur Steshin. Et pour l’autre moitié ?
-Ils vont aider à bâtir les abris, haut maître.

Toldaka s’inclina devant Steshin et sépara les adeptes en deux groupes. Le premier partit chasser pendant que l’autre apprenait des varvarisho comment s’abriter dans cet environnement particulièrement hostile. Bien entendu, les deux groupes usèrent de la magie impie de la rage pour mener à bien leur mission.

J’espère qu’ils trouveront quelque chose. Je ne vois pas comment quoi que ce soit peut vivre par un tel froid. Mais si la Varvary est habitée, c’est que ça doit être possible.

Ils bâtirent assez rapidement des abris en neige. D’abord, ils taillèrent des briques dans de la neige préalablement écrasée, compactée à la main puis ils les placèrent en cercles avec une ouverture. Ainsi de suite jusqu’à construire des dômes à partir de briques de neige. Enfin, ils y creusèrent de minuscules puits d’aération.

Ils savent ce qu’ils font j’imagine. Bien que je vois mal comment quelque chose de froid puisse nous protéger du froid.

Ils avaient déjà terminé la douzaine de dômes lorsque le groupe de chasse revint avec un ours blanc en piteux état et deux blessés, aucun des deux ne l’était gravement. Ils ramenèrent également des sortes de racines, épaisses et dures.

C’est pas si mal compte tenu de la situation. On risque de s’en sortir finalement.

Ils dépecèrent la bête et mirent sa chair à l’abri de la dégradation. Steshin découvrit ces racines qu’Oronay lui présenta comme étant utilisées comme combustible dans ce genre de situation et comme repas de dernier recours si cela s’avère nécessaire. Si les semelles ont déjà été mangées.

Peu après, la troupe se divisa en groupes de quatre pour savoir qui irait avec qui à l’intérieur des dômes, à l’exception des varvarisho qui gardaient pour eux seulement l’un des abris. Sonse s’était couché et Oronay donna la dernière instruction avant une nuit pour le moins angoissante pour ceux qui n’étaient pas habitués à cette terre.

-Couvrez-vous bien et n’oubliez pas de creuser à nouveau des trous dans votre dôme. L’intérieur va légèrement fondre d’ici quelques uniao et geler de nouveau. Ça va boucher les trous d’air existant. Alors pensez-y si vous ne voulez pas manquer d’air. Ah ! Et bouchez l’entrée pour que l’air froid ne rentre pas à l’intérieur !

Tout le monde prit place dans les abris et pendant leur repas du soir, ils espéraient tous se réveiller le lendemain sans qu’aucun ne meure de froid dans son sommeil.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-septième dan de Grosta

Sonse se leva et aucune perte ne fut à déplorer cette fois, au grand étonnement de la majorité.

J’ai connu pire en matière de campement improvisé. On ne ressent pas tant que ça le froid au final.

La troupe rassembla les affaires en vitesse après un repas bien chaud et repartit à la poursuite de son objectif.

* * *

Le voyage dura en tout près de vingt dano supplémentaires, tous quasi identiques au premier à l’exception de quelques chutes de neiges de temps à autre. Se lever, marcher, construire, manger, dormir. Se lever, marcher, construire, manger, dormir. Se lever, marcher, construire, manger, dormir. Se lever, marcher, construire, chasser, manger, dormir. Mais ils finirent bon gré mal gré par approcher de leur destination.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, dix-neuvième dan de Lonta

-On y est bientôt, Orocorp ?
-C’est Oronay ! Bordel…

Son humeur semble s’être dégradée ces derniers dano. Hum…

Depuis quelques dano, le vent soufflait de plus en plus fort, apportant avec lui le froid glacial et des nuages chargés de neige blanche et fraîche. Il devenait de plus en plus difficile de s’entendre.

-Tu vois le pic là-bas ?

Le varvarish désigna, au milieu de l’immense étendue gelée et quasi plate, un pic de roche, ou de glace, ou les deux. Difficile d’en être certain dans un environnement composé essentiellement de blanc, de gris clair et de bleu pâle.

-Oui, je le vois !
-C’est notre dernière étape avant d’arriver au foyer !
-Au foyer ?
-Chez moi, quoi !
-Ah ! Ça m’a l’air bien loin quand même ! Un peu trop même !
-On devrait y arriver un peu après le coucher de Sonse !
-Ça risque de faire tard pour construire les abris ! Surtout si le temps empire encore !
-On s’abritera dans les ruines ! Elles sont dans le pic !
-Des ruines ? Ici ?
-Elles étaient là avant que mon clan ne s’installe ici ! Et on a jamais su qui les avait bâti !

Qui prendrait le temps de bâtir quoi que ce soit de durable par ici ? Et surtout, pourquoi ? Bah… Ce ne sont pas mes affaires de toute façon.

Ils marchèrent jusqu’au coucher de Sonse et bien plus à une bonne cadence pour atteindre l’abri tant désiré comme l’avait annoncé Oronay. Il s’agissait de ruines faites d’une sorte de roche grise et lisse. Ce lieu avait été bâti sans la moindre considération esthétique c’est certain mais son aspect général donnait l’impression d’avoir été taillé dans un seul et unique morceau de roche. Ce qui était impossible vu la taille de l’entrée. Celle-ci disposait de parois lisses avec un grand voile composé de multiples morceaux de fourrure de qualité diverse attachés ensemble en guise de porte d’entrée.

-On devrait penser à la changer un dan. Elle commence à accuser son âge. Vide ? Personne n’est venu avant nous on dirait.

L’entrée donnait sur une antichambre tout aussi dépouillée visuellement et simple voire simpliste. La forme en elle-même n’était pas plus complexe qu’un simple cube avec deux sorties, une pour le dehors et une pour s’enfoncer davantage à l’intérieur des ruines.

-On va s’installer ici et on repartira au petit matin.
-Et on sera de retour chez nous, mon p’tit Orony.
-Hum… Euh… Oui.

Oronay semblait être un peu mal à l’aise à cette idée, mais personne n’y prêta réellement attention. La troupe s’installa aussi confortablement que possible sur le sol dur et glacial. Les cultistes organisèrent d’eux-même des tours de garde au cas où quelque chose ou quelqu’un se soit déjà terré au fond de cette ruine ou qu’il cherche à s’abriter de la nuit glaciale.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingtième dan de Lonta

-Seigneur Steshin ! Seigneur Steshin ! Seigneur Steshin !

Le démon se réveilla brusquement alors que Toldaka le secouait comme un arbre fruitier.

-Qu’y a t-il, haut maître ?
-Mes plus plates excuses, seigneur Steshin.
-Si tu l’as fais c’est que ça doit être urgent et important, haut maître.
-Hum… Oui, seigneur Steshin. L’adepte Koishy que voici a entendu quelque chose provenant de plus loin dans la ruine.
-Quoi exactement, adepte Koishy ?
-Je n’saurais le dire, seigneur Steshin. Mais c’n’était pas le vent, plus comme des murmures lointains.
-Tu en es sûr, adepte Koishy ?
-Oui, seigneur Steshin ! J’en suis certain. C’est trop régulier pour être le vent. Et je sens comme un malaise de par là.

Steshin jaugea l’adepte quelques instants avant qu’une étrange sensation ne le tenaille.

De la magie ! Quelqu’un utilise de la magie ici.

Steshin se leva de sa couche d’un bond et commença à prendre ses armes.

-Vous avez bien fait de me réveiller. Il y a effectivement quelque chose qui cloche ici.
-Merci, seigneur Steshin.
-Hm… Réveillez tout le monde et qu’ils soient sur le pied de guerre au plus vite. Et le plus silencieusement possible. Ce serait dommage de prévenir nos hôtes.
-Avec plaisir, seigneur Steshin.

Toldaka sembla particulièrement enthousiaste et l’adepte Koishy se contenta d’un geste du menton pour signifier qu’il avait bien compris. L’instant d’après, tout le monde était réveillé et prêt au combat.

-C’est quoi ce bordel, Steshin ?
-Quelqu’un utilise la magie au fond de cette ruine. Concentre-toi.

Quelques instants qui semblaient durer une éternité passèrent. Steshin et Oronay se regardaient dans le blanc des yeux.

-Je le sens aussi. C’est quoi ton plan ?
-On descend, on voit qui c’est et si c’est hostile, on le tue.
-Simple et efficace. J’aime bien. On va pouvoir faire quelque chose de toi finalement, Steshin.
-J’ai surtout envie d’avoir mes uniao de sommeil.
-Pense à en laisser un en vie s’ils sont plusieurs. Je veux savoir ce qu’ils font sur les terres de mon clan.
-J’y penserai. Borshia, vous restez pour surveiller l’entrée.
-Ça me va.

Steshin en tête, suivi de près par Toldaka, Oronay, Mesia et son culte de la rage formaient une troupe de choc qui suivit le couloir s’enfonçant au coeur de la structure. L’architecture était toujours la même, roche lisse et droite, aucune fioriture, aucune volonté esthétique, la monotonie des couloirs brisée uniquement par des intersections que personne ne prendrait le temps d’explorer pour l’instant. Seulement une froide réponse à un besoin précis.

C’est un tombeau des plus étranges. Et on a toujours rien trouvé. On le sent, c’est tout.

Le groupe de combat avançait à l’aide de torches et naviguait à l’aveugle en se basant seulement sur le ressenti de Steshin et d’Oronay. Soudain, le démon supérieur fit stopper la troupe d’un geste de la main. Oui, il entendait bel et bien quelque chose. Il percevait des gémissement rauques et désordonnés.

Ils sont nombreux d’après les bruits. Qu’est-ce qu’on fait ? Je ressens pas mal de magie mais elle très diffuse.

-Steshin… Qu’est-ce qu’il y a ?

Oronay parlait naturellement à voix basse mais ne parvint pas à extirper son compagnon d’infortune de ses pensées.

Envoyer les adeptes ? S’ils sont pacifiques, ils se feront massacrer. Envoyer un éclaireur ? C’est lui qui pourrait se faire massacrer et on perdrait l’avantage de la surprise.

Oronay agrippa Steshin par l’épaule et le secoua vigoureusement cette fois.

-Quoi ?
-Il se passe quoi ?
-De la magie. Au tournant du couloir.
-Quel tournant ?
-Celui qui est droit devant.
-Comment tu fais pour voir aussi bien et aussi loin dans ces ténèbres ?
-C’est pas important. Ils ont l’air nombreux mais pas puissants. Je crois.
-J’avais remarqué. C’est tout ?
-Euh…
-Seigneur Steshin, sentez-vous cette odeur ?

Steshin, Toldaka et les varvarisho se mirent à renifler quelque peu et, effectivement, une étrange odeur était bel et bien présente.

Putréfaction, classique, mais il y a d’autres choses…

-Safod, sauge et d’autres plantes, seigneur Steshin. C’est un culte voué à l’un des treize seigneurs démons.

Comment il sait ça à l’odeur ? Mais si il a raison, pas de discussion possible.

-Alors, Steshin ? On va massacrer tes petits copains ou pas ?
-Tu es sûr de toi, haut maître ?
-Absolument, c’est vous-même qui m’avez enseigné à employer ces plantes durant les rituels, seigneur Steshin.

Évidemment…

-Tout à fait, haut maître. Et tu t’en est souvenu, je suis fier de toi.

Pas le choix donc. Plus qu’à croiser les doigts pour ne pas prendre une mauvaise décision.

-Hum… Toldaka.
-Oui, seigneur Steshin ?
-Donne l’assaut avec le culte. S’ils se rendent, faites des prisonniers.
-À vos ordres, seigneur Steshin. Adeptes, à l’assaut !

Les adeptes du culte employèrent sorts et enchantements avant de s’élancer droit devant eux la tête la première, armés comme ils pouvaient. Arrivant à l’angle du couloir, ils hurlèrent tous en cœur.

-Gloire au seigneur de la rage !

Steshin et les varvarisho échangèrent quelques regards stupéfait après avoir été laissés en arrière en un rien de temps. Le tournant du couloir était désormais bien visible, une douce lumière blanche l’illuminait désormais.

-Merde ! En avant !

Les varvarisho s’élancèrent à leur tour dans la bataille, armes en main tout en hurlant leur cris de guerre.

Évidemment…

Le seigneur démon s’ajouta rapidement à l’échauffourée. Il traversa le couloir aussi vite qu’il le pu, tourna à l’angle et il se retrouva en hauteur, surplombant une grande salle carrée qu’il dominait de quelques marches à peine. Cette nouvelle salle était faite dans le même style simpliste et redondant que le reste de la structure.

Néanmoins, celle-ci avait été aménagée par ses actuels occupants avec un minimum de confort, une sorte de laboratoire d’alchimie sur lequel des solutions étaient soumises à divers processus, et pour compléter le tableau, l’un des coins de la salle n’était rien d’autre qu’un… Charnier. Un Charnier de cadavres empilés les uns sur les autres. Le tout baigné dans une lumière blanchâtre, douce et chaleureuse venant du haut d’un piédestal métallique situé au centre de la pièce.

Sous ce minuscule astre, la bataille faisait rage entre la quarantaine de cultistes de la rage et quelques dizaines d’individus difficilement identifiable à la peau nécrosée, au regard vide, à l’esprit visiblement manquant et aux instincts mutilateurs. La mêlée ne bougeait que difficilement puisque les deux camps étaient composés de combattants tout aussi décérébrés les uns que les autres, plus ou moins littéralement en tout cas. Les cultistes refusaient de céder le moindre pouce de terrain quoi qu’il en coûte et leurs opposants semblaient relativement insensible à la douleur.

Ça ne ressemble à rien et je vois même pas quel camp prend l’avantage. Ou même si l’un des deux le prend, cet avantage. Je devrais peut-être les aider.

Steshin prit en main son arc qu’il n’avait pas eu l’occasion d’utiliser depuis l’affrontement avec cet ours en Forishny. Il le banda avec une flèche et l’envoya en direction de l’un de ses ennemis. Mais elle se ficha dans l’épaule de l’un de ses adeptes.

Oups…

Il retenta un nouveau tir qui toucha un autre cultiste, en pleine cuisse cette fois. Celui-ci tomba au sol sous l’effet de surprise et commença à se faire déchiqueter par son adversaire. Il lui opposa tout de même un minimum de résistance.

Oh… La boulette… Bon, cette fois ce sera la bonne.

Une nouvelle flèche fut décochée et celle-ci fila droit vers la tête d’un ennemi mais il fut décapité par le cultiste qui lui faisait face. La flèche volant toujours sans changer de trajectoire allait se perdre au fond de la salle lorsque le cultiste victorieux s’avança malheureusement d’un pas vers l’ennemi suivant. Et il reçut la flèche en plein dans la nuque. Il mourut sur le coup. Steshin ne put s’empêcher de déglutir.

Ce serait peut-être mieux que j’arrête de les aider. Je devrais plutôt chercher les deux autres.

Steshin chercha des yeux les varvarisho au milieu du chaos de la bataille. Par-ci deux cultistes parvenait à transformer un ennemi en chair à pâté jusqu’à ce qu’il ne bouge plus, par-là c’était l’un des enragés qui finissait en victime impuissante voyant sa peau lacérée, son abdomen ouvert comme celui d’un lapin et ses organes jetés à l’extérieur de celui-ci comme si c’étaient des paquets de sucreries pour les enfants.

Au milieu de tout ça, Steshin perçut une gerbe de flamme qui ne pouvait provenir que d’un sort d’Oronay. Ce dernier était parvenu à traverser les luttes au corps à corps pour atteindre deux autres individus que le démon n’avait pas aperçu plus tôt, trop occupé qu’il était à déployer ses talents à l’arc. Ces deux individus tout de noir vêtus se tenaient à l’écart de la lutte et ne semblaient pas y prendre part. Ils avaient l’air de l’observer tout simplement, de l’étudier.

Je ne pourrais pas le rejoindre s’il a des ennuis, je devrais me tenir prêt à le soutenir.

Steshin prépara quelques flèches au cas où. Entre-temps, les rangs des combattants s’étaient bien éclaircis dans les deux camps. Oronay s’était approché des deux individus porteurs de robes noires comme la nuit. Le varvarish ne se montra pas spécialement hostile pour une fois et il tenta même la solution diplomatique en tentant de communiquer avec eux. Il cherchait des réponses qu’un cadavre ne pouvait fournir.

Mais il est cinglé, cet imbécile !

L’un des deux en robe réagit dans l’excès et tenta de s’interposer à sa venue à l’aide d’une vulgaire épée courte mais Mesia surgit couverte de sang de la mêlée et elle s’élança sur lui en brandissant son espadon. La scène sembla se dérouler au ralenti pour Oronay et Steshin.

À l’instant où Mesia commença à abattre son immense lame sur le maigre opposant, son confrère commença à murmurer une longue incantation. La lame s’abattit sur son protecteur qui tenta une parade désespérée sans succès. Mesia n’avait pas frappé à la verticale comme il l’avait tout d’abord pensé mais légèrement en diagonale et la lame rentra dans le cou, un peu au-dessus de la base, descendit en tranchant une artère et elle finit sa course fichée dans les cervicales qui furent endommagées.

La victime tomba au sol sous le coup, aux pieds de la varvarish. Ses yeux roulaient en tout sens dans le vide, ses mains tentaient désespérément de colmater l’hémorragie une fois l’espadon délogé mais sans succès. Son sang s’écoulait par à-coups sur le sol lisse. L’une de ses jambes étaient frappés de spasmes à cause des cervicales endommagées.

Suite à ça, Mesia voulut en finir avec l’autre en robe. Elle se lança alors dans une nouvelle charge contre lui mais au moment où elle s’apprêtait à l’abattre, il termina son sort. Mesia s’arrêta net dans son élan, elle plaça une main sur son abdomen et abaissa sa lame qu’elle finit par lâcher. Ses deux mains parcouraient tout son corps comme si des milliers d’aiguilles lui perforaient la peau et les entrailles. Puis elle tomba à son tour à terre tout en continuant à gigoter. Un peu de sang commençait à couler de son nez. Le lanceur de sort, de son côté, arborait un air soulagé après être passé à deux doigts de mourir comme son confrère.

Putain de merde !

Steshin parvint à atteindre instinctivement un état de rage brute quasi berserk et il jeta son arc au hasard comme un déchet avant de s’élancer vers la bataille. Il écrasa plusieurs ennemis sans la moindre pitié puis il planta les flèches qu’il avait gardées en main dans le crâne d’autres adversaires. Et c’est en achevant le dernier qui lui passa sous la main, en lui arrachant la tête à mains nues, en contemplant le regard vide de ce cadavre, qu’il reprit conscience. Il prit le temps de regarder avec attention sa peau abîmée et nécrosée dans laquelle un ver creusait joyeusement son sillon avec avidité jusqu’à l’os.

Des cadavres… Des nécromanciens… Mesia !

Il jeta la tête sur un cadavre réanimé au hasard et il se précipita auprès de la varvarish. Il arriva en même temps qu’Oronay qui venait d’en finir avec le lanceur de sort qu’il avait transformé en torche humaine après lui avoir tant attendrit le cuir qu’il sentit à peine sa peau fondre et sa chair cuire. Mesia, quant à elle, convulsait et saignait de plus en plus du nez. Cela commençait même à sortir par la bouche lorsqu’elle toussait.

-Bordel ! Ça va aller Mesia ! Qu’est-ce qu’elle a, Steshin ?
-Elle est mourante à cause d’un sort je crois !

Steshin se releva et courut vers le laboratoire de fortune. Il y chercha nerveusement de quoi aider Mesia, n’importe quoi ferait l’affaire. Il finit par trouver un grimoire et le feuilleta aussi vite qu’il le put. Ses mains tremblaient tant qu’il manqua de déchirer une page à plusieurs reprises.

-Qu’est-ce que tu fous, le démon ?!
-Je cherche un remède !

Ou la confirmation que je perds mon temps.

-Ça y est !
-Quoi ?
-En cas de bla bla bla… Consommer bla bla bla… De la couleur de l’argile. Trouve-moi une potion de cette couleur !
-Compris.

Les deux compagnons de route fouillèrent les étagères à la recherche de la précieuse décoction.

-Trouvé !

Le varvarish fut plus rapide ou plus chanceux. Dans tous les cas, il y mettait de la bonne volonté.

-Je regarde la dose… Vu ta bouteille, fais lui boire la moitié.

Steshin finit de lire le passage sur la miraculeuse décoction au cas où il y aurait un avertissement.

C’est temporaire seulement… Merde. J’espérais me débarrasser d’elle mais pas comme ça. Cruelle ironie, je n’ai fait que retarder son trépas de peu…

-Seigneur Steshin !
-Toldaka, rassemble le culte. Nous allons partir en urgence je pense.

Il n’avait même pas pris le temps de lui accorder un regard dans l’urgence du moment.

-Seigneur Steshin… Le culte… Est… Décimé.

Steshin sortit de la lecture de l’ouvrage et fut stupéfait par ce qu’il avait sous les yeux. De son culte, il ne restait que le haut maître Toldaka Avosy et sept adeptes blessés ou épuisés dont l’adepte Kushust, l’homme-bête. Ils étaient tous couverts de sang, de sueur et d’entrailles.

-Pardonnez-nous, seigneur Steshin !
-Non, haut maître ! Vous m’avez fait honneur ce dan. Je n’aurais pas dû vous lancer dans cette bataille comme ça.

Toldaka resta interdit, il ne s’attendait qu’à subir les lourdes conséquences de son échec personnel mais il n’en fut rien.

-Steshin ! Elle semble aller mieux mais elle ne se réveille toujours pas !

Steshin se rapprocha de la blessée qui s’était évanouie sous l’effet de la douleur.

-Oro…
-Quoi ?
-C’est temporaire. Elle est toujours mourante.

Les yeux du varvarish s’emplirent à nouveau d’une colère noire, ses poings se serrèrent.

-Alors quoi ? Ça n’a servi à rien ? Elle va quand même mourir à cause de toi ?
-Du calme Oro ! Selon leur grimoire, on peut retarder ça très longtemps, jusqu’à trouver un guérisseur au moins. Je pense.
-Et tu penses qu’on va le trouver dans l’cul d’un ours, c’est ça ?!

Le varvarish se tenait très près de Steshin désormais, ses nerfs étaient soumis à si rude épreuve qu’il pouvait exploser à n’importe quel instant.

-Non mais on le trouvera pas ici en tout cas. Il vaudrait mieux la ramener chez vous dans un premier temps.
-Ouais… Tu as raison.
-Prends les deux adeptes les plus en forme et transportez-la.
-Et toi ?
-Je vais préparer quelques bouteilles de plus au cas où. On te suivra à la trace et on te rattrapera sans doute.
-D’accord… Hum… Pour la potion ? Je lui en redonne quand ?
-Dans une moitié de dan à peu près.

Oronay acquiesça puis prit Mesia dans ses bras. Steshin, de son côté, retourna au laboratoire. Ses adeptes attendaient toujours des instructions sans bouger.

-Haut maître, désignes deux adeptes. Ils devront escorter les varvarisho et les aider à se déplacer.
-Tout de suite, seigneur Steshin. Et pour les autres ?
-Levez le camp au plus vite, haut maître.
-Et nos morts, seigneur Steshin ?
-Si vous avez le temps, haut maître. Faites le tri entre les nôtres et les leurs. Puis offre un dernier hommage à ceux qui sont tombés en mon nom. C’est tout, haut maître.
-Il sera fait comme vous le souhaitez, seigneur Steshin.

* * *

Près de trois uniao plus tard, Steshin avait terminé quelques bouteilles du décevant non-remède au mal qui rongeait Mesia. Pendant que la décoction se préparait, il en avait profité pour s’essayer à la préparation d’un poison à base de champignons locaux en suivant une recette de l’ouvrage qui lui avait tapé dans l’œil.

Ça devrait faire l’affaire pour l’instant… Ce poison d’étouffement rapide devrait être efficace si un problème survient plus tard. Maintenant il faut partir vite.

Pendant ce temps, Borshia qui n’avait pas osé s’aventurer dans les profondeurs de la ruine, avait aidé à rassembler les affaires de tout le monde pour faciliter le départ. Toldaka, quant à lui, aidé par certains adeptes survivants du culte, prépara un bûcher funéraire à l’extérieur des ruines sur lequel il entassa les corps en plus ou moins bon état de ceux qui avaient offert leur vie en sacrifice à leur seigneur démon.

Ne pas oublier le grimoire des nécromanciens… On ne sait jamais.

Steshin remplit un sac avec le grimoire et les bouteilles puis le prit sur son dos avant de quitter la pièce.

Mon arc !

Il fut pris d’une sorte d’éclair de lucidité et se mit à chercher son arc dans la salle, au milieu des restes des morts réanimés. Il finit par le retrouvé trempant dans le bain de sang laissé par la bataille avec un cadavre pourrissant à moitié étalé dessus. Fort heureusement, l’arme ne fut pas endommagée.

Et merde… La poisse…

Steshin fut enfin prêt à quitter le lieu du carnage sans oublier quoi que ce soit. Il arriva rapidement à l’entrée de la ruine sans se perdre. Borshia l’attendait déjà, prêt à partir.

-Et maintenant Steshin ?
-On va à leur village.

Le démon traversa l’anti-chambre de la ruine d’un pas déterminé et Borshia le suivit de près.

-Vous m’avez promis un équipage et il est presque entièrement mort.
-Ce n’est pas le moment, capitaine !

Steshin avait tant haussé le ton, avec une colère si sourde pointant en lui qu’il avait cloué le bec au marin. Il se retourna vers lui un court instant pour ne décrocher qu’une phrase.

-Mais peut-être voudriez vous que nous discutions de qui nous a mis dans cette galère à l’origine ?

Borshia n’osa plus rien dire et sans un mot de plus, ils sortirent tous deux au dehors et ils avancèrent vers Toldaka, entouré des derniers cultistes, qui se tenait devant le bûcher, une torche à la main peinant à survivre avec ce vent.

-Seigneur Steshin ! Nous vous attendions pour le rite funéraire. À vous l’honneur, seigneur Steshin.

Le seigneur démon prit la torche des mains du haut maître et la jeta négligemment dans le tas de bois intransportable désormais. Celui-ci prit feu peu à peu grâce aux fameuses racines. Steshin partit sur les traces du varvarish sans plus de cérémonie au grand étonnement de tout le monde. Toldaka resta interdit quelques instants pour la seconde fois ce dan avant de rattraper son maître avec le reste du culte et il marcha à ses côtés.

-Seigneur Steshin, Je… Vous… Les adeptes…
-Je sais, haut maître. Nous n’avons pas le temps cette fois. Il faut nous hâter pour sauver la varvarish.
-Mais seigneur Steshin…
-Je sais, haut maître !

Le ton employé fut sec et emprunt d’une amertume nouvelle pour Toldaka.

-Ils méritaient mieux, haut maître. Je le sais fort bien.
-Mes excuses, seigneur Steshin. Je n’aurais pas dû vous contredire, pas après notre échec. Je comprends ce que vous voulez dire mais…

Vraiment ?

-C’est dur de ne pouvoir honorer correctement leur dévouement, haut maître ?
-C’est ça, seigneur Steshin.
-En effet, c’est dur. Cette terre nous met tous à rude épreuve, haut maître.
-Oui, seigneur Steshin. C’est pour ça que les varvarisho sont si crains, je pense.

Il est réellement moins idiot que les autres. Et même moins que la moyenne de tous les gens que j’ai pu rencontrer.

Le petit groupe marcha rapidement dans la nuit, sous un ciel étoilé qui se parsemait petit à petit de nuages menaçant. Ils marchèrent sur les traces laissées par le varvarish. Ils laissèrent derrière eux un pic illuminé par le bûcher flamboyant de ceux qui étaient tombés pour leur dieu offrant ainsi une vue magnifique et terrifiante à quiconque les croiserait.

* * *

Quelques uniao plus tard, Sonse s’était enfin levé et la température le suivait quelque peu. Bien qu’à ce niveau là, qu’il fasse un peu plus chaud ou un peu plus froid ne changeait pas grand chose. Le petit groupe de survivants parvint à rejoindre Oronay et les deux cultistes qui prenaient une courte pause bien méritée après avoir tant cavalé et juste avant la dernière ligne droite.

Jusque là, le chemin fut pénible à cause de la neige et de la température, fort heureusement le vent s’était bien calmé depuis la veille sinon ils seraient tombés les uns après les autres telles des mouches. Mais peut-être que ce n’était que le calme avant la tempête. La troupe au grand complet prit la route du clan des deux varvarisho, espérant que le temps leur soit toujours aussi favorable. Oronay portait Mesia sur son dos et refusait que qui que ce soit le fasse à sa place, même pour un court instant.

Il se sent responsable d’elle et de ce qui lui est arrivé. Comme quoi les liens du clan sont plus forts que les soucis qu’ils pouvaient entretenir entre eux deux.

* * *

À nouveau quelques uniao plus tard, la petite troupe parvint au village du clan Eadsha. L’entrée en était gardée par deux villageois si l’on peut dire. Ils étaient lourdement armés et extrêmement méfiant au premier abord mais ils se montrèrent beaucoup plus ouvert à la vue de l’armure de Mesia. Elle était la seule des deux varvarisho à l’avoir conservée, cette armure traditionnelle semblable à celles que portaient les deux gardes.

Ces derniers leur firent traverser le village jusqu’à une petite structure faite de bois et partiellement recouverte de neige. Ils passèrent devant d’autres varvarisho, tous des guerriers, et ces derniers furent curieux de savoir ce qui pouvait bien se passer pour que des étrangers soient admis si facilement dans leur village. Pour accéder au bâtiment, Oronay et Steshin descendirent un petit escalier en bois de quelques marches.

Il s’agissait de ce qui pouvait s’approcher le plus d’une infirmerie ici, une infirmerie partiellement enterrée comme toutes les structures varvarisho en réalité. Oronay déposa Mesia dans un lit vide et lui fit boire ce qui lui restait de la potion.

Un homme, un varvarish plus exactement, d’une quarantaine d’iado au moins entra alors. Il semblait dans un état mélangeant crainte, peur, espoir, colère et bien d’autres choses encore. Il alla se mettre directement au chevet de Mesia, il regarda son état de plus près sans être un médecin visiblement et il s’adressa à Oronay dans leur langue. Steshin n’y comprit rien naturellement, en dehors du fait que le nouveau venu était particulièrement énervé et qu’Oronay en prenait pour son grade. C’était compréhensible peu importe la langue employée.

-Steshin… Metly veut savoir ce qu’elle a.
-Dis-lui qu’elle souffre d’un sort complexe.
-Je parle ta langue, sodugist.

Le désigné Metly s’était adressé à lui sur un ton particulièrement sec et légèrement chevrotant sous l’effet de la colère, ce qui fit rapidement oublier le fait qu’il parlait avec un accent assez marqué.

-Hum… très bien. C’est un sort qui la tue de l’intérieur. Ses organes sont touchés les uns après les autres.
-Et comment tu peux en savoir autant, sodugist ?
-C’était dans le grimoire de ceux qui lui ont lancés ce sort. Et…
-Parles, sodugist ! C’est urgent !
-Il précise qu’il n’y pas de remède connu.

L’annonce de Steshin tomba comme un couperet pour Metly qui ne put s’empêcher de lâcher ce qui semblait être une bien belle série de jurons avant de s’en prendre physiquement à Oronay. Il l’attrapa par le col et lui colla un poing directement dans la mâchoire.

Vaut mieux les laisser régler ça entre eux.

Une voix perçante se fit entendre tout d’un coup. Elle émanait d’une gnome qui arrivait à peine à l’abdomen de Steshin. Elle arrivait en urgence visiblement étant donnée qu’elle se présenta à eux en armure couverte de neige et le souffle haletant. Elle portait une ceinture à poches contenant quelques fournitures médicales à portée de main autour de sa taille.

La petite haussait le ton avec autorité contre les deux hommes en train de sa battre. C’est tout du moins ce que Steshin parvenait à saisir de la situation.

Ça doit être leur médecin.

Elle parvint à calmer les deux autres à force de les secouer verbalement comme des pruniers et après un bref échange avec ceux-ci, elle s’adressa à Steshin.

-Dites-moi tout, sodugist.
-À quel propos ?
-Du temps qu’il fait. De notre mourante, évidemment !

Elle aboya un ordre dans leur langue aux deux varvarisho et ils quittèrent le bâtiment.

-Pour la faire courte, je suis le médecin ici, sodugist.

Steshin fit quelques pas vers elle et Mesia pour être plus à l’aise dans la conversation.

-Hum… Son corps se détruit de l’intérieur à cause d’un sort.
-Et vous êtes tout de même parvenu à la ramener jusqu’ici.
-On a réussi à ralentir le processus avec une potion.
-Quelle genre ?
-Voyez par vous-même.

Steshin déballa le contenu de son sac sur une petite table sur laquelle il déposa les potions et le grimoire. Il vit que la petite gnome le transperçait du regard, il vit dans ses yeux bleus clairs des nerfs d’acier. Puis son regard balaya son visage et il y vit de nombreuses cicatrices aux origines indéfinissables bien qu’elle proviennent sans doute de divers combats. Elle déboucha l’une des bouteilles et en goûta rapidement une goûte qu’elle commenta tout bas dans sa langue.

-Faites-moi voir la recette.

Steshin obéit sans discuter et il retrouva la bonne page pour la gnome qui la parcourut rapidement.

-En effet…

Elle prit ensuite le temps d’examiner Mesia sous tous les angles et revint vers Steshin.

-Malgré votre flagrant manque de compétence en médecine et en alchimie, vous avez réussi à prolonger son agonie.
-Vous ne pouvez rien faire…
-C’est ça, sodugist. Je ne fais pas de magie moi, je soigne les gens.
-C’est peut-être justement ça, la solution.
-C’est à dire ?
-La magie. Un sort pour en contrer un autre.
-Le feu par le feu hein ? Pourquoi pas, sodugist. Ça ne peut pas être pire de toute façon.
-On sait quoi faire alors.
-À moins que t’ais un guérisseur dans la poche petit, on est loin d’avoir finis.
-Il y a une rumeur sur une guérisseuse hors pair, alors foutu pour foutu…
-Fais ce que tu veux, sodugist, je vais m’occuper de ma patiente en attendant. Je vais noter les ingrédients et la recette avant de l’oublier…

Elle nota tout de mémoire pendant que Steshin reprit son grimoire et sortit de l’infirmerie en y laissant toutes les bouteilles pour Mesia. À l’extérieur, Metly hurlait tant contre Oronay qu’il avait rameuté presque tout le village.

Que des varvarisho. Ils sont tous issus de peuples différents ! Elfes, humains, orques, gnomes, nains et même un élain. Ou une élain. Difficile à dire.

Steshin profita d’une accalmie dans la tempête de ce qui semblait être encore des reproches.

-Du calme, vous deux ! On a une solution. Enfin peut-être.
-T’as intérêt, sodugist !
-On va tenter de soigner le mal par le mal si je peux dire.
-Je te laisse deux minuto pour t’expliquer, sodugist.
-Il y a une guérisseuse sur le continent. Elle peut tout soigner à ce qu’on dit.
-Vous allez courir après des histoires de bonnes femmes maintenant !
-Elle existe. La question c’est de savoir si elle peut vraiment tout guérir. Et c’est la seule piste qu’on ait pour sauver Mesia.

Metly s’approcha de très près de Steshin, au point qu’il pouvait sentir son souffle.

-T’as pas intérêt à te louper, sodugist. C’est pas la peine de revenir sans elle. C’est bien compris ? Et ça vaut pour toi aussi, Oronay !

Il a l’air d’être de plus en plus furieux à chaque instant.

Le varvarish préféra partir plutôt que de continuer à écraser Oronay sous les reproches, ce qui eut pour effet de disperser l’attroupement. Avec tout ça, personne n’avait prêté la moindre attention ni à Borshia ni au culte.

-Viens Steshin, on va prendre la mer.
-Avec quel navire ? Le nôtre…
-Viens ! Et prend tes dégénérés avec toi.

Steshin obtempéra et tout le monde suivit Oronay jusqu’à un petit quai où attendait sagement quelques navires. Ils en “empruntèrent” un de petite taille malgré les protestations de Borshia “tie Magsarnist” et ils rejoignirent le large dans une ambiance à la fois morose et pesante. Personne ne voulut souffler un mot de plus.

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