Chapitre 19 : Libération

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Parfois, pour avancer, il faut savoir aller de l’avant. Parfois, il faut savoir simplement s’arrêter. Parfois, il faut savoir reculer. Et parfois, il faut se prendre une méchante torgnole en pleine face. Il y a toujours des hauts et des bas, c’est normal et nécessaire pour avancer. On essaye jamais de s’améliorer si on est pas confronté à la difficulté, on se repose plutôt sur ses acquis. Alors des fois, on s’en prend plein la tête, c’est dur, ça fait mal et on ne fait pas le fier une fois par terre. Mais c’est l’occasion de se prendre en main et de faire de son mieux pour remonter le plus haut possible. C’est ce que j’ai fini par apprendre à force d’en baver. Je regarde les épreuves que j’ai traversé avec des yeux neufs maintenant et j’y repense avec le sourire. Pourtant, ce n’était pas bien amusant sur le moment.
-Steshin

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-deuxième dan de Lonta

-Haut maître ?
-Oui, seigneur Steshin ?
-Tu es encore plongé dans le grimoire du culte. Ça fait deux dano déjà.
-En effet, seigneur Steshin. Je mets par écrits vos enseignements et ce que j’ai appris de vous en Varvary.

Ils étaient tous les deux dans une grande tente en peau sur le pont de leur nouvelle embarcation. Le reste du culte aidait à la manoeuvre alors que Borshia “tie Magsarnist” cherchait désespérément la voie la plus rapide pour rentrer sur le continent, mais sans succès pour le moment. La mer avait en partie gelée depuis leur dernier passage. Oronay, quant à lui, maugréait sous la seconde tente du pont.

-C’est bien, haut maître. Il faut conserver les enseignements aussi longtemps que possible pour maintenir le culte en vie.
-Oui, seigneur Steshin. Tant que vous et vos enseignements existeront, le culte renaîtra de ses cendres.
-Bravo pour ton optimisme, haut maître. Il ne faut pas avoir le moral en berne dans ce genre de situation. Et… Il ne faut pas que les adeptes aient péri en vain.

Toldaka hocha la tête pour seule réponse. Ce fut la première véritable bataille du haut maître depuis qu’il avait formé le culte et ce fut également sa première victoire. Une victoire affreusement coûteuse qui avait exterminé presque l’intégralité dudit culte. Il en restait moins d’un quart désormais. La plupart de ceux qui étaient tombés, il les connaissait depuis des monaso voire des iado. Il connaissait chacun de leur nom. Il les avait tous formés lui-même. La tragédie était récente et il était encore loin de l’avoir digérée et il avait pris l’initiative de noter le nom de tous les adeptes morts depuis le retour de son seigneur pour ne jamais les oublier.

-Seigneur Steshin ?
-Hum… Oui, haut maître ?
-Qu’avez-vous appris… Du grimoire du tombeau ?
-C’était le grimoire de leur culte. Il contenait leur philosophie, leur magie, quelques recettes de décoctions et des connaissances détaillées sur le fonctionnement des corps vivants. C’était un sujet d’étude pour eux visiblement.
-Qui vénéraient-ils ? Lequel des treize ?
-La mort, haut maître. La mort elle-même. Mais ça n’a plus d’importance désormais. Leur seigneur est visiblement venu les chercher.
-Des adeptes bien étranges, seigneur Steshin.

Et c’est toi qui broie des crânes à ma gloire qui dit ça ?

-Certes, haut maître.
-En parlant de ça, seigneur Steshin. Lorsque nous étions au village varvarish, j’ai parlé avec l’un d’eux. Il a su tout de suite que quelque chose de terrible s’était produit et il m’a raconté comment son peuple rendait hommage aux disparus…

Steshin attendait patiemment la suite qui peinait à sortir tant la douleur était grande chez le haut maître.

-Après une grande bataille ou une guerre, ils citent les noms de ceux qui sont tombés, seigneur Steshin.
-Je comprends la démarche, haut maître. Nous ferons ça une fois cette histoire derrière nous.

Toldaka inclina la tête en signe de remerciement et il reprit la rédaction des nouveaux enseignements dans le grimoire. Il en était aux recettes de cuisine en milieu hostile. Le sérieux du haut maître amusa intérieurement Steshin et le remplit d’une certaine fierté. Et le rassura par la même occasion.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-troisième dan de Lonta

-Alors, capitaine ? Vous survivez par ce froid ?
-On ressort tout juste de bien pire, Steshin.
-Ha ha ! C’est vrai. Vous pensez qu’il nous reste encore combien de dano de voyage ?
-Plus d’une dizaine je dirais. Ça dépend de jusqu’où la glace est allée. Pour l’instant je contourne le glaçon géant.
-C’est noté. Nous avons assez de nourriture jusque là au moins. Alors pas d’inquiétude à avoir de ce côté là.
-Ouais, c’est plus simple avec une moitié d’équipage en moins, Steshin.

Borshia avait bien appuyé chaque syllabe du prénom faisant ainsi comprendre à son interlocuteur qu’il avait quelques griefs à son encontre.

-Vous l’aurez votre équipage. Je tiens toujours mes engagements.

Et je n’ai clairement pas envie de passer le reste de mon existence avec ces… Ces… Imbéciles.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-quatrième dan de Lonta

Le varvarish a l’air un peu plus ouvert à la discussion, il est enfin sorti de sa tente.

-Oro ?
-Hum…
-Je voulais qu’on parle de…
-Qu’est-ce que tu veux savoir ?

Oronay se contentait de regarder droit devant lui, vers l’horizon avec des sourcils froncés témoignant d’une intense activité mentale. Il se tenait appuyé sur le bord de la coque sur ses avant-bras.

-Si tu as la tête sur les épaules pour la suite.
-Pas maintenant. Je serais prêt quand on arrivera.
-D’accord. Hum… Tu veux qu’on en parle ? De Mesia ?
-Y a rien à en dire, sodugist.
-C’était qui ce Metly ?
-Son père.

Ceci explique donc beaucoup de choses.

-Je comprends qu’il… S’inquiétait pour sa fille mais pourquoi il s’en prenait à toi spécifiquement ?
-Les varvarisho doivent se protéger les uns les autres au sein d’un clan.
-Et ? Ne me prends pas pour un idiot, il y a quelque chose que tu ne me dis pas.
-Il n’aimait pas l’idée de m’avoir un dan pour fils.
-Comment ça ? T’adopter toi…
-Comme gendre si tu préfères. Ça n’existe pas chez nous.
-Oh ! Ça je ne l’aurais pas cru si…
-Mesia. Il n’y a que Mesia qui y croyait. Et qui le voulait.

Ça, ça me semble tout de suite plus cohérent.

-Je comprends mieux.
-Dans tous les cas, je n’ai pas d’autre choix que de ramener ta guérisseuse.
-Par rapport à ton honneur de varvarish, le clan, tout ça…
-Sinon, je serais banni. Il l’a dit.

Les souvenirs de l’altercation avec Metly revinrent chez Steshin et en particulier ses derniers mots.

-Il en est capable ?
-C’est le meilleur guerrier du clan et Mesia était la plus prometteuse pour lui succéder.

Il en est capable.

Oronay montra pour la première fois un visage plus humain. Il semblait réellement inquiet pour une fois, car il ne pouvait fuir les conséquences de ses actes cette fois-ci. Il semblait plus enclin que d’habitude à sombrer dans le désespoir.

-On va y arriver.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, deuxième dan de Kits

Au bout de sept dano de voyage supplémentaires, le navire varvarish “emprunté” approcha de l’archipel du duché d’Isony. Il s’agissait d’un duché du royaume elfe de Forishny se situant sur la côte Est, à la fois du royaume et du continent, à l’embouchure du fleuve Moegy qui prenait sa source loin dans le Nord, au sein des terres gelées des Colonies Impériales de Tratoled. La simple vue de ses îles rassura tout le monde et leur prouva qu’ils n’étaient plus très loin de leur destination.

Iad 41 de l’ère impériale, troisième dan de Kits

Le navire et son équipage traversèrent sans encombre l’archipel en quelques uniao durant la nuit et ils s’engagèrent sur le fleuve Moegy, le remontant avec prudence. Les bords étaient gelés et il arrivait qu’un morceau de glace, trop insignifiant pour une embarcation correcte, s’en détache et vienne percuter la quille sans être une gène pour autant.

Ils arrivèrent finalement dans le port fluvial de Tempy en milieu de matinée. C’était une ville assez peu peuplée pour une capitale de duché avec ses un peu plus de trente six mille habitants. Ceux-ci sont essentiellement des elfes évidemment mais il y a également une petite communauté humaine composée essentiellement de marchands. Les autres espèces sont quasi-absentes de cette ville en raison de son emplacement particulièrement reculé, néanmoins un grand nombre de demi-elfes vivent également ici. Ces derniers sont généralement des bannis et des parias d’autres communautés elfes.

La ville de Tempy est avant tout connue pour accueillir le cœur de l’ordre sacré de la Mona d’argent représenté par son grand temple à l’allure déconcertante servant à la fois de lieu de prière et de bastion. En raison de l’importante influence dont jouit l’ordre, presque toute l’activité en ville tourne de près ou de loin autour de celui-ci et de ses besoins. D’autant plus qu’il accueille à bras ouverts tous les parias, les marginaux, les déshérités et les héritiers secondaires de toutes les familles nobles.

* * *

Pendant que Borshia “tie Magsarnist” manœuvrait pour amarrer le navire à quai avec l’aide des cultistes, Steshin, Toldaka et Oronay discutaient de la suite des opérations.

-Alors Steshin, on le trouve où, notre guérisseur ?
-Dans le grand temple. La rumeur veut que la grande prêtresse de l’ordre de la Mona d’argent puisse tout guérir avec sa magie des soins sacrés.
-Ça c’est couillu comme plan, Steshin.
-Quel plan ?
-Tu proposes qu’on l’enlève, non ?
-Je pensais lui demander gentiment pour commencer.
-Et c’est tout ? Tu penses vraiment qu’elle acceptera ? T’as la tête qu’a g’lé entre-temps ?
-Non mais on sait jamais.

Ce n’était pas vraiment la réponse qu’espérait Oronay mais il parvenait encore à se contenir. Sa colère et sa frustration commençaient à se sentir.

-Et… Ensuite ? Quand ça aura foiré ?
-On revient lui demander moins gentiment une fois Sonse couché.
-Mouais… Tu t’embêtes trop. Autant aller la chercher tout de suite.
-Vois ça comme… Une reconnaissance.
-Mesia n’a pas le temps pour toutes ces sournoiseries, sodugist.
-Il faudra des dano et des dano pour y retourner. Quelques uniao de plus ou de moins ne changeront rien à son sort.
-Sauf que…
-Oronay, je ne doute pas de vos compétences mais prendre d’assaut le cœur de cet ordre s’avérera difficile voire suicidaire face à un bataillon entraîné et équipé.

L’argument de Toldaka fit étonnamment mouche et le varvarish admis la pertinence de l’opposition en silence. Steshin remercia intérieurement son haut maître pour cette habile intervention.

-Quel sera le rôle du culte, seigneur Steshin ?
-On verra plus tard, haut maître. Je ne sais pas encore comment nous allons procéder par la suite.
-Nous attendrons vos ordres avec impatience, seigneur Steshin.
-Non. Vous irez recruter de nouveaux adeptes durant quelques uniao en attendant notre retour, haut maître. Il faut regarnir les rangs du culte.
-Il sera fait comme vous le désirez, seigneur Steshin. Et si nous devions partir plus tôt, comment nous préviendriez-vous ?
-Tu le sentiras, haut maître. Je te fais confiance pour ça.
-Bien, seigneur Steshin.
-Et… Pour les nouveaux adeptes… Ne t’y attache pas trop. Qui sait s’ils verront à nouveau Sonse se lever ou non.

Toldaka s’inclina pour signifier sa totale approbation. Le navire finit par s’amarrer au quai une fois le conciliabule terminé.

-Tout le monde sait ce qu’il a à faire. Bon courage à tous.

Le haut maître commença par rassembler les cultistes une fois leurs tâches menées à bien pendant qu’Oronay et Steshin entamèrent la descente de l’embarcation.

-Capitaine !
-Oui ?
-Si quelqu’un vient fouiner ou réclamer une taxe ou autre ! Gagnez du temps !
-C’est compris !

On est partis. Je me demande si c’est la pire idée que j’ai eu jusque là. Pire que de défier l’empire et l’impératrice ? Deux fois ?

* * *

Les deux compagnons d’infortune atteignirent le grand temple de la Mona d’argent en suivant les indications de quelques badauds. Le bâtiment en lui-même était singulier pour son architecture bien différente de celle traditionnelle des elfes. En effet, il s’agissait d’un grand cercle de pierre avec de rares ouvertures ressemblant aux meurtrières d’une forteresse le tout surmonté par un dôme en verre. Le verre étant un matériau difficile à produire, difficile à transporter, fragile, lourd, rare et donc onéreux, ce toit à lui seul suffisait à témoigner de l’or sur lequel roulait l’ordre. Les vitres du dôme étaient composées de grandes plaques de verre légèrement courbées maintenues entre elles par des poutres en bois suivant la courbure du dôme. On peut au moins s’accorder à dire que l’argent des adeptes de l’ordre issus de la noblesse a au moins été utilisé dans quelque chose de grand.

Les murs de la structure rappelaient certes une enceinte de forteresse mais cela ne les empêchait pas de remonter élégamment vers le dôme en s’affinant. Chaque pierre de l’édifice était même ornementée et comportait une petite scène indépendante des autres, ou presque, qui faisait partie d’une plus grande s’étalant sur l’ensemble de la surface du mur circulaire. De ce bâtiment se dégageait une impression de majesté et de raffinement au final.

Impressionnant ! Je n’ose imaginer la fortune dont ils disposent.

Les deux voyageurs s’avancèrent vers l’entrée du temple. Celle-ci était grande ouverte puisque n’importe qui pouvait venir faire une offrande, se faire aider ou demander conseil auprès d’une divinité. Moyennant finance la plupart du temps, évidemment. Néanmoins, la porte était surveillée par deux gardes lourdement équipés. Sabre elfe à la ceinture et armure semblable à une brigandine mais en un peu plus légère.

Oronay et Steshin entrèrent à l’intérieur du bâtiment, dans l’antichambre plus précisément. Suivant le couloir central, ils arrivèrent dans ce qui semblait être la salle principale. Il s’agissait d’une grande salle située pile en-dessous du centre du dôme. Elle était richement décoré avec d’onéreuses tentures et peintures ainsi qu’avec diverses plantes et arbustes dont l’entretien ne devait pas être aisé en intérieur. De plus, la salle comportait des sièges pour les prieurs et des statues à l’effigie de chaque divinité pour les offrandes.

Les deux compagnons furent accueillis par une jeune prêtresse, une elfe plutôt jolie aux formes indistinctes avec sa robe. De par sa nature, le terme jeune ne signifiait pas grand chose. Elle pouvait très bien avoir plus d’une centaine d’iado et toujours ressembler à une humaine de vingt iado tout au plus.

-Gudan, messires. De quoi avez-vous besoin ?
-Gudan. Nous souhaiterions rencontrer la grande prêtresse, charmante demoiselle.
-Elle est très occupée, messire. Pourrais-je connaître la raison qui vous pousse à demander cette rencontre ?
-C’est une bien triste raison à vrai dire. Une question de vie ou de mort nous a fait parcourir terres et mers durant des monaso.

Elle afficha une dentition parfaite lors d’un sourire gêné avant de répondre à Steshin.

-Comme tous ceux qui souhaitent rencontrer la Mona du dan.
-C’est l’épouse de mon… Ami… Ici présent qui est mourante.

Oronay manqua de se noyer avec sa propre salive mais il fit comme si de rien n’était en imitant une simple quinte de toux arrivée après cette évocation et non en même temps.

-La Mona du dan représente le dernier espoir pour tous les mourants. Malheureusement en cette fin d’iad, il n’en manque pas. J’en suis navrée.
-Vous en êtes…
-Oh ça suffit !

Le varvarish venait de perdre patience et il partit dans une direction au hasard avec détermination.

-Mais que faites-vous ?

La prêtresse n’osa bouger un cil et Steshin regarda également sans rien faire.

Il va faire quelque chose de stupide.

Oronay s’engagea dans l’une des ailes et quelques instants plus tard, il en fut refoulé par des elfes en armes, une bonne dizaine au moins. Steshin se précipita pour le tirer du guêpier dans lequel il avait marché.

-Excusez-le ! Il pourrait perdre sa tendre épouse et ça le met dans tous ses états !

Le varvarish ne se bloqua pas cette fois. Parce qu’il n’avait pas entendu. Parce qu’il avait entendu sans écouter. Au fond, peu importe la raison, il se laissa quand même faire mais le démon n’eut pas le loisir de s’en étonner.

-Qu’il ne recommence pas ou c’est pas que sa femme qu’il perdra.
-Nous partons, nous partons.

Steshin tira par le bras un varvarish bien docile pour une fois. C’est seulement lorsqu’ils furent bien éloignés du temple qu’Oronay se montra bien plus revêche en arrachant son bras de l’étreinte de Steshin.

-Qu’est-ce qui t’a pris ?
-T’allais te faire tuer comme un idiot !
-Peut-être mais on est pas plus avancé maintenant.
-C’est pas entièrement faux.
-Alors quoi ? Tu vas abandonner, sodugist ?
-Non ! Pour l’instant… Rentrons au bateau, mangeons et… Préparons le plan de cette nuit.
-Il est tout trouvé, ton plan !

Oronay était bien davantage anxieux qu’énervé à cet instant en réalité et il n’arrivait pas à se contenir.

-On ne peut pas juste leur rentrer dedans.
-Oh…
-Dans tous les cas il faut manger avant la bataille alors rentrons manger au moins.

Le varvarish fut sensible à cet argument et ils rentrèrent ensemble au navire. Ils mangèrent en silence, en compagnie de Borshia qui n’osa rien dire dans cette ambiance pesante. Steshin profita de ce silence pour réfléchir activement à un plan d’action. Une fois le repas terminé, ils discutèrent tous les trois de la suite des opérations.

-Je suis toute ouïe Steshin, quel est ton merveilleux plan ?
-D’ailleurs Steshin, des représentants du bourgmestre ou de je ne sais quelle autorité sont passés. Ils réclament une somme d’argent à payer.
-Ils la réclament quand ?
-À votre retour à bord. Je leur ai dis de revenir au coucher de Sonse.
-Ils n’auront rien alors. Vous avez bien fait, capitaine.

Les deux aventuriers étaient suspendus aux lèvres de Steshin, prêts à entendre sa dernière idée.

-On débarquera un peu avant le coucher de Sonse avec le culte. Enfin une partie, ce navire aura besoin d’au moins un équipage restreint pour quitter le port. Borshia, vous devrez accoster et vous cacher un peu plus en aval.
-Jusque là ça va. Sauf pour se cacher, je ne vois pas où ce sera possible.
-C’est pas vraiment important. Évitez d’attirer trop d’attention, c’est tout.
-C’est compris.
-Et nous, Stesh ?
-On tentera de s’introduire dans le temple à la faveur de la nuit malgré la Mona qui devrait être encore bien lumineuse. On y enlève la grande prêtresse et on sort pendant que le culte fait diversion auprès des gardes de l’ordre.
-C’est tout ?

Oronay s’était levé d’un coup sans même y avoir pensé. Il se rassit doucement sous le regard médusé des deux autres.

-Va falloir improviser une fois à l’intérieur.
-Très bien…

* * *

Les uniao s’écoulèrent et Toldaka revint de sa petite viré prosélytique en ville avec quelques nouvelles têtes pas bien en forme.

-Bon retour, haut maître. Mangez tous et vite, nous allons agir sous peu.

Les adeptes de Steshin obéirent sans discuter et les nouveaux venus les imitèrent sans poser de question et sans faire preuve de déférence devant leur nouveau maître.

-Haut maître, dis-moi tout.
-Seigneur Steshin, nous sommes parvenus à recruter cinq adeptes à peine.
-Ce sera suffisant pour la suite, haut maître. Tu as fait du bon travail en peu de temps.

* * *

Borshia “tie Magsarnist” fit manœuvrer le navire avec les nouveaux cultistes sous le regard inquiet de Steshin qui observait la scène depuis le quai.

Ça va aller, ça va aller…

Après quelques instants de crainte, il partit en direction du temple en compagnie du varvarish et des vétérans de son culte. Ils s’installèrent dans une taverne proche et ils commandèrent le strict minimum pour une somme modique.

-Bon, voilà ce qu’on va faire. Oronay et moi nous escaladerons le dôme et briserons l’un des verres pour entrer à l’intérieur en passant par l’un des étages.
-Et on monte comment ?
-Tu te souviens des flèches-grappins qu’on avait trouvé à Ledan ?
-Et je me souviens que tu n’en avais plus.

Steshin sortit de son sac un petit boulet en métal équipé d’une épaisse chaîne en métal. Cette dernière disposait également d’une corde attachée au dernier maillon.

-J’ai improvisé un équivalent avec ce qu’il y avait dans notre navire.
-Tu pourras pas le tirer avec ton arc.
-Mais je pourrai le lancer à la main.
-C’est déjà ça. On va dire…
-Haut maître, quand la Mona sera au plus haut, attirez l’attention des gardes du temple et perdez-les dans les rues.
-Ce sera fait, seigneur Steshin.
-Et ensuite Stesh ? Une fois entrés ?
-On enlève la grande prêtresse et on sort par la grande porte qui ne devrait plus être gardée.
-Ouais, encore un plan brillant… On se retrouve où après ?
-Au navire. On descend en aval et on s’y retrouve. D’autres questions ?

Toldaka garda le silence et Oronay leva la main en signe de négation. Ils attendirent quelques uniao que la nuit soit un peu plus sombre et ils se séparèrent. Le culte attendait dans une ruelle sombre pendant que Steshin lançait son semblant de grappin en le faisant tourner au-dessus de sa tête. Il prit son envol et atterri sur le haut du mur, dans un interstice, avec un léger bruit de verre cassé. Le démon supérieur tira dessus pour s’assurer qu’il tenait bien. Les deux compagnons de route échangèrent un dernier regard disant “Pas de retour en arrière possible une fois là-haut.” Et ils montèrent grâce à la corde attachée au boulet.

C’est le moment de vérité. Pas le droit à l’erreur.

Une fois sur le dôme, ils constatèrent que le boulet était coincé entre l’une des plaques de verre et le sommet du mur en pierre. Steshin remonta la corde pour éviter qu’une patrouille de la garde urbaine ne découvre l’infiltration trop tôt. Lui-même et Oronay avancèrent sur le dôme, marchant accroupis à pas lent le long des poutres en bois. Une fois au sommet, ils échangèrent quelques mots.

-Et maintenant ? On y va au hasard ?
-On essaye de la retrouver en sentant sa magie.
-Et si elle s’en sert pas ? Parce qu’elle dort par exemple.
-On y va au hasard.

Ils rirent tous les deux à voix basse, plus par nervosité que par réel amusement. Ils se concentrèrent quelques instants et ils finirent par sentir quelque chose, de la magie bien différente de celle d’un démon ou d’un mage.

-Je pense qu’on l’a.
-Oui, par là, Stesh.

Ils avancèrent de nouveau le long d’une poutre, en descendant cette fois, et ils s’arrêtèrent à peu près au milieu de la hauteur du dôme. Ils se déplacèrent latéralement jusqu’à arriver au-dessus d’une chambre vide accolée au toit de verre. Ils brisèrent le verre le plus au-dessus du lit pour pouvoir atterrir dessus silencieusement sans se blesser. Les éclats de verre tombèrent dans et tout autour dudit lit. Certain se brisèrent même de nouveau à l’atterrissage. Les deux intrus se laissèrent tomber sur le lit et s’en sortirent sans blessure malheureuse.

Pour l’instant, ça se passe bien. Elle doit être encore plus bas.

Steshin s’approcha doucement de la seule porte de la pièce et il y colla l’oreille pour entendre ce qui pouvait se passer derrière. Oronay se tint derrière lui en attendant un signe. Jugeant qu’il n’y avait pas de danger immédiat, Steshin actionna silencieusement la poignée et ouvrit cette porte prudemment, petit à petit, sans un bruit. Il passa la tête par l’ouverture et jeta un coup d’œil des deux côtés. Il s’agissait d’un couloir à la décoration très luxueuse et tout ce qu’il y avait de plus vide. Le duo d’intrus sortit de la chambre et il partit au hasard.

Ils avancèrent à tâtons, les sens aux aguets, cherchant un moyen de descendre. Ils avaient décidé de se diriger vers l’extérieur du cercle que représentait le temple et ils finirent par trouver une série d’escaliers qui leur permit de descendre les deux étages que comptait le bâtiment pour atteindre le rez-de-chaussée.

Elle est à ce niveau. je le sens.

Ils continuèrent à traverser les couloirs à moitié au hasard, à moitié en suivant la magie qu’ils ressentaient. Ils n’eurent aucun mal à éviter gardes et servants qui ne se montraient en rien vigilant, trop habitués qu’ils étaient à ne jamais être menacés de quelque manière que ce soit. Oronay jugeait leur incompétence, leur paresse, leur naïveté ainsi que leur indiscipline en silence et aucunement de façon positive.

Finalement, le duo parvint à une grande salle rectangulaire où reposaient dans des lits de nombreux souffrants voire mourants. Au bout de la salle, une lanterne était visible accompagnée de deux silhouettes. Alors les intrus s’engagèrent dans cette même salle et ils se cachèrent derrière le lit d’un comateux, écoutant ce qu’il se passait. Ils entendirent un elfe et une elfe parler dans leur langue. Steshin était bien loin de maîtriser ce langage et il ne parvint qu’à saisir que quelques termes.

-Hum… Soigner… Malades… Sonse… Les tuer.
-Et… Dois le faire…

Steshin releva juste assez la tête pour pouvoir observer la scène. Il y avait un elfe assez bien vêtu d’après les quelques reflets de son habit, indiquant la présence de fils d’argent. De plus, cet elfe portait également un sabre court avec un fourreau argenté à la ceinture. L’autre silhouette qui se tenait aux côtés de l’elfe en arme, avait des formes impossible à deviner de dos avec sa grande et majestueuse robe de prêtresse d’un blanc immaculé et couverte de broderies en argent. Par déduction logique, la voix plus féminine ne pouvait qu’être la sienne.

Steshin se baissa de nouveau et se retourna en direction d’Oronay pour lui faire comprendre par langage des signes ce qu’il avait vu. Après quelques échanges silencieux et approximatifs, ils se mirent d’accord sur un plan d’action et ils l’exécutèrent.

Ils quittèrent leur abri sans se faire remarquer et ils s’approchèrent des deux elfes qui étaient bien trop occupés pour faire attention à quoi que ce soit dans leur environnement proche. Dans le même laps de temps, Oronay attrapa l’elfe en arme par derrière sans lui laisser l’occasion de se défendre et Steshin agrippa l’autre elfe tout en plaquant sa main sur sa bouche pour qu’elle ne puisse pas crier avec une lame sous la gorge en prime.

Elle ne pouvait pas voir ce qui arrivait à l’autre elfe mais le bruit des cervicales se brisant ne lui offrit pas le moindre doute quant à son sort. Steshin chuchota à son oreille avec un ton inquiétant.

-Vous allez venir avec nous.

Elle tenta de refuser mais on n’entendit qu’un son étouffé. Elle tenta de se débattre mais la prise du démon était trop ferme. Néanmoins, l’ampleur de son refus était clairement reconnaissable même ainsi et ne faciliterait pas les choses. Loin de là.

-On va discuter mais rien de stupide, c’est bien compris ? Vous allez vous retourner doucement et sans un mot. Sinon ce varvarish va aussi vous faire du mal. Beaucoup, de mal.

Si on lui explique la situation, peut-être…

Le démon relâcha son étreinte et l’elfe se retourna lentement pour faire face à son agresseur. De cette elfe, on ne pouvait voir que les mains et le visage, le reste du corps était couvert d’une très opulente robe très richement décorée. De plus, elle portait une grande coiffe sur la tête avec un voile masquant sa chevelure. S’il existait encore le moindre doute sur le fait qu’il s’agissait bel et bien de la grande prêtresse, il était désormais envolé.

Le peu de peau visible était d’un blanc quasi fantomatique, le visage y compris mais avec des lèvres d’un rouge carmin, des yeux aux pupilles sombres soulignées par des contours noirs et des sourcils fins. Pour finir son portrait, elle avait un grain de beauté sur la tempe gauche. Difficile de lui donner un âge mais elle semblait mature et donc avec quelques centaines d’iado derrière d’elle. Plus ou moins. Présentement, elle ne semblait pas craindre quoi que ce soit et elle regardait Steshin avec un certain dédain.

-Nous avons besoin de vous pour sauver une vie.
-Comme tout le monde ici.

La réponse fut brève et cinglante, tranchante comme la lame d’un couperet venant de tomber.

-Et ça ne vous autorise pas à engager un mercenaire varvarish pour me convaincre de les abandonner.
-Sauf que…
-On te demande pas ton avis. Tu viens avec nous et c’est tout.

Oronay s’était laissé emporter. Il bouillait intérieurement depuis trop longtemps. Il s’approcha du malade dont elle s’occupait quelques instants plus tôt et il commença à incanter un sort sous le regard de la grande prêtresse.

-C’est lui qui a besoin de vous, pas moi.
-Mais que faites-vous ?

Le varvarish plaqua sa main sur la bouche de l’alité et il déversa un flot de flammes ardentes directement dans son gosier, le brûlant vif de l’intérieur tout en regardant la grande prêtresse droit dans les yeux. la pauvre victime était trop faible pour réellement bouger et à fortiori pour se défendre. Elle se contenta d’émettre des sons écœurant étouffés et de gigoter sous l’effet de la douleur, davantage par réflexe qu’autre chose.

Il est vraiment prêt à tout.

-Le choix est simple, elfe, soit ils meurent tous soit ils mourront peut-être. Dans les deux cas, t’es à nous.

Elle resta de marbre malgré l’odeur d’elfe brûlé alors le varvarish s’approcha d’un second lit et…

-Très bien. Vous l’emportez varvarish. Je vais venir avec vous.

Steshin se sentit soulagé tout d’un coup et il l’attrapa fermement par le bras.

-C’est seulement par sécurité. Guidez-nous vers l’entrée principale maintenant.

Ils quittèrent tous les trois cette salle, laissant deux macabés derrière eux. La grande prêtresse menait la marche, Steshin se tenait légèrement en retrait tout en la tenant par le bras et, enfin, Oronay fermait la marche plus méfiant que jamais. Après quelques détours, ils s’approchèrent finalement de leur point de sortie mais quelque chose clochait.

C’est trop calme. On a dû être trop rapide. Ou le culte est…

Ils firent encore quelques pas jusqu’à entrer dans l’antichambre du temple et dans le champ de vision d’un duo de gardes qui s’adressèrent à la grande prêtresse en langue elfe. Et les seuls mots dont Steshin avait à peu près saisi le sens furent “Aux armes !” . L’un des gardes reçut immédiatement une boule de feu d’Oronay en plein visage. Il hurlait à s’en rompre les cordes vocales, rameutant à l’occasion tous ceux qui pouvaient l’entendre. Par réflexe, Steshin relâcha sa prisonnière pour se battre contre le garde restant mais l’elfe en profita pour jeter sa coiffe à la figure du varvarish dévoilant au passage une chevelure noire de jais très strictement attachée et elle s’enfuit en courant aussi vite que sa robe le lui permettait. Le mage-guerrier la poursuivit dans les couloirs, laissant Steshin seul face à un garde en armure trop bien équipé pour sa seule dague.

Le démon prit alors la seule décision valable dans ce genre de situation, il détalla comme un lapin dans le sens opposé. Il traversa salles, couloirs et étages comme une flèche, bousculant au passage servants hagards et gardes étonnés. L’un d’eux, réveillé par l’agitation, sortit de sa chambre encore ensommeillé et il y retourna violemment après un bon coup d’épaule de Steshin.

Malgré le nombre croissant de poursuivants, le seigneur démon parvint à se cacher dans une chambre vide, sous un lit comme l’amant d’une femme poursuivi par le mari trompé.

Plus qu’à attendre. Il faut qu’il la sorte d’ici. Sinon on aura fait tout ça pour rien. Mais que fait Toldaka bon sang ?

Sa tension grimpa en flèche lorsque des gardes commencèrent à fouiller la chambre. Sa main devint moite sur la poignée de sa dague. Mais ils se contentèrent d’ouvrir une armoire et de soulever les draps du lit. Ils quittèrent la pièce bredouilles et ils repartirent immédiatement en chasse.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, quatrième dan de Kits

Au bout d’une durée indéterminée, Steshin se glissa en dehors de sa cachette et, prudemment, il entreprit de rejoindre la sortie mais il était totalement perdu. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il était au premier étage.

Plus qu’à croiser les doigts…

Il se déplaça discrètement, rasant les murs autant qu’il le pouvait. Au détour d’un couloir, il découvrit un cadavre ensanglanté et des traces de pas. C’était le corps d’un servant.

Le varvarish doit manquer de magie. Il vaut mieux que je suive ses pas. C’est toujours mieux que de tomber sur des gardes au hasard.

Steshin suivit les traces avec la même prudence dont il fit preuve jusqu’ici.

Et si j’en croise quand même, on sera deux pour les affronter… J’espère.

Par la suite, il croisa d’autres corps. Ceux des gardes étaient incendiés, les autres ont seulement eu droit à un redressement de vertèbres mortel. Steshin reconnut l’immense salle dans laquelle il se trouvait, c’était celle où il avait parlé avec la jeune prêtresse en arrivant de nombreuses uniao plus tôt. Il entendit des bruits de pas s’approcher alors il se cacha derrière les statues des divinités, mais ce ne furent que des servants paniqués qui se contentèrent de traverser la pièce.

Avant de repartir, Steshin ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil aux statues. Chacune d’entre elles représentait l’un des neuf divins à une échelle légèrement supérieur à celle d’un homme. De plus petites sculptures représentaient des divinités mineures sans trop d’importance. Le regard du démon fut attiré par un autre ensemble de statues, celles-ci étaient de taille intermédiaire par rapport aux autres.

Des statues en l’honneur des démons ? Je savais les elfes tolérants mais pas à ce point là… En tout cas, celle-ci ne me ressemble pas le moins du monde… Et personne ne m’offre jamais rien visiblement. Remarque, il n’y a que la mort qui a droit à quelque chose. Des bougies et des bijoux en argent.

Il prit une pièce de bronze impériale dans sa bourse et la plaça en offrande sur sa statue.

-Protège-moi…

C’est idiot mais qui sait…

Il quitta cette pièce, un sourire espiègle aux lèvres et le cœur un peu plus léger sans véritable raison. Il avait pris le couloir central de la dernière fois et il arriva dans l’antichambre du temple. Une rude bataille y avait pris place.

Os cassés, visages déformés et membres tordus. Ça c’est signé Toldaka ! Ils doivent avoir les paladins après eux en ce moment même. Dépêchons !

Aucun adepte du culte n’avait visiblement péri pour l’instant. Aucun n’était parmi les cadavres tout du moins.

* * *

Steshin avait traversé la ville de Tempy aussi vite que possible tout en évitant au maximum les patrouilles de la garde urbaine et celles, plus menaçantes pour lui, de l’ordre de la Mona d’argent. Si l’une d’elles comportait un paladin et que celui-ci faisait le lien entre l’intrusion et l’assaut de cultistes, il saurait quels indices suivre. Et s’en serait probablement fini du démon supérieur de la rage. En attendant son funeste destin s’il existe, Steshin parvint à atteindre une écurie et il y vola un cheval. Il prit ensuite la direction de l’aval du fleuve Moegy comme prévu.

* * *

Il dû se présenter au garde de la porte qui n’avait pas bien envie d’ouvrir la porte à un étranger en pleine nuit, même si c’était pour sortir. Ce qui était moins courant.

-Je sais bien mais j’ai une missive importante à porter.
-J’en doute pas mon p’tit gars que j’ai jamais vu mais pas d’sortie quand même.
-C’est très urgent !
-Non.
-Ouvrez ou sinon vous devrez en répondre devant mon seigneur…
-Seigneur qui ? Je le savais.

Steshin perdit patience. Il descendit du cheval et en attacha les rênes. Ensuite, il s’approcha du portier tout en marmonnant tout un tas d’incantation. Couplé à l’énervement, cela eu des effets visibles et terrifiant sur son visage qui se retrouva à un doigt de distance de celui de son interlocuteur terrifié. Même le cheval devint très nerveux.

Merde… J’ai foiré l’incantation…

-Inutile de vous énerver m’sieur. J’vous ouvre tout de suite, m’sieur.

Ce garde poltron ouvrit la porte du mur d’enceinte de la ville sans quitter des yeux le démon qui détacha son cheval et remonta dessus avant de sortir au dehors. Il disparut dans la nuit pour le plus grand bonheur de l’elfe qui verrouilla la porte à double tour.

* * *

Steshin galopa le long de la berge glacée du fleuve pendant ce qui lui sembla une éternité mais il finit par apercevoir son navire au loin.

Enfin !

Il incita son cheval à redoubler d’efforts et c’est en s’approchant davantage de son objectif qu’il se rendit compte d’une évidence qui aurait dû le frapper immédiatement.

Pourquoi la voile est sortie ? Ne me dites pas que…

Il arrêta le cheval épuisé au bord de l’eau glacée et il vit le navire descendre tranquillement le fleuve sans lui.

-Salaud !

Steshin était dégoûté par ce qu’il avait sous les yeux. Il se sentit horriblement trahi. Il se sentit terriblement stupide. Et impuissant. Il regarda le navire s’éloigner pendant un temps indéterminé, jusqu’à que des bruits de sabots le surprenne. Il se retourna, sortant sa dague de son fourreau. Il vit un individu tout de noir vêtu arriver à cheval, il en descendit et marcha vers la berge mais pas vers lui. En fait, il l’ignorait totalement. C’était visiblement un voyageur à la vue de son accoutrement et de l’équipement de son cheval qui lui-même était une magnifique monture. Avec sa cape et sa capuche sur la tête, il faisait davantage penser à un émissaire de confiance d’un roi.

Steshin ne parvint pas à distinguer quoi que ce soit de lui hormis le fait évident qu’il n’était pas un simple roturier. Et d’un coup, il sentit de la magie, une très puissante magie, une magie d’une nature très différente de ce qu’il connaissait.

-Qu’est-ce que…

Le nouveau venu disparut d’un coup sans laisser de trace, comme s’il n’avait jamais été là.

-Bordel…

La curiosité l’emporta sur la prudence et Steshin avança vers là où se tenait le mystérieux individu quelques instants plus tôt. En regardant par terre, il vit une petite boule noire comme de l’encre avec quelques reflets dans la neige. Il y avait aussi un peu de sang à côté. Steshin ramassa la boule et il regarda attentivement la petite sphère.

-On dirait du verre mais pas tout à…

Soudain, son attention fut attirée par un grand craquement. Il provenait du navire varvarish qui venait d’éclater en mille morceaux effrayant au passage son cheval épuisé qui s’enfuit sans demander son reste. Il sentit son cœur se serrer et il serra le poing contenant la boule en conséquence.

-Que…

Il sentit une grande quantité de magie à l’œuvre et il ne comprit pas exactement ce qui se passait jusqu’à ce qu’il ne bouge plus, à terre. Il avait été violemment projeté au sol et à son ancienne place se tenait le mystérieux voyageur réapparu. Cette fois, il portait dans ses bras la grande prêtresse dont la chevelure était désormais détachée et de longues mèches flottaient au vent, tressaillant à chaque pas. Aucun des deux ne prêta attention au démon qui se sentit minuscule à cet instant. Ils partirent ensemble, s’enfonçant dans les bois sur le dos du cheval du voyageur.

Steshin les regarda partir, accoudé sur le sol, sans oser dire ou faire quoi que ce soit. Dès qu’il les perdis de vue, il se laissa choir sur la neige froide et il regarda le ciel, les yeux perdus dans le vide.

* * *

-Il est là, haut maître !
-C’est sûr, adepte ? Seigneur Steshin ? Seigneur Steshin ! Seigneur Steshin !

Steshin s’assit pour savoir qui l’appelait et il se releva en voyant les adeptes de son culte arriver.

-Haut maître ! Vous allez bien ?
-Euh… Oui, seigneur Steshin.
-Est-ce que tout le monde est sain et sauf ?
-Oui, seigneur Steshin. Ceux qui m’ont suivi tout du moins comme vous l’aviez ordonné.
-Bien, haut maître.

Steshin s’épousseta pour retirer la neige qui s’était collée à ses habits tout en les humidifiant.

-Vous avez l’air… Différent, seigneur Steshin.
-Ce n’est rien. La nuit a été… Longue, haut maître.
-Si vous le dites, seigneur Steshin. Hum… Excusez-moi mais… Ce n’est pas le lieu du rendez-vous convenu ?
-Si… Mais ils sont partis sans nous, haut maître.

Toldaka ne sut comment réagir exactement à cette nouvelle pour le moins déconcertante.

-Ça n’a plus d’importance, haut maître. Nous pouvons prendre un nouveau départ et aller où nous le souhaitons désormais. Nous sommes libres de toute obligation, haut maître.
-Le culte vous suivra n’importe où, seigneur Steshin.
-Bien, haut maître. Nous allons commencer par filer aussi loin que possible dans un premier temps.
-Certainement, seigneur Steshin. Avez-vous une idée de la destination ?
-Une grande ville où nous pourrons éviter d’attirer trop d’attention, haut maître.

Steshin jeta un dernier regard vers les débris flottant du navire varvarish. Il eut un pincement au cœur et il sentit comme un immense poids se retirer de ses épaules tout d’un coup. Les premières lueurs de Sonse étaient visibles et teintées le ciel d’une couleur rose pourpre au niveau de la cime des arbres. Steshin détacha son regard de cette vue et il partit d’un pas déterminé vers sa prochaine destination. Le culte de huit personnes dont un homme-bête lui emboîta le pas avec enthousiasme.

-En route pour Pavan !

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