Chapitre 20 : Pain trop cuit

25 mins

Précédemment…

Kruny et son petit frère, deux demi-elfes voyageurs, arrivèrent dans la ville de Fasner, capitale du duché du même nom. Rapidement, ils entendirent parler d’attaques nocturnes laissant les victimes sans vie mais sans qu’elles n’y perdent leurs biens. Le vol n’était donc pas le motif des meurtres.

En enquêtant sur cette drôle d’affaire, ils découvrirent qu’il s’agissait d’attaques de vampires rôdant la nuit. Ils firent alors la connaissance d’Anoush le vampire qui était responsable de plusieurs d’entre-elles. Ce dernier, ayant quelques griefs vis-à-vis de l’un de ses frères, trouva un terrain d’entente avec les demi-elfes.

Malheureusement pour eux, cela ne se passa pas exactement comme prévu et ils se retrouvèrent tous les trois à effectuer une commission pour racheter la faute du vampire. La commission prit rapidement la forme d’une créature de légende. Un véritable dragon avait failli les tuer mais il préféra s’envoler après avoir été gravement blessé.

* * *

Iad 40 de l’ère impériale, quinzième dan d’Arntayo

Les deux frères demi-elfes et le vampire Anoush déjeunaient paisiblement dans ce qui était presque la taverne la plus miteuse de toute la ville et peut-être même de tout le continent. Ils n’ont osé gouter à la bière locale qu’une seule et unique fois depuis leur arrivée et cette expérience constituait l’une des pires de ces derniers dano. Ils se contentaient d’eau désormais en espérant qu’un rat ne soit pas aller vivre ses derniers instants dans la réserve. Le pain de son côté était un peu dur sous la dent. On sentait qu’il n’était pas non plus de première fraîcheur.

Malgré tous ces défauts, la salle à manger de cette taverne n’était pas si vide, les filles de joie servant également de filles de salle ne devaient pas être étrangères à cela. De plus, cette taverne se situait à l’abri des regards indiscrets au fond d’une impasse, contre le mur d’enceinte de la ville. Cette petite caractéristique en faisait un véritable repère de malandrins en tout genre. Chefs de bande, brigands de grand chemin, contrebandiers, monte-en-l’air et receleurs s’y retrouvaient régulièrement.

-C’est de la merde pour les cochons, cette bouffe.
-Tu l’as dit, cher suceur.
-Ne m’appelle pas comme ça…

Le vampire jeta avec frustration sa cuillère dans son bol de soupe avant de taper du poing sur la table.

-J’en ai marre de cette bouffe…
-Peut-être mais faut manger quand même.
-Je me demande si rester à Fasner n’était pas préférable…
-Pourquoi t’es pas resté là-bas alors ?
-Devine Kruny ! Qui n’a pas pu s’empêcher de vouloir expérimenter des trucs sur mes frères ?
-Aucune idée mais il a dû bien s’amuser.

Kruny ne put s’empêcher de sourire en repensant à cette délicieuse nuit qui lui avait laissé d’excellents souvenirs dont certains qu’il trouvait particulièrement amusant. Sa soupe, qu’il n’avait cessé de consommer durant l’échange, n’en paru que meilleure. Son petit frère, par contre, sentit un frisson lui parcourir le dos à l’évocation de cette nuit. Il n’osa pas participer à la conversation comme à son habitude.

-Et puis, t’étais pas obligé de me suivre.
-Je…
-Alors ?
-C’est bon…

Anoush ne savait quoi répondre en dehors de la stricte vérité. À l’époque, il était déjà un paria parmi les parias durant sa vie de vampire à Fasner et il avait participé de près ou de loin à l’élimination de plusieurs de ces parias qu’il appelait ” ses frères ” . Bien que son crime lui fut pardonné, il ne sentait plus aucune attache là-bas. Pendant l’introspection du vampire, Kruny donnait quelques morceaux de pain à manger à son nouveau compagnon, un furet.

-Si tu continues à lui donner ça, il va crever.
-Il survivra, suceur. Bon j’ai fini. Petit frère, il nous reste quoi à vendre des deux paquets de l’autre fois ?
-Une épée et un sabre, honorable grand frère.
-Ca devrait nous rapporter pas mal, petit frère.
-Et après Kruny ? On fait quoi ?
-On verra. Quelque chose se présentera bien. Une excitante aventure doit bien attendre quelque part dans cette ville.

Anoush ne partageait pas l’optimisme du demi-elfe, mais alors pas du tout compte tenu de leur passif. Néanmoins, il n’avait pas mieux à proposer. Alors il le suivit sans sourciller jusque chez un armurier faisant commerce d’épées et de sabres. Le jeune demi-elfe suivit son grand frère sans discuter, d’autant plus que c’est lui qui avait la charge de porter les deux lames.

* * *

Lorsqu’ils arrivèrent tous les trois devant l’échoppe du marchand qui les intéressait, celui-ci était déjà en train de s’occuper de quelques clients. Trois pour être précis. Tout d’abord ce qui semblait être l’acheteur principal était visiblement un archer humain tout ce qu’il y a de plus banal à l’exception de la rare élégance de son habit et des nombreux couteaux de lancer qu’il portait autour des hanches. Ensuite, il y avait un nain avec une épaisse barbe descendant jusque sur son torse avec laquelle il jouait du bout du doigt. C’était probablement un guerrier au vue de sa côte de maille et de la hache qu’il portait à son flanc. Enfin, le dernier membre de ce trio était à nouveau un nain mais celui-ci était légèrement différent de l’autre. En effet, il ne portait aucune arme et sa protection se résumait à une simple tenue de cuir bouilli. De plus, il ne dégageait aucune présence avec son corps maigre.

Ces trois-là négociaient le prix de quelques couteaux de lancer avec le marchand lorsque Kruny déposa brusquement et ostensiblement les deux lames emballées dans du tissu au bout du comptoir de l’échoppe afin de se faire remarquer. Il réussit mais dans le mauvais sens, le propriétaire de la modeste échoppe lui jeta un regard ennuyé signifiant sa réprobation implicite. Il termina néanmoins sa transaction avec professionnalisme avant de s’occuper de ses nouveaux clients.

-Bien le gudan messieurs. De quoi avez-vous besoin ?

Kruny afficha de suite son sourire malicieux avant même de lui répondre quoi que ce soit.

-De votre or.
-Hum… Il y a malentendu. Je…
-J’ai des lames à vendre.
-Oh ! Pardonnez-moi. Je vous ai mal compris. Laissez-moi y jeter un œil pour que je puisse vous en donner un prix.

Le marchand s’était rasséréné une fois le petit manège de Kruny passé. Celui-ci avait d’ailleurs fini par attirer l’attention des trois précédents clients qui étaient curieux de savoir ce que pouvait bien vouloir vendre un aussi curieux énergumène. Le demi-elfe commença par présenter au commerçant le sabre de la Mona d’argent. Les gravures de la garde attirèrent immédiatement les soupçons de l’œil averti du vendeur d’armes.

-Je ne vous en donnerai rien.
-Pourquoi donc ?
-Cet ordre est respecté ici. Je ne veux pas qu’on m’accuse de receler leurs biens. J’ai une réputation à tenir ici voyez-vous. Et en plus je croyais que vous les aimiez vous les elfes.
-Je suis un demi-elfe.
-Mes excuses. On a pas vraiment l’habitude d’en voir par ici.
-Vous pourriez m’accorder une petite faveur pour vous faire pardonner cet affront, non ?

Kruny affichait son air le plus charmeur afin d’amadouer le marchand mais cela n’eu pas vraiment d’effet apparemment.

-Pas à ce point là. Cet ordre est trop apprécié ici et ma compagnie ne me pardonnerait pas d’avoir ternis son image avec ce genre de commerce.

Kruny affichait maintenant un air déçu. Il remballa tranquillement le sabre avant de le donner à nouveau à son petit frère. Il prit de ses mains l’autre lame.

-Dans ce cas, vous devriez apprécier ce que j’ai d’autre à vous vendre.

Il déballa devant les yeux médusé du marchand l’épée de l’ordre sacré de la lame ardente. Impossible de confondre les gravures représentant des démons brûlant sur la garde et le pommeau. Le commerçant la remballa précipitamment de lui-même en l’arrachant des mains du demi-elfe et sans un mot. Puis il jeta des regards anxieux des deux côtés de la rue pour s’assurer que personne n’avait rien vu.

-Mais vous êtes fou. Rangez ça tout de suite.

Kruny rendit la lame à son petit frère sans trop comprendre la réaction de l’homme en face de lui.

-Pourquoi donc ? Je crois qu’ils ne sont pas bien aimés par ici. Non ?
-Certes. Mais ils ont quand même le droit de brûler ma modeste échoppe et ma maison ainsi que moi et ma famille pour ça.
-Pour si peu ? Oh, allons…
-Disparaissez ! Ne vous approchez plus jamais de ma boutique ! Sinon j’appellerai la garde ! Oh non, si l’un de ces incendiaires est de passage en ville…

Les frères demi-elfes et le vampire partirent sans but dans une direction au hasard. Les trois autres clients leur emboitèrent le pas et les suivirent sur quelques dizaines de pas.

-Oh, on trouvera bien quelqu’un pour…
-Messieurs !

Ils se retournèrent et firent face à l’autre trio. Celui qui les avait interpellés n’était autre que l’archer humain.

-Gudan messieurs. Je pense que nous pourrions avoir… Matière à discuter.
-Elles vont vous coûter cher, mon cher.
-Comment ça ?
-Les lames.
-Ah non… Ce n’est pas de ça dont je voulais parler. Je pense que nous pourrions avoir quelques… Affinités bien particulières. Si vous voyez ce que je veux dire.
-Je pense que oui. Ça vous dit d’en discuter devant une bonne chope ?
-Pourquoi pas, ce serait idéal pour… Faire plus ample connaissance.
-Ça s’rait pas d’refus mon p’tit gars.

Le guerrier nain venait de parler d’une voix grave et bruyante en faisant rouler tous les ” r ” .

-Tu vois le buveur ? L’aventure excitante est venue à nous !

Le vampire se contenta de lever les yeux au ciel, se disant qu’il allait encore se retrouver embarqué dans une folle histoire.

-Je vois que ce nain est des plus enthousiastes. Je connais justement une taverne sympathique en ville.

Son petit frère et Anoush ne purent s’empêcher de lui jeter un regard emprunt d’étonnement.

* * *

-C’est d’la véritable pisse de rat, cette merde !

Le nain l’avait dit si fort qu’il était impossible que le tavernier ne l’ait pas entendu. Anoush regardait sa choppe comme s’il allait mourir s’il en buvait ne serait-ce qu’une goutte. Kruny et le mystérieux archer discutaient en face-à-face de tout et de rien, ils faisaient plus ample connaissance. Le jeune demi-elfe n’avait pris que de l’eau et il l’a buvait tranquillement, la sirotant en face du second nain qui attendait toujours qu’on le serve depuis belle lurette.

-Alors mon nouvel ami ? Comment est cette bière ?
-Affreuse. Mais elle a au moins la qualité d’être… Aussi particulière que vous l’êtes. D’ailleurs vous pouvez m’appeler Grish. Je suis exorciste itinérant.
-D’accord Grish, moi c’est Kruny. Simple voyageur et expérimentateur de la vie.
-Oh ! Un amateur de nouvelles expériences.
-C’est ça.

Grish se mit à frotter délicatement le bord de sa choppe comme si elle était faite d’une peau particulièrement douce et sensible.

-Intéressant. Et concernant votre longue… Épée…
-Oui ?
-À la voir, vous devez être du genre à… Apprécier le rapprochement des corps virils.
-J’aime essayer de nouvelles choses dans tous les domaines et avec de nouveaux partenaires si possible.
-C’est évident, cher ami. Est-ce que je peux vous proposer une… Bien belle et nouvelle relation ?
-J’imaginerai bien une aventure entre nous cinq par une douce et longue nuit.
-De même. C’est ce que j’avais… En tête te concernant.
-Euh… Je ne sais pas de quoi vous parlez exactement tous les deux mais moi, je ne suis pas intéressé.

Anoush intervint dans la conversation par surprise. Il l’écoutait depuis le départ d’une oreille et elle prenait une drôle de tournure selon lui. Cela ne lui plaisait pas vraiment car cela ne présageait rien de bon pour lui. Le petit frère de Kruny partageait son inquiétude.

-Ne t’inquiète pas le suceur.
-Je t’ai déjà dit…
-Il est très doué dans ce domaine, Grish. Je pense qu’il pourrait aspirer une pièce au travers d’une outre d’eau.
-Que quoi ?! Kru…
-J’imagine bien la chose avec ses… Traits si particuliers et son appétit tout aussi particulier. Il n’est pas le genre à… Aimer ce genre d’affaire.
-Je sais pas de quoi vous parlez tous les deux mais c’est sans moi.
-Dans ce cas Grish, nous sommes d’accord ?
-Tout à fait, mon très cher ami.
-D’accord sur quoi bordel ? Kruny ? Hé ho ?
-Nous allons former un seul groupe. Pendant quelques temps. Si tout le monde ne meurt pas avant.

La nervosité d’Anoush disparut en grande partie maintenant que ce mystère était éclairci. Il s’était imaginé un scénario bien pire.

-Oh ! C’est de ça… Dont vous parlez depuis tout à l’unia.
-Mais oui ! Quoi d’autre ?
-Euh… De rien Kruny, de rien…

Le vampire but immédiatement une gorgée de sa bière mais il avait oublié son goût ignoble. Du moins jusqu’à ce que l’immonde liquide n’entre en contact avec sa langue. Il faillit tout recracher par réflexe mais il tint bon, il ne voulait pas perdre la face à cet instant. Alors il but, il but et il reposa sa chope avec une désagréable envie de vomir mais l’honneur était sauf.

-Maintenant, il faut encore trouver quelqu’un pour m’acheter ces lames. Grish, connais-tu quelqu’un par ici ?
-Malheureusement, non. Mais je pense que les… Bas-fonds de cette ville sont idéaux pour ce genre de commerce.
-C’est vrai. Mais je ne sais pas à qui m’adresser par ici.
-J’imagine que l’un de ces… malandrins ici présents ferait un interlocuteur de choix.
-Si je peux me permettre les gars, j’ai peut-être ce qu’il vous faut.
-Allez-y cher… Ami nocturne.
-Euh… Et bien durant une de mes ballades après le coucher de Sonse, j’ai vu des types bizarres décharger des caisses devant une boulangerie.
-Et ?
-Et ? Des caisses pour une boulangerie, c’est suspect. La farine ça se livre en sac, non ?
-Peut-être qu’ici ils ont des coutumes différentes. Chez toi vous sucez bien le premier gars venu. C’est pas bien de juger Anoush.

La réflexion de Kruny prit légèrement au dépourvu le vampire et le vexa légèrement. Il fit une mou boudeuse en conséquence.

-Je pense que notre ami le… Rôdeur nocturne est sur une bonne piste.
-Dans ce cas-là, allons-y tous les cinq ! Je suis déjà tout excité à l’idée de rencontrer un véritable receleur.

Kruny se leva d’un bond et il prit la direction de la sortie avec les deux lames avant de se souvenir de quelque chose. Il revint sur ses pas et il attrapa son petit frère par le col.

-Allez viens, petit frère !
-Mais ! Honorable grand frère…

Il le tira par derrière ce qui le fit tomber par terre, le fessier en premier. Il le traîna sur quelques pas jusqu’à que le jeune demi-elfe parvienne à se remettre tant bien que mal sur ses deux jambes. Les quatre derniers membre du, désormais, seul et unique groupe échangèrent quelques regards avant de se lever précipitamment pour suivre le duo fraternel.

* * *

-T’aurais pu nous attendre Kruny ! T’es parti au hasard et on a failli te perdre.
-Oh… Je me suis juste laissé un peu emporter par l’excitation du moment petit être aux dents longues.
-Il a raison, honorable grand frère.
-Heureusement que tu es de mon côté, petit frère. J’avais peur d’être tout seul.
-Mais c’est qu’il est sérieux l’bougre en plus. T’as pas beaucoup d’chance, mon petit elfe.
-Tu tiens bien les lames, petit frère ?
-Heu… Oui, honorable grand frère.

Le jeune demi-elfe jeta un regard reconnaissant au guerrier nain qui avait tenté d’être un peu compatissant à sa manière. En dehors de ça, ils déambulaient tous les six dans les rues de la ville, Anoush en tête. Ils passaient des grandes rues aux ruelles et inversement, croisant par-ci par-là des badauds faisant leur vie.

-Tu nous emmènes où, grands crocs ?
-Arrête avec tes surnoms débiles demi-elfe ! Euh… C’est un peu plus loin il me semble.

Ils marchèrent encore jusqu’à s’engager tous les six dans une minuscule ruelle où une personne aurait déjà du mal à circuler seule. Ce passage zigzaguant au gré des constructions s’ouvrait sur une rue un peu plus grande, à peine plus large qu’un chariot. Celle-ci se terminait par une impasse lugubre où les bâtiments semblaient dangereusement pencher, prêt à s’effondrer sur un malheureux passant.

Anoush guida ses cinq partenaires au fond de cette impasse, juste devant l’échoppe qui s’y tenait sous quelques regards suspicieux.

-Honorable grand frère… Tous ces gens semblent hostiles.
-Oh, tu dois te faire des idées. Peut-être qu’ils n’aiment pas les étrangers. Ou qu’on les a dérangé durant leur sieste.
-En tout cas, c’est là, les gars. C’est le bon endroit.

Ils étaient tous les six devant la fameuse boulangerie. C’était sans doute la plus lugubre de tout le continent. La devanture manquait cruellement d’entretien et l’étal devant l’échoppe ne présentait que quelques rares miches de pain à moitié rassi. Pour couronner le tout, le nom de l’établissement était presque entièrement effacé de la planche sur laquelle il aurait dû être fièrement inscrit. Kruny et son nouvel ami Grish furent les premiers à y entrer, dans le moins accueillant des établissement de la ville, immédiatement suivis du reste de la troupe.

-Gudan l’ami !

Ils furent accueillis glacialement par un humain des plus austères, un véritable mur de pierre. Il était assez mince avec une taille un peu au-dessus de la moyenne, lui donnant une allure inquiétante renforcée par les quelques cicatrices qu’il portait à la fois au visage et aux avant-bras. De plus, ses bras croisés sur la poitrine n’incitaient pas vraiment à engager la conversation. Sa fine moustache peu dense lui donnait l’air d’un jeunot alors qu’il avait visiblement l’age d’un homme mûr en dehors de ce détail.

-Voyez-vous, nous sommes à la recherche de services bien particuliers pour nos lames.
-Oui, nous cherchons un… Véritable spécialiste en la matière. Un qui saurait satisfaire… De jeunes et fringants clients comme nous.

Le grand homme les toisait avec intérêt et suspicion les uns après les autres tout en affichant un regard sévère. Malgré son apparente fermeture au dialogue, sa mâchoire finit par se décrisper et une voix claire de jeune adolescent se fit entendre.

-J’suis pas bien sûr qu’vous soyez au bon endroit. Vous d’vriez aller voir au bordel. Des fois qu’ils aient une fille pour vos penchants… Bizarres. Ou un garçon peut-être…

Cette voix qui ne collait absolument pas avec la carrure du personnage étonna tout le monde et amusa intérieurement Kruny.

-Ce n’est pas vraiment de ce genre… De chose que nous parlons. Bien que cela serait sans doute… Très réjouissant.
-Vous m’faites perdre mon temps les rigolos. Alors qu’est-ce qui vous amène dans mon échoppe ?

Anoush perdit visiblement patience et il se plaça devant le comptoir en plaquant ostensiblement ses mains dessus après avoir bousculé le demi-elfe et l’archer qui s’apprêtaient tout deux à jeter davantage d’huile sur le feu. Il sentit diverses choses sous ses mains, rien de bien gigotant fort heureusement mais il aurait tout de même fallu passer un coup de serpillère avant. Il regardait le tenancier de la boulangerie droit dans les yeux avec une certaine frustration dans le regard car un certain appétit s’était éveillé. Et il n’aurait d’autre choix que de l’assouvir prochainement alors la situation ne devait pas s’éterniser.

-On est là pour vendre deux lames bien particulières. T’es intéressé ou pas ?
-Oh… Du calme gringalet, évite de t’attirer des ennuis ici. Compris ?

Anoush n’en démordait pas. Il ne comptait pas céder aussi facilement ni se laisser impressionner.

-J’ai l’air d’un armurier ? Non ? Alors dégagez !
-T’as l’air d’un gars louche qui fait des trucs louches. Et surtout pas d’un boulanger avec tes pains datant de plusieurs dano.
-P’t-être que je suis un mauvais boulanger.
-Peut-être que t’es mauvais menteur. Je vous ai vus faire vos petites affaires et on en a une à proposer.

L’expression du tenancier changea un peu. Elle devint moins suspicieuse et plus curieuse.

-Bon, très bien les blaireaux. Vous me les cassez assez pour ce dan, on va en finir au plus vite.
-Il est grand temps.

Le soi-disant boulanger se dirigea vers la porte d’entrée et il la verrouilla à l’aide d’un loquet.

-On dirait que ce… Charmant gaillard est parvenu à nous trouver un acheteur.
-J’ai un peu d’expérience en matière de cachette.
-Tant que ça ?
-Quand je l’ai trouvé, il se terrait comme un rat en suçant les restes qu’on lui jetait. Le reste du temps, il couinait comme un rat en manque.

Le demi-elfe fit une imitation caricaturale assez grossière représentant plus ou moins ce qu’il venait de décrire. Mais ceux qui n’étaient pas présent à Fasner à ce moment là ne comprirent que peu de chose.

-Kruny, si t’as des problèmes pour fermer le seau de merde qui te sert de bouche, ça peut s’arranger très vite. Dès cette nuit si tu veux.
-Je me disais bien que tu devais avoir ce genre de penchant le…

Kruny fut interrompu par le vrai faux boulanger qui invitait le groupe à prestement passer dans l’arrière boutique, ce qu’ils firent tous les six sans vraiment se poser de question. L’arrière-boutique en question n’était qu’une simple et toute petite salle de stockage où reposaient quelques caisses et tonneaux ainsi qu’un bureau et deux sièges. Pour une raison obscure, quelques grands sacs de farine trainaient également dans un coin.

Le siège derrière le bureau était occupé par un vieil homme assez âgé d’après ses cheveux gris et les rides qui parsemaient son visage. Il était occupé à inspecter un colifichet quelconque en or lorsque que la troupe, Kruny en tête, fit irruption dans la pièce sous le regard lourd et mi-ennuyé de deux brutes qui tuaient le temps comme elles le pouvaient. Une fois tout le groupe à l’intérieur, le tenancier referma la porte derrière eux et il se tenait appuyé contre elle avec les bras de nouveau croisés.

Le vieil homme leva le nez de l’objet qu’il admirait avant de réajuster une paire de lunettes lui donnant un air quelque peu ridicule au premier regard mais qui indiquait également une certaine réussite dans ses affaires au vu du prix de ce genre d’accessoire très utile lorsque l’âge vous rattrape.

-Oui ? Que me vaut cette visite ?
-Nous sommes là voyez vous…
-Attends… Grish… Je vais m’en occuper. Je suis visiblement un peu plus doué que toi pour ce genre de chose.
-Certes mon garçon, vous avez… Le talent et le mystérieux charme pour ça.

Anoush s’approcha du bureau et il s’assit dans le siège vide lorsque son interlocuteur l’y invita. Il s’appuya sur la table pour afficher une certaine confiance en lui.

-Alors que me vaut cette brusque arrivée, monsieur… ?
-Anoush. Je m’appelle Anoush. On a deux lames à vendre. Elles sont trop… Particulières pour pouvoir les vendre ailleurs.
-Particulières ? J’aime ce mot ! Qu’ont-elles de si particulier ?
-Leur très malheureux propriétaire.
-Ah ! Voyez-vous ça. Montrez-les moi. J’aimerai y jeter un œil dans ce cas.
-Hé, petit ! Rapporte les paquets !
-Allez, petit frère ! Tu as entendu le gentil monsieur ?
-Euh… Oui, honorable grand frère. Tout de suite, Anoush.

Le jeune demi-elfe se pressa pour déposer les deux lames encore emballées dans leur tissu sur le bureau, juste devant le vampire. Le vieux receleur en prit une et en retira la couverture. il avait choisi au hasard le sabre de la Mona d’argent pour commencer son expertise.

Il en retira le morceau de tissu et il regarda avec intérêt la sabre dans son fourreau. Ce dernier eut droit au regard admiratif pour la qualité et l’élégance du bois noir ayant servi à le concevoir. Ensuite, il s’attarda longuement sur la garde, la poignée et le pommeau. Son œil expert décortiqua chacune des gravures si spécifiques à l’ordre sacré de la Mona d’argent. Enfin, il libéra la lame afin d’en vérifier la qualité.

Une fois tout cela fait dans un silence absolu, il rangea le sabre dans son fourreau et le remit précautionneusement dans son emballage de tissu.

-C’est un magnifique sabre de paladin de la Mona d’argent que vous avez là. En très bon état malgré quelques marques évidentes d’usure.
-Euh… Oui.
-Je ne vous demanderai pas où vous l’avez obtenu. J’imagine que son ancien propriétaire ne viendra pas le réclamer.
-Tout à fait. Il doit dormir avec les loups en ce moment même.

Anoush s’était quelque peu trahi mais en dehors de lui, des deux demi-elfes et du paladin en question, personne ne pouvait connaître l’autre sens que pouvait avoir cette affirmation. Le véritable sens qu’elle pouvait avoir. C’est précisément ce petit élément de vérité qui donnait du crédit à sa réponse et qui convainquit son interlocuteur.

-Parfait. Je peux vous en donner trois Shalto.
-Marché conclu.
-Ravi de l’entendre.

Le vieil homme fit signe à l’une des brutes qu’elle pouvait emporter le sabre et le ranger à l’abri. Il en profita pour sortir les trois précieuses pièces d’or de sa bourse et il les donna à Anoush.

-Je connais un amateur de ce genre d’objets, un noble de la côte, qui saura en apprécier la qualité. Je me demande ce que vous pouvez m’avoir apporté d’autre.

Il défit gaiement l’étoffe de tissus de la seconde lame et il ne put réfreindre un sifflement admiratif en voyant les gravures.

-L’ordre sacré de la lame ardente cette fois. Rien que ça ! Vous savez choisir vos ennemis en tout cas. Et vous n’avez pas froid aux yeux.

Anoush le prit avec le sourire, feignant qu’il s’agissait bel et bien d’une action volontaire et pas d’un malencontreux hasard. En tout cas, le receleur expertisa dans les moindres détails cette épée comme le précédent sabre avant de la remettre de nouveau dans son tissu protecteur.

-L’épée d’un simple chevalier, c’est dommage. Elle ne vaut pas tant que ça en elle-même.

Le vampire et Kruny s’apprêtèrent à contester vigoureusement mais en voyant le vieil homme leur faire signe d’attendre, ils se ravisèrent le temps qu’il finisse son évaluation.

-Cependant, le fait qu’elle vienne de la lame la rend des plus intéressantes. Nous serions bien plus au Nord, je vous aurais jeté dehors sans ménagement mais fort heureusement, ce n’est pas le cas. L’ordre de la lame ardente n’exerce aucune influence ici.

-Et donc ? Quel sera votre prix ?
-Deux shalto et dix motao. À prendre ou à laisser.
-D’accord.

Le vieil homme indiqua une nouvelle fois à l’une des brutes qu’elle pouvait récupérer le fruit de la transaction. Le receleur tira de sa bourse les deux pièces d’or et les dix pièces d’argent avant de les remettre à son interlocuteur.

-Ravi d’avoir fait des affaires avec vous. Est-ce que ce sera tout ? Ce serait dommage de ne pas profiter de votre venue pour faire quelques dépenses.
-Je crois bien… Kruny ?
-Hum… Oui. J’aimerais savoir si vous aviez des objets spéciaux. Du genre à pouvoir s’amuser…
-Arrêtes tes sous-entendus le demi-elfe. Dit clairement ce que tu veux bordel ! Ne lui fait pas perdre son temps !

Le boulanger n’était visiblement pas d’humeur à écouter davantage de palabres.

-Hum… Je veux savoir si vous aviez des grimoires en rapport avec la magie impie.
-Oh ! C’est très… Particulier comme demande. Ce que vous cherchez est rare et dangereux.

L’échange ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Grish y fut très attentif sans que personne ne prête réellement attention à sa personne. Le vieil homme, de son côté, se pencha sur le côté pour ouvrir un tiroir duquel il sortit un petit coffret fermé à clef.

-Êtes-vous prêt à en payer le prix ?

Kruny s’approcha du bureau à son tour et Anoush se leva pour rejoindre le reste du groupe tout en laissant le champ libre au demi-elfe. Le vieil homme prit ce rapprochement comme une réponse affirmative. Il prit alors la clef qui pendait à une cordelette nouée autour de son cou et il ouvrit le mystérieux coffret. Il en sortit un grimoire avec une couverture en cuir, couverte de petits ossements. Sa simple vue inspirait un sentiment de malaise, une forme de fascination ainsi qu’une certaine crainte vis-à-vis de ce qu’il pourrait être possible de faire avec. Les yeux de Kruny trahirent une forme d’émerveillement presque enfantin face à l’ouvrage interdit.

-Il s’agit d’un tome d’attribution du démon des os. Il vient d’une très rare école de magie impie.
-Il m’a l’air bien. Combien en voulez-vous ?
-Quatorze shalto.
-C’est cher ! Même pour un grimoire impie.
-Certes mais je vous garantis qu’il n’y en a pas d’autre en ville.
-Il est hors de question de payer une telle somme ! Je préfère encore la dépenser au bordel !
-Si vous le dites. Faites donc. Mais de mon côté je vais…

Il n’en fallut pas plus pour que Grish se prépare à envoyer l’un de ses couteaux de lancer mais son bras fut stoppé par le tenancier de la boulangerie. Tous les autres participants à la scène mirent un instant pour comprendre ce qu’il se passait lorsqu’ils entendirent l’archer se débattre.

Immédiatement, Kruny tenta de retourner le bureau sur le receleur pour l’écraser en-dessous mais il était bien trop lourd pour lui et il parvint à peine à le faire chanceler. Pira, le guerrier nain, s’élança hache en main contre le vieil homme également pendant qu’Anoush préféra s’attaquer à l’une des deux brutes avec sa simple dague. Le petit frère demi-elfe, pas vraiment taillé pour le combat, préféra se jeter à l’abri derrière un tonneau.

Pira tenta de frapper sa cible avec sa hache mais il manqua d’allonge pour pouvoir l’attaquer depuis l’autre côté du bureau. Néanmoins, sa potentiel victime bascula en arrière sous l’effet de la peur. De son côté, Grish marmonna quelques sombres incantations puis il jeta l’un de ses couteaux dans une direction au hasard mais bien à la vue du gars qui le tenait par le bras. Il fut obnubilé par le couteau, son regard ne parvenait pas à s’en détacher car, au fond de lui, il le désirait subitement plus que tout. L’archer profita de cette inattention pour lui planter la pointe de l’une de ses flèches directement dans l’œil. Il frappa à plusieurs reprises pour être sûr de s’en être débarrassé.

Anoush par contre, n’étais pas dans une aussi bonne posture. Il avait poignardé à plusieurs reprises l’une des brutes, la faisant tomber au sol sous l’effet de la douleur mais il avait oublié qu’il y en avait deux, des brutes. Et la seconde allait lui asséner un bon gros coup de gourdin derrière la nuque comme il faut. Le vampire sentit un rapide déplacement d’air avant de voir ce second ennemi s’effondrer à côté de lui, le visage broyé et le corps tordu dans une position étrange comme si quelqu’un ou quelque chose avait tiré le haut vers le bas.

Pendant ce temps, Pira fit le tour du bureau sans se presser, jouant avec sa hache jusqu’à être assez près de son implorante future victime.

-Pitié ! Je ne vous ai pourtant rien fait !

Le farouche guerrier nain ne se laissa pas attendrir par si peu et il abaissa impitoyablement sa hache sur le vieillard qui tenta vainement de se protéger avec son bras. La hache frappa avec tant de force que la main et une partie de l’avant-bras tombèrent comme des fruits trop mûrs sur le torse de la victime ce qui déclencha chez elle des cris de terreur. Ensuite, l’arme s’abattit à plusieurs reprises dans le tronc du receleur, noyant peu à peu ses cris de douleur et souffrance dans son propre sang.

Une fois le silence revenu, Grish plaqua immédiatement son oreille contre la seule porte de la pièce et il écouta attentivement s’il y avait du mouvement de l’autre côté durant de longues minuto. Une fois rassuré, il fit signe aux autres qu’ils pouvaient baisser un peu leur garde et se détendre. Naturellement, ils commencèrent par fouiller les corps à la recherche de quoi que ce soit d’intéressant.

Kruny s’empara du grimoire responsable de la confrontation et il commença à le feuilleter superficiellement. Son petit frère, quant à lui, faisait la vigie dans la boutique à défaut de pouvoir faire plus avec la honte de n’avoir été d’aucun secours durant l’affrontement. Au final, la fouille des gardes n’apporta pas grand chose en dehors de quelques pièces de monnaie. C’est Pira qui fut le plus chanceux, il trouva une somme conséquente sur sa victime. Sa bourse était remplie de pièces d’or de toutes origines et principalement de la précieuse monnaie impériale. Il en profita pour prendre le beau colifichet qui était resté sur le bureau.

-R’gardez moi ça ! Plein de p’tites beautés dorées ! C’est ma tournée les gars !

Pira parvint à enthousiasmer tout le monde avec cette annonce. Jusqu’à ce qu’ils se souviennent des bières consommées plus tôt. De son côté, Anoush avait fouillé la brute agonisante qui n’avait même pas tenté de l’en empêcher, trop occupée qu’elle était à vouloir prolonger vainement sa misérable existence. L’odeur du sang chaud attisa l’appétit du vampire qui, en voyant tout ce précieux et délicieux liquide carmin s’écouler, céda à la tentation. Il planta ses crocs dans le cou du mourant et il but autant qu’il put. Il ne restait assez du liquide vital que pour seulement le sustenter quelques temps. Cela n’échappa pas à Grish qui, pour valider l’une de ses suppositions, s’approcha.

-Alors mon… Charmant ami ? Vous êtes bel et bien… Une créature de la nuit aimant vider les individus de toute vie.
-Oui, je crois… Si tu veux savoir si je suis un buveur de sang, c’est oui.
-C’est en effet… Ce que j’entendais par là.
-Ça te pose un problème ?
-Du tout. Tant… Que ce n’est pas moi que tu bois.
-C’est bon alors. Oh ! Et merci pour avoir tué l’autre brute. Prend son or, il te revient.

Anoush désigna d’un coup de menton ensanglanté le corps déformé sous les coups. Le visage de Grish afficha une sincère surprise.

-Je n’ai rien à voir là-dedans. Et il lui manque… Une bourse.

Le vampire et l’exorciste se regardèrent dans les yeux. Et ils levèrent les épaules pour dire que ça n’avait pas d’importance. Ils retournèrent à la porte de sortie une fois qu’ils eurent terminés leur affaire. Pira et Kruny les rejoignirent rapidement.

-Et maintenant mes… Charmants amis ? Que faisons nous avec tout ces… Regrettables accidents ?

Le demi-elfe referma d’un coup sec le grimoire et il afficha un sourire mi-espiègle mi-sadique.

-J’ai une idée.

* * *

-Gloire à la lame ardente ! Brûlons l’impie mes frères !

Ils se tenaient tous les six face à la boulangerie. Évidemment elle était en proie à un terrible et malencontreux incendie qui se rependait aux bâtiments proches, échoppes ou demeures, ainsi qu’aux logements au-dessus. De plus, la façade de l’établissement comportait désormais une nouvelle inscription où il était écrit ” Pour la lame ardente ” . Elle était peinte avec le sang des victimes. Le petit groupe, après avoir un minimum admiré leur œuvre, partit de là, remontant la rue tout en profitant d’un Sonse déclinant peu à peu. Kruny emportait son nouveau grimoire sous le bras sans même essayer de le couvrir correctement.

-Kruny,… Charmant ami. Votre idée était des plus… Lumineuses.
-C’est ça. Et avec ça, personne ne saura que c’est nous. Ça marche à chaque fois.
-J’ai comme un sentiment de déjà-vu.
-Moi aussi, Anoush.
-De quoi petit frère ? Tu as dit quelque chose ?
-Ne m’a… Rien, honorable grand frère.
-J’ai cru…
-Très cher ami, badigeonner la façade avec le sang… Était-ce réellement une nécessité ?
-Il est important que ce soit crédible.
-Je ne savais pas que la lame pratiquait ce genre… D’exercice.
-Oh ! Ce sont censés être des sauvages après tout. Ils marquent leur territoire avec le sang des victimes qu’ils sacrifient à leur divinité.
-Je comprend le raisonnement. Vous êtes un bien… Habile demi-elfe.

Ils arrivèrent au bout de la rue. Devant eux se présentait un croisement où ils prirent une direction au hasard. Rapidement, l’inefficacité du petit frère de Kruny arriva dans la conversation et après plusieurs échanges, il fut décidé de lui acheter un petit arc et des flèches en complément de son ridicule poignard. C’est seulement ce dernier achat fait juste avant l’unia de la fermeture des étales, que le groupe se rendit à l’auberge où les frères demi-elfes et le vampire logeaient en ce moment.

* * *

-C’est presque pire qu’cette taverne de tout à l’unia !

Ils étaient tous les six attablés, consommant avec parcimonie leur rebutant festin qu’ils avaient commandé en oubliant que cette auberge, tout comme la taverne, se situait dans un coin malfamé et miteux.

-Quelle idée Kruny ? Vous avez d’rôles d’idées concernant la nourriture. Le sang elfe retirerait-il tout sens du goût ? Ou c’est d’le mélanger avec d’l’humain qui fait ça ?
-Non, honorable Pira. Je vous rassure, c’est tout aussi mauvais pour nous. Mon honorable grand frère a simplement des goûts assez spéciaux.
-J’vois ça mon p’tit ! Alors, dans ce cas saoulons-nous jusqu’à ne plus sentir ni le goût ni l’odeur de cette pisse de chat !

Les filles de salle apportèrent à plusieurs reprises boissons et collations pour cinq personnes, inlassablement toute la soirée. Et malgré tous ces allers et venus, Kruny remarqua que quelqu’un tenta de lui subtiliser le grimoire de l’os qu’il avait posé sur la table. Il attrapa l’individu par le poignet comme s’il s’agissait d’un enfant mal élevé et… Il s’agissait bel et bien d’un enfant chapardeur.

-Alors gamin ? On veut toucher le joli livre ?
-J’veux juste r’garder les images m’sieur. Il a l’air bien vot’e livre.
-Bien ? T’as pas de chance petit. Nous on est pas des gens biens.

Kruny, comme pour donner du poids à l’affirmation d’Anoush, attrapa la chevelure de l’enfant et il plaqua son visage contre le bois de la table. Il lui lécha la joue avant de lui parler dans le creux de l’oreille tout en lui mordillant le lobe par intermittence.

-Pourquoi… T’es là… Gamin ?
-J’vous l’ai dit m’sieur ! Les… Ah !

Le demi-elfe lui mordit l’oreille jusqu’au sang. Un petit filé coula de l’oreille jusque sur des mèches de l’enfant avant de descendre comme il put jusque sur la table par petites goûtes.

-Un type ! C’est un type qui m’l’a demandé d’vous le prendre, m’sieur.
-Qui ?
-J’sais pas ! Il avait une capuche ! J’ai pas vu son visage, j’le jure !
-Tu d’vrais lui couper un doigt le demi-elfe, ça lui ôterait toute envie de mentir à ce marmot.

Kruny, satisfait de son interrogatoire, relâcha un peu son emprise et fit moins attention à son captif afin de répondre à Pira. L’enfant en profita pour se tordre comme une anguille. Il fila entre les clients sans que quiconque ne puisse lui mettre la main dessus.

-Allez reviens gamin ! C’était pour plaisanter gamin ! On va pas te couper de doigts !
-Étonnamment, ça ne le fait pas revenir Kruny.
-C’était un drôle de gamin, le buveur nocturne.
-Ouais. Et j’ai l’impression que ton dernier exploit va encore nous attirer des ennuis.
-Oh ! Y a pas de raison, on a rien fait. Bon, en attendant je vais monter étudier cet ouvrage.
-Moi je vais continuer d’oublier ce dan.
-Comme tu veux, si tu peux te contenter de sucer ça ce soir…

Le sous-entendu de Kruny avait au moins la qualité de parvenir à convaincre le vampire de boire cul sec sa bière.

-Petit frère, viens avec moi. Je vais avoir quelque chose pour toi.
-Tout de suite honorable grand frère.

Ils se levèrent tous deux de table, prirent leurs affaires et firent quelques pas en direction de l’escalier montant vers les chambres lorsque l’une des filles tapa dans l’œil du demi-elfe. C’était une jolie rousse aux yeux verts et assez svelte.

-Hé toi ! Tu finis quand ton service ?
-Au coucher de Sonse, mon oiseau.
-Dans une unia, je te veux dans ma chambre. C’est la troisième à droite.
-Bien, mon oiseau.

* * *

Après de nombreuses chopes, tout le monde était monté se reposer. Les trois derniers arrivés dans le groupe prirent les dernières chambres de l’établissement. Kruny et son petit frère partageaient la même chambre. Le premier lisait avec passion sa nouvelle acquisition pendant que le second attendait avec anxiété de savoir ce qui lui était réservé. Anoush, de son côté, avait une chambre individuelle dans laquelle il dormait comme une souche, serrant tendrement ses bocaux de sang dans son sommeil.

Grish était également victime d’un sommeil profond dû à l’ingestion d’une grande quantité d’alcool. Pira, par contre, aiguisait sa hache en chantonnant joyeusement seul dans sa chambre.

On frappa avec vigueur à la porte des demi-elfes, alors Kruny referma son ouvrage et il le posa délicatement sur son lit. Il fit signe à son petit frère d’aller ouvrir. Son furet se mit à émettre de minuscules grognements.

-La fille est enfin arrivée.
-Je pense pas, honorable grand frère. Elle ne frapperait pas si fort.
-C’est pas totalement faux… Mais elle doit avoir une sacrée poigne alors…

Kruny préféra se montrer prudent et il banda silencieusement son arc. Il tint en joue la porte. Lorsque son petit frère retira le loquet, il reçut immédiatement la porte en pleine face. Il chancela sur le côté, un peu sonné et le nez dégoulinant de sang. Son grand frère avait en face de lui six individus, six brigands. Celui à capuche dont avait parlé l’enfant s’adressa à lui avec un ton autoritaire.

-Fais pas d’histoire, demi-elfe. Donne le livre. Sinon on t’découpe.

Kruny décocha sa flèche en direction de son interlocuteur comme seule réponse. Celle-ci fendit l’air et se planta dans la porte de la chambre d’en face sans même risquer de toucher sa cible.

-Oh, c’est comme ça ? Tant mieux, j’préfère quand ils s’débattent.

Des six brigands, deux se placèrent au corps à corps face au demi-elfe isolé dans le fond de la chambre pendant que l’encapuchonné en profita pour lui subtiliser le précieux objet. Voyant qu’il ne pouvait pas lutter, Kruny décida de jouer sa carte maîtresse. Après quelques instants de concentration face à des adversaires trop sûr d’eux et trop sadiques pour le tuer sans s’amuser d’abord, il commença à changer physiquement.

Sa peau sembla disparaître pour laisser place à de la chair nue. Sa tête changea également, elle devint plus animale avec une gueule à deux mâchoires bardées de crocs acérés. Il gagna également des griffes pour les mains et les pieds. Heureusement qu’il était pieds nus.

Face à cette vision de cauchemar, les brigands détalèrent sans demander leur reste mais ils emportèrent tout de même le précieux grimoire. Alors Kruny se jeta au travers des volets de bois de sa fenêtre, le faisant atterrir presque devant l’entrée de l’auberge. Les voleurs en sortirent et, voyant le démon, ils prirent leurs jambes à leur cou dans la direction opposée. Le démon les prit évidemment en chasse, la bave aux babines.

Il leur courrait après comme un chien en chasse mais la peur leur donnait des ailes, il ne parvenait pas à réduire la distance qui les séparait, si bien qu’après avoir traversé plusieurs quartiers au clair de la Mona, ils passèrent à côté d’une patrouille de la garde urbaine. Cette dernière comprit immédiatement que quelque chose se passait et les cinq gardes encerclèrent le démon en le menaçant avec les piques de leur hallebarde. Ils n’étaient pas très certain de ce qu’ils faisaient mais leur chef appela tout de même des renforts avec une corne.

D’autres gardes affluèrent peu de temps après et Kruny ne parvenait déjà pas à se défaire de l’encerclement. Alors qu’il n’avait plus aucune chance, il fit le choix d’employer un stratagème osé. Il défit la transformation et il joua les possédés en se tortillant par terre, en bavant et en léchant tout ce qui passait à portée, gardes y compris. Il tenait également des propos incohérents et particulièrement injurieux. Ni une ni deux, la patrouille le mit aux fers et l’emmena au donjon.

* * *

Une fois qu’il eut repris ses esprits, le petit frère de Kruny alla tambouriner à la porte de la chambre d’Anoush en voyant son grand frère absent et le furet dans tous ses états. Le vampire finit par se réveiller et il ouvrit au demi-elfe en affichant le déplaisir d’avoir été réveillé comme ça. Le jeune demi-elfe était paniqué avec une belle trace de sang allant du nez au menton.

-Il a disparu ! Anoush, Il a disparu !
-Quoi ?
-Mon honorable grand frère !
-Oh non… Pas encore ces conneries…

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx