Le secteur de la tech est une pouponnière pour adulescents. Ou pour adultes attardés selon le point de vue.
C’est une assertion qui peut paraître particulièrement dure de prime abord, puisqu’elle sous-entend que ceux qui constituent l’élite technique de notre pays n’ont pas spécialement plus d’esprit que des enfants à qui l’on ne confierait que très difficilement une carte de transport, alors qu’on leur confie aisément la sécurité nationale, par exemple. Nos chers cadres de la tech n’iront jamais défendre la patrie en première ligne, évidemment. Je parle ici de postes en développement dans des entreprises comme Thales, Dassault Aviation ou MBDA, qui demandent de nombreux informaticiens pour développer de nouvelles armes ou améliorer celles existantes..
Pour comprendre de quoi je parle, il faut savoir de qui on parle. Quel est le profil type du cadre de la tech ? Je parle de cadre dans la mesure où c’est le statut très largement majoritaire dans ce secteur. Bien entendu, je ne vais pas me contenter d’écorner l’image de ceux issus d’un parcours technique, mais aussi de tout ce qui touche à la gestion du personnel et au commerce.
Le cadre de la tech, diplômé au minimum d’un Bac +5 ou équivalent (hors cas particuliers), est le plus généralement quelqu’un issu d’une famille relativement aisée ou, au minimum, modeste même selon les standards d’il y a 10 ans. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas issus de la partie la plus pauvre de la population. Cependant, ils sont extrêmement minoritaires et sous-représentés, avec seulement 11% des enfants d’ouvriers obtenant au minimum un Bac +5 ou équivalent. Les enfants d’ouvriers ne représentent déjà que 33% des jeunes de 25 à 29 ans ayant un diplôme du supérieur, contre 39% pour les enfants des autres milieux, qui représentent le reste des jeunes (voir 1. en fin de document pour les données du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche).
Cela signifie donc que seulement un tiers des enfants d’ouvriers peuvent espérer obtenir un diplôme qui leur autorise l’espoir de grimper d’un ou deux échelons sur l’échelle sociale, voire même de changer de classe sociale. En revanche, plus de la moitié des autres enfants auront le diplôme pour se maintenir dans leur classe sociale, car l’élévation sur l’échelle sociale n’est plus possible avec le diplôme seul à ce niveau.
Cela signifie que pour 80% des étudiants (voir 2. en fin de document) qui arrivent sur le marché du travail au terme de cinq années d’études supérieures, l’expérience de la vie est pratiquement nulle en dehors d’un ou deux stages obligatoires. Ils n’ont pas eu à travailler pour payer leurs études, ni à se confronter à la cruelle réalité de la pauvreté qui touche les 20% restants d’étudiants de même niveau. On peut même affirmer que ces 80% commencent leur vie professionnelle avec un bon statut et une rémunération plus que convenable pour vivre uniquement grâce à papa-maman et non grâce à la force de leurs bras, contrairement à leurs futurs confrères des 20% restants.
Ce que cela change entre ces deux groupes est pratiquement tout. Quelqu’un qui a dû travailler dur pour obtenir son diplôme aura nécessairement un point de vue très différent d’un oisif de 23 ans environ, que ce soit sur la façon dont il est juste de se faire traiter au travail, sur le travail à rendre ou même sur des choses plus basiques comme le prix des courses. Pour revenir à un sujet de récent désaccord dans ce genre de milieu auquel j’ai récemment assisté.
La conséquence principale que l’on peut observer au sein de notre population de cadres de la tech est tout d’abord un manque de profondeur intellectuelle absolument abyssal et un manque de colonne vertébrale digne des plus belles limaces. Il ne faut évidemment pas confondre capacité intellectuelle et bagage universitaire dans le sens où depuis bien longtemps il y a une totale décorrélattion entre le diplôme obtenu et la capacité de raisonnement ainsi que l’esprit critique. Il suffit de discuter quelques minutes avec un représentant de ce secteur pour se rendre compte que l’essentiel de sa culture ainsi que ses connaissances générales reposent sur Youtube et BFM TV. Il y a des choses intéressantes sur Youtube, je ne dis pas le contraire, je dis que c’est proprement insuffisant même couplé à une poubelle sans fond de logorrhée.
Ce manque de savoir en fait des parfaits pantins, ou golems pour employer un terme plus contemporain, servant à garnir l’armée de consommateurs avalant n’importe quelle mensonge ou instruction quand bien même cela irait à l’encontre de leur propre survie. C’est ainsi qu’un cognitariat décérébré, sans colonne vertébrale, s’est développé, prêt à assumer toutes les dérives les plus problématiques d’un secteur en perte totale de repères, qui est pourtant l’épine dorsale d’un système bien plus large qui finira par les broyer lorsqu’il n’aura plus besoin d’eux.
Prenons des exemples récents auxquels j’ai pu être confronté :
- J’espère que tout le monde ici a pris conscience de l’inflation importante de l’année écoulée (2022). Bon, l’idée n’est pas de débattre du pourcentage exact de celle-ci, bien qu’au cours d’une conversation avec un commercial, j’ai évoqué l’hypothèse d’une inflation alimentaire de 50 à 60 % environ, en me basant sur mes propres courses (voir point 3 en fin de document). Donc, avec des éléments à l’appui, je défends mon hypothèse. Mon interlocuteur m’a regardé comme si je parlais de reptiliens et a presque employé un complo-sophisme tant il n’arrivait pas à y croire. Il n’avait pas remarqué que ses courses lui coûtaient de plus en plus cher, peut-être pas de 50 à 60 %, certes, mais cela a tout de même fortement augmenté. D’un autre côté, étant un consommateur assidu de produits bien plus onéreux, je me dis qu’il est normal qu’il n’ait rien remarqué.
- Conversation un peu plus récente sur les retraites cette fois avec un responsable des nouvelles technologies (CTO pour les anglophiles). Il n’échappera à personne que notre cher pays connaît certains troubles, comme une grève générale en raison d’une certaine contre-réforme des retraites. Il se trouve que pendant que des millions de personnes défilent dans les rues pour lutter contre celle-ci et la retraite par capitalisation qui suivra immanquablement, ce cher responsable me tenait un discours sur ses trimestres qu’il rattrapait pour s’assurer une retraite convenable, persuadé qu’il aurait accès à la retraite par répartition et, pire, que ce qu’il touchera sera consistant vis-à-vis des règles actuelles de calcul de la retraite. On voit là la déconnexion habituelle des 20 % de Français qui gagnent le plus en termes de salaire (voir 4. en fin de document), persuadés de ne jamais être touchés par les malheurs du bas peuple.
Ces deux exemples illustrent l’absence de réflexion et la déconnexion d’une toute nouvelle classe de travailleurs qui pensent être les grands gagnants d’un monde qui les hait. Ce sentiment de victoire, couplé à leur inculture, en fait naturellement des individus corvéables à merci, prêts à travailler gratuitement sans même un remerciement en échange, tout en en tirant une certaine fierté. Pour ceux qui ne connaissent pas l’un des rares avantages du statut de cadre, les cadres ont la liberté de gérer leur temps de travail comme ils le souhaitent, c’est-à-dire qu’ils choisissent leur heure d’arrivée et de départ ainsi que les horaires de leurs pauses. En contrepartie, les heures supplémentaires ne sont pas comptabilisées et donc ne sont pas payées. Bien que très pratique au quotidien, cet avantage a tendance à se transformer en véritable poison car un cadre est généralement poussé à faire des heures supplémentaires non rémunérées par sa hiérarchie. Et il accepte car c’est la culture d’entreprise, ou parce qu’il ne veut pas être mal vu par ceux qui décideront de son avenir au sein de cette entreprise, et aussi parce qu’il n’a pas envie de mettre quelqu’un en porte-à-faux et d’en subir les conséquences.
En plus de l’aspect problématique mentionné plus tôt, les entreprises ont tendance à offrir des avantages aux cadres pour maintenir leur bien-être. Chez Renault, par exemple, il existe des pièces dédiées à la sieste, des cartes de tickets restaurant, une certaine tolérance quant aux horaires de travail, des frigos remplis de nourriture et de sodas, etc. Bien que ces avantages soient très appréciables, ils ont tendance à donner aux cadres l’impression que l’entreprise ne cherche qu’à prendre soin d’eux, à les materner, alors que, dans la réalité, cette même entreprise en profitera pour les faire culpabiliser de ne pas se donner corps et âme à leur travail et augmentera ses exigences envers eux jusqu’à les exploiter pour achever les tâches qui leur ont été attribuées avant le lundi suivant, par exemple. Le CTO dont j’ai parlé plus tôt est habitué à faire des heures supplémentaires, y compris le week-end, bien au-delà de ses 39 heures hebdomadaires, qui constituent déjà le maximum légal, sans même devoir en informer l’inspection du travail. Cette façon de faire rappelle beaucoup l’approche de la “stakeholder management approach ” prônée par le World Economic Forum de Klaus Schwab, dans la mesure où cette approche prend également en compte le bien-être des employés.
D’une certaine manière, on peut affirmer sans trop s’avancer que le secteur de la tech traite ses cadres comme des enfants, non pas comme un parent qui souhaite les voir grandir et mûrir, mais plutôt comme un surveillant d’école qui leur trouve des tâches inutiles du point de vue de la société, les fameux “bullshit jobs” (voir 5. en fin de document), afin de les maintenir occupés dans une bulle cognitive totalement séparée du monde réel, tout en leur offrant des friandises de temps à autre pour éviter tout rejet de cette boucle dénuée de sens. De cette manière, les cadres de la tech ne grandissent jamais et, malgré leur bagage “intellectuel”, restent ignorants des problématiques du monde réel, tels des enfants qu’ils sont et resteront jusqu’à leur mort.
La question à présent est, comment y remédier ?
- https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/T448/le_niveau_d_etudes_selon_le_milieu_social/
- Nous allons admettre pour le bien de la démonstration que la répartition d’étudiants par classe sociale d’origine est la même peu importe le parcours choisis à défaut d’avoir trouver des statistiques fiables sur le sujet.
- Chose exceptionnelle, voyant mon pouvoir d’achat diminuer semaine après semaine, j’ai conservé photos de mes cadis et tickets de caisse pour pouvoir montrer cet état de fais. Malgré les rationnements et substitutions, au 1er Janvier 2023 j’avais une inflation de 43 % environ par rapport au 1er Janvier 2022.
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/6799523#:~:text=Insee%20Premi%C3%A8re%20%C2%B7%20F%C3%A9vrier%202023%20%C2%B7%20n,affect%C3%A9es%20par%20la%20crise%20sanitaire&text=En%202021%2C%20un%20salari%C3%A9%20du,%C3%A9quivalent%20temps%20plein%20(EQTP).
- Bullshit jobs, David Graeber, 2018