Chapitre 32 : Longue nash

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Les dragons sont des créatures considérées par la plupart des gens comme étant mythiques. Néanmoins, l’existence des ces créatures a pu être attestée par de nombreuses personnes issues des quatre coins de l’empire. Celles-ci ont aperçu une ou plusieurs créatures que l’on pourrait qualifier de dragon lors des affrontements avec la Horde ork peu avant la fondation de l’empire. Le dernier dragon aperçu aurait été employé comme bête de guerre par les orques.
-Extrait du Bestiaire mythique de l’empire et au-delà

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, deuxième dan de Rusiv

La nash était déjà bien avancée lorsque la troupe s’était terrée au fond du bois mais la montée d’adrénaline due à l’évasion empêchait encore tout le monde de dormir. En dehors de ceux dont c’était le tour de monter la garde, seul Krat n’était pas allongé sur une paillasse. Il préférait que Rualn vienne le prendre par surprise tandis qu’il descendait une bouteille qu’il avait manifestement ” empruntée ” de façon définitive. Peut-être même que son propriétaire n’aurait jamais l’occasion d’en regretter la perte.

Rualn ne vient pas… J’ai beau essayé de penser à autre chose, rien ne vient…

Steshin entendit le haut maître remuer à côté de lui. Il était également incapable de s’attirer les faveurs de la divine du sommeil.

Autant se faire la conversation, ça nous occupera en attendant…

-Haut maître, dormez-vous ?
-Non, seigneur Steshin. Jamais lorsque vous désirez quelque chose.

Son excès de zèle m’étonnera toujours.

Le sourire en coin sur le visage du démon n’était pas visible dans la pénombre de la nash mais il était bien là.

-Que désirez-vous, seigneur Steshin ?
-Rualn semble vouloir se faire désirer cette nash, haut maître.
-Aucun adepte ne parvient à dormir, seigneur Steshin.
-Comme nous avons un peu de temps devant nous, je veux que tu me racontes ce que vous avez fait depuis notre dernière séparation, haut maître. Qui sait ? Peut-être que cela décidera Rualn à venir.
-Comme vous le désirez, seigneur Steshin. Et bien…

Toldaka Avosy, le haut maître, entama le récit des derniers dano à voix basse…

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, vingt-cinquième dan de Mely

-Adepte Loly, tous les autres adeptes sont-ils prêts à servir le seigneur Steshin cette nash ?
-Oui, haut maître ! Ils sont tous éveillés.
-Bien. Mettons-nous en route dans ce cas.

Le culte de la rage composé de seize adeptes quitta l’auberge ” Zao shurmu tancedi ” de l’oncle Vanya qu’il occupait depuis quelques dano maintenant. Il se dirigea vers la partie Sud de Piefna. La troupe de cultistes ressemblait davantage à une bande de miséreux en maraude qu’à un culte religieux mais ce n’était pas non plus une image bien éloignée de la réalité. Les cultistes, guidés par leur haut maître, se déplacèrent dans la ville en une longue file au travers d’étroites ruelles. Ils arrivèrent très rapidement au bord de la Shpebsisu, la rivière coupant la ville en deux, et la tête de file tenta d’observer discrètement les environs afin de trouver un moyen de traverser.

-Les scieries sont de l’autre côté… Adepte Arkel ?
-Oui, haut maître ?
-Voyez-vous quelqu’un en direction de ces torches là-bas ?

Il lui désigna du doigt quatre lumières orangées et floues dans la brume de la nash.

-Je ne vois rien d’ici, haut maître.
-Fichtre… Adeptes Xirezo et Makuo, rapprochez-vous de ces feux. Ils doivent indiquer un pont.
-À vos ordres, haut maître.
-Bien, haut maître.
-Et, avant tout adeptes, ne vous faites pas voir. Le seigneur Steshin attend de nous une discrétion totale.

Les deux adeptes se contentèrent de hocher la tête pour signifier qu’ils avaient compris. Ils quittèrent leur cachette et ils avancèrent à pas de loup, les oreilles aux aguets en direction des lumières. L’adepte Xirezo était clairement un malandrin par le passé puisqu’il savait avancer en gardant la silhouette la plus petite possible. L’adepte Makuo, par contre, n’était qu’un simple garçon des rues avant de partir à l’aventure avec cette troupe pour le moins étrange. Toldaka les perdit presque de vue avant qu’ils ne reviennent faire leur rapport.

-Alors, adeptes ?
-Deux elfes en faction, j’dirais. P’t-être plus sur l’aut’e berge.
-Sinon, c’tait plutôt calme, haut maître.
-C’est fâcheux… Vous vous en êtes bien sortis, adeptes.
-Haut maître, il y aussi une barque de pêcheur sur la berge.
-Tu penses que nous pourrions nous en servir pour traverser, adepte Xirezo ?
-On peut toujours y jeter un coup d’œil, haut maître.
-C’est une bonne idée, adepte Xirezo. Allez-y tous les deux.

Les deux cultistes opinèrent du chef et descendirent le long de la berge, faisant attention à ne pas se prendre les pieds dans un filet de pêche ou à s’accrocher dans des hameçons qui traineraient par là. Ils atteignirent la barque sans difficulté particulière et ils vérifièrent si l’embarcation était praticable ou non. Une fois les vérifications d’usage faites, ils entreprirent de la mettre à l’eau le plus doucement possible, ne laissant s’échapper qu’un ” plop ” rappelant une pierre tombant dans l’eau. L’adepte Makuo remonta la berge de quelques pas afin de faire signe à Toldaka de venir. Pendant ce temps, l’adepte Xirezo installait les rames pour un départ immédiat. Le haut maître descendit sur la berge, accompagné du reste du culte.

-Les nouvelles doivent être bonnes, adepte Xirezo.
-Oui, haut maître. Nous pourrons traverser avec cette embarcation mais…
-Mais ?
-Avec le rameur, deux adeptes pourront traverser en même temps, haut maître. Quatre en se serrant un peu.
-Mais en risquant de chavirer, c’est ça, adepte Xirezo ?
-C’est ça, haut maître.
-Hum… Ne prenons pas le risque de donner l’alerte et prenons le temps de traverser dans ce cas.
-Bien, haut maître.

Le culte traversa alors la rivière deux adeptes par deux adeptes sans éveiller le moindre soupçon et parvint ainsi à atteindre les scieries conformément au plan mais en accusant un retard certain.

-Le seigneur Steshin doit nous attendre à l’unia qu’il est, adeptes.

Tous les adeptes étaient rassemblés autour du haut maître en position accroupie, attendant la fin des instructions de dernière minute.

-Le courant est fort cette nash alors pour faire un maximum de trouble, nous allons lancer tout le bois que nous trouverons à l’eau et en même temps, adeptes.

Ils acquiescèrent tous et entamèrent leur murmure incantatoire, pensant qu’ils avaient l’ensemble des informations mais ce ne fut pas le cas. Toldaka leur fit alors signe de se calmer quelques instants.

-Rassemblez tout le bois sur la berge dans un premier temps, adeptes. N’oubliez pas les enseignements du seigneur Steshin. Canalisez votre rage pour accomplir cette tâche, ne la déchaînez pas immédiatement. Nous ne devons pas être découverts.

Cette fois-ci, les cultistes purent mener leur incantation à terme mais contrairement à leurs tentatives précédentes, ils semblaient plus à même de se contrôler tout en ayant l’air moins vif que précédemment. Néanmoins, cela leur suffit pour acheminer l’intégralité du stock de bois des scieries sur la berge en un temps record. C’est seulement une fois cette première étape de réalisée que les cultistes laissèrent exploser leur fureur afin de faire passer planches et rondins à l’eau si rapidement qu’ils formèrent rapidement un amas de matière sylvestre charrié rapidement par la Shpebsisu. C’est une fois tout le bois à l’eau que l’effet de leurs incantations cessa.

-Adeptes, il est temps d’y aller. L’unia n’est plus à la subtilité alors remplissez-moi cette barque autant que possible.

Avant même que qui que ce soit ne puisse lui répondre, un grand craquement se fit entendre qui laissa tout le culte sans un mot. Le silence ne fut rompu qu’après un instant par l’un des adeptes.

-Haut maître, j’crois que c’est l’une des roues à aubes qui a été arrachée par le bois.
-Dépêchons-nous alors, adeptes !

Le culte s’empressa alors de traverser la rivière cinq par cinq au risque que la barque chavire d’autant plus que le rameur fit chaque traversée sous l’effet de sa rage pour accélérer les choses. Tandis que le haut maître fit la traversée, il entendit un plus grand craquement suivi de hurlements et du son de quelque chose qui s’effondre dans l’eau. Une fois l’intégralité du culte sur l’autre rive, il s’enfuit comme il était arrivé en traversant les ruelles sombres jusqu’à retourner à l’auberge ” Zao shurmu tancedi “.

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, deuxième dan de Rusiv

-…Et nous avons appris le dan suivant qu’une roue à aubes s’était faite arracher et qu’elle avait emporté le pont que nous voulions traverser au départ, seigneur Steshin.
-Vous avez été remarquable, haut maître.
-Merci, seigneur Steshin.
-Je suis très satisfait que vous ayez suivi mes enseignements, haut maître.
-Nous faisons de notre mieux, seigneur Steshin. Vous êtes notre guide vers un avenir meilleur, après tout.
-C’est bien, haut maître.

C’est vrai qu’il y a leur histoire de monde où l’on mange du papillon et du cerf.

Steshin trouvait toujours cet idéal saugrenu et cela le faisait sourire tout en se disant que cet objectif en valait bien un autre au fond.

Ces cultistes n’en mènent pas large mais ils se sont bien améliorés depuis que je les ai trouvé dans cette vieille bâtisse. Ils en ont fait du chemin… Enfin, ceux qui ont survécu depuis cette époque.

-Et ensuite, haut maître ? Qu’avez-vous fait ?
-Une fois de retour à l’auberge…

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, vingt-sixième dan de Mely

Le culte passa le reste de la nash et le début du dan jusqu’au déjeuner à dormir en maintenant des tours de garde pour ne pas se faire surprendre bien qu’il soit particulièrement improbable que l’on vienne les chercher pour le moment. Si le plan s’est réalisé sans accroc majeur tout du moins. L’adepte Nashus qui observait les allers et venues dans l’auberge depuis l’une des fenêtres de ladite auberge, demanda à l’adepte Esto de prévenir le haut maître du retour du groupe ayant tenté une infiltration du manoir du baron Xrazodoxivu. En apprenant la nouvelle, le haut maître quitta en trombe sa chambre pour aller à la rencontre du seigneur Steshin revenant triomphalement. Il dévala l’escalier deux à deux avant de se retrouver face au groupe de survivants et son étonnement fut grand.

-Où est le seigneur Steshin ? Que s’est-il passé ?
-Les choses ont mal tourné, haut maître Avosy.
-Je le vois bien, Timy. Cela ne répond pas à ma question.
-Il y avait le paladin et le monstre puis le manoir est tombé et…
-Plus lentement, Timy. Je saisis à peine de quoi tu me parles.

Le jeune elfe se tut en attendant la question d’un Toldaka qui avait retrouvé son calme habituel, comprenant que c’était là le seul moyen d’obtenir l’information qui l’intéressait.

-Reprends depuis le début Timy, et raconte-moi tout à un rythme que je peux suivre.
-Bien, haut maître Avosy. Nous avons tenté…

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, vingt-cinquième dan de Mely

Steshin et Solek, l’un des deux brigands recrutés quelques dano plus tôt, descendirent l’escalier en direction des cuisines tandis que Timy, Kenta, l’autre brigand, et Kin Aurum, l’érudit pourchassé, restèrent au sommet des marches, entre deux portes. L’érudit plaça l’oreille contre la porte au travers de laquelle il pouvait entendre une conversation étouffée. Timy s’adressa alors à lui, à voix basse.

-Qu’allons-nous faire, messire Kin ?
-Pour le moment, je vais en profiter pour savoir quelle raison motive ce triste sir dans sa chasse sans fin à mon encontre.
-C’est pas un voleur de grand chemin ou que’que chose comme ça ?
-C’est en effet un brigand de grand chemin à n’en point douter. Vil et cruel comme tous ceux de son espèce par ailleurs…

Kenta émit un raclement de gorge lourd de sens au vu de son passé récent au cœur des bois du royaume de Forishny.

-…Mais cela n’explique pas pour autant sa fascination pour ma personne que l’on pourrait presque considérer comme étant une sorte de désir charnel macabre. Peut-être une forme de puissante pulsion nécrophile associé à un régime alimentaire cannibale.
-Et qu’entendez-vous présentement, messire Kin ?
-À présent, il demande de l’aide pour continuer de mener à bien ses petits braconnages.
-Il demande l’aide de qui ? Du baron ?
-Je ne sais pas vraiment. Il ne fait pas preuve de l’obséquieuse politesse protocolaire des elfes à son encontre. Il s’agit plus probablement de quelqu’un de moins haut sur l’échelle du pouvoir avec qui il peut parler d’égal à égal. Un roturier par exemple.
-Sur quelle échelle ? Bon, c’est sans intérêt. Si on doit les empêcher de prendre les deux autres par derrière, autant les attendre dans les cuisines, non ?

L’ancien brigand n’eut aucune réponse, l’érudit étant bien trop absorbé par la conversation qu’il espionnait ainsi que ses propres réflexions.

-Il est en train de lui parler de sa passion pour les chèvres. De ce qu’il déclame, cette passion n’est pas que purement métaphorique ou issue d’un désir d’agrandir son savoir mais plutôt pour satisfaire ses plus bas instincts. De la perversité à l’état pur.
-Méta quoi ? Attend, il fourre des chèvres quand il en croise une ?
-C’est à peu près ça, Kenta.
-N’est-ce pas une sorte de rituel de passage à l’âge adulte au sein de groupes de brigands dans certaines régions reculées du royaume elfe de Forishny ?
-Euh… Non, pas qu’je sache. J’ai jamais fait ça. J’ai jamais fourré une chèvre, moi.
-Évidemment, mon cher Kenta. Vous ne faites pas partie de ce genre de déviants à la morale plus que douteuse.
-Que faisons-nous, messire Kin ?
-C’est vrai ça. Nous n’allons pas poser notre cul ici toute la nash.
-Autant en profiter pour nous débarrasser de ce sinistre personnage ainsi il ne risquera plus de venir perturber notre si paisible traversée des forêts verdoyantes du royaume elfe de Forishny.
-Ah ! De l’action. Ça me plait déjà plus que de rester ici à rien faire. On se lance comment ?

Kin Aurum laissa un lourd silence s’installer tandis qu’il réfléchissait à toute vitesse à un plan d’action en passant en revue l’intégralité des possibilités, même les plus improbables.

-Ils sont deux. Je vais m’élancer sur ce coupe-jarret et toi, mon cher Kenta, tu vas t’occuper de l’autre elfe. Il ne devrait pas poser de problème pour toi.
-Ça me va.
-Et moi, messire Kin ?
-Et bien… Tu n’as qu’à nous soutenir avec ta dague ou ton arc, mon petit Timy. C’est comme tu préfères.
-Bien, messire Kin.
-Vu le gars qu’on va devoir affronter, vaut mieux quelque chose de plus grand qu’une dague si tu veux mon avis, Kin.
-C’est pour ça que je porte le jubadanki que j’ai récupéré lors de mon affrontement précédent avec ce sauvage.
-Je me contenterai de mon juba de mon côté.

Le trio se contenta de quelques échanges de regards pour s’assurer que chacun était prêt à passer à l’action avant que l’érudit n’ouvre violemment la porte et qu’il ne se jette dans la pièce nouvellement découverte, suivi de l’ancien brigand et du jeune elfe.

Il s’agissait d’une petite pièce compte tenu de la taille du manoir bien qu’elle soit plus vaste qu’une grande masure de paysan. Celle-ci comportait deux élégants fauteuils face à une cheminée où crépitait doucement un feu. Naturellement, divers éléments de décoration ornementaient la pièce ainsi que plusieurs plantes en pot. Bien entendu, il ne fallait pas oublier la grande porte vitrée qui donnait sur un balcon et la sombre nash.

Le trio d’intrus courut évidemment vers les deux fauteuils, armes en main. Malheureusement pour eux, l’effet de surprise fut de courte durée puisque le soi-disant brigand de grand chemin, le paladin de la Mona d’argent, s’était jeté avec une rare vivacité d’esprit sur un juba qui ornementait la cheminée. Les trois intrus avaient à peine fait quelques pas dans la pièce que leur principal ennemi était déjà prêt à croiser le fer.

-Am’nez-vous, les…

Tandis que l’autre elfe se levait à peine de son siège, Kin était déjà au contact du paladin bien que c’était en maniant quelque peu maladroitement son arme.

-…Kin Aurum ! Tu t’es jeté dans la gueule du loup, immonde pourceau !
-C’est cela, oui. C’est ton dernier dan, le coupe-jarret !

Kenta tenta de frapper l’autre elfe avec son arme mais il le manqua de peu, celui-ci ayant réussi à se reculer avant de sortir sa dague de son fourreau.

-Je ne suis pas certain que vous sachiez à qui vous avez affaire, bande de traîne savates. Je suis le baron Xrazodoxivu de Piefna ! Je vous ferai tous écarteler, bande de cul-terreux !

Timy, de son côté, ne savait trop quoi faire sans risquer de gêner l’un de ses compagnons et il restait donc en retrait. L’affrontement entre Kenta et le baron Xrazodoxivu n’était pas bien palpitant à l’exception des parades du baron avec sa dague qui se contentait non pas de bloquer le coup de la lame mais de la dévier.

-Tu as bien de la chance, petit merdeux, que je n’ai point mon juba. Je t’en ferai tâter en tant qu’escrimeur de haut vol !
-C’est ça ! Sa seigneurie est trop bonne !

Le duel entre le paladin et l’érudit était bien plus féroce pour sa part. Le paladin donnait des coups mu par une rage sans limite, sa lame fendait l’air avec un léger bruissement couvert par des hurlements. L’érudit, pour sa part, n’était pas assez adroit avec sa trop grande arme dans un espace trop restreint pour faire preuve de finesse avec mais il parvenait tout de même à repousser les assauts de son adversaire tout en arborant un sourire narquois sur les lèvres. Cela avait le don de courroucer davantage l’elfe.

Du côté de Kenta, ce dernier dominait aisément l’affrontement grâce à l’allonge de son arme mais c’était sans compter sur l’aptitude du baron qui ne se laissait clairement pas faire. C’est alors que le brigand attrapa d’une main une rondache sur un présentoir et il s’en servit pour frapper le baron au visage avec et il le repoussa contre le bras d’un fauteuil d’un coup de pied dans l’abdomen. Kin, par contre, était parvenu à profondément entailler la main droite du paladin sans que cela n’eut d’autre conséquence que de répandre du sang par terre. La colère l’anesthésiait, seule la rage s’écoulait dans ses veines. Tout du moins, c’est ce qu’il pensait.

Tandis que Kenta finissait de prendre en main correctement la rondache avant de tenter d’assassiner le baron Xrazodoxivu, l’autre porte de la pièce s’ouvrit avec fracas. Trois elfes en armure entrèrent en trombe, armes en main et, manifestement, l’un des trois n’était pas un simple garde. Celui-ci se lança immédiatement à la défense de son seigneur et porta un puissant coup de juba à l’encontre du brigand. Kenta tenta de se protéger avec sa rondache mais le coup fut si fort qu’il dut lâcher sa protection pour ne pas finir avec une épaule déboitée. Il se dit sur l’instant qu’il était sacrément fort pour un elfe.

-Kin ! Ça tourne mal ton histoire !
-Il est temps de filer ! Kenta, reculez !

Timy qui sentait son moment arriver, couvrait la retraite avec son arc mais son efficacité était plus que discutable. Le brigand fit deux pas rapides en arrière, échappant ainsi aux coups du puissant elfe tout en gênant l’érudit dans sa propre retraite. Celui-ci fut surpris de rencontrer un obstacle en reculant et cela suffit pour permettre au paladin de lui porter un premier coup au flanc. La douleur fut comme un électrochoc et il sentit son sang chaud s’écouler en dehors de lui. Dans la précipitation, ses deux compagnons n’avaient pas remarqué qu’il avait été blessé et il étaient déjà au sommet de l’escalier qui les avait conduit ici. Le jeune elfe n’entendit que vaguement un cri de douleur aiguë tandis qu’il descendait les marches quatre à quatre en direction des cuisines.

Un instant plus tard, il trébucha alors que la demeure tremblait comme si quelque chose d’énorme l’avait frappée. Il se relevait avec peine tout comme Kenta lorsque qu’un cri monstrueux se fit entendre. Les deux intrus se regardèrent droit dans les yeux et en l’espace d’un instant, ils décidèrent tacitement que la meilleure chose à faire était de fuir. Ils coururent vers la porte donnant sur les jardins et ils les traversèrent sans se soucier d’être vus ou entendus, pensant qu’une bête bien plus terrible était présente et accaparait l’attention des gardes.

Ils n’étaient pas les seuls à l’entendre hurler et encore moins à la fuir. Les rares gardes encore présent prenaient leurs jambes à leur cou tout comme les domestiques en chemise de nash réveillés en sursaut. Entre chaque hurlement, on entendait le manoir être un peu plus dévasté et des débris s’écraser. C’est seulement en arrivant au dernier corps de garde qu’ils avaient traversé qu’ils se laissèrent presque aller à un sentiment de sécurité et ils s’autorisèrent à regarder la créature. Ils virent une immense bête aux écailles dorées luisant à la lumière de la Mona et possédant d’immenses ailes de la même couleur. Elle était déchainée et elle s’en prenait sans ménagement à la demeure du baron.

Les deux compagnons sentirent leur sang se glacer lorsqu’ils la virent partir à toute vitesse dans leur direction. Cette vision terrifiante les tétanisa et ils ne parvinrent qu’à voir leur fin arriver. Peut-être était-ce Formosha qui leur faisait une faveur ou peut-être qu’ils étaient de faible intérêt mais la créature les ignora et passa par-dessus les fortifications, poursuivant son œuvre destructrice dans une autre partie de la ville en laissant une piste sanglante derrière elle. Les deux intrus n’osèrent prononcer un mot de peur d’attirer le monstre vers eux. Ils se contentèrent d’ouvrir l’œil et tendre les oreilles le temps de s’assurer qu’elle était trop loin pour revenir les dévorer.

-On a eu une sacrée veine, petit.
-Et nous ferions bien de ne pas la gâcher.
-Oui, tirons-nous de là.

Ils se faufilèrent dans les ruelles sombres cherchant à échapper aussi bien à la garde, si tant est qu’elle en avait quoi que ce soit à faire d’eux, qu’à la créature dorée qu’ils entendaient rugir au loin. Ils s’inquiétaient de la voir surgir à tout instant puisque celle-ci semblait frapper les structures au hasard dans une sorte de rage incontrôlée. Sur leur route vers la douce mais relative sécurité de l’auberge de l’oncle Vanya, ils croisèrent plus d’une fois la trace ensanglantée qu’elle laissait derrière elle si bien qu’ils ne se sentaient jamais réellement à l’abri malgré la pénombre.

Ils traversèrent à toute vitesse une ruelle donnant sur une place et en en sortant, Kenta fut le plus rapide à réagir. Il attrapa Timy par derrière et le tira soudainement en arrière. Il lui intima de garder le silence en plaçant un doigt devant sa bouche et le jeune elfe obtempéra sans se faire prier. L’ancien bandit tendit lentement le cou afin de jeter un coup d’œil sur la place qu’il pensait investie d’un important danger. Son instinct ne l’avait pas trompé puisqu’il vit des traces du passage de la créature sous forme de débris de toiture et de sang par endroit. Il tendait l’oreille mais n’entendait rien de particulier hormis quelques cris lointains et des ordres aboyés. Il se demandait ce qu’il se passerait s’ils décidait d’avancer davantage, tomberait-il nez à nez avec une bête féroce ou non ?

Il prit son courage à deux mains et il alla plus avant dans ce qui pourrait être sa dernière erreur. Il fit quelques pas en balayant ce qui s’offrait à lui du regard, guettant le moindre signe de présence de la bête. Il se dit qu’elle ne devait pas être bien loin au vu du peu de dévastation qu’eu subit le lieu. Il s’engagea discrètement sur la place, ses sens en alerte maximale tout en se disant que c’était beaucoup trop calme pour qu’elle ne soit pas présente. Timy, qui lui emboîta le pas avec une prudence similaire, lui tira la manche au niveau du coude afin d’attirer son attention sans faire trop de bruit. Kenta ne put s’empêcher d’observer les lieux avant d’accorder un instant de demi-attention à son compagnon d’infortune. Celui-ci pointa du doigt en direction d’un mur d’une habitation en partie effondré.

-Regarde.

Il le dit si bas que le demi-elfe eu du mal à comprendre et il lui fallut quelques instants pour saisir de quoi il retournait. Il finit par apercevoir un corps étalé sur un tas de gravats au pied du mur endommagé. Kenta fit un hochement de tête afin de signifier qu’il avait aperçu la même chose que son compagnon.

Bien qu’ils ne devaient pas s’attarder sur les lieux, ils ne purent résister à un potentiel témoin qui pourrait les rassurer ou, au contraire, confirmer leurs craintes. Ils avancèrent alors plus que prudemment dans sa direction, évitant de marcher sur la moindre planche de bois ou de frapper du pied le plus petit débris. À mesure qu’ils s’approchèrent du corps, ils en reconnurent les habits et ils comprirent de qui il s’agissait. Oubliant la menace qui planait sur eux, ils allèrent rapidement auprès du corps agonisant.

-Il se vide de son sang.
-Larto… Presse fort sur son entaille, là, avec un tissu.
-Et après ?
-Je noue ma ceinture autour de son ventre et ça tiendra le tissu.
-On doit le prendre avec nous.
-Pas sûr qu’il tienne jusqu’au lever de Sonse comme ça. Essayons déjà de le déplacer.
-Je lui prends les jambes.
-Bien, petit… Voilà… Doucement…

L’elfe et le demi-elfe manœuvraient délicatement le corps pour lui faire quitter la place au moment où leur corps se figea, leur sang gelant instantanément. Ils entendirent quelque chose de lourd arriver très rapidement vers eux. Ils sentirent leur dernière unia arriver lorsqu’ils comprirent que ce nouveau venu était pratiquement sur eux.

-Toi dire où grande bête être !

Ils ne comprirent pas immédiatement l’injonction, s’attendant plutôt à un terrible rugissement bestial. Kenta fut le premier à reprendre ses esprits et il tourna la tête en direction de la voix rauque. Il reconnut immédiatement l’armure caractéristique de Krat, son compagnon de voyage orque.

-Où être la bête ?
-On en sait rien. Et parle moins fort, elle pourrait revenir.
-Moi vouloir tuer grande bête. Manger chair et boire sang et gagner force.
-Je vois… Nous, on essaye de sauver la peau de Kin. Il est en train de se vider comme un porc.
-Normal, lui faible.
-Il a besoin de l’aide d’un alchimiste. Il y en a un pas loin, le vieux…
-Lui faible, lui mourir.
-S’il meurt, tu sauras pas où est la grande bête.
-Toi savoir ! Toi dire ou toi mourir !

L’orque agrippa violemment le demi-elfe par le col afin de donner du corps à sa menace.

-J’sais pas, moi où elle est. Lui il le sait, c’est le dernier qui l’a vu. S’il meurt, tu sauras pas où elle est.

Krat relâcha sa prise et se renfrogna en comprenant où était son intérêt immédiat.

-Tu nous aides, alors ?
-Gak.

L’orque attrapa le col de l’érudit tout en dégageant l’ancien bandit sans le moindre ménagement. Celui-ci comprit qu’il devait mener le groupe jusque chez un alchimiste, au rythme de marche de l’imposant orque au grand dam du jeune elfe.

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, deuxième dan de Rusiv

-L’orque voulait sérieusement tuer ce monstre ?
-C’est ce qu’ils m’ont dit, seigneur Steshin. Néanmoins, je n’ai pas de mal à le croire.
-Moi non plus, haut maître.

Ils eurent tous les deux un rire discret en repensant à l’obsession maladive de l’orque pour la force et la puissance.

-Bon, après ça…

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, vingt-sixième dan de Mely

Un grand fracas se fit entendre lorsque la porte en bois s’ouvrit d’un coup sec, frappant violemment une petite table tout en reversant les petites décorations dessus. Krat entra en premier dans la pièce qui servait de boutique d’alchimie à la recherche de quelque chose à piller ou à tuer. Kenta et Timy lui emboitèrent le pas et ils déposèrent le blessé sur le comptoir avec empressement avant de commencer à fouiller les étagères à la recherche de la bonne potion.

-Tu sais ce dont il a besoin ?
-Une rouge, j’dirais…
-Elles sont toutes grises…

Ils entendirent tous une porte s’ouvrir en grinçant à l’étage et une voix tremblante se fit entendre.

-Si vous voulez me voler, vous allez m’entendre !

Krat fut un minimum intrigué par ce nouveau venu et il décida de l’attendre de pied ferme en bas de l’escalier. Ne se sentant donc pas en danger, les deux autres continuèrent leur fouille sereinement. En haut de l’escalier, une lumière orangée vacillante se fit de plus en plus forte à mesure que les bruits de pas sur le bois craquelant se firent plus proche.

Le vieil alchimiste en chemise de nash finit par se découvrir en haut des marches armé d’une simple lanterne de papier et du manche d’un balai. Si l’acuité visuelle de l’orque le lui permettait, il verrait un vieil elfe effrayé dont la sueur coulait à grosse goute le long de ses tempes mais l’orque ne le voyait pas. La lanterne l’éblouissait et il ne percevait qu’une silhouette partiellement orangée et possédant une arme. L’elfe, de son côté, voyait bien qu’il avait affaire à un orque bien plus imposant qu’il ne l’était et certainement mieux armé, quoi que dans la situation actuelle, une arme était parfaitement superflue.

Cet alchimiste ne parvenait pas à se décider s’il devait fuir pour sauver sa vie et laisser des pillards vider son échoppe ou alors mettre ses menaces à exécution et tenter de sauver l’affaire de toute une vie. Chaque instant qui passait, chaque tintement de verre que l’on déplace était pour lui comme une injonction à choisir entre ces deux options. Tandis que son esprit s’embrouillait, il fit machinalement un pas en avant, descendant alors une marche. Puis une autre. Il ne se voyait plus reculer à présent et il décida pleinement de protéger son commerce.

Alors qu’il descendait les marches qui le séparait de l’orque, sa prise sur le manche à balai se raffermissait. Il finit par atteindre l’avant-dernière marche et même ainsi, son adversaire était encore un peu plus grand que lui. Ses genoux tremblèrent et sa gorge se noua de peur mais il trouva tout de même assez de courage pour agiter son arme de fortune de façon menaçante en tentant d’intimider son adversaire. Ce dernier leva le poing au-dessus de sa tête et il fit faire un arc de cercle à celui-ci et il termina sa course dans le visage du vieil elfe dont la tête fut violemment écrasée entre un mur de bois et une main calleuse d’orque.

Ce fut suffisant pour qu’il voit trente-six chandelles. L’impact fut si brutal et bruyant que les deux autres interrompirent leur fouille sous l’effet de la surprise. Le demi-elfe reprit immédiatement sa tâche tout en mettant quelques fioles dans sa besace. Timy, par contre, ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil par curiosité tandis que l’orque cracha au visage de sa victime sans remarquer que la lanterne de papier commençait à s’embraser doucement.

-C’est bon, je l’ai !

L’ancien bandit déboucha le flacon et il en déversa le contenu lentement dans la bouche du blessé tout en lui inclinant la tête pour éviter qu’il ne se noie.

-Voilà… Avec ça dans le gosier, il devrait s’en sortir.
-On devrait s’en aller maintenant.
-Tu l’as dit, petit. Attrape-lui les jambes et on file.

Ils emportèrent le blessé en le tenant par les extrémités comme précédemment mais sans être préoccupé par le fait d’être vus ou entendus. De plus, la besace de Kenta émettait de nombreux bruits de verre s’entrechoquant, peu idéal pour une approche discrète.

-T’en a trop pris.
-Juste ce qu’il faut pour ne pas mourir comme un mendiant.

Naturellement, Krat leur emboîtait le pas arborant un air déçu. La nash ne fut pas très réjouissante pour lui au final.

* * *

-C’est comme ça que nous nous sommes débrouillés pour venir jusqu’ici tant bien que mal, haut maître.
-Merci, Timy. Vous n’avez pas eu une nash très simple à ce que j’entends. Reposez-vous un peu, le temps que le seigneur Steshin revienne.
-Bien, haut maître. Je vais aider Kenta à monter messire Kin dans son lit et je vais veiller sur lui en attendant.

Toldaka regarda longuement le jeune elfe monter l’érudit à l’étage avant de se diriger en soupirant vers l’aubergiste cuisinant le déjeuner.

-Une chope d’hydromel, cher hôte bienveillant.
-Tout de suite !

Krat ne prit même pas la peine de demander avant de se servir directement en cuisine tandis que l’aubergiste servait le haut maître.

-Ça ne s’est pas passé comme prévu, votre virée de cette nash ?
-Le seigneur Steshin n’est toujours pas rentré. Et l’elfe qui l’accompagnait non plus.
-J’étais au marché pour acheter de quoi faire à manger et en ville on ne parle que vos exploits de la dernière nash.
-Et on dit quoi en ville, exactement ?
-Outre la destruction du manoir du baron Xrazodoxivu, un pont a été emporté par une roue à aubes et des rondins de bois.
-Oh ! Quelqu’un a vu quelque chose ?
-Non et la garde est bien trop débordé pour chercher un responsable. Elle est beaucoup trop occupée à gérer l’après destruction. Les gens sont terrifiés que ce monstre puisse revenir frapper la ville.
-Je les comprends. D’après ce que m’a dit le petit, ça ressemblerait à un monstre dont m’a parle le seigneur Steshin.
-Ah oui ? De quel genre ?
-Grand, des écailles et des ailes… Je pense qu’il s’agit d’un dragon.

L’aubergiste retint son souffle sous l’effet de l’annonce. Il n’y avait pas besoin d’être bien attentif pour deviner qu’il connaissait au moins le nom.

-Un dragon ? Je n’ai pas entendu ce nom depuis…
-La guerre de l’Unification, je sais. Comme tout le monde. Le seigneur Steshin en a croisé un sur une île lointaine.
-Si des dragons sont de retour… Que les divins nous protègent !
-Comme vous dites.

Toldaka leva sa choppe avant d’en avaler une grosse gorgée et il la reposa bruyamment sur une table.

-Ça m’était sorti de la tête mais la garde recherche aussi un orque siphonné qui a attaqué plusieurs tavernes cette nash.
-C’est bon à savoir, merci.

Le haut maître soupira en regardant sa chope d’hydromel . Il s’inquiétait manifestement pour son seigneur et maître tout en l’affichant malgré lui. Les quelques adeptes du culte qui étaient descendus se remplir la panse était bien trop occupés à se restaurer pour se soucier des états d’âmes de leur haut maître. Et ne parlons même pas de l’orque qui s’empiffrait sans aucune limite, au grand dam de l’oncle Vanya.

-Dis-moi, Krat. Ça s’est passé comment de ton côté ?

Il s’approcha de l’orque dont la réponse ne l’intéressait pas réellement, il souhaitait simplement se changer les idées tant qu’il n’avait pas d’échappatoire à la situation actuelle.

-Quoi passer ? Quoi, toi vouloir ?
-Raconte-moi ta nash. C’était comment dans les tavernes ?
-Ah ! Eux, faibles ! Oreilles pointues…

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, vingt-cinquième dan de Mely

Krat quitta la ” Zao shurmu tancedi ” d’un pas décidé et écuma les rues de la ville à la recherche de la première taverne venue afin de déclencher sa partie du plan. À force de marcher, il arriva devant la taverne du ” Lobi tlu ” et il entra à l’intérieur en ouvrant la porte de l’établissement de façon brutale, faisant valser un soiffard déjà bien éméchée. La taverne était ce qu’il y avait de plus banal pour une taverne elfe avec un minimum de raffinement dans le sculpte des boiseries aux murs et aux piliers.

L’orque varvarish fit peu de cas des regards désapprobateurs d’une partie de la clientèle et il marcha rapidement droit vers un elfe ivre dont la chope venait seulement d’être remplacée par une nouvelle bien pleine. Il ne remarqua même pas qu’il était la cible d’un orque patibulaire et sans scrupule qui n’eut aucune hésitation à lui arracher la choppe de la main et il la vida cul-sec dans l’instant, sous son nez.

-Toi prendre bière ! Toi lâche ! Toi pas avoir puissance !

Krat se contenta d’un rot sonore pour seule réponse avant de frapper l’elfe en plein visage avec sa propre choppe. Celui-ci eu la tête qui s’écrasa brutalement sur la table en bois sans que cela ne choque qui que ce soit au-delà de la tablée qui sembla dessouler immédiatement.

-Toi taper frère, toi mourir !
-Toi manger tes morts !
-Toi prendre avec ruse, pas force ! Toi faible ! Moi avoir force, moi avoir gloire !
-Vous faibles ! Vous oreilles pointues !

Le deuxième elfe qui avait hurlé se tenait encore attablé à la gauche immédiate de Krat. Il se releva plus ou moins adroitement avant d’arracher un pied de son tabouret et il en tourna le bout pointu en direction de son ennemi du dan. Tout en s’encourageant d’un cri viril, l’elfe tenta de transpercer le flanc de l’orque mais l’armure composite qu’il portait fut impénétrable par le rudimentaire bout de bois. Dans le même temps, l’elfe à l’immédiate droite de Krat se leva également de son tabouret et s’en servit comme arme contondante en tentant de frapper l’orque à la tête avec mais il ne parvint qu’à toucher son épaule. C’est alors que la terrible riposte s’abattit sur eux.

L’orque agrippa violemment le poignet de l’elfe au tabouret pour lui fracasser le crâne avec sa propre arme improvisée d’une main et de l’autre, il attrapa l’elfe au pieu par le col et il l’envoya par dessus la table jusque sur le dernier soiffard qui n’avait pas encore trouvé d’autre arme en dehors de sa choppe. Cette dernière action fut suffisamment spectaculaire pour attirer l’attention du reste de la clientèle qui resta bouché bée face à une telle violence. il y eut un court silence avant que les hurlements fusèrent dans un tohubohu incompréhensible.

La vue de Krat, qui sentait un terrible affrontement approcher, se brouilla et son environnement immédiat devint pareil à une tempête où insultes, coups et projectiles tourbillonnèrent. Il avait tant l’habitude du combat et ses adversaires étaient si faibles qu’il semblait traverser cette tempête avec une aisance déconcertante comme l’on traverserait une calme plaine, agissant sans même y réfléchir. Le tourbillon devint rouge écarlate et des cris déchirants se multiplièrent.

Au bout de quelques instants, il reprit un peu conscience de son environnement en sentant une brise fraîche lui caresser la joue. Il comprit qu’il était en pleine rue et que des cris d’agonie l’entouraient. Il se rendit compte que l’intérieur de la taverne était dans un piteux état au travers de la porte de bois enfoncée après son passage et qu’il valait mieux filer avant l’arrivée de la garde urbaine d’autant plus qu’un soiffard à la jambe manifestement cassée appelait la garde à l’aide à gorge déployé. Celui-ci tentait de fuir à cloche-pied en s’appuyant contre le mur des bâtisses.

Krat, qui avait pleinement repris ses esprits, se décida à partir du lieu de son forfait mais il s’arrêta au premier pas lorsqu’il entendit un gémissement de souffrance proche qui le surprit. Il se retourna d’un mouvement rapide et les gémissements redoublèrent. Il regarda dans toutes les directions jusqu’à ce qu’il comprenne que les gémissements venaient de ses pieds. Il baissa la tête et vit un elfe qui lui servait de paillasson. Celui-ci semblait être dans un état lamentable après que l’orque lui ait marché dessus. À plusieurs reprises.

-Toi quoi être ?
-Toi fort, toi puissant. Moi faible. Toi tuer moi. Moi vouloir être savates toi.

L’orque lui adressa son indifférence d’un cracha sonore et il s’en alla au hasard. Se sachant désormais traqué sans avoir causé encore suffisamment de trouble dans la ville, il décida d’éviter l’affrontement en attendant de trouver une nouvelle taverne à ravager. Ce qu’il fit avec un étonnant succès pour le plus grand malheur du ” Xivu rucoru “, une charmante taverne où quelques membres de la garde avaient l’habitude de venir se désaltérer après ou pendant leur service. La clientèle du débit de boisson vit ses membres être brisés sans ménagement et sans que les quelques gardes présent ne puissent rien y faire. Le mobilier eut également de nombreuses pertes à déplorer, en particulier parmi les tabourets.

La tempête dévastatrice qu’était Krat s’en sortit avec un tonnelet de bière en prime qu’il vida durant son errance à la recherche d’une nouvelle taverne à ravager. C’est ainsi qu’il arriva tranquillement au ” Feima hsru ” où, dès son entrée dans le lieu, il lança son tonnelet vide dans le visage de la fille de salle qui s’effondra sur une table, sa robe imbibée de bière renversée lors de la chute. La salle n’eut pas eu le temps de se remettre du choc que l’orque se lança sur un ivrogne avec un hurlement bestial.

Rapidement, une première table fut dévastée et les autres tentèrent de sauver leur peau sans grand succès face à un orque enragé et extrêmement brutal. En un temps record, il n’y avait plus que des blessés ou des apeurés en position fœtale. Krat ressortit de la taverne en trainant un elfe par le cou. Celui-ci tentait de se libérer de l’étreinte de l’orque sans grand succès, la poigne semblait faite de pierre. Krat souleva sa victime afin de la jeter au travers d’une fenêtre au hasard, ou tout du moins, essayer. Il fut stoppé dans son geste par un incroyable hurlement bestial qui déchira la relative tranquillité de la nash.

-Ça être bête. Grosse bête.

Il desserra son étreinte et relâcha l’elfe qui tomba au sol, la tête contre le sol poussiéreux. Il crachait en tentant de reprendre sa respiration, allongé sur le flanc.

-Grosse bête, grande force, grande puissance.

Il se mit en route dans la direction d’où provenait le cris bestial non sans gratifier sa dernière victime d’un dernier coup de pied dans l’abdomen. Il courut aussi vite qu’il le put, galvanisé par les hurlements suivants qui lui promettaient une magnifique chasse. Cela le mena rapidement au manoir du baron Xrazodoxivu à présent dévasté et débarrassé de la fameuse bête mais cela ne suffit pas à le décourager puisque que davantage de destruction et de hurlements se firent entendre plus loin. Il remarqua en un instant qu’une piste ensanglantée menait dans la même direction d’où provenaient les bruits.

-Chasse ! Grande chasse !

L’orque afficha un sourire terrible avant de se lancer à la suite de cette nouvelle piste, s’imaginant déjà une incroyable bataille ainsi qu’une victoire avec un sublime trophée à la clé. Il se voyait déjà acquérir une nouvelle puissance.

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, vingt-sixième dan de Mely

-Et c’est comme ça que tu es tombé sur les trois autres ?
-Gak. Trois faibles. Pas puissante bête.
-Je comprends.

Le haut maître avait passé le temps avec ce récit quelque peu primitif et le dan avait un peu avancé mais pas assez à son goût. Le seigneur Steshin n’était toujours pas revenu et cela faisait monter une certaine tension en lui.

-Il est réveillé !
-Qui ça est réveillé, petit ?
-Messire Kin ! Il recouvre ses esprits !

Cette nouvelle ne fut pas considérée comme bonne par le haut maître qui prenait bien à cœur l’avertissement de son seigneur et maître.

* * *

Iad 42 de l’ère impériale, deuxième dan de Rusiv

-Les elfes étaient réellement obsédés par la force, haut maître ?
-C’est ce que m’a raconté l’orque, seigneur Steshin.

Steshin s’en amusa et sentit le sommeil venir finalement au point qu’il bailla à s’en décrocher la mâchoire.

-Il semble que Rualn veuille finalement de moi, haut maître.
-J’entends cela, seigneur Steshin.

Ils cessèrent de parler et ils s’endormirent tranquillement avant de passer la nash à se reposer. Steshin profita pleinement de sa première nash hors de cellule et, bien qu’il ne fut pas dans un lit, il trouva sa couche des plus confortables.

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