Pour toi – Partie 5 Résilience (Fin)

23 mins

Résumé : Sacha Morin, chercheuse de talent en neuroscience dans le domaine des troubles de l’humeur, n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis quelques semaines. Elle cache un secret qui la ronge. La venue d’Alexander Smith, post-doctorant, la chamboule. Ils coopérèrent sur une étude et des liens forts se tissent entre eux. Mais Alexander cache lui aussi un secret. Emprunte d’ombres dissimulées, leur relation risque d’exploser à mesure qu’ils se rapprochent de la vérité.

PARTIE 5

Résilience



    Sacha resta un long moment dans la salle d’étude. Elle ne sut combien de temps elle resta figée, les larmes glissant sur ses joues. Quelqu’un poussa la porte. Elle eut peur que ce soit Alex et elle se contracta. Emilie passa la tête, la vit. La jeune technicienne resta immobile quelques secondes avant d’entrer. Elle se mit à genoux devant Sacha et capta son regard. Avec une grande douceur, elle posa sa main sur celles de Sacha, agrippées l’une à l’autre. Ce contact délassa un peu ses doigts qui perdirent de leur raideur.

« Ça va aller ? » demanda Emilie.

Sacha haussa faiblement des épaules.

« Tu n’es pas obligée de me répondre mais… Qu’est-ce qui s’est passé avec Alex ? Vous vous entendez si bien, c’est hallucinant un tel comportement. »

Si seulement elle savait, elle comprendrait et peut-être qu’elle n’essaierait pas de la réconforter. Une chercheuse de renom en trouble de l’humeur qui rejette son frère bipolaire. Une hypocrite. Les mots la brûlaient encore, comme du fer rouge. Car ils étaient vrais. Que penseraient ses collègues s’ils le savaient ?

« Il a découvert quelque chose sur moi qui ne lui a pas plu » finit-elle par murmurer, voyant clairement que sa collègue attendait une réponse, ou au moins une ébauche.

Emilie parut réfléchir, son pouce caressant doucement le dos de la main droite de Sacha dans un geste de réconfort.

« Je ne sais pas ce que c’était… mais vu l’état dans lequel tu es… Tu devrais prendre ta journée. Te reposer, te remettre les idées en place. Laisse le temps que les choses retombent un peu. Tu travailles avec Alex, il faudra donc mettre ça à plat. Peut-être que Marc pourrait… »

« Marc ne pourrait rien du tout. Je vais aller le voir. Mais après, je règle les choses moi-même » la coupa-t-elle.

Emilie hocha la tête. Elle se redressa et sa main se posa sur l’épaule de Sacha. Elle ne savait pas comment lui dire que ces petits gestes de réconfort lui faisaient du bien.

« Fais au mieux Sacha. Je te connais depuis quelques temps maintenant. Tu sais parler aux gens. Je suis sûre que ça va s’arranger avec Alex. »

Sacha grimaça. Elle n’était pas sûre que cette fois-ci, elle arriverait à apaiser cette situation. Mais elle devait lui parler, cela était certain. Mais tout d’abord, Marc. Elle se leva, Emilie lui fit un sourire compatissant.

« Je sais que tu es discrète sur ta vie perso, je respecte tout à fait cela. Mais si tu as besoin, n’hésite pas à venir me trouver. »

Sacha savait qu’Emilie était totalement sincère et elle la remercia.

« Va voir Marc, je vais continuer à avancer les travaux à mon échelle. »

« Merci Emilie. Vraiment, Merci. »

« De rien Sacha » lui dit-elle avec un beau sourire.

    Sacha était plantée devant la porte du bureau de Marc. Elle savait qu’il y était, elle l’entendait maugréer à voix basse. Elle hésitait à comment présenter les choses. Elle devait faire son devoir d’employée en expliquant la situation, tout en gardant pour elle le plus essentiel : le sujet de la discorde. Elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander où était Alex à ce moment et ce qu’il faisait. Dans l’état psychique dans lequel il était, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Finalement, après un long soupir, elle frappa à la porte.

« Entrez ! »

Elle passa le pas de la porte. Marc se figea quelques secondes, des liasses de papier à la main et des post-it aux doigts. Il se reprit rapidement et posa son fatras, enleva les post-it.

« Entre Sacha, viens t’asseoir. »

Elle obéit. Comme d’habitude, elle dut déplacer une petite pile de livres pour s’installer sur un des fauteuils qui trônaient derrière le bureau de Marc. Il s’assit sur le sien. La main droite de son supérieur frottait son avant-bras, montrant son anxiété.

« Bon, qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda-t-il finalement, d’une voix un peu abrupte.

« Je voudrais prendre ma journée… » commença Sacha.

« Alexander a eu des gestes déplacés ? » la coupa-t-il, tout à trac.

« Non, non, pas du tout, répondit-elle rapidement, surprise. Il était en colère contre moi. »

Un léger silence plana dans la salle, Marc attendant visiblement que Sacha continue.

« Je peux savoir pourquoi ? » finit-il par demander devant le silence de sa collaboratrice.

Sacha eut un sourire las et elle hocha faiblement la tête.

« Il a découvert quelque chose sur moi… Et ça va me forcer à affronter une chose que j’ai repoussé bien trop longtemps. Je t’en parlerai le moment venu Marc, fais-moi confiance. Mais laisse-moi encore un peu de temps. Je voudrais affronter ça… d’abord. »

Marc garda le silence un long moment, la jaugeant du regard. Il soupira, posa ses coudes sur son bureau et se pencha légèrement. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il était embêté.

« Bon Sacha, pour n’importe quel autre membre de l’équipe, je demanderai à vous recevoir tous les deux dans mon bureau pour régler le problème. Ou pour retirer l’un de vous sur l’étude que vous menez. Tu le sais ça ? »

Elle hocha la tête, soudainement très nerveuse.

« Mais… je te connais bien Sacha. Je vais te faire confiance. Je te laisse quelques jours. Fais ce que tu as à faire. Puis je veux soit que la situation redevienne normale, soit que tu me proposes une solution efficace pour régler le problème. On ne peut pas se permettre que les chercheurs s’écharpent sur des sujets « personnels » en plein lieu de travail en risquant l’intégrité de leur étude et des moyens investis. Je suis clair ? »

Sacha avait blanchi mais elle savait que son supérieur avait raison. Elle ne pouvait se soustraire à ses ordres. Elle allait se lever quand il fit un geste pour qu’elle reste.

« Entre nous Sacha… Je vois bien que la présence d’Alex t’a fait un bien fou. Et votre étude est vraiment prometteuse. Je ne veux rien perdre de tout ça. J’espère que ça va pouvoir s’arranger, vraiment » lui déclara-t-il d’une voix douce.

« Je l’espère aussi Marc. »

    De retour chez elle, Sacha s’affala sur le canapé et s’enroula dans son plaid. Elle regardait son appartement, pensait à ce matin, alors qu’elle était si heureuse. Le contraste avec le présent était saisissant. Elle s’enfonça plus profondément dans les coussins. La scène avec Alex tournait dans sa tête sans relâche. Sacha savait que la colère d’Alex était légitime. Ce qu’elle avait fait à son frère était inexcusable. Et Alex… Elle avait fait comme pour son frère au début. La tête sous le sable, ne surtout pas voir l’évidence. Ne pas voir ce qui pourrait faire mal, ce qui pourrait compliquer les choses. Le déni. Mais les mots avaient été dit, le diagnostic avait été posé. Appréhender la maladie mentale était toujours compliquée. Handicap invisible à l’œil nu, il était nié. Et lorsqu’il devenait visible, les réponses étaient très souvent le déni et/ou le rejet. Elle l’avait bien vu chez ses parents, elle l’avait bien vu chez elle. La maladie mentale faisait peur, on imaginait toujours le pire. Le schizophrène était l’illuminé qui entendait des voix, voire qui avait plusieurs personnalités. Le dépressif un feignant. Le bipolaire totalement instable et très excessif. Ou alors on entendait dans beaucoup de bouches que tout le monde était bipolaire, que c’était un effet de mode. Les médias diabolisaient ces troubles en présentant ces personnes comme grandement instables, dangereuses. Au final, ces personnes presque comme toutes les autres devaient se cacher, vivre dans la honte le plus souvent, développer de multiples stratégies épuisantes pour faire et être comme les autres. Vivre dans l’ombre, car à la lumière du jour, le jugement des autres pouvaient être implacable. Les personnes atteintes de maladies mentales ne pouvaient pas être vraiment eux-mêmes, sinon on les considérait bon pour l’asile tant la différence, l’inconnu et l’incompréhension pouvaient faire peur. Il fallait alors qu’ils s’efforcent, s’épuisent, à gommer leurs différences, leurs difficultés pour fonctionner comme les autres. De peur d’être démasqués. L’irruption de la maladie mentale dans la vie de famille et amicale était tout aussi délicate. Les proches devaient alors surmonter leur peur, leurs préjugés. Dans le meilleur des cas, cela se faisait avec plus ou moins de douceur. Un accompagnement, un soutien, une écoute… Les personnes pouvaient alors être elles-mêmes au sein de son entourage, respirer, enfin. Elle l’avait vu chez des patients, parfois accompagnés des proches qui s’impliquaient dans le soutien de la personne ayant des troubles mentaux. Parfois, cela demandait du temps. Il fallait accepter, s’accorder, s’adapter. On pouvait aisément comprendre qu’un peu de temps était nécessaire. Mais les proches surmontaient leur peur par amour, par affection. Car il y avait plus important que la peur de la maladie et de l’inconnu. Le soutien, l’écoute s’installaient, la confiance aussi. Ces échanges ne pouvaient que nourrir leurs relations. Et fortifier le patient, plus acteur de sa maladie et conscient de ses limites mais aussi de ses forces, étant mis en valeur par ses proches. Le domaine professionnel restait toujours problématique. Une vulnérabilité affichée pouvait faire montre de faiblesse, de manque de compétences cognitives et instabilité qui inquiétait les patrons. Se fier à un individu qui pouvait se montrer instable, c’était souvent l’impensable pour les chefs. Alors, il fallait plutôt ne rien dire et serrer les dents en croisant les doigts que rien de fâcheux n’interfère avec le milieu du travail.

Sacha soupira, elle savait qu’elle ne pouvait pas éviter de penser au pire des cas, quand cela se passait mal. Elle avait vu comment cela s’était passé quand les proches ne surmontaient pas les difficultés. Le déni puis le rejet en bloc. Sacha avait vu ses parents agir ainsi avec Pierre. Suite à une rupture amoureuse, il s’était enfoncé dans la dépression. Cela avait été tout d’abord pris avec légèreté. Les peines d’amour rendaient malheureux, cela ne durait qu’un temps. L’état de Pierre se dégradant avec le temps, ils s’étaient montrés plus agressifs. Feignant, bouge-toi, sors, tu n’as aucune volonté, tu es faible, tu me fais honte… Sacha avait vu tout ça et elle n’avait rien fait. Elle n’avait rien fait pour lui. Il y avait eu alors la drogue, forte comorbidité des troubles de l’humeur. Puis un virage maniaque. Sous cocaïne, Pierre resplendissait. Le sourire dans les étoiles, il parcourait le monde comme s’il lui appartenait. Dépensier, drogué, hyperactif, brutal dans ses mots. Il était dans le trop dans tous les domaines. Il insultait les parents qui étaient complètement déboussolés du changement radical d’attitude de leur fils. Sacha était déjà partie de la maison quand ce changement était arrivé. Elle savait par bribes que c’était le chaos, que personne ne s’en sortait, personne ne comprenait, personne ne contrôlait plus rien. Sacha avait choisi, sans trop s’en rendre compte, de se couper de tout cela, de se plonger dans son internat de médecine. Le déni. Le rejet en silence, s’effacer. C’était plus facile. Puis elle avait su que Pierre avait quitté le domicile familial en pleine nuit sans laisser un mot. Son numéro n’était plus attribué. Elle s’était alors rendue compte de l’horreur de son attitude. Et elle ne pouvait plus rien faire pour se rattraper et demander pardon. Il fallait alors vivre avec ce poids sur le cœur.

Tout à ses pensées, Sacha n’avait pas remarqué que des larmes glissaient sur ses joues à nouveau. Elle les essuya en serrant les dents. Elle devait maintenant agir. Ne plus subir. Alex, Pierre. Elle devait affronter la situation. Sacha sut alors qu’elle devait aller à l’hôpital. Maintenant. Elle se tira du canapé, mit ses chaussures et se précipita vers l’arrêt de bus, de peur de perdre le peu de courage qu’elle avait en bandoulière.

    Sacha se mordillait les lèvres avec un peu trop de vigueur devant le comptoir des infirmiers. Pierre étant hospitalisé sous contrainte, son identité devait être vérifiée avant qu’elle puisse entrer dans le service. Portée par son élan, elle ne s’était pas laissée intimidée par la haute stature de l’hôpital qu’elle avait tant observé avec appréhension pendant trois mois. Elle connaissait un peu les lieux et elle était maintenant à l’entrée du service fermé. Elle craignait les retrouvailles avec son frère mais, quelque part, elle était aussi impatiente. Elle ne l’avait pas vu depuis des années. Elle se demandait de quoi il avait l’air maintenant. Si elle retrouverait en lui le petit garçon, son petit frère, avec qui elle jouait dans le jardin ? Ils avaient toujours été proches avant qu’elle entre en médecine. Puis tout le reste les avait séparé. Verrait-elle dans ses yeux cet enfant qu’elle avait tant aimé ?

« Vous pouvez entrer, Docteur Morin. Sa chambre est la numéro 18 » lui indiqua l’infirmière de retour avec sa carte d’identité.

Elle appuya sur un bouton qui déverrouilla la lourde porte et Sacha pu entrer. Elle déboucha sur un hall où se tenait le local des infirmiers. Une forte odeur de javel et d’antiseptique lui brûla les narines. A droite se tenait une salle de détente. Des patients jouaient tranquillement aux cartes, étouffant des ébauches de rires. Les hôpitaux psychiatriques ne sont pas comme les gens du commun le pensent. Ce n’est pas remplis de « fous », avec des patients débraillés, avec, par exemple, un entonnoir sur la tête qui parlent à un mur. Ce sont seulement des personnes plus fragiles, qui ont besoin de plus d’aide que les autres. En face, le couloir s’étendait en longueur, comme sans fin. Le lino grisâtre était usé par le temps et les murs avaient perdus leur couleur blanche. Quelques fenêtres grillagées faisaient passer une lumière crue. Sacha passa le hall et s’avança dans le couloir désert en regardant le numéro des chambres. Le cœur au bord des lèvres, elle s’arrêta enfin devant la chambre 18. Le lieu, l’odeur, son anxiété lui retournaient le cœur. Elle sut qu’elle ne devait pas hésiter et elle se regarda frapper à la porte. Elle entendit vaguement une voix et elle se décida à entrer.

 Pierre était installé dans son lit, assis. A la télé, il y avait une émission de questions/ réponses. A peine la question finissait d’être posée, Pierre donnait laconiquement la réponse juste. Sacha attendit quelques longues secondes puis s’avança doucement.

« Tu as toujours été le plus intelligent de nous deux, Pierre. »

Lentement, il se tourna vers elle. Une petite étincelle dans ses yeux gris donna du réconfort à Sacha.

« Sacha. Eh bien, tu te décides enfin à venir me voir… »

Le ton de sa voix était neutre mais elle distinguait le reproche, tout à fait justifié. Elle s’avança encore. Le visage de son frère était émacié, ses cheveux bruns plutôt longs et emmêlés. Il était maigre et seuls ses yeux semblaient montrer force de vie. Elle essayait de cacher la peine qu’elle ressentait en le voyant dans cet état.

« Je ne suis pas beau à voir, pas vrai ? »

Elle ne sut pas quoi répondre alors elle haussa les épaules.

« Je peux m’asseoir ? » demanda-t-elle en désignant le fauteuil à côté du lit. Pierre hocha lentement de la tête tout en la scrutant du regard.

Elle s’installa. Elle était maintenant face à son frère et ses yeux graves qui ne la quittaient pas. Un silence désagréable s’étirait. Sacha ne savait pas comment commencer.

« Comment vont les parents ? » demanda finalement Pierre d’une voix dure.

« Je ne sais pas. Je ne les ai pas vu depuis longtemps. »

Il lui jeta un coup d’œil perçant.

« Les regrets et les remords, enfin ? »

« Oui, Pierre. Et la honte, aussi » avoua-t-elle d’une voix plus ferme.

Son frère se contenta de la fixer. Elle ne put s’empêcher de regarder les poignets de son frère, arborés de larges cicatrices rouges. Son cœur se serra si fort dans sa poitrine qu’elle crut qu’il allait imploser. Pierre le remarqua et eut un sourire un peu mauvais.

« Ouais, je sais. Les regrets et les remords Sacha. C’est ce qui fait tourner le monde. »

Elle ne sut que répondre. La communication avec lui était difficile, comme elle s’y attendait. Elle se tortillait le plus discrètement possible mais elle savait que Pierre n’en manquait pas une miette. Il avait toujours été très attentif, malin, intelligent.

« Tu en es où de ton diagnostic ? » demanda-t-elle.

« Type un, type deux, tout le tintouin. La drogue brouille tout ça. Mais ce serait sûrement un type 1. Je suis clean depuis six mois » ajouta-t-il en voyant l’expression du visage de Sacha.

Elle hocha la tête. Elle respirait à peine tant qu’elle était angoissée. Mais il fallait se jeter à l’eau.

« Je suis désolée Pierre. Vraiment, je m’en veux terriblement. J’aurais dû être là pour toi et… Je t’ai fui parce que j’avais peur. Je suis vraiment désolée de n’avoir rien fait pour toi. »

Le visage de Pierre était insondable. Il tourna la tête pour regarder à travers la fenêtre.

« Ton collègue m’a dit que tu travailles sur les troubles de l’humeur. J’ai trouvé ça assez cocasse. Ton frère est bipolaire, tu disparais et tu te spécialises pile dans ce domaine. C’est drôle, non ? »

« Je… je voulais me racheter. Faire ce que je pouvais pour aider les patients bipolaires. Pour t’aider. Pour toi. »

Pierre se tourna vivement vers elle, la fusillant du regard, les lèvres pincées.

« Non, non sœurette, t’as fait ça rien que pour toi. Pour te donner bonne conscience. Moi, je suis le prétexte, c’est tout. C’est trop facile de venir après tout ce temps pour dire que tu es désolée et que tu te rachètes en faisant joujou avec des questionnaires et des scanners. Tu crois que ça me rend la vie plus facile ? Tu crois que ça efface ce que m’ont fait les parents ? Ce que tu n’as pas fait ? Et que ça arrange ma putain de vie ? Tu vois bien que malgré tes « recherches » je suis cloué dans un lit sous contrainte ? »

« C’est à ça que tu pensais quand tu t’es taillé les veines ? A une vie plus facile ? » rétorqua Sacha, le cœur à vif.

Pierre cilla. Il tremblait légèrement de colère, il fixait sa sœur qui essayait de ne pas flancher devant son regard. Elle savait que les excuses ne suffiraient jamais. Finalement, il se détendit et tourna à nouveau son regard vers la fenêtre.

« Oui, je pensais à ça. Entre-autre. » dit-il d’une voix étonnement douce.

« Pierre, je ne veux plus être dans le déni et la fuite. Je veux pouvoir être là pour toi. »

« Ce n’est pas trop tard tu crois ? » lui railla-t-il en montrant ses poignets.

« Rien n’est figé dans le marbre. Je veux me rattraper. Alors tu peux me rejeter, m’insulter, m’en vouloir et ce sera tout à fait légitime. Mais je ne partirai plus. Je ne te laisserai plus jamais tomber » assena-t-elle avec conviction.

Le silence tomba. Le visage de son frère était impénétrable.

« Tu sais ce que les parents me faisaient subir. Ils me harcelaient. Je ne sais même plus toutes les injures qu’ils ont pu me balancer. Tu me fais honte, tu n’as aucune volonté, tu es un moins que rien… On finit par y croire et je m’enfermais dans la culpabilité et la honte. Une fois, papa a balancé un sceau d’eau glacé dans mon lit pour que je me lève. D’autres fois, il me frappait. Oh, bien sûr, il s’arrangeait pour que ça ne laisse pas de marque. Monsieur le père se défoulait sur moi et maman regardait avec de grands yeux. Et toi, ah toi ! Madame parfaite. Madame excellentes notes, excellent comportement et qui réussissait brillamment tes études de médecine. Ne va pas croire, je n’étais pas jaloux de ta réussite. J’étais heureux pour toi. Mais ces rengaines me rappelaient sans cesse que tu m’avais laissé tomber. Ellie venait de me quitter et j’ai commencé à sombrer. J’ai voulu te parler avant que tu commences ton internat. Je ne sais pas si tu te rappelles de cette conversation. Tu m’as dit que ça allait faire mal un moment puis que ça passerait. Je n’ai pas osé te dire ce que je pressentais. Que c’était seulement le début et que cela allait s’empirer. Puis tu es passé sous les radars. Tu m’as laissé seul avec mes bourreaux. Dans mon état, j’étais incapable de partir. Un soir, papa m’a frappé au visage et ma lèvre s’est fendue. Ils m’ont laissé comme ça, mais j’ai eu le courage d’aller à l’hôpital pour me faire recoudre. J’y ai croisé Max, un ancien pote du lycée. Je ne sais pas trop comment, je suis parti avec lui rejoindre d’autres mecs. Et j’ai fini le nez dans la poudreuse. Et là… Sacha, je ne peux pas te décrire ce que j’ai ressenti. C’était comme renaître, plus beau, plus fort, plus puissant. Tout était un feu d’artifice dans ma tête. J’étais une tout autre personne, rien ne pouvait m’arrêter. Je suis rentré à la maison, j’ai volé de l’argent et j’ai acheté toute la cocaïne que je pouvais. Enfin, c’était la libération. Quand papa a voulu me frapper, je l’ai mis au tapis et je riais si fort… Les pauvres cons de parents ne savaient plus quoi faire. A mon tour, je les insultais, les poursuivais partout dans la maison pour leur hurler dessus et rire, rire, rire. Et toi Sacha… Je sais que tu as su qu’il se passait quelque chose. Je le sais, j’ai entendu maman t’appeler en pleurant. Tu n’as pas bougé le petit doigt. On ne s’était pas parlé depuis plus d’un an. Tu m’avais promis, à ton départ pour ton internat, qu’on serait toujours en contact. On était si proche… Tu étais toujours là pour moi quand j’avais des ennuis avec les parents ou à l’école. Je pouvais te parler de tout. Et là, tu as simplement… pouff… disparu. Les moments où j’avais le plus besoin de toi, tu n’étais pas là. Le nez plein de poudre, j’ai quitté la maison d’un coup de tête. J’ai arrosé mon téléphone de vodka, j’y ai mis le feu. En mode funérailles vikings d’une sœur qui avait disparu. Je t’épargne mes années d’errance, entre drogue, coup de folie, tentatives de suicide… Une fois j’ai agressé un flic. J’ai un casier judiciaire, ouais. Je m’en suis tiré car on m’a placé en HP. A la sortie, la même rengaine. Et finalement… Les poignets, le sang, tout ça était devenu insupportable. Et me voilà. Et te voilà. Alors qu’en dis-tu, chère sœur ? »

Pierre avait craché son fiel avec vigueur mais Sacha sentait que sa carapace se fissurait. Des larmes perlaient à ses yeux gris, sa voix tremblait. Elle se leva et, difficilement, s’approcha de lui pour poser ses mains sur les siennes. Il se laissa faire et leva les yeux vers elle. Le petit garçon en lui la regardait avec espoir. Un espoir sans limite, un espoir désespéré.

« Je suis là maintenant » dit-elle simplement en serrant ses mains.

« Oui, tu es là, mais pour combien de temps ? » murmura-t-il d’une petite voix fragile.

« Je suis là pour toujours. Je ne te laisserai plus jamais. On va parler, apprendre à s’apprivoiser, voir les personnes que nous sommes aujourd’hui. Mais tu es mon frère et rien ne pourra le changer. Je t’aime Pierre. Je vais t’aider. Je vais être là pour toi. Je ne vais plus fuir. »

Cette fois-ci, ce fut lui qui serra les mains des Sacha, avec force, comme pour la retenir. Il la fixait toujours de ses yeux d’enfant perdu.

« Tu en as mis du temps » plaisanta-t-il d’une voix enrouée par l’émotion.

Elle eut un sourire, lâcha ses mains pour caresser d’un pouce le visage émacié de son frère.

« Ouais, tu es le plus intelligent, j’ai toujours été la plus lente de nous deux. »

Pierre eut un sourire humide de ses larmes. Sacha pensa que s’il avait été si facile à convaincre, c’est qu’il espérait ces retrouvailles depuis très longtemps. Il n’attendait que ça depuis des années, alors il n’y avait que peu de résistance quand ce qu’il avait tant désiré se présentait enfin. Elle s’autorisa à s’asseoir sur son lit et lui repris une main qu’elle serra fort.

« Maintenant, on est tous les deux ensemble, pour le meilleur et pour le pire. »

Pierre lui fit alors le plus beau sourire qu’elle n’avait jamais vu.

    Ils avaient passé deux heures à parler. Pierre pouvait parfois redevenir agressif, mais elle le comprenait totalement. Il y avait tant de chemin à parcourir pour retrouver une confiance et une complicité, mais elle était prête à cheminer avec lui. Il lui racontait par bribes ce qui lui était arrivé, puis Sacha faisait de même. Ils apprenaient à se connaître, se reconnaître. L’infirmière avait chassé Sacha à la fin du temps de visite. Elle était repartie le cœur plus léger, tellement plus léger. Elle avait affronté sa peur, sa honte et elle retrouvait son frère. Ce qui la rongeait depuis des années, et d’autant plus ces trois derniers mois, se dissolvait dans les souvenirs des sourires de son frère. Puis, elle pensa à Alex. Elle devait le trouver. L’inquiétude se faufila dans son soulagement. Elle repensa l’état dans lequel il était, si instable. Prise d’angoisse, elle décida d’aller à l’institut. Elle parcourut toutes les salles, ignorant les collègues avec seulement un geste de la main pour dire coucou. Il était nulle part. Elle finit par se cacher aux toilettes et pris son téléphone.

« Alex, il faut qu’on parle. Où es-tu ? »

Elle s’assit sur la cuvette et posa le téléphone sur ses cuisses. Son cœur battait si fort qu’elle se sentait étourdie. Elle n’avait pas vraiment réfléchi à ce qu’elle allait dire à Alex. Sacha ne pouvait pas couper à une explication concernant sa famille et son frère. Expliquer sans chercher à se faire pardonner. C’était à Pierre de lui accorder le pardon lorsqu’il le souhaiterait. Et puis lui dire… lui dire qu’il était très important pour elle. Qu’elle ne voulait pas qu’il disparaisse de sa vie. Qu’elle le voulait, lui. Tel qu’il était. Lui dire qu’elle l’aimait. Son téléphone vibra à cet instant et elle l’attrapa avec fébrilité.

« Qu’est-ce que tu veux me dire ? »

« Je vais t’expliquer. On peut se rejoindre chez moi ? »

Elle attendit de longues secondes, accrochée à son téléphone comme à une bouée.

« OK. Dans une demi-heure. »

« D’accord. »

Sans attendre, elle se leva et quitta l’institut au pas de course.

    Elle était arrivée la première chez elle. Sacha passa le pas de la porte et alluma la lumière. La nuit tombait. Elle n’avait pas vraiment pris le temps de coordonner ce qu’elle voulait lui dire. Peut-être parce qu’elle désirait que cela reste naturel et spontané. Ses mains moites tremblaient et son cœur battait la chamade. Sacha arpentait son appartement comme un lion en cage , à la fois impatiente et voulant retarder la venue d’Alex de crainte de briser l’équilibre précaire sur lequel elle était. Finalement, on sonna à la porte. Elle sursauta vivement, le cœur au bord des lèvres. Elle alla ouvrir. Alex se tenait devant elle, échevelé. Sa veste était froissée, son T-shirt blanc déchiré. Le pire était l’expression de son visage. Il était totalement hagard. Son regard vide se posa sur elle et elle frémit.

« Qu’est-ce qui t’es arrivé Alex… Rentre, viens. »

Il passa la porte sans un mot puis alla s’affaler sur le canapé. Elle le rejoignit avec précaution.

« Qu’est-ce qui est arrivé à ton T-shirt Alex ? » demanda-t-elle, tendue.

« J’ai eu une crise d’angoisse… » répondit-il d’une voix atone après un long silence.

Sacha savait que lors des crises d’angoisse, certaines personnes se portaient malgré elle des gestes agressifs, violents. Son cœur se serra alors qu’elle imaginait parfaitement la scène.

« Je suis désolée Alex. J’aurais peut-être dû t’en parler. Ou au moins te l’expliquer quand tu l’as découvert. »

« Non Sacha, tu… on… enfin, tu n’as pas de compte à me rendre. »

Elle hocha la tête, l’incitant à continuer.

« C’est juste que quand j’ai vu ton frère et qu’il m’a dit que tu l’avais rejeté parce qu’il était bipolaire, j’ai… dégoupillé. Je ne t’ai même pas laissé le temps de réagir. Tu sais… je prends des médicaments pour ma cyclothymie. Avec toi… C’était tellement fort que je voulais ressentir tout. J’ai baissé ma dose, je croyais que j’allais maîtriser. Mais ça m’échappe… » finit-il d’une voix faible.

« Tu as repris ton traitement ? » demanda Sacha avec douceur.

Il secoua la tête par la négative. Puis il cacha son visage dans ses mains, étouffant un sanglot. Sacha se rapprocha, peinée. Finalement elle se pressa contre lui dans une tendre accolade.

« Tu vas les reprendre ? »

« Oui, je ne peux pas continuer comme ça. Je détruis tout. »

Elle garda le silence un instant, hésitante sur ce qu’elle allait dire. Elle se serra un peu plus fort contre lui.

« Tu ne détruits pas tout. Alex, je suis toujours là. Je ne vais pas faire comme avec mon frère. La situation est différente. Et je suis allée le voir aujourd’hui. »

Il se redressa brutalement.

« Je suis désolé, je ne voulais pas te forcer à faire quoique ce soit… »

« Non Alex, tu avais raison et je te remercie. Ça m’a permis de sauter le cap et d’affronter mes peurs pour retrouver mon frère » le coupa-t-elle d’un ton ferme.

« Et… comment ça s’est passé ? »

« Cela n’a pas été facile à départ, bien entendu. Mais… Nous avons convenu de renouer notre relation. Je te remercie pour ça Alex, tu m’as aidé à retrouver mon frère et me libérer de quelque chose qui me rongeait depuis des années. »

Alex hochait la tête, songeur.

« Je ne sais pas si je peux te demander ça mais… J’ai très peur. Qu’est-ce qui s’est passé avec ton frère ? »

Sacha s’enfonça dans le canapé.

« Je suppose que… je peux te raconter. J’ai toujours été proche de mon frère durant notre enfance. Quand il avait dix-sept ans, sa copine l’a largué. Il était effondré. Au début, on a tous cru que c’était un chagrin d’amour. Mais ça durait et ça empirait. Dans son état de dépression sévère, il ne pouvait pas finir ses études ou trouver un travail. Ils dépendaient des parents et bien sûr cela rendait la situation encore plus intenable. Aujourd’hui, je sais qu’ils ont pratiqué un harcèlement moral et physique sur Pierre. Il a essayé de me parler. J’étais en étude de médecine, en plein internat, tu sais combien cela t’absorbe au point d’oublier tout ce qui n’est pas tes cours. Mais c’était une bonne excuse aussi pour le fuir. Je ne savais pas quoi faire, ni comment réagir ou comment l’aider. Fuir était le plus simple pour moi car je n’avais pas à affronter le mal être de mon frère qui lui collait à la peau ou tenir tête à mes parents. Lorsqu’en cours on a étudié les troubles de l’humeur, j’ai aussitôt pensé à mon frère. Mon attitude m’était encore plus condamnable et ma honte bien plus grande. J’ai essayé de le contacter. Il avait fui le domicile familial sans laisser d’adresse. Son numéro n’était plus attribué. Alors je me suis lancée à corps perdu dans la recherche des troubles de l’humeur. Pour me racheter peut-être. Il y a trois mois, j’ai reçu un coup de fil de l’hôpital psy du campus. Mon frère y était interné contre son consentement. Je n’avais pas encore trouvé la force d’aller le voir. J’avais peur de tout ce qui a pu lui arriver, tout ce qu’il a pu vivre et affronter tout seul. Alors que j’aurais pu être là pour lui. J’avais peur de ce qu’il était, j’avais peur d’affronter mes parents. Le bien-être de mon frère est passé après mes sentiments et mon confort. Je ne me cherche pas d’excuse. Je voulais juste t’expliquer comment j’ai pu en arriver là. »

Il y eu un long silence. Alex regardait Sacha avec attention, calme.

« Tu n’as pas à t’en vouloir. Tu étais jeune. C’était seulement vos parents le problème. »

Sacha secoua la tête.

« Peut-être que oui, peut-être que non. Mais peu importe maintenant. Je ne suis plus cette jeune femme terrorisée. Grace à toi, j’affronte mes peurs. Je grandis, je m’améliore. »

Elle lui fit un doux sourire et lui toucha le bras avec tendresse.

« Je te remercie Alex. »

Il rougit un peu, esquissa un sourire gauche.

« Ce n’était pas prémédité. »

« Peu importe, tu m’as aidé comme personne n’a jamais réussi jusqu’avant. »

Il piqua un fard et se passa la main dans les cheveux pour se donner une contenance.

« Tu veux peut-être boire quelque chose ? » demanda-t-elle en voyant qu’il ne savait pas quoi ajouter.

« Un verre d’eau ne serait pas de refus. »

Sacha se leva et alla à la cuisine. Tandis qu’elle préparait le verre, elle se demanda comment continuer cette conversation. Elle ne voulait pas qu’il parte comme ça, elle voulait qu’il reste, qu’il parle, qu’il se rapproche. Elle voulait le retrouver, le trouver. Elle revint au salon, Alex s’était un peu plus détendu, dans cette attitude typique (mais mesurée) de s’étaler dans son espace. Elle s’en réjouit et lui donna le verre d’eau qu’il s’empressa de vider. Sacha s’installa à côté de lui.

« Tu veux peut-être me parler un peu ? » proposa-t-elle de sa voix la plus douce.

Alex la regarda un moment, silencieux. Finalement, il soupira puis eut un petit sourire.

« Que veux-tu savoir ? »

« A toi de voir ce que tu veux partager Alex » répondit-elle.

Un nouveau soupir, léger, franchit ses lèvres, mais il s’installa plus confortablement dans le canapé.

« Je t’ai dit qu’on est psychiatre de père en fils dans ma famille et que j’avais été surtout élevé par des jeunes filles au pair française. Mon enfance n’a pas été malheureuse. Mes parents étaient distants mais je m’entendais très bien avec les filles au pair. Ils sont très reconnus au Royaume-Unis. Ma mère est spécialisée dans les syndromes post-traumatiques et mon père dans les troubles de la personnalité. Comme son père avant lui. »

« Ton père, c’est l’Alexander Smith qui a fait des études sur les cas borderline ? » demanda-t-elle, ébahie.

« Ouais, j’étais étonné que tu ne fasses pas le rapprochement, mais ça m’arrangeait bien. C’est dur de vivre dans l’ombre de ses parents. En tout cas, ils n’ont pas été présents pendant mon enfance. A l’adolescence, j’ai commencé à avoir les premiers symptômes. J’étais d’abord triste sans raison. Puis j’ai eu ma première copine et là, plus de tristesse. Je me sentais léger, très léger, super super bien. Ensuite, j’ai recommencé à me sentir triste. J’ai commencé à sombrer. Je pensais que c’était l’ennui du couple, des cours barbants, des parents absents. Mais je savais au fond de moi que j’allais de plus en plus mal sans véritable raison. Annie, la jeune fille au pair, commençait à s’inquiéter mais j’ai réussi à la persuader de ne pas en parler à mes parents. Puis, comme ça, comme un interrupteur qu’on pousse, sans transition, je me suis levé un matin avec une énergie débordante. Je suis allé chez le coiffeur, j’ai largué ma copine. J’ai dévalisé des boutiques de fringues de marque. Je flirtais avec beaucoup de jeunes femmes, comme ça, juste parce que j’étais porté, transporté. Et surtout, surtout, j’ai affronté mes parents. J’étais hors de moi, j’ai balancé des vérités et des élucubrations sans queue-ni-tête. Ils ont vite compris de quoi il en retournait. Je me suis retrouvé dans le bureau d’un ami psychiatre de mes parents, spécialiste des troubles de l’humeur. Cela a pris du temps. J’étais en phase hypomaniaque, presque maniaque. J’étais parano, agressif et je ne coopérerais pas du tout. Finalement, la menace d’un internement sous contrainte m’a calmé suffisamment pour que j’écoute le psychiatre et que je lui réponde. J’avais dix-sept ans quand j’ai été diagnostiqué bipolaire et qu’on a commencé les médicaments. Aussi vite que j’étais monté, je suis vite redescendu. Tous les médocs, les rendez-vous psy, les effets indésirables, le regard dur de mes parents, le regard des autres face à ma différence… Mon humeur était très fluctuante. A dix-huit ans, j’ai commencé la fac de médecine. Je ne parlais à personne de mes soucis de santé. Les gens pensent que la maladie mentale ne touche que les autres. Comme si c’était une salissure, une faiblesse indigne, une honte. J’arrivais à mener de front mes études, brillamment il faut dire, et mes fluctuations de l’humeur. Mes parents me lâchaient la grappe. Mon psychiatre a affiné son diagnostic. Cyclothymique. Une humeur instable et variable. Hypersensible, mon humeur pouvait varier d’un extrême à l’autre en très peu de temps, parfois sans raison. On a enfin réussi à trouver un traitement adéquat. A part quelques incidents, je me gère plutôt bien. »

Il se tut, fixant Sacha avec crainte d’être repoussé. Elle lui fit un sourire avenant et pris sa main dans la sienne. Alex eut un sourire pâle. Il semblait vidé mais soulagé.

« Merci de partager tout ça avec moi » dit Sacha.

« Je te devais bien ça quand même » plaisanta-t-il d’une petite voix.

« Je suis désolée de ce que tu as pu subir. Mais je suis heureuse que tu aies trouvé un traitement qui fonctionne. »

« Oui, j’ai de la chance. Des patients bipolaires peuvent passer des années à chercher un dosage correct. Avec toi, ça a été différent… » ajouta-t-il après un bref silence.

Sacha resta silencieuse, elle se doutait de ce qu’il allait dire, car elle l’avait entendu dans la bouche de tellement de personnes bipolaires.

« Ouais un grand classique hein, tu te doutes. J’étais nostalgique des grandes envolées. Et je ressentais tellement de choses pour toi, c’était si fort. Je voulais le vivre entièrement, pleinement. Sans être bridé. J’ai baissé mon dosage. C’était l’explosion de bonheur dans mon cœur, même si j’ai pu être… agressif. J’en suis désolé. »

« Tu as dit… ressentais…. Au passé… » murmura Sacha, glacée.

Alex se redressa et capta son regard.

« Voyons Sacha, tu le sais. Je… Je ressens toujours… tout ça pour toi. »

Ils se regardèrent en silence, hésitants tous les deux. Ils se tenaient toujours la main et il exerça une légère pression, comme un code secret. Ils étaient tous les deux rougis par l’émotion, fébriles de l’instant qui allait arriver. Sacha se perdait dans le vert des yeux d’Alex, se disant qu’elle pouvait faire ça toute sa vie. Il la regardait avec la même attention, l’air rêveur.

« Alex… Je crois qu’il est bien temps que je te le dise. Je… Enfin… Je t’aime. »

Elle se tut, à bout de souffle et à bout de cœur, dans l’attente d’une réaction. Le sourire d’Alex grandit, s’agrandit jusqu’à ce qu’il ait ce sourire canaille qu’elle aimait tant. Il se pencha et l’embrassa. Tout d’abord avec douceur puis avec plus de fougue, essayant de faire passer toute sa passion dans le baiser. Ils séparèrent à bout de souffle. Alex posa son front sur celui de Sacha alors qu’ils haletaient légèrement. Leurs regards se croisèrent, profonds, chauds, amoureux. Ils étouffèrent un petit rire, les mains posées sur leurs tempes comme pour se retenir.

« Je t’aime Sacha, tu ne peux pas savoir à quel point je t’aime » murmura Alex d’une voix ardente.

Elle l’embrassa à nouveau, pleine de joie, avec douceur, tendresse, amour. Puis elle se blottit dans les bras d’Alex qui s’installa sur le canapé, à sa manière, envahissant l’espace autour de lui. La tête sur sa poitrine, il lui caressait les cheveux et elle entendait son cœur qui battait la chamade à l’instar du sien. Sa tête tournait légèrement. Sacha n’avait jamais été si heureuse. Elle avait affronté ses peurs, retrouvé son frère et trouvé Alex. La vie pouvait parfois être brusque, prendre des embardées rapides comme son amour pour Alex était né. Mais parfois, le temps était au calme, à la lenteur, à la reconstruction et construction de relations. Avancer tranquillement, ne pas se presser, prendre son temps. Respirer et puis sourire.

« Tu ne fuis pas ? » demanda Alex d’une petite voix.

« Non. Je ne suis plus cette gamine terrorisée. Je suis là. Je serai toujours là pour toi. »

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