-Ronin, je souhaite m’entretenir avec Yui Valentine.
Derrière le comptoir, Valentine se retourne, une serviette à la main tout en continuant de sécher une tasse de thé. Il échange un bref regard dénué de sens néanmoins entendu avec Féa, son employé du salon, avant d’accueillir la femme qui vient de rentrer. Le salon de thé connaît une clientèle variée dont certaines visites sont devenues récurrentes au point de savoir qui est là avant même qu’on se présente au comptoir.
Aujourd’hui, c’est la voix de Sonoko, cette femme de la haute bourgeoisie nippone qui vient fréquenter le salon de thé pour tremper ses lèvres dans les paroles de cet homme, qui de toute évidence l’attire, sans qu’elle ne se le cache. A cet effet, elle s’est appropriée très rapidement son environnement jusqu’à appeler les employés de la maison par le surnom que leur donne Valentine.
Inscrite dans l’aristocratie du pays, Mademoiselle -elle n’aime pas Madame – Sonoko est une femme qui s’ennuie fermement de son mari, un pilote de ligne civil plus souvent dans les airs et ailleurs plutôt qu’à ses côtés. Et plutôt que d’aller jouer au golf avec ses amies, elle a décidé de jeter son dévolu sur ce modeste salon de thé depuis quelques mois. Et puis avant cela, sur Valentine lors de sa convalescence, après son accident.
-Bonjour mademoiselle. Prenez la table qu’il vous plaira, invite calmement Valentine alors qu’il sait déjà qu’elle va encore choisir la table qu’elle emprunte toujours, là bas, dans le coin, contre la fenêtre.
Mademoiselle Sonoko boit du thé rooibos, ou du thé oolong, c’est selon. Et Yui pourrait presque prédire son humeur du moment en fonction de son choix. Aujourd’hui encore, la grande dame porte ces lèvres carmins, en plus de son allure extrêmement droite sous sa robe aux tissus et finitions nobles.
– Laissez-moi vous surprendre aujourd’hui et vous proposer du thé Sencha.
La théière se met à vapoter tandis que flotte dans les airs, ce parfum d’élucubrations infusées.
***
-Vous me paraissez bien allègre, Valentine.
-Et vous avez raison, répond sobrement Yui alors qu’un mince sourire étire ses lèvres fines.
Sonoko lève les yeux et contemple cet homme dont le cœur a toujours été pris depuis qu’elle le connaît. Le gris étrange que lui offre son regard la trouble un instant alors qu’il la contemple passivement en retour. Sonoko apprécie son teint blafard de malade, son air distant et posé, son calme derrière ses pensées torturées, ses mouvements soigneusement maîtrisés. Elle apprécie la confiance qu’il dégage de lui même, ses cheveux blonds trop clairs qui virent délicatement au blanc. Mais son penchant par dessus tout, est sa capacité à rendre leur temps élastique à chaque fois qu’elle le retrouve.
-Allez-vous me dire ce qui vous enchante autant ?
Un silence passe, flottement hasardeux pendant lequel Yui regarde la rue derrière la baie vitrée de son salon. Il a parfaitement conscience que Sonoko veut savoir et doit savoir.
-Et bien…, commence t-il doucement, je songe à la manière dont je souhaiterais demander à une femme si elle accepterait que ma métaphysique reste à ses côtés et l’accompagne pour les années à venir.
Le cœur de Sonoko frémit. Elle prend une délicate gorgée de thé, ferme les yeux puis émet un sourire bienfaisant.
-Puisse votre demande être entendue, je ne vous souhaite que le meilleur…, elle soupire et ajoute, -Cammy Logan brise mes idylles. Décidément…
Yui Valentine sourit et lui sert le thé sans mot dire. Le silence, en guise de réponse.