Les valises prêtes, ils dînèrent sans rien dire. La peur se lisait sur le visage de ses parents. Marie aussi commençait à avoir peur et à regretter d’avoir voulu en savoir plus. Elle avait agi de manière impulsive sans penser aux conséquences. Si son père lui en avait dit plus, elle n’en serait peut-être pas arrivée là non plus. Elle mangeait silencieusement. Soudain, sa mère poussa un cri. Elle regardait par la fenêtre de la cuisine. Arturo et Marie regardèrent aussi dans cette direction. Sous un lampadaire, au coin de la rue, se tenait un homme. Son allure débraillée rappela à Marie l’homme qu’elle avait pris pour son père. Arturo se leva vivement et courut vers la porte d’entrée. Il ouvrit la porte et demanda à sa femme de fermer à clé derrière lui. Il se dirigea vers l’homme. Le bohémien, lui, n’avait pas bougé d’un pouce. Il attendait qu’Arturo arrive vers lui. – Salut, mon frère, dit Beniccio. Jalla michto?(comment ça va ?) Arturo serrait les poings le long de son corps et lui répondit : – Qu’est-ce que tu veux ? Pourquoi es-tu là ? Ne m’as-tu pas fait assez de mal ? J’ai abandonné ma famille de ta faute, et en plus, j’ai appris que tu avais lancé une malédiction sur ma tête ainsi que sur ma descendance. Et toi, tu oses te présenter ici, devant ma porte, comme si de rien n’était. Kashitarac, si tu ne veux pas que je te brise les yarés, je te conseille de partir et de nous oublier.
Beniccio regarda son frère d’un air sérieux, puis se mit à rire à gorge déployée. -Voyez-vous ça. Tu crois que tu me fais peur, toi le gitan devenu un mensché (gitan qui habite une maison), tu penses être plus fort que moi ? Je t’avais prévenu pourtant. Tu m’as trahi pour une shucardi (jolie femme non gitane), tu m’as humilié et tu pensais que j’allais te laisser t’en sortir ainsi. Sais-tu que Cacou t’a banni de notre famille. Bien sûr, il a bien fallu que je leur raconte que tu m’avais fait du chantage pour que je triche pour toi et aussi pour ta relation avec cette femme impure, et que c’est pour ça que j’ai été renvoyé de l’académie. Ça fait des années qu’ils te recherchent pour te faire payer ta trahison, sale serro fouco (fou) et maintenant que je t’ai retrouvé, prépare-toi car quand la Lune sera à son plus haut point dans le ciel, tu risques de recevoir de la visite. Arturo bouillonnait de rage ; -Tu leur a raconté n’importe quoi, ordure. Tu n’es qu’un un gou djarro (sale menteur), mais je ne me laisserais pas faire. La vérité éclatera et je t’obligerais à enlever le schpuc (mauvais œil) que tu as mis sur ma famille, quel qu’en soit le prix, je le jure devant Barodével (dieu des gitans), chien que tu es. Maintenant, yalo (fou) va-t’en et ne reviens jamais. – A bientôt, gadjo (imbécile). Profite des quelques jours qu’il te reste. Sur ce, il reparti tranquillement en sifflotant. Arturo était resté figé un instant sur place, puis quand son frère passa le coin de la rue, il courut chez lui et sa femme lui ouvrit la porte. -Evy, prends les valises et mets-les dans le coffre de la voiture. Il faut partir tout de suite. Nous sommes en danger. Ma famille sait où nous sommes. Beniccio leur a menti et ils me prennent pour un traître. Apparemment, j’ai même été banni, mais ça je m’en doutais un peu, mais ils veulent se venger, et je ne veux pas que Marie et toi soyez encore là quand ils débarqueront. Evy obéît sans discuter mais Marie restait figée sur sa chaise. -Que va-t-il nous arriver, papa ? lui demanda-t-elle. Arturo ne savait pas quoi lui répondre car lui non plus ne savais pas ce que sa famille préparait mais il était sûr que c’était quelque chose d’encore pire que cette maudite malédiction que son frère avait mise sur sa tête. Il demanda donc à Marie de prendre sa valise, et tout le monde s’installa à l’intérieur de la voiture familiale.