B1
Nous avancions vers l’inconnu. Il n’y avait rien. Rien qu’une plaine à perte de vue. Encore et encore. L’aventure viendrait mais on était pour l’instant dans un désert de pierres et d’herbes en rase motte. Il faisait froid. Les rayons du soleil peinaient à traverser les épais nuages gris qui étaient au dessus de nos têtes. Ceux-ci ne voulurent pas s’écarter, cela aurait été bien pour nous réchauffer car je commençais à geler des pieds. Je n’avais que des chaussures légères qui ne protégeait en rien du froid mordant que le sol à nu dégageait. Quelques pierres me blessèrent les pieds, ne facilitant pas mon avancée. Pourtant, je continuais, ce n’était pas ça qui allait m’arrêter. Mais je ralentissais et m’éloignais progressivement d’eux, ils étaient loin devant moi. Se demandant ce que je faisais à traîner en arrière, Pounce se retourna et, voyant que je galérais, constata:
– Ah ! Pourquoi tu ne nous a pas dit ? Je vois que tu
n’as pas de bonnes chaussures. Et il te faudrait un bon gilet épais en plus d’un pantalon pour te couvrir, tu grelottes de froid. Je ne m’étais pas rendu compte. J’étais tellement excité de partir en voyage. Rem, donne donc de quoi habiller le jeune homme.
Il grommela quelque chose dans sa barbe naissante mais s’exécuta.
Il n’y avaient pas de bagages pourtant, et tout d’un coup, des bagages apparurent comme si une créature invisible les recrachait rapidement. Une seule explication était possible : la magie.
-En effet, Rem possède une magie d’espace, dit-il comme si il lisait dans mes pensées. Elle consiste à envelopper un certain espace qu’il a choisi, c’est une zone invisible ou tout est presque possible pour lui. Cela peut servir à beaucoup de choses comme contenir des affaires dans un espace indéfini. Et pour moi, c’est une magie bien plus compliquée que je t’expliquerais plus tard.
Il me tendit l’épaisse fourrure et les grosses chaussures que j’enfilai. J’étais bien mieux comme ça, c’était vrai. Il me demanda si c’était bon, si on pouvait continuer le chemin, je dis oui. Alors on continua. Traversant un désert glacé et inhospitalier au départ. Celui-ci devint continuellement plus verdoyant. Les rares herbes d’avant devinrent de plus en plus présentes et plus variées. Il y avait des arbustes et arbrisseaux où pendaient des baies que je ne connaissais pas et qui étaient toxiques, me dit-il. Cela se termina comme si la végétation n’avait jamais existé puis reprit par intervalles. Plusieurs kilomètres après, était bien autre chose, on allait bientôt gravir une montagne. Parmi d’autres, elle dominait de toute sa hauteur. Le terrain devenait déjà oblique, cela montait tout doucement. Un mur se profilait devant nous.
– C’est une petite montagne composée de plusieurs cols mais on la traversera rapidement. C’est juste la partie d’un ensemble de montagnes qui forme une longue frontière naturelle de millier de kilomètres. Cela permet de séparer le pays de Shaggarak de celui d’Enventure, le pays des aventures. La terre des dangers et des merveilles. Tu vas voir. Ça va être marrant.
Je doutais que ce soit si facile mais quand il fallait y aller, il fallait y aller.
Le chemin fut dur. On escalada tout en faisant attention où on mettait les pieds. La montagne offrait plein de périls comme des éboulis, des pierres qu’on croyait stables mais qui ne l’étaient pas et des endroits où c’était glissant dû à la neige fondue récemment. Je piétinais vraiment par rapport à mes deux comparses. Je ne pouvais pas les laisser autant me devancer. J’accélérais. Je sentais mon cœur, ma respiration vibrait et tous deux s’accordèrent. J’inspirais, un battement puis j’expirais. J’inspirais, un battement puis j’expirais. Et ainsi de suite. Mon corps rythmait mes pas. Mes pas rythmaient mon corps. Je les rattrapais. Je me sentais de mieux en mieux malgré l’altitude qui augmentait. Le sol s’accordait à ma cadence. C’est comme si j’étais en harmonie avec la terre, avec la montagne. C’est comme si elle m’avait accordé sa confiance en sondant mon cœur. Je les dépassais et je les distançais de quelques mètres, un peu trop confiant en moi certainement. Je glissais, à cause d’un gros caillou, sur les quelques mètres que j’avais pris d’avance. J’allais sûrement finir au bas de la montagne ou me fracasser le crâne sur les grosses pierres en travers du chemin. Mais non. Heureusement, une main miraculeuse me sauva la vie. Je ne sais pas comment. Une fois rétabli, quand je tournais la tête de tous les côtés, je ne vis pas la personne qui m’avait sauvé. Rem et Pounce se tenaient un peu loin pour m’avoir secouru, ou c’est moi qui voyais mal.
-C’est moi qui t’es sauvé, répliqua quelqu’un. Fais attention.
Quand je portais l’attention sur la personne, je vis deux yeux marrons bien symétriques et me convainquit qu’il m’avait bien sauvé même si je ne savais pas par quel façon.
Après ma grosse frayeur, je me fis plus prudent, restant quelques mètres derrière eux. Mon sauveur jeta des fois des coups d’œil derrière lui pour s’assurer que j’allais bien. Tout se passa bien pendant le reste du trajet. Je restais tranquille. Des pierres, des rochers, du granit. Il n’ y avait que ça et l’a-pic vertigineux avec un magnifique horizon bleuté parsemé de quelques nuages gris presque blancs. On ne voyait pas le soleil, délavé par le ciel. Seule une luminosité extrême était présente. Je commençais à manquer d’air. Col après col, on n’en voyait pas la fin. C’était comme si on suivait le mur de montagnes. Coincé entre deux versants. A l’épreuve du vide.
Soudainement, je fléchis. Je mis un genou à terre. Pounce s’aperçut tout de suite que quelque chose n’allait pas.
– Qu’est-ce qu’il y a ? Tu ne vas pas bien. Ça se voit. Tu es tout palot.
– Oui, je n’arrive plus à bien respirer. Je manque d’air.
– Impossible. Pourtant il devrait y avoir aucun problème. Il doit y avoir assez d’air pour nous trois dans cette zone.
Il comprit tout de suite et lança un regard de mépris envers Rem.
– Tu n’as pas étendu ta zone jusqu’à lui pour qu’il puisse respirer plus facilement et ne pas subir les contre-coups de la montagne. N’est-ce pas Rem ?
– Désolé. J’ai complètement oublié de le faire. Bon dieu que je suis tête en l’air parfois. Je me damnerais. s’insulta-t-il, l’expression un peu vague.
Le sus-mentionné détourna vivement la tête. Il avait un long voyage à continuer.
En effet, j’avais réchappé de peu mais tout allait en bonne route. Rem avait étendu son espace vital. Je me sentais beaucoup mieux. Moins essoufflé. L’autre versant de la montagne se passera sans difficultés. Déjà un paysage se dessinait au loin. Une plaine de plusieurs kilomètres comme celle qu’on avait avant de gravir la montagne. Plus au loin, il y avait une grosse masse végétale comme une jungle. C’était la dernière image que je vis.
B2
On n’était pas à la moitié de l’autre versant. Et un gouffre immense s’ouvrit sans crier garde. Sous mes pieds, il n’y avait plus de sol. Il n’y avait pourtant pas de raison de s’inquiéter, mes compagnons déambulaient quelques mètres plus loin mais eux aussi, tombèrent avec moi. Personne n’eut le temps de réagir, trop surpris pour ça. Ce fut une longue, une très longue descente dans les ténèbres. Interminable. La fin de celle-ci était indéterminable. On ne voyait rien. Nous allions nous écraser. Je fermais les yeux à m’en faire saigner les paupières et priais je ne sais quel dieu de nous sauver de cette galère. J’attendis. Rien ne se passa. Pas de choc brutal. En fait, un gigantesque coussin avait amorti ma chute, ou une main, la même main salvatrice que lors de ma dégringolade, elle m’avait retenu, me déposant délicatement sur la surface molletonné du coussin. Ou les deux. En tout cas, cela m’avait sauvé la vie. C’était peut-être un dieu. C’était peut-être autre chose.
– Tout le monde va bien ? Personne n’est blessé ?
Je reconnus la voix. Une voix grave et posée mais chaleureuse. Pounce. Je dis oui.
– Ce n’est pas grâce à toi en tout cas. J’aurais pu m’écraser. Tu t’en foutais.
– Ah oui ! J’avais oublié qu’on était trois. Tu n’as pas eu trop mal ?
– Non. J’ai vu le sol. Heureusement j’avais créé comme un coussin d’air autour de moi, diablotin.
Il avait toujours une voix sarcastique et un peu froide. Même si il avait, si on peut le dire, un côté attachant. Ce Rem alors !
Il avait fait varier le frottement de l’air. Tout s’expliquait, enfin presque. Pounce reprit :
– Cela ne nous arrange pas du tout ce qui nous est arrivé. Mais c’est l’aventure. J’adore. Allons y gaiement.
– Deux minutes, empressé ! Tu vois bien que le jeune blanc-bec n’y voit rien… Non, ça, c’est mes fesses. Ne touche pas à mes fesses ! Obsédé ! hurla-t-il.
Je reçus une petite tape sur la tête pour me faire reculer. Comment il avait fait cela ?
– Oh désolé ! Je ne voulais pas faire ça.
– Pas de soucis. Il rechigne mais il aime se faire peloter. Pas forcément par des gars. Plutôt par de jeunes filles bien en chair là où il faut, si tu vois ce que je veux dire, dit-il avec un ton taquin. Il avait certainement un sourire malicieux à sa face.
Pas de réponse. Soit Rem était trop gêné soit trop furax pour répliquer.
– Comment va-t-on faire ? Mmmmh… Je sais ! Nous allons nous encorder. Une file indienne. Lui, moi et toi.
– Pas question qu’on s’attache. Nous ne sommes plus des gamins. Pour faire des conneries comme ça. Pas question !
– Tu vois une autre solution, gros navet. Sinon il va se perdre et je n’en ai pas envie.
Rien. Il n’y avait qu’une solution même si cela ne l’enchantait guère.
On était tous les trois attachés les uns aux autres mais comment on allait faire pour choisir la direction ?
Il répondit à ma grande surprise :
– Souviens-toi, on a notre ultrasens. C’est vrai que je t’ai raconté qu’on l’utilisait pour repérer les autres kelan c’est-à-dire porteurs de magie. Mais on l’utilise aussi pour se repérer dans notre environnement. Ce qui nous sert pour sauter d’arbre en arbre ou se diriger dans l’obscurité complète.
Une fois l’explication terminée, nous avancions promptement. J’étais dans les ténèbres comme aveugle, mais eux, ils marchèrent comme si il faisait jour. Je leur fis une fois encore confiance. Je n’avais pas le choix. Nous progressions dans une nuit éternelle.
B3
Nous étions tombés dans une cathédrale de pierres où tous les bruits se faisaient écho. Une fois la gigantesque caverne passée, l’espace se réduit ostensiblement. Ce n’était pas un fait, c’était une sensation. J’essayais de me rassurer en me disant qu’ils savaient bien ce qu’ils faisaient.
-Ne t’inquiète pas. On doit être entre deux parties de la caverne traversée ou on entre dans une nouvelle.
En effet, par la suite, cela s’agrandissait. Nous continuâmes dans le noir. Longtemps.
J’étais totalement perdu. J’étais désorienté. Cela descendait de plus en plus, c’était en pente. On allait descendre vers le centre de la planète ou quoi ? Cependant, on retrouva une surface plane. Puis cela alla de nouveau en pente. Et ainsi de suite. Des fois virant brusquement à gauche et des fois faisant un détour à droite ou l’inverse. On tournait en rond ou quoi ? Je ne savais plus si j’allais retrouver mon chemin. Si la corde cédait ! Je me retrouverais tout seul, paumé et apeuré. Par ce noir qui bouffait tout. Tout ce qui aurait été possible de voir grâce aux quelques rayons de lumière qui perçaient parfois dont je ne sais où. Plusieurs fois, on s’arrêta, se reposant et se nourrissant, ne disant rien ou quelques mots. Ils étaient étrangement silencieux. Le voyage sembla me durer une éternité.
Lumières. C’étaient des hallucinations ? C’étaient mes yeux qui vrillaient tellement le manque de lumière se faisait sentir ? Non ! Je ne rêvais pas. Super, une civilisation ou un endroit où on pourrait bien voir. C’était bien mieux que ça. Une cité qui s’étendait sur des kilomètres, une immense grotte. Au plafond de celle-ci, il y avait des immenses cristaux incrustés profondément dans la roche. C’était ça, la source lumineuse. Par crainte habituelle, je me demandais s’ils tiendraient le coup si il y avait un séisme. Mais non, je me faisais des films.
– C’est bien ça. On ne m’avait pas menti. Des habitants de la surface se sont réfugiés sous terre. Ils y ont construit des cités de toute taille selon l’espace libre qu’ils avaient, dans des puits profonds ou dans des vastes cavernes, dit Pounce, sans surprise.
S’oublia très vite la peur, il y avait une multitude de belles choses, on s’y perdait. Différents marchands, différents stands tous pleins d’objets. Ils criaient fort. Une vraie cacophonie mélodieuse. Avec le son d’instruments. Des petits tambourins dans les basses. Des longues sitars dans les graves. Une énorme comédie. Une scène musicale. Tout était grandiose. Les petites échoppes éclairées, à l’intérieur, par des cristaux. Dans la demi-obscurité, on voyait de vagues silhouettes marchandaient de mystérieux objets. De petites casbahs se profilaient plus loin. Sur un, deux ou trois étages. Dominées par de grands édifices plus ou moins étroits. Parfois tout près, les écrasant de peu de leur masse. De vastes avenues commerçantes reliées par de ténébreuses ruelles ou impasses. Avec des ensembles de labyrinthes de maisons entre autres.
Nous déambulions dans cette cité pleine de diversité. J’étais émerveillé. Je ne savais où tournait de la tête. Un instant, j’eus comme l’impression qu’une partie de la ville était plus basse ou vide tout au loin, à gauche. Je l’ occultais bien vite. Je faisais attention à ne pas perdre mes compagnons. J’eus du mal à les suivre. Ils marchaient tout en avant. Apparemment, ils savaient un peu près là où ils allaient. Ne demandant que quelques fois des informations à des gens. Rapidement et sûrement nous nous dirigeâmes vers une énorme bâtisse rectangulaire. Au pied de celle-ci étaient postés deux gardes de presque deux mètres de haut, d’une coiffe bleue intense et d’une pâleur extrême. Pounce essaya d’engager la conversation.
– Bonjour. Nous sommes des voyageurs égarés et nous aimerions voir le roi de cette cité.
Les deux gardiens ne bronchèrent pas. Alors il dit :
– On aimerait voir le reye Maxim Runtukat. C’est l’Avaleur, le divin et puissant Pounce Cy qui le demande. Dites bien mot pour mot, il comprendra.
Soudainement quelque chose dans leur attitude changea. Le plus petit d’entre eux rentra par la porte qu’il gardait. Nous attendîmes quelques instants. Puis il revint et nous fit signe d’entrer.
B4
– Alors, Avaleur, comment vas-tu depuis tout ce temps? On ne s’est pas vu depuis la quête d’Orifam.
– Je peux aller comme je peux aller maintenant. Impatient et enthousiaste.
– Tu l’as toujours été. C’est toi qui bravait le premier tous les dangers, en quête d’aventure.
– C’est vrai. C’était une autre époque mais je n’ai pas changé, Runtukat.
– Non, ne répète pas ce nom. Il me fait horreur. Déjà que tu l’as dit à mes gardes. Ils n’ont rien compris heureusement. Pourvu que ça ne s’ébruite pas.
– Runtukat, en djibal, la langue de ton pays d’origine. Ce qui veut dire coureur de jupons. Ça te va si bien.
– Je ne suis plus le freluquet d’il y a dix ans. Maintenant, je suis le roi de cette cité appelée Terayem et du pays qui l’englobe, Umbria.
– Par un heureux hasard, je crois, constata-t-il encore.
– Je l’ai hérité de mon défunt père. Parti il y a longtemps de son pays d’origine et qui a fondé la cité puis ce pays. Finissons en de cette conversation. Allons nous restaurer à volonté. J’ai une faim de loup, Pouncy, railla-t-il à son tour.
-Et un appétit d’ogre, rajouta le rieur Pouncy.
C’est ce à quoi il ressemblait mais en plus humain. Aussi massif et costaud qu’il avait des traits fins et parfaits. Ces yeux étaient d’un bleu cristallin et sombre était sa peau. Nuancé d’or.
-Ben dis donc t’as un sacré appétit. Moi qui croyais être le seul à en avoir autant, bon dieu de z’yeux translucides. Quel est ton nom ?
– Il ne se souvient de rien. Il a perdu la mémoire, répondit Pounce.
– Ah oui, c’est vrai ?
Il n’attendit pas la réponse.
Trop impatient.
– Et toi, mon beau vieux Rem. Toujours en quête de trésors. Tu en laisses au moins une part. Je me souviens de cette fois où tu avais tout pris.
– Ne m’appelle pas mon vieux, gros balourd. Je n’ai que trente ans à peine. Et non, je ne suis pas un égoïste, vieux vicelard.
– C’est celui qui dit qui est, dit-il d’un air enfantin.
– Ah! Je me demande vraiment ce qui se passe dans ce palais. Vu que je sais comment tu es, espèce d’enflure.
– Ça te tenterait bien. Hein? Mais laisse tomber. C’est pas pour les petits, se moqua-t-il en se trahissant.
Un dialogue d’enfants. J’étais abasourdi. Je n’avais jamais vu Rem comme ça. Pounce fut moins interloqué que moi. Il avait du avoir l’habitude.
Le repas se passa ensuite plus calmement. Seulement ponctué par leurs petites conversations et leurs gamineries. J’eus une dalle extraordinaire et j’engloutis le plat de fraises au sirop. En plus des autres mets d’avant. Il y avait tellement de bonnes choses délicieuses et raffinées. Il fallait vraiment dire des félicitations au chef. Tout ceci était un chef d’œuvre. Cela me comblait. L’aventure, ça creuse. Et celle-ci allait continué. La discussion prit un nouveau tournant entre le roi et son comparse. Le monarque avait la mine sombre. Sortant la tête du bol de fruits rouges, je fis attention à ce qu’ils disaient, mais à moitié. Je ne comprenais rien. Ils chuchotaient. Pounce prit tout de suite part à la conversation. Je n’avais entendu que les mots «devin», «nains guerriers»? et «maître des ténèbres». Ce qui me laissa franchement rêveur.
B5
Il y eut le silence. Le roi était parti. Les plats desservis et la mission bien servie. A ce que m’avait dit Pounce, le devin du royaume avait été enlevé par des nains guerriers aux proportions volumineuses et qui avaient battu facilement les soldats restés dans la ville. Une bonne partie de l’armée du royaume était partie en guerre autre part et la ville avait moins de défenses. Il paraissait que ces nains étaient au service du maître des ténèbres, un sorcier d’une contrée pas si lointaine qu’on avait jamais vu car personne en était ressorti vivant. Et on devait aller le sauver ? Si des soldats aussi vigoureux, comme ceux que j’avais vu, avaient été battus si facilement, est-ce qu’on aurait la moindre chance ? Nous trois. Dont un qui ne savait pas utiliser la magie. Je ne donnais pas cher de nos os. Et pourtant on y allait. On était sur le chemin.
Bonne chance, avait dit le roi. Bonne chance de quoi? Nous allions nous faire ratatiner. On n’avait aucune chance et pourtant mes deux compagnons souriaient. Je voyais leur mine ravi grâce à la lumière de la torche à cristaux qu’ils nous avaient donné. Une torche bien utile qui ressemblait à une torche classique sauf que le feu était remplacé par des cristaux. Ceux-ci étaient enlacés, fusionnés à un bout de bois, ne faisait presque qu’un. Un sceptre. Un bâton de combat. Peut-être que cela me servirait pour me battre. A coup de bâtons. Ou à invoquer je ne sais quel esprit. Par ce sceptre, j’invoque Lolaïs, esprit de l’éther et de l’éphémère.
Oh j’étais entrain de dérailler. C’est la peur qui me faisait ça ou le manque d’air. Ils m’avaient bien dit que plus nous allions vers cette contrée des ténèbres, plus l’air manquerait vu la profondeur. Non, impossible. Rem avait étendu encore sa zone pour ça.
– Euh…je commence un peu à flipper là. Vous êtes sûr qu’on ne peut pas éviter cette mission. Ils récupéreront bien leur devin une fois leur armée recomposée.
-Impossible. Je connais ces nains guerriers. Ce sont des balèzes. Une simple armée, même grande, de cent hommes, surtout non magiciens comme ils le sont, ne pourrait les défaire si ils sont au moins la moitié. La plupart de ces nains pratique une magie très spéciale.
Une voix aigre me remit les idées en place :
– Commence pas à flipper, petite nature ! Vu comme tu respires, tu ne tiendras pas longtemps. Calme-toi ! Je n’ai pas étendu mon espace vital car nous devons économiser notre magie. Idiot !
Des bruits sourds et lointains comme si un cœur battait sous la terre. C’est ce que j’entendis. Mon ouïe s’accentuait vu le manque d’air. Oui, c’était pareil à des battements de cœur.
– Des bruits de tambours. Il doit y avoir des personnes quelques mètres plus loin.
– En effet, fut sa seule réponse. L’air très concentré.
Je ne voulais pas aller vers ces bruits. Mais un sentiment inouï de bravoure et de curiosité l’emporta. Direct, je les suivis, les yeux fermés. Certainement, un peu trop car j’entendis :
– Viens par là, idiot ! Tu vas nous faire prendre.
Il m’attrapa violemment par le bras et me cacha derrière un gros rocher avec eux.
A plusieurs centaines de mètres, en contrebas, un feu brûlait dans une très longue rigole, accolée sur tout le pourtour de l’immense grotte. On ne voyait pas le fond. En effet, un édifice triangulaire, lisse et géant ressemblant à une pyramide trônait en plein milieu. Un homme, tout en bas, tenait un poignard tendu vers un autre individu. Ils étaient encerclés par dix- vingts nains. Une autre partie était entrain de monter la garde. A peine à une centaine de mètres de nous. On les voyait mieux que ceux au fond, tout flous. Je me demandais comment mes deux amis les avaient vu avec autant de netteté, ils avaient une vision d’aigle ou quoi? Question vite retirée. J’avais oublié l’homme aux yeux aquilins. C’était probablement un des nombreux effets de l’ultrasens.
-Attends là. On va faire du repérage.
B6
Ils partirent vers l’avant sans me laisser répondre. Ils y allèrent discrètement en se baissant. Essayant de ne pas se faire repérer. Zigzaguant et se cachant derrière des rochers quand il y en avait ou dans des ombres. Une forme derrière lui attira l’attention de Pounce mais non, il n’avait pas ça.
– Alors vous avez fini votre repérage ou quoi ? Vous devriez les attaquer au lieu de tourner en rond ?
– Cache toi idiot ! dit Rem.
Chanceux, ils trouvèrent une ombre pour s’y fondre.
– Espérons que personne ne nous ait vu.
– Trop tard.
Une réponse lui advint bientôt. Ils avaient été trouvés. Dix nains les encerclaient déjà. Ils furent obligés de les suivre derechef. Leur hache était pointé vers eux.
Enfin on était en face du maître des ténèbres. J’étais à la fois apitoyé et étonné. Derrière la capuche qui cachait son visage et la cape qui cachait son corps, ce n’était pas un puissant sorcier effrayant. C’était un homme chétif à lunettes. Il n’inspirait même pas la crainte. Si ce n’est son couteau qui pointait entre nous et l’homme qui tenait proche de lui. C’était le devin enlevé. Il avait l’air un près en bonne santé même si il avait une petite coupure à l’arcade sourcilière. Il me regarda et je vis du chagrin dans son regard. Vaguement, je crois. Quand le «maître» lança :
– Vous êtes certainement des personnes envoyés par le roi pour sauver le devin. Il ne le verra plus jamais. Je vais le sacrifier au tout puissant dieu des ténèbres.
– Pourquoi le sacrifier ? Il ne vous a rien fait. Je m’insurgeais malgré l’œillade agacé de Rem.
L’homme chétif me signifia avec un regard de mépris:
– Je n’ai pas à me justifier cependant je vais te le dire. Ce devin n’est qu’un copieur. Un fac-similé de moi, le grand maître des ténèbres. Ah ! Ah ! Ah !
C’était moi ou il essayait de faire un rire diabolique ?
Il s’étouffa et reprit :
– Il ne peut y avoir qu’un grand maître des ténèbres qui sert son dieu. Celui-ci utilise des pouvoirs aussi issus des ténèbres mais c’est pour le faire comme devin au service du roi. Quel blasphème!
– Franchement, je ne comprends pas. C’est n’importe quoi. On ne peut pas le faire que pour ça. Je m’emportais très vivement. Je n’avais pas peur de lui.
– Je m’en fous de ce que pense une simple larve. Allons, finissons en ! Notre dieu attend son sacrifice.
Oh dieu ! Puissant dieu des ténèbres ! Nous allons t’honorer ici et maintenant. Par le sang de l’impie qui t’as offensé et qui va couler, nous allons te calmer !
Après un regard oblique et pervers, qui me fit frissonner, il continua par ceci :
– En prime nous t’offrons trois autres personnes. Du menu fretin mais qui te fera du bien.
Il va continuer sa diatribe longtemps ou quoi ? Il ne va pas nous sacrifier, c’est un grand malade !
– Si tu crois qu’on va se laisser faire. C’est que tu n’as rien dans la tête, mon gars.
– Comment ? Tu oses interrompre le rite sacrificiel?
– Si c’est pour t’entendre dire des bêtises pendant des heures, oui.
– Quoi? Il faillit s’étrangler avec sa petite barbiche noire. Tu me critiques ?! Tu me lance des piques ?!!
– Et je te… panique.
– Assez ! Tout compte fait, tu seras le premier à être sacrifié pour que notre dieu puisse contrer le Sanctum.
Les nains qui m’avaient tenu par les bras tout le temps, la corde au cou et les mains liés par l’avant, me forcèrent à aller vers l’autel. On m’ordonna de mettre ma tête sur une grosse pierre et à ne pas bouger sous la menace d’une hache qui me décapiterait prochainement. Sauf si…
Je regardais derrière moi. Entre un regard interloqué et un impassible. Je ne voyais pas trop de soutien.
J’eus tout de suite moins confiance en moi et je regrettais ce que j’avais dit. Vraiment c’était moi qui avais déblatérer tout ça. Moi qui avait été d’un tel aplomb. D’un tel courage. J’étais devenu fou !
On allait m’exécuter. On allait me trancher la tête. Je ne sentirais peut-être rien. Non. Suis-je bête ? Je souffrirais forcément. Perdu dans mes pensées. Je fus coupé dans mes divagations par quelqu’un.
– Le jour du châtiment viendra pour toi. Les âmes des défunts. Les gens que tu as fait trépasser. Ils viendront t’emporter. Le royaume sera délivré.
Qu’est-ce que l’autre devin avait dit ? Il avait fait une prophétie ? C’est ça. Cela ne nous protégerait pas du tranchant de la lame sur nos cous.
– Qu’est-ce que tu marmonnes, jeune ignorant ? dit le sorcier des ténèbres.
– Oui, le jour du châtiment par le pudding viendra et ton ventre, de trop manger, explosera.
Il déraillait. Il parlait de pudding. Mmmh… Pudding. En plus d’avoir peur, j’avais faim maintenant.
– On ne peut pas faire de sacrifice tranquillement. Je vais le faire moi-même. Donnez-moi la hache. Je vais trancher dans le vif du sujet. Ah, ah, ah !
J’allais mourir sur une mauvaise blague. Non, pas possible. J’essayais de trouver quelque chose pour me défendre. Rien, rien et rien. Ah, non! Si ! Le flambeau de cristal. Arme futile mais cela l’assommerait un petit instant. La corde était assez ample pour me déplacer vers lui et frapper. Il était encore de dos. Criant sur ses acolytes et sur le devin. Je pris fermement à deux mains la torche. Je m’approchais vivement et le frappais brusquement à la tête. Le cristal explosa en milles morceaux mais réussit à l’assommer, il s’écroula par terre. Bien joué. Mais après ? J’avais des nains enragés parce que j’avais blessé leur maître devant moi et un précipice de vide derrière. J’étais bloqué.
B7
Des étincelles. Oui, des particules de lumière, libérés par les cristaux, flottaient autour de moi. Un nuage lumineux qui s’approcha de mes mains. Mes ongles devinrent comme cristallins. Non, ils l’étaient. Comme des griffes de verre. Je ne m’étais pas rendu compte de ça avant. Je pris peur. Je balança mon bras dans l’air. Aussitôt, une immense vague de lumière déferla sur les nains et en éradiqua quelques uns. D’autres vinrent de plus loin rejoindre leurs rangs.
– Parfait ! Nous allons enfin pouvoir nous amuser. Le coup de départ est lancé, dit quelqu’un.
Des lames de vents. Des coups de sabre. Des bruits d’acier contre acier. J’étais encore trop intrigué, le regard fixé sur mes mains. C’étaient mes mains qui avaient ça ? Oui, en effet. Je n’eus pas plus le temps de réfléchir. Déjà un nain s’avançait vers moi. J’essayais de balancer de nouveau un autre coup de lumière mais un jet fugace effleura seulement le guerrier. Il allait me couper en deux. Quelqu’un s’interposa avec son épée. C’était Rem.
– Pounce m’a chargé de te protéger. Alors tâche de ne pas crever, petit diablotin.
J’essayais de le retrouver dans la bataille mais je ne le vis pas. A peine une ombre. A peine un spectre.
– J’ai bien aimé ton petit discours à l’autre tarlouze. Même si j’ai été jaloux de ne pas l’avoir fait moi-même, se plaignit-il tout en plantant un nain de l’épée.
Il tranchait la couenne de ces adversaires en deux avant même que ceux-ci n’utilisent leur magie. Je ne m’en rendis pas compte mais un nain vint par derrière.
Il m’écarta, retourna son épée et l’embrocha aussitôt.
– Prends garde à toi. Le danger peut venir de n’importe où.
Brièvement, la lumière de la grotte vacilla. Des lames de vent nous fouettaient le visage. C’est comme si une tornade allait se former, c’est ce je crus. L’air se fit lourd et se concentrait autour de nous. Ainsi, il y eut moins de luminosité puis plus du tout. Cela avait éteint la rigole de feu et les quelques torches allumées.
– C’est un coup de Séphyra et Pounce, ça.
Je ne compris pas. Qui était cette Séphyra? Je n’eus pas le temps de le questionner, une voix chaude dit:
– Nous devons y aller. C’est bon. On a récupéré le devin. Il est avec moi. Et je me suis occupé de ces petits nains. Ils sont K.O. pour l’instant.
– Ne tardons pas. Allons y chien chien.
On me tira. Je fus à moitié étranglé par la corde que j’avais encore au cou et qui avait été seulement tranchée aux mains par Rem lors de ma libération. Je m’insurgea, je trouvais quand même dégradant ce diminutif.
-Eh ! Je ne suis pas ton cabot. Alors enlève le reste de corde que j’ai encore au cou.
– Désolé. D’accord. Tiens en un bout comme l’autre fois où nous étions encordés tous les trois. Comme ça, je ne te perdrais pas.
Il était bien gentil. Pounce lui avait-il envoyé un de ces regards de désapprobation. Ils y voyaient comme en plein jour, c’est vrai. Le trajet se fit par soubresaut en discutant avec le devin qui dit s’appeler Shrin. Nous sympathisâmes. Copains comme cochons dès le début. Une connivence s’était installé dés le départ.
Nous déambulions tranquillement depuis un moment, silencieux, néanmoins un étrange évènement se passa.
– Attendez les gars, j’ai perdu le devin.
– Quoi ? Comment as-tu fait ? Il était pourtant pas si difficile à garder.
– Rem, je sais. Pas la peine de me parler comme ça, tonna-t-il. On était encordés comme vous deux. Je le regardais régulièrement et sa silhouette était constamment derrière moi. En un clin d’œil, il s’était comme vaporisé.
– D’accord, je te crois mais comment a-t-il fait pour disparaître alors ? Je ne vois aucune magie qui peut faire ça ou ce serait très compliqué.
– Il y a encore beaucoup de magie qu’on ne connaît pas et le monde est vaste. On l’a perdu. La seule solution que je vois est qu’il soit retourné à la cité. Et je dirais même, jusqu’au palais.
– Espérons pour toi. Sinon on est dans une de ces galères.
– Je le sais. Tu es exaspérant des fois.
– Et c’est pour ça que tu m’aimes, petit voyou.
– Non, pas du tout, je te supporte. Très légère nuance.
Cela lui brisa le cœur. Enfin, si il en avait un.
B8
La vengeance, c’est un plat qui se mange chaud. Voir bouillant. C’est bien pour ceux qui vont aller bouillir en enfer. Même ceci ne serait pas assez pour lui. Lui qui m’a infligé tant de mal, tant d’humiliations. Un monstre qui sacrifie le destin des gens au lieu de les sauver. Ce n’est pas mon credo et il va le comprendre dans sa chair. Petit à petit dans la nuit, je me faufile. Je file vers le palais, là où m’attend le roi Maxim. Roi des trahisons. Tout le monde s’est assoupi ou s’est tu depuis trop longtemps. Tous les gens dorment sauf moi et lui car je sais qu’il m’attend. Lui et moi nous savons que nous avons un compte à régler. On doit le faire tout de suite. A cet instant. La libération n’en sera que plus belle. Un despote détrôné.
– Te voilà enfin. Je me demandais quand tu allais venir. Assis sur mon trône, ça fait longtemps à attendre pour un roi.
– Arrête de te plaindre. Tu ne mérites pas d’être roi, tu es un roi de pacotille. J’ai tout le temps pour te régler ton compte. Depuis le temps que je veux faire ça.
– Alors il n’ y a pas de pardon ou de réconciliation.
La seule réponse qu’il eut c’est une ombre qui s’abattit sur lui.
Finalement, nous étions retournés à la cité. Nous avancions et nous étions aux portes de la ville. Un sentiment d’urgence nous pressait. Pounce nous avait raconté que le devin avait de sérieux griefs envers le roi. Il n’en savait pas plus, la conversation avait été coupée lors de la bagarre mais il s’en voulut :
– Décidément, je ne suis pas en forme aujourd’hui. J’aurais dû voir d’après son regard la haine qui vouait envers lui mais une drôle sensation m’en a empêché et la bataille allait commencer.
– Ce n’est pas grave. Tu as battu plein de nains et on a remporté une victoire grâce à toi. Cependant, il y a des jours comme ça où on n’est pas totalement en forme et on fait des bêtises, le rassurai-je.
– C’est sûr. Tu dois en avoir l’habitude. Pour une fois que ce n’est pas moi qui fait des conneries, dit Rem.
Deux regards de reproche se dirigèrent vers lui.
Nous allions entré dans la ville mais deux ombres nous barrèrent le chemin. Deux personnes qu’on avait déjà vu. Le sorcier des ténèbres et un nain immense et musculeux, plus que ceux qu’on avait déjà vu.
– On n’a pas le choix. On doit se séparer sinon il sera trop tard. Beau Gosse va vers l’avant. Nous on s’occupe de ces deux balourds.
– Mais pourquoi lui ? Il n’aura aucune chance si il se retrouve entre le roi et le devin, s’offensa Rem.
– Il en aura plus que si ils se retrouvent face à eux. Il se ferait tuer. Allez, n’hésite pas ! Vas-y ! On te fait un passage, ne t’en fais pas !
Vu le ton qu’il avait pris, j’obéis à son ordre même si je n’étais pas rassuré. Je fonçai, essayant d’éviter les deux méchants. Ils fondirent sur moi au même instant. Le sorcier des ténèbres fut arrêté dans sa course par Pounce, poignard contre poignard et le nain par Rem hache contre épée. A cet instant, c’était à eux d’assurer et à moi aussi. La vie de personnes en dépendait.
– Alors tu défends cet impotent qui a osé me critiquer.
– C’est normal. C’est mon ami. Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Cueillir des fleurs ?
– Je vois que vous avez le même ton impertinent. Tu vas le payer de ta vie. Le serpent des ténèbres t’engloutira.
Immédiatement, une forme longiforme et ténébreuse s’attaqua à lui. C’était sorti de l’ombre du sorcier. Pounce, très agile, l’évita facilement. Elle le poursuivit, sautant sur lui continuellement mais il l’esquiva à chaque tentative. Toutefois, cela l’épuisa au bout d’un moment. Il utilisa le rhavati, une vague forme au dessus de lui, et lança un coup de son long poignard. Cela créa une lame de vent et sectionna l’«ombre» en deux d’un coup net. C’était bien plus efficace qu’un coup non magique. La forme ténébreuse, divisée en deux, se tordit dans tous les sens. Ensuite chacune séparément repartit à la chasse de l’ennemi. Il essaya de les couper de nouveau, encore et encore. Cela ne faisait qu’augmenter leur nombre. Ces serpents le blessèrent plusieurs fois. Pas de quoi l’handicaper gravement mais assez pour le faire tressaillir de douleur. De plus, il avait le sorcier aussi sur le dos. Celui-ci avait laissé tomber son poignard et avait avalé quelques unes des formes ténébreuses. C’était dégoûtant comme si il mangeait des vers de terre tout noirs. Il s’était transformé alors en espèce de babouin énorme avec de gros bras et à la peau sombre. Chacun de ses coups portés fendirent le sol. Il n’avait pas intérêt à s’en prendre un. La lutte était difficile, en effet, il porta au singe d’importantes blessures aux bras et au torse. Il commençait à faiblir. Un coup. Il se déroba de justesse mais d’autres le touchèrent. Il sentit toute la puissance du babouin dans son corps. Il ne voyait qu’une solution : appeler Karatone. Une ombre passa sur son visage puis un vague air prétentieux et important, une lumière irradia tout sur son passage.
B9
– Je ne vois pas comment un déchet comme toi mériterait de se faire assassiner par moi.
– Déchet toi-même, immondice d’humain. J’étais sur terre bien avant toi. Esclave d’un piteux et faible maître qui m’a lié par un contrat en me trompant. Je suis le roi des nains, Engerir, le valeureux. Je vais t’offrir l’honneur de te tuer.
– Que tu crois ! Je ne vais pas me laisser tué si facilement, vil esclave. Allons en garde !
– Je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi, ordure.
La première estoque se fit brusquement par le roi nain, sans prévenir. Cela effleura Rem et la pointe de ces cheveux fut coupée net. Pas besoin d’aller chez le coiffeur. La hache se planta violemment dans le sol, l’éclatant en blocs. Il envoya avec un coup d’hache plusieurs blocs de la terre vers Rem. Celui-ci les enveloppa avec sa magie spatiale et il les explosèrent en poussière.
– Je vois que tu maîtrises une putain de magie de l’espace.
– C’est la dernière chose que tu verras. Tu vas finir comme les blocs. En poussière.
Sur ce, il se porta au devant et attaqua le nain au corps à coup d’épée. Celui-ci se défendit en plaçant sa hache entre lui et son assaillant. Les fers s’entrechoquèrent. La bataille fit rage entre les lames. Entre esquives, feintes et attaques, on ne savait plus quoi regarder. Le nain vit que l’homme essayait d’attaquer sur son côté. Il se prépara. Mais ce qu’il ne savait pas, ce n’était qu’une feinte pour tromper l’ennemi. Rem choisit l’autre côté pour le fendre en deux et perçait sa garde.
– Tu crois qu’une simple feinte comme ça peut me faire perdre. C’est que tu es bien prétentieux, répliqua-t-il en même temps qu’ il donna un fort coup de talon sur le sol et un bloc de terre mêlé de pierres en sortit. Il était juste devant Rem qui se le prit en pleine face. A moitié assommé, il était dans le coton. Il avait le nez enflé et saignait goutte à goutte sur le sol. Il n’eut le temps que de s’appuyer de sa main sur le sol. Le guerrier lui donna un énorme coup de poing dans le ventre. De sa bouche gicla du sang. Cela l’envoya bien loin. Quelqu’un le secoua pour qu’il reprenne connaissance. Le nain le portait comme un bout de viande à son hameçon, lui tenant le bras.
– Allez petite lavette. Tu ne vas pas mourir comme ça. Toi, le teigneux et prétentieux guerrier qui veut me mettre en poussière.
Rem s’en offusqua et essaya de l’atteindre d’un coup d’épée qui trancha le vide seulement. Le nain lui broya presque la main et lui enleva son épée pour la balancer plus loin.
– Ce n’est pas un jouet pour les petits, tu pourrais te faire mal. Ah, ah, ah, rit gutturalement.
– C’est sûr. Tu ne pourrais pas tenir une épée à ma taille, gros plein de soupe.
Son rire s’arrêta net. Une expression de rage emplit la face du nain. La remarque était mal venue ?
– Qu’est ce que t’as dit minus ?
– Tu as bien entendu, gros plein de soupe, cria-t-il.
Le guerrier se mit dans une colère noire et le projeta dans les airs. Il retomba non loin sur la terre ferme, encore vivant et proche de la mort. Il ne sentait plus que de la douleur dans son corps. Le nain sortit encore d’un coup de talon un bloc de la terre. Il cisailla le bloc de gauche à droite par couche successive et envoya le tout vers Rem. Grâce à la magie spéciale du roi nain liée à la terre, il pouvait modifier la densité de celle-ci . Ainsi, une averse de terre molle tomba sur l’homme transformant la surface alentour en boue, comme une pluie acide. Il allait finir enseveli. Une manière horrible de mourir.
– Les sables mouvants t’emporteront bien profond. Dis bonjour aux poissons, à leurs fossiles de ma part.
Les sables l’avalaient progressivement. Il se dit en son fort intérieur qu’il ne pouvait pas décéder comme ça. Trop ridicule et pas assez noble. Il avait une dernière carte à jouer.
– Tu sais, je ne voulais pas dire que tu finirais en poussière. En fait, je m’étais complètement trompé.
Le roi de la terre était enfin en place et ne comprit pas tout de suite. Ce n’est qu’en voyant l’énergie qui se dégageait autour de lui qu’il percuta. Il avait été piégé.
– Tu finiras tranché comme un saucisson, dit-il ironiquement en s’évanouissant.
En effet, il pouvait déposer une marque sur n’importe quelle zone pour que sa magie d’enveloppement s’y applique. Le nain était dans le cyclone et fut cisaillé sur place. Mort par K.O comme son maître.
B10
Pourvu que j’arrive avant que quelque chose de grave ne se passe. Je courais à en perdre haleine le long des couloirs du palais et j’arrivais au terme de mon sprint: à la salle du trône. Effectivement, le combat avait déjà commencé. Les coups pleuvaient de chaque côté. Le roi utilisait une grande masse d’arme pour porter des coups qui faisaient trembler le sol. Le fissurant. De grandes crevasses se formèrent. Évidemment, le devin les évitait à chaque fois. C’était comme si il avait la rapidité d’un lynx. Une grâce presque féline. C’est comme si il avait deviné. C’était son métier après tout. Je n’avais pas remarqué au premier abord mais son ombre se mouvait bizarrement dans les lumières. Tel un morceau de tissu se voilant, comme vivant. Le sol du palais se crevassait de plus en plus, formant d’immenses failles. Si le combat continuait comme ça, il ne tiendrait pas le coup. Moi non plus car je pris malencontreusement plusieurs de leurs attaques en pleine face en voulant les séparer. Des bris de pierres, des stries d’ombres m’avaient blessé partout sur le corps. Et oui, son ombre pouvait bouger librement. Je ne finirais pas d’être étonné. Tout en évitant l’immense marteau, le prophète déclama, comme possédé:
– Sale pourriture !Tu veux donc faire de ton palais ton tombeau. Je suis bien d’accord. De ce fait, cela effacera efficacement d’ignobles souvenirs.
– Qu’est-ce que tu dis comme divagations ? Mon palais est bien plus solide qu’il n’y paraît. Tu le sais bien, tu y as habité. On riait bien à l’époque.
– Quelles horribles réminiscences ! Moi qui te croyais mon ami. Tu m’as trahi. Tu t’es servi de moi ! s’offensa-t-il, clairement outré. Chacun sur leurs positions.
– Un roi doit bien se servir de ses sujets pour réussir même si ses choix déplaisent.
– Tu n’est qu’un enfant capricieux dans un corps d’adulte. Tu ne peux pas diriger un pays avec sagesse et impartialité.
– C’est celui qui dit des fariboles en ce moment et qui se sert de son pouvoir comme gagne pain. Il devrait voir clair. Nonobstant c’est celui-ci qui me fait la leçon. Quelle blague ! rit-il fortement.
– La blague, cela a été de te croire. Qui s’est moqué de moi derrière mon dos disant que j’étais fou du roi, un à peine demi-homme bon pour faire rire ? Qui s’est servi de mes folles prophéties pour son royaume sans m’en donner le mérite ou au moins un remerciement ?
Il était furax. Au delà du possible.
– Ce n’est pas ce que tu crois. Tu as mal écouté.
Une pose se fit dans le combat. Chacun d’un côté.
– Oh non ! J’ai bien entendu. Et le plus pire, c’est que je t’admirais, pleura-t-il hiératiquement comme par soubresaut. Mais tu m’as vendu, tu m’as laissé lâchement aux mains du sorcier après la bataille alors que tu étais là près de moi.
Un silence bref et poignant se fit puis il reprit:
– Vendu car tu savais que je commençais à devenir encombrant pour toi malgré mes bonnes prédictions. Je devenais plus populaire que toi, vadrouillant dans la cité, apprécié de tous. Puis j’ai découvert la vérité! Les gens hésitaient mais m’ont tout dit. Ils savaient que tu avais fait kidnapper et assassiner ton père ! Pour avoir le trône ! Que tu avais fait disparaître et pendre des tas de gens qui te contredisaient !
Il était aussi scandalisé et horrifié que moi.
– Non ! Quelles fadaises tu dis ! C’est vraiment n’importe quoi ! Tout ça, c’est juste des rumeurs pour me faire une sale image. C’est que des sottises qu’on t’a raconté. Je veux juste qu’on redevienne amis. Comme avant. Tu te souviens. C’était le bon temps.
Le devin se fit la réflexion que peut-être ce n’était qu’ une sombre histoire sur le roi. Elle était certainement fausse. Faits par les Ayennes. Jaloux de lui et prétendants au trône. Il n’avait pas entendu soi-même les paroles. Il hésita. Il n’était plus sûr. Espérant :
– Vraiment ! Tu le veux réellement ? Tout est faux ?
– Oui. Je ne t’abandonnerais pas comme la dernière fois. Tu vois, j’avais même mis des gens à ta recherche pour te sauver du sorcier.
Tout cela semblait vrai et sorti de sa bouche. Il commençait franchement à le croire.
– Alors viens plus proche de moi. Qu’on fasse la paix.
Le monarque avait laissé tomber son marteau au sol.
Un sourire de bonheur se dessina sur son visage. Enfin il allait retrouver son ami. Il se propulsa vers lui. Il était proche. A quelques pas. Comme un éclair. Le roi reprit son marteau et cogna la terre. L’arme effleura uniquement le devin mais quelques petits fragments de roche se ficha dans sa chair. Raté !
– Pourquoi ? Tu m’as encore trahi ? marmonna-t-il avec douleur et chagrin. Il avait été de nouveau naïf.
– Tu crois vraiment que ,moi, je m’amuserais à être ami avec un malade mental comme toi qui entend des voix et qui change d’humeur comme de chemise. Ah, ah, ah ! ricanant cruellement. C’est de la bêtise pure et simple ! Tu seras une mort parmi les milliers d’autres.
Tout était vrai. Il sentit une émotion poindre. Une rage d’une violence qu’il n’avait alors jamais ressenti. Froide et lourde. Rapidement, son ombre s’étala et enroula le roi comme un boa constrictor.
– Tous ces gens ! Je vais te tuer ! Te broyer jusqu’à ce que tu expires la moindre particule d’air et que tes organes éclatent un à un. Expies tes fautes !
– Pitié, pitié ! Non, je ne veux pas mourir, pleurnicha-t-il à moitié comme un bébé.
– Ne fais pas ça, Shrin !!!!
Un sentiment, une sensation naquit au fond de moi.
Quelque chose que je n’avais ressenti avant.
Je m’interposais entre eux pour ne pas qu’il puisse appliquer son plan. Je criais. Après, un blanc se produisit. Littéralement. Blanc. De la neige cotonneuse emplit l’atmosphère. Pas froide. Plutôt agréable comme la chaleur du soleil. Juste blanche comme la lumière. Mes doigts étaient de verre. L’ombre du devin s’effaça d’un coup et relâcha sa proie. Le monarque, craintif, s’éloigna. Je dis :
– Je sais la rage, le sentiment d’injustice que tu ressens. Je l’ai en moi, même si je ne sais pas encore pourquoi. Mais ne fais pas ça.
Il s’avança vers son ennemi en me voyant à peine.
– Ce n’est pas une raison pour te venger. Que diront les gens qui te respectent quand tu auras tué le roi ?
Tu veux vraiment lui ressembler à cette immonde crapule sans foi ni loi ?
Le prophète commençait à vaciller.
– Je sais qu’au fond de toi, tu es un être gentil qui ne peut pas tuer froidement une personne. Ce n’est pas dans ta nature. Parce qu’on t’a trahit, tu crois qu’on le fera d’autres fois. Non. Tu peux me faire confiance.
Je l’enserrai doucement dans mes bras. Sans défense.
Il craqua. Un torrent de larmes se déversa de ses yeux.
Tout à coup, je vis quelque chose. Le roi. En traître, il essayait de nouveau d’attaquer par surprise. Je mis un coup de griffes. Il se prit une vague de lumière. J’avais finalement réussi à utiliser mon pouvoir, sembla-t-il. Il restait encore bien des mystères autour. Cela calma quand même le monarque. Il était écroulé sur le sol, dans les vapes. Mon bras avait pris une partie de son attaque manquée. Nonobstant il allait bien, juste égratigné. Pas comme mon corps.
J’avoue que je ne comprend rien. Désolé je laisse tomber