E1
Nous avions une longue route à faire. Pounce m’avait expliqué l’itinéraire à parcourir : le royaume des Fleurs, la contrée des Mystères puis Sevesta, le pays d’origine de Jenny. Cela allait nous faire une sacrée marche, à ce qu’il paraît. Nous sortions à peine de la jungle étouffante et étions tout de suite en face d’un vaste champ de fleurs. Les odeurs enivrantes m’assaillaient déjà les narines et les mille couleurs de ces fleurs m’éblouissaient les yeux. Il n’y avait pas qu’une seule variété. Le champ en était multicolore. C’était bizarre. La zone paraissait sauvage tout en étant bien délimitée comme une frontière à traverser ou à ne pas franchir. Pounce me conseilla :
– Surtout reste calme et avance à pas lents et réguliers. Aucun geste brusque et tout ira pour le mieux.
– Pourquoi ? C’est juste un beau champ sans dangers.
– Ne pose pas de questions idiotes. Il doit te dire de nouveau de te méfier des apparences ou quoi. Que ce soit à Enventure ou dans une autre contrée comme celle-ci tout peut arriver parfois. Alors tais toi et suis le mouvement, ordonna sèchement Rem.
Quelle pince celui-là. Il mériterait vraiment que je lui colle mon pied où je pense. Pounce ne s’opposa pas et avait l’air d’accord avec lui. Par conséquent, je ne broncha pas et je suivis les pas de mes compagnons. Effleurant quelque fois les fleurs, humectant l’air avec délice. Je me dis que la journée était belle et ensoleillée grâce à ce soleil flamboyant dans ce ciel bleu azur. Je remarqua à peine l’absence de bourdonnements ou de bruits d’insectes. Je me dis simplement qu’il devait avoir peur que les petits rongeurs que j’entendais farfouiller dans la nature ne les mangeât. Je flânais tranquillement entre les bleuets, les pavots, les coquelicots et les pâquerettes sans me douter que la vérité sur cette nature était bien complexe et horrible que cette beauté chatoyante ne laissait paraître. On fut à la fin et ainsi d’autres étendus encore plus vastes et plus monochromes au loin suivaient, jetant comme des immenses aplats en patchwork sur la terre.
– Ça y est. On est enfin passés à travers la barrière. Ce n’était pas une mince affaire. Bien joué tout le monde.
– Qu’est-ce qu’il y avait en fait ? Je n’ai pas compris votre attitude quand on a traversé le champ.
– Il y a une explication très simple à tout ce cirque.
-Si tu avais eu un geste ou une attitude tant soit menaçante, les fleurs se seraient attaqués à toi.
– Ce que veut dire Rem, c’est qu’elles auraient dégagé une substance toxique qui t’auraient empoisonné et tué. C’est ce qu’on trouvaient les habitants comme première défense contre les invasions d’ennemis.
– Plus efficace, tu meurs. Si je peux dire. Et pas de protestations, c’était le seul chemin possible.
Cela faisait frissonner. Ces si belles fleurs étaient donc très dangereuses. On avait eu chaud. Heureusement qu’ils nous avaient rien dit, sinon on aurait été trop nerveux pour pouvoir traverser sans douter.
– La suite du chemin n’est pas sans risques cependant ils sont moindres par rapport à ce qu’on a parcouru.
Cela dépendait de ce qu’il voulait dire par risques. J’étais moins serein qu’habituellement. On déambulait de champ en champ comme si on était sur un échiquier multicolore. Passant de case en case et redoutant l’arrivée de l’adversité et du péril. Rien ne se passa sauf l’inattendu. On crapahutait parmi les grandes étendues croisant parfois des gens extraordinaires habillées de végétaux indistincts, de feuilles et de fleurs. Les cheveux tressés de fleurs unicolores, différentes pour chaque fille que j’avais vu. De la tête aux pieds, des cheveux aux yeux, tout imprégnés de nature et végétalisés. Comment dire ? Cela ressemblait à des yeux constitués de pétales de roses ou à des visages masqués unis comme les vêtements. Ne laissant apparaître que peu de peau ou laissant voir un pan entier de chair plusieurs fois. Tel un interdit ou un appel. A quoi ? Je ne saurais dire. Que ce soit les hommes ou les femmes, ils avaient tous un côté végétal ou verdoyant. Dans les cheveux, dans les yeux, dans leurs apparences. Même si les hommes étaient plus simples dans leur apparat. Vêtus si on peut dire comme nous. Une espèce de veste et de pantalon en matière végétale, je ne saurais dire laquelle. Comme le constituant de leurs robustes chaussures marrons qui faisaient comme un son creux quand ils marchaient. Des fois ils portaient également une cape tressé dans des feuilles apparemment géantes ou peut-être que le tissu était tellement serré qu’on ne voyait de trous. En tout cas, tous avaient une arme. Qu’elle soit petite ou grande, légère ou robuste. Une épée, un poignard ou un gourdin par exemple. Ce pays qui me semblait paradisiaque au premier abord était moins paisible que laissait croire cette nature environnante que je redoutais et qui me plaisait tant à la fois. C’était tout un paradoxe et un questionnement.
– Toutes ces personnes sont étranges et sont habillés bizarrement. Cette coutume de vie est assez locale ?
– Ils sont en harmonie avec la nature. C’est leur idéal et leur credo: laisser pousser comme la nature te le dit et ne fais rien de ce qu’elle t’en défend. Mal leur en a pris car dans ce monde il y aura toujours des envieux et des gens pour leur faire la guerre. Ils ont ainsi été obligés de défendre leur territoire comme tu vois.
Rem reprit la parole à Pounce.
– Et encore tu n’as pas encore scruté les plus belles choses qui t’étonneront. Il n’ y a pas que les filles de jolis et de grandioses. Nous allons bientôt arrivés à la cité marchande de la Terra Matur. Le plus splendide est à venir . Prépare toi !
E2
Je ne comprenais rien à ce qu’il disait avec sa terra incognita. Je ne voyais qu’une vaste forêt où un arbre dominait de sa hauteur les autres. A ce qu’il me semblait parce qu’il était perdu dans cette masse végétale. Plus j’avançais, plus j’écarquillais les yeux tellement j’étais abasourdi. J’étais perplexe, cela ne pouvait pas exister une ville dans un arbre aussi gigantesque. Cela nous écrasait par sa splendeur.
– Nous voilà à Terra Matur, la ville arboricole, située à l’orée de la forêt du Grand Prêche que nous allons parcourir. Mais avant, faisons quelques provisions. De Liver ne pourra pas nous livrer, comme l’autre fois. C’est un domaine sacré pour le peuple autochtone et interdit aux étrangers n’ayant pas demander l’accès avant toute chose.
C’était vertigineux. Tout en haut, des maisons étaient posés sur les épaisses branches de l’arbre. On en voyait qu’une partie à cause du feuillage touffu mais elles devaient être nombreuses. Des grandes échelles, des espèces d’ascenseurs organiques et de téléphériques reliaient chacune des branches entre elles. C’était un trafic constant qui se produisait là-haut. En bas, il y avait beaucoup d’agitation. Entre les différents commerçants qui jouaient à qui crier le plus fort pour surpasser les autres et vendre le plus de ses produits, c’était une vraie foire d’empoigne. Et puis les acheteurs qui furetaient entre les détaillants et les grossistes et se pressaient de choper les bonnes affaires quand ils entendaient un prix qui leur convenait, c’était une vraie valse. Vu la diversité des boutiques, il y avait quoi de se perdre, certaines avaient l’aspect d’arbres miniatures, d’autres de cabanes en bois taillés à vif dans la matière brute, ou encore de serres où d’énormes fleurs psychédéliques et mirobolantes poussaient à côté de végétaux miniatures. J’eus parfois l’impression qu’une mélodie chantante sortait de ces serres. C’était probablement une hallucination auditive. Pounce m’appris plus tard que certains végétaux étaient capables d’émettre des sortes de sons quant on les stimulait. Quelque chose se passa dans tout ce charivari de diverses personnes.
Un convoi d’ hommes en coule toute verte ou en tenue toute dorée morcelée de vert. Des religieux et des nobles, m’apprit Rem plus tard. Un groupe d’hautes castes qui faisait une procession et menait toute une foule derrière. Les gens s’écartaient du passage, tous impressionnés par la vaste splendeur du convoi.
J’étais perdu et émerveillé à la fois, voguant sur cette mer de mystères et de fantaisies. Je m’aperçus trop tard que j’avais égaré mes compagnons de bord.
En voulant les retrouver, je me dirigea dans une boutique qui me parut accueillante de l’extérieur mais une fois rentré dans l’antre, je déchantais. Les allées de la boutiques étaient sombres. Peu de lumière entrait de l’extérieur avec toutes ces toiles d’araignées au plafond. De plus, elles étaient exiguës et encombrées de tas de livres aux écritures sibyllinnes et d’objets anciens, usés et insolites. Un icosaèdre d’une matière dure se déformant anormalement en d’autres formes. Une canne en métal avec une grosse boule toute molle et transparente au bout. C’était quoi ça, un parapluie qui ne protégeait pas de la pluie ? Mais de quoi alors ? Des vampires ?
– Si tu te demandes ce que c’est. C’est un paraginaire. Cela te protège contre l’imagination des autres.
Ah ! Elle m’avait fait sursauter la vieille. Quoique pendant un instant je doutais de son âge. Peut-être ces yeux. Ils étaient d’une couleur ambre comme sa peau mais si profonde que j’aurais pu m’y noyer. Je fus à la regarder une éternité. Quand je m’ aperçus de cela, j’en fus gêné et un peu agacé. Par défi, je la nargua :
– Parce que l’imagination des autres est dangereuse ?
– Tu ne sais pas ce qu’un individu peut imaginer quand il est en colère ou même d’une autre humeur.
Cela me laissa songeur et admiratif de cet objet. Quel nom il avait. Un paratonnerre. Non, un paraginaire. Elle me coupa dans mes rêveries en demandant:
– Qu’es-tu venu chercher mon enfant ? Ton destin ou un objet. Elle me dit cette phrase incompréhensible.
Cela se dilua comme de l’encre dans mon esprit.
Vraiment elle était louche et fascinante à la fois. C’est drôle ce qu’on peut ressentir des fois. Elle continua :
– Il y a des choses que tu devras vivre. Il y a d’autres que tu devras éviter. Ne prends pas les chemins les plus faciles, ils sont souvent trompeurs. Fie-toi à ton cœur et tout ira bien.
Ses mots coulaient sur moi. Mon esprit n’arrivait pas à les capter mais j’avais la sensation que les paroles s’incrustaient en moi.
– Aie confiance en tes alliés dans la juste mesure. Méfie toi des faux amis. Je ne peux t’aider plus. En dire plus long serait une faute impardonnable. Laisse venir le temps au temps, baissant la tête comme moi.
Je regardais le sol. Il changeait d’aspect au fur et à mesure des mots de la femme. Les lames de bois se déformaient. C’était quoi cette matière meuble? Était ce véritablement du bois ? Je vis au dessus du sol en bois comme une ondulation transparente, ça clapotait et faisait des bruits d’eau. Je divaguais ou elle m’avait drogué ou lançait un sort. C’était possible.
Je leva la tête vers elle. Je béais la bouche. Elle portait un costume faite de pierreries, de voiles de soie et des chaussures toute tissées d’or comme sa coiffe. Elle avait l’air vraiment jeune. D’une beauté divine et intemporelle. Je rêvais ou un vallon avec une rivière se dessinait dans l’obscurité derrière elle. Je tournais la tête de tout côté. La boutique était comme transparente. Il y avait en premier plan un paysage vallonné et verdoyant. Elle s’était détourné de moi et allait dans ce sens. Elle s’arrêta :
– Ah oui. Un dernier conseil. Fais confiance plutôt à ton instinct qu’à ton cœur parfois. Tu verras. Cela te sauvera la vie plus d’une fois, dit-elle en s’estompant dans le ciel bleu clair de la vallée au fond.
Pendant que ces pensées s’infusaient dans son esprit, dans ses pensées, il ne fit pas attention à la disparition de l’échoppe. Quand il reprit conscience de lui, une page s’était tournée et il fit face à une page blanche. Il avait tout oublié de l’étrange rencontre cependant les paroles de la femme étaient restés ancrés au fond de son esprit sans qu’il le sache. Deux seuls indices validaient le fait qui s’était passé : un drôle d’objet comme un parapluie et une image de métier à tisser. Il se demandait pourquoi il pensait à ça. Il voulait utiliser de la laine pour tricoter des pulls ou quoi ?
Cette idée s’effaça bien vite de son esprit quand il vit sa bande d’amis. Pounce et compagnie.
– Ah, je vous enfin retrouvais. J’avais cru vous avoir perdu. Je déambulais et puis… Qu’est-ce que je faisais ? Je ne sais plus.
– Ben dis donc. Tu perds encore plus la mémoire, on est mal parti. Il faudra d’inscrire à l’hospice bientôt, railla Rem d’un ton narquois.
– Ne dis pas des conneries Rem. L’importance c’est qu’on se soit rejoint malgré tout, me rassura Pounce. Shrin s’était aussi paumé. Par chance, avec sa grande taille, on l’avait vite repéré dans la foule.
– Nous avons encore à acheter les bonbons d’eau ici.
Dans une boutique toute proche. Nous ne devons pas tarder si nous voulons pouvoir faire un petit bout de chemin avant que la nuit tombe.
– Pas la peine de stresser. Nous arriverons à finir ses courses et à parcourir une partie de la forêt.
Ils étaient tous bien chargés de victuailles et autres produits, sauf Jenny, par galanterie je suppose. Elle n’avait que quelques petits sacs. Pendant que Pounce et Rem discutaillaient sur les conditions de voyage, défendant chacun leur opinion, Shrin me demanda :
– Tu peux m’aider. Ils m’ont laissé porter le plus lourd, c’est assez encombrant. Même si je suis un colosse, je commence à fatiguer malgré tout. Qu’est-ce que tu tiens à la main d’ailleurs ?
– Un paraginaire. Il sert à se défendre contre l’imagination des autres. Je me demandais d’où ce mot et cette explication me venaient alors que j’avais oublié qu’il était dans ma main. Comment était ce possible ? Mon esprit était vraiment en ruines ?!
– Drôle d’objet, nota-t-il dans un souffle. Voilà, tiens !
Il me tendit quelques sacs. Pas les plus légers. Je me demandais pourquoi Rem ne les transportait pas avec son pouvoir néanmoins je n’eus pas le temps de poser la question. Ils se dirigèrent tout de suite vers une nouvelle boutique où ils achetèrent des sortes de gros ballons tout verts et rayés de noir.
– Voilà nos courses sont complètes. Veuillez rassembler les sacs en un seul tas, commanda Rem.
Nous suivîmes les consignes claires du petit despote.
Il s’y croyait un peu trop parfois. Ce Rem alors ! Les provisions furent comme avalés par un animal invisible encore une fois. Je réagis rudement :
– Pourquoi n’as-tu pas fait ça tout de suite pour chaque provision quand vous aviez acheté ?
– Il y a une bonne explication à cela. La dépense de magie est moindre quand on fait tout d’un coup.
J’étais à demi convaincu par ce qu’il m’expliquait.
– De plus, cela vous a musclé un peu. Ce qui n’est pas une mince affaire pour toi. De toute façon, tu les as porté à peine quelques minutes. De quoi tu te plains ?
Il en rajoutait toujours une couche. Qu’il était agaçant.
E3
On avait à peine eu le temps de faire quelque distance dans la forêt que la nuit était déjà tombé. On eut droit au grognement du blondinet disant qu’il avait eu raison. Cela ne changerait pas grand-chose qu’il ronchonne. Nous préparions un feu de camp avec une sorte de matière lumineuse. Ils m’avaient conté qu’il y avait de nombreuses règles à respecter dans ce domaine sacré dont ne pas faire de feu et ne pas utiliser du bois de la forêt sous peine de sanctions. Nous déposions un bloc de substance gélatineuse pour nous éclairer. Cela collait aux doigts.
– Vous savez, c’est une tradition séculaire pour eux: protéger la nature. Ils ont construit un culte autour de mère Nature et il paraît que ce lieu en est le centre. L’endroit où les dieux viennent pour aider les hommes. Leur condition : être honoré chaque jour.
– D’ailleurs il semblerait qu’il y a eu un drame parce qu’un homme avait oublié les dieux. Ces derniers l’ont donc exclus à jamais de la vie en apportant les pires malheurs sur lui : de mauvaises récoltes, la perte de sa maison, la lèpre… nous épouvanta Rem.
– Tu mélanges les histoires. Tu t’inspires de quelque chose qui s’est passé dans la contrée des Mystères.
– Non, je suis sûr que c’était dans ce royaume.
– C’était plutôt l’histoire d’un garçon. Il a tout perdu à cause de bêtes venus dans la nuit pour faire d’horribles choses. Un soir de pleine lune, ils ont attaqué la maison de sa famille et il en fut le seul survivant. Ensuite, il s’est passé plein de malheurs pour lui. Depuis, il erre comme une âme en peine à la recherche de quelque chose. Je n’en sais pas plus.
– Ton histoire est bien vague alors que, moi, je peux vous donner plein de détails. Il faisait le fiérot.
Ils se chamaillèrent pendant un instant, voulant avoir raison l’un sur l’autre. La soirée promettait d’être longue et moins effrayante que prévu.
On partait au lever du soleil, tôt le matin. Je n’en fus pas ravi. J’étais à peine réveillé. La suite du trajet fut monotone entre le paysage feuillu qui ne changeait pas et ponctuée par les nombreuses interdictions : ne pas marcher sur les racines ou les branches mortes, ne pas creuser la terre ou faire quelconque dommage à celle-ci ou des plus incongrues encore. Heureusement qu’on avait le droit de respirer au moins. Sinon cela aurait été bien gênant pour nos organismes. Cette masse végétale n’en finissait pas, elle m’enveloppait de toute sa vigueur et j’avais l’impression qu’elle faussait la clarté et les ombres. On aurait dit qu’elle était vivante et qu’elle essayait de nous perdre. C’est comme si il y avait une force mystérieuse. Les dieux avaient dit Pounce. Peut-être. Cela marqua fortement par la suite. En plus de l’étrange monument que j’allais voir. Il y avait comme un trou au milieu de la forêt où trônait un immense autel fabriqué et entouré de grosses pierres empilées les unes sur les autres. Cela formait de vagues constructions aux formes homogènes les unes par rapport aux autres. Des sortes de maisons miniatures tout autour d’une grosse pierre plate. Tout en le traversant, je me demandais quelle était sa fonction première : des habitations ou un lieu de culte. Je ne pouvais pas choisir. Cela me semblait illogique que ce soit l’un ou que ce soit l’autre.
– Nous sommes bientôt sortis de la forêt et du royaume des Fleurs pour ensuite rejoindre la contrée des Mystères. Notre prochaine destination.
En effet, le volume du feuillage des arbres s’interrompit brusquement. En face, il n’y avait rien.
Rien qu’un précipice avec, au dessus, un énorme pont en pierre qui reliait les deux territoires. Il avait l’air vieux et décrépi. Quelques gros cailloux en tombaient parfois. Cela ne me rassurait pas du tout.
– C’est notre seule solution. Il doit être bien plus solide qu’il n’y paraît. On ne peut pas faire de grand détour de toute manière, cela nous ferait perdre trop de temps. Au moins deux semaines.
– Tu en es certain ? Je crois que personne a emprunté ce chemin depuis longtemps. Il est recouvert de ronces et de mauvaises herbes.
Je redoutais de devoir y aller mais Pounce ne m’en laissa pas le choix. La traversée fut ponctuée par le bruit mât des rochers qui se disloquaient et tombaient du pont. Elle fut difficile. On devait zigzaguer entre les herbes qui poussaient dru et les ronces épaisses qui pourraient nous piquer. Une fois de l’autre côté, je souffla. On était enfin passés mais déjà une plaine désolée était à l’horizon. Quelques arbres squelettiques et tout noirs poussaient ici ou là. Des buissons à moitié chétifs et d’un vert sombres poussaient n’importe où. Aucune route était visible. Je crus observer des pierres qui lévitaient au dessus des branches, faisant comme des feuilles minérales. J’effleurai un buisson qui me blessa le mollet droit, me faisant une petite coupure. Je rêvais ou les feuilles avaient un éclat métallique.
– Ce pays n’est pas vraiment périlleux cependant les lois comme celles de la physique sont anormales ici.
J’étais estomaqué. Je fis attention à bien éviter les buissons comme mes compagnons pour ne pas m’égratigner de nouveau. Le chemin se dégagea d’une traite comme si cette végétation insolite n’avait jamais existé. Le sol, si froid et dur avant, se fit plus meuble et souple tout au long de notre progression. Des rochers immergeaient de temps en temps de la surface de cette terre rase et déserte. Il y en avait de plus en plus. Ils poussaient littéralement de la surface terrestre. Imperceptibles à l’œil. C’est comme si ils étaient des êtres vivants. Quelquefois, on l’observait clairement, ils bougeaient et sortaient de la terre comme de jeunes pousses formant des prototypes d’appendices végétales. Shrin et Jenny en furent aussi déconcertés que moi. La surprise ne se lisait pas sur les visages de Rem et de Pounce. Un soupçon peut-être. Bientôt nous pataugeâmes dans une espèce de boue plus compacte que celle habituelle, cela provoquait une instabilité. La terre devenait gélatineuse en fait. C’est ça. On devait faire attention à ne pas tomber. Plus loin , elle se durcissait un peu.
Le voyage était irréel surtout quand on se faisait manger par de la boue. Le sol était redevenu pourtant solide. Je tomba dans une profonde flaque de boue qui m’aspira au fond avec force. C’est comme si une main géante et invisible me noyait et m’entraînait au plus profond tout en m’appuyant par dessus. Par chance , je fus sauvé par Rem, je l’en remercia.
– Merci encore. J’aurais pu me noyer dans cette flaque qui me retenait prisonnier comme si elle était vivante.
– Pas exactement. Ce sont des puits à haute gravité. Cela augmentait ton poids et entraver ta mobilité.
– On devrait trouver un endroit où camper. Tu sais que les journées sont irrégulières ici, intervint Pounce.
– Tu as raison. Le demi noyé doit se sécher en plus.
A peine il avait esquissé son sourire, déjà le jour commençait à tomber. On eut du mal à trouver un endroit convenable. Il nous fallait d’abord dépasser la zone de ces puits mortels. Une fois que ceci était fait, on essaya de trouver un nid idéal. Comme par magie, une lueur brilla dans la nuit tel un phare pour un bateau. Par curiosité, on alla voir prudemment. Il n’y avait pas beaucoup de monde dans cette contrée, elle était très peu visitée et on ne connaissait pas bien leur comportement, avait baillé Pounce.
E4
Ce n’était rien de plus qu’un village banale, un peu ténébreux dans la nuit où il n’y avait qu’un croissant de lune. On trouva une auberge juste à l’entrée du bourg. Plus loin, grâce à un clair de lune, je crus voir comme une silhouette de garçon assis sur un banc. Étrange à cette heure de la nuit. Détournant le regard, je me reconcentrais sur la conversation en cours. Ils s’étaient concertés, nous allions vers l’auberge, on serait mieux que dehors. On devait comme même rester sur nos gardes. Il arrivait que des valeureux voyageurs soient détroussés et égorgés. Nous passâmes la porte avec un bruit de clochette , elle se referma aussi vite derrière nous sans que personne n’est rien fait.
– Peut-être un courant d’air l’a fait se fermer, me rassurais-je en même temps que mes compagnons mais je n’étais pas aussi sûr de ça.
Il n’y avait personne au comptoir ou dans la salle. Des verres, des assiettes et des ustensiles étaient disposés sur les tables, apparemment sales et déjà utilisés. Des toiles d’araignées zébraient le plafond et les quelques tableaux accrochés aux murs. Le nettoyage laissait clairement à désirer depuis trop longtemps.
– Puis-je vous aider jeunes voyageurs ?
Une voix sortit de nulle part et faillit me faire frôler la crise cardiaque. Je regardais de toute part, je ne vis personne mais quand je baissa la tête, j’aperçus une petite bonne femme bien replète. Ce n’était donc pas un fantôme, cela me rassurait.
– Oui, ma chère. Nous avons fait longue route et nous sommes exténués. Pouvons nous prendre gîte et couvert dans votre établissement ? demanda Rem avec un ton noble et désuet que je ne lui connaissais pas.
– Bien sûr. Vous avez de la chance. Il nous reste juste une chambre pour cette nuit. Le repas sera-t-il servi en chambre ou en salle, pour ces messieurs et dame ?
– En salle si cela ne vous dérange pas.
– En aucune façon. Le repas du soir se constitue de rôti de porc et de pommes de terre vapeur suivis de fruits variés comme des pêches ou des prunes. Cela vous convient il ?
– Ce sera parfait. Nous allons nous retirer dans nos chambres maintenant. C’est bizarre, elle nous a dit que c’était complet alors que j’ai vu sur le tableau qu’il y avait toutes les clés, constata-t-il en aparté.
– Te biles pas pour ça, Rem. Elle a dû se tromper.
Elle nous montra les dites chambres et nous laissa seuls en disant que les repas seraient prêts dans un quart d’heure. Je m’écroula sur un lit avant même que quelqu’un ne protesta. J’étais au bord de ma vie, affamé et à bout de nerfs. Le repas fut délicieux quoiqu’un peu frugale pour moi. Je pourrais toujours le compléter avec des provisions qu’on avait en réserve ,si on me permettait; sauf que ce fut une interdiction nette et incisive de Rem. Gros plein de soupe, m’insulta-t-il. Alors que je n’étais pas gros par conséquent lui était miro. J’en étais là de ma réflexion. Je n’arrivais pas à dormir. Mon ami Pounce ronflait sur le lit à côté et ce fut une nouvelle pour moi. Rem le grincheux n’avait pas voulu qu’il dorme avec sa Jenny d’amour ou plutôt le blondinet ne voulait dormir avec ‘’l’autre colosse qui pouvait bien se défendre tout seul’’ et pas moi parce que, je cite, ‘’je ne peux pas le blairer’’. Alors ce fut simple, moi je dormirais avec Pounce et lui, il dormirait avec la Djinny, comme il l’appelait. Disons, j’en étais sûr et certain, qu’il ne lui faisait toujours pas confiance et la surveillerait constamment. Il était probablement parti pour une nuit blanche. Comme moi…
Je tournais et me retournais dans mon lit. Je n’arrivais décidément pas à trouver le sommeil. Trop faim, trop de sons. J’entendais comme étouffés des bruits à l’extérieur. Des voix d’hommes ? Il n’y avait personne. Alors quoi ? J’avais l’impression que ces sons s’immisçaient dans ma tête. Des coups métalliques comme ceux d’un hachoir. Bizarre. A cette heure. Puis un hurlement inhumain qui me glaça le sang fendit la nuit. Puis rien. Silence. Pour me calmer, je me dis que c’était certainement le bruit d’un hululement d’une chouette ou un truc comme ça. Une simple chouette. C’est chouette. Oui, oui, c’est ça. Pas la peine de paniquer. C’est mon imagination. Fais gaffe à son pouvoir. D’où me venait cette phrase? Je regardais par l’unique fenêtre l’extérieur. Je verrais bien s’envoler un quelconque oiseau. Une forme sombre se dessina au loin. Un clignement d’œil après, elle s’était rapproché. Quel animal allait aussi vite ? Plus je papillonnais des yeux, plus elle semblait proche. Je voyais clairement une silhouette noire maintenant. Elle se découpait sur la cime d’un arbre à cinq mètres de la fenêtre. Je bondis sur mon lit. De l’autre côté. C’était quoi ça ? Une lumière spectrale et effrayante était passé subrepticement sous ma porte. Quand je retourna la tête vers la fenêtre, la forme obscure avait disparu. Je fus rassuré mais du coin de l’œil je la vis, elle était près de la porte. Je pris peur, je me roula en boule sous ma couette et me répéta plusieurs fois : ‘’ce n’est que ton imagination, ce n’est que ton imagination, ce n’est que ton imagination… Cent fois. Mille fois. Jusqu’à ce que je ne puisse plus et prenne le courage de regarder au dessus de la couette. Centimètre par centimètre. Doucement. Tout doucement. Le plafond puis un peu plus bas, encore… C’est ça . J’y arrivais à cet instant.
Il fallait juste que je rouvre les yeux que j’avais fermé, juste avant, par crainte. Allez, tout d’un coup. La pièce était vide. Il n’y avait rien. Absolument rien et Pounce dormait comme un loir sans jamais s’être réveillé. C’était sûr, j’allais passer une nuit blanche.
E5
Le lendemain fut très difficile. Quand Pounce m’avait demandé si j’avais bien dormi, je lui lança un regard tranchant et fatigué qui ne comprit pas. Il devait se dire que c’était mon humeur du matin. Pas grave. Il allait déjà vers la porte après s’être passé un peu d’eau sur le visage. Je le suivis dans la foulée. On se rassembla dans le hall. Comme Pounce, Shrin et Jenny avaient bien dormi et avaient la mine ragaillardi, contrairement à Rem qui avait des petites cernes sous les yeux. Moins que moi en tout cas. J’avais passé une nuit de terreur. J’étais une boule de nerfs à présent. Je voulais juste quitter cette auberge flippante. On passa rapidement au comptoir réglé le dû montant, on sortit dehors et on allait enfin décamper, oubliant toute l’horreur . C’est ce qui devait se passer mais une barrière invisible nous barrait le chemin. Ce n’était pas une blague.
– Je crois qu’on est bloqués ici pour un bon moment.
Une remarque de Shrin qui mit le feu aux poudres.
– Non, non et non ! Je vous ais suivi dans toutes vos aventures : le sauvetage de Shrin, l’arche de romance, la couronne du roi des djinns et puis ça ! On va rester éternani dans ce putain de village qui fout la trouille. Donnez moi n’importe quoi. Je vais défoncer ce mur invisible. Allez! Allez ! répétais je comme un vrai fou sporadiquement et avec peu de clarté. Je tournais en rond comme un lion blessé dans sa cage.
– Je crois qu’il est devenu timbré. C’est possible comme seconde phase après l’oubli ? nargua Rem.
– Toi, ta gueule ! On t’as assez entendu comme ça.
– Tu vas voir si on m’a assez entendu, saleté de…
– Et moi je suis noble. Et moi je prends les gens de haut. Tu sais, au fond de toi, tu n’es qu’un sale gamin triste et en colère qui ne sait s’exprimer qu’en insultant les personnes que tu crois inférieurs à toi.
– Tu me cherches ? Tu veux la bagarre ?
– Allez viens qu’on se batte tous les deux. Je vais te mettre la misère. Knock-out en un round.
Je boxai l’air. C’est moi qui le fut. Quelqu’un m’assomma par derrière. Je ne vis pas le coup venir.
Je me réveillais assis sur un banc. Ma tête me faisait mal et j’étais dans du coton. Je touchais l’arrière de mon crâne et sentit une grosse bosse. Celui qui m’avait porté le coup ne m’avait pas loupé. Soudain, je sentis une présence familière à côté de moi. C’était
un jeune garçon assis également sur le banc. Il me rappela quelque chose. Ah oui, lors du clair de lune !
– Bonjour, je t’ai vu hier soir assis sur ce même banc.
– C’est possible, répondit-il les yeux fixés sur le sol.
– Qu’est-ce tu faisais dehors tout seul à une pareille heure de cette sombre nuit ?
– Je traînais ici ou là, lâcha-t-il laconiquement.
Un long silence se fit après. Il était timide et pas bavard. C’était une certitude. Ce n’était pas cela qui allait m’arrêter, au contraire. Il ne me connaissait pas.
– Sans être indiscret, comment t’appelles tu ?
– Naro, m’informa-t-il les yeux mi-clos.
– Et il a un petit nom ce Naro? dis-je gentiment.
– Black, changea-t-il imperceptiblement de ton.
– Donc ton nom complet est Naro Black. C’est un beau prénom et un joli nom.
– Merci, marmonna-t-il, renfermé sur lui-même.
– J’ai une question à te poser. Je peux ?
– Oui, me dit-il avec cette attitude déconcertante.
– C’est vrai qu’on ne se connaît pas depuis longtemps. Depuis que quelques minutes d’ailleurs. En outre, j’ai pourtant la sensation qu’on s’est parlé une centaine de fois. Sans obligation, je vais te proposer quelque chose. Si c’est non, je ne t’en voudrais pas. Un, deux, trois… Tu veux être mon ami ?
Quelqu’un l’appelait au loin interrompant ce moment. Il tourna la tête. Il n’y avait personne. Quand son regard vint de nouveau sur le banc, le gamin s’était volatilisé. Il se passait des choses étranges dans ce village. Il devait en avoir le cœur net et l’esprit clair. Il se calma en soufflant pour se détendre.
– Donc vous ne savez pas comment c’est possible ?
Je questionnais l’aubergiste devant le mur invisible. Elle y passait comme du beurre alors que nous étions bloqués par cette étrange barrière. C’était un mystère insoluble. On passa une partie de la journée devant, espérant qu’elle se dissipe un moment. Rien ne se produisit. Alors on essaya de s’occuper chacun d’une façon : Shrin tirait les cartes aux gens, Rem s’investissait dans des passes d’arme contre la barrière pour décolérer de ce coup du sort et Pounce et Jenny. On ne savait pas. Ils s’étaient éclipsé. Ils se bécotaient peut-être dans un coin. Moi, je vadrouillais partout dans le village pour retrouver le jeune garçon. Il n’était nulle part et j’avais passé la journée à interroger les personnes du village à ce sujet. Il y avait bien eu des disparitions, m’avait-on raconté. Par contre personne ne le connaissait et tout le monde avait eu une attitude étrange à ce sujet. Ou c’est moi qui devenait parano. J’étais pensif devant mon assiette pour une fois. C’était un mystère insondable qui se posait là. Pounce se demanda ce que j’avais. Ce n’était pas mon habitude de ne pas dévorer. Je lui donnai comme explication que j’étais fatigué et que j’allais me coucher de suite. Cependant la nuit fut mouvementée.
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Encore ces bruits. Des voix d’hommes qui étaient loin d’en être. Puis l’ombre au loin derrière la fenêtre et il y avait des flashs lumineux et spectrales derrière la porte. Cette fois-ci, je prenais les devants de ma peur. Je secouais Pounce qui ronflait tranquillement. Je lui dis de regarder ce que je voyais. Ça l’intrigua aussi. On réveilla toute la maisonnée. Rem gueula et Jenny se réveilla d’un bâillement craquant. Le dernier fut Shrin sautant au plafond et faillant m’emplafonner d’un coup de bras. C’était bon, j’avais eu mon compte avec Pounce qui m’avait assommé lorsque je m’étais excité un peu trop. Nous descendîmes les escaliers, c’était d’en bas que les drôles de lumières venaient. Je ne pus expliquer ce que nous vîmes. Des espèces de nuages de lumière lévitaient au dessus des tables.
– N’aie pas peur. Tout cela s’explique. Des particules lumineuses qui s’unissent en différents points. C’est signe que la structure de l’espace-temps est déréglée.
– Tu peux le croire. Rem est, comme tu sais, un expert de la magie de l’espace, ponctua Pounce.
– Tout le problème est de savoir la cause et surtout la source de ce dérèglement spatio-temporel. C’est certainement un point fixe dans cette zone. Cela peut être un objet ou une personne utilisant la magie spatiale ou temporelle. Cela doit être très puissant pour influer autant sur l’espace-temps.
On était à peine sortis de l’auberge que des formes flous et humanoïdes nous attaquèrent. Une d’entre elles se jeta sur Jenny qui fut sauvée par Pounce, son chevalier servant, d’un coup de vent de Séphyra. La créature retomba sur un gros tonneau qui se dissolut.
– Nous n’avons pas de chance. Nous avons des visiteurs d’autres dimensions. Il ont été coincés entre deux dimensions provoquant leur mort et se sont fondus au flux espace-temps. Pour faire simple, ce sont comme des spectres zombies transdimensionnels.
– Je n’ai rien compris à ce que t’as dit, répliquais-je.
– Si ils te touchent, tu finiras comme eux. Morts.
– Alors là au moins c’est simple. Cela me fait flipper mais c’est compréhensible par tout le monde.
Justement un zombie faillit me toucher et je lui envoyais une vague de lumière, cela expédia plusieurs d’entre eux ad patrès. Je commençais à maîtriser, j’assurais. Je déchantais bien vite. De suite d’autres spectres se reformèrent. Rem en explosait au fur et à mesure. Shrin les transperçait de son ombre. Pounce les tranchait de coups de vents. Plus on en éliminait, plus il s’en reformait. Nous dûmes nous retrancher dans la taverne où nous étions avant. Shrin et Rem barricadèrent la porte d’entrée avec les chaises et les tables. On obstruait cette porte avec tout ce qui nous passait sous la mai, soutenant avec nos mains et poussant sur nos jambes. Nous abandonnâmes très vite cette idée. Les zombies dématérialisaient tout de suite les obstacles qu’on avait placé sur leur passage. Nous partîmes avec précipitation en retrait vers l’arrière salle pour nous en éloigner le plus possible. Je trouvais étrange que personne dans l’auberge ou dans le village n’est réagi. Je me rendis compte avec horreur que tous les gens avaient dû se transformer.
Même la femme aubergiste. D’ailleurs où elle était ? A peine j’avais posé la question que déjà une vague forme se projeta sur nous. On put tous l’éviter sauf Jenny qui s’effaça sous nos yeux ébahis, impuissants.
– Non !!! Vous allez le payer sales monstres !! s’enragea Pounce avec une énorme rafale de vent qui éradiqua tout sur son passage, épuisant totalement le manieur d’âmes. Ce fut un grand choc pour nous tous, même pour Rem, l’insensible. Le plus triste était Pounce qui pleurnichait à moitié, prostré dans le coin de la cuisine où nous attendions la contre-offensive de l’ennemi. L’énorme coup de vent avait rasé tous les spectres mais ils allaient revenir à un moment ou à un autre. On était là, apathiques et silencieux.
– C’est vrai que même pour moi qui est enthousiaste
pour la bagarre, je suis plutôt plus pessimiste sur nos
chances de victoire ou de survie, larmoya Rem.
– La victoire appartienne à ceux qui agissent le plus.
Il faut garder espoir… médita Shrin sobrement.
– Garder espoir en quoi ? Nous sommes piégés par une foutue barrière invisible dans une zone où il y a des êtres affreux qui veulent nous faire la peau. Personne ne nous viendra en aide. Nous sommes seuls. T’as eu bien raison, Beau Gosse, de péter les plombs l’autre fois. Nous sommes foutus.
Ah non ! Je ne pouvais pas l’entendre dire ça.
– Où est passé le valeureux guerrier ? Le prétentieux qui se croyait meilleur que tout le monde ?
– Laisse tomber. Tu ne m’auras pas comme ça. C’est fini pour nous. On est déjà morts. On a presque plus de magie. On ne peut plus se défendre correctement.
Il avait définitivement abandonné. Même Pounce.
– Non c’est pas possible. Il y a forcément une solution.
Je cherchais, le regard partout, complètement aux aguets. Il y avait certainement quelque chose…
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Soudain une image me revint à l’esprit. Le garçon sur le banc. Et si c’était lui, la source de tout ça ? Personne ne le connaissait au village, je l’avais vu de nuit la première fois et il émanait de sa personne une aura particulière qui aiguisait ma curiosité. Cela ne pouvait être que ça. Le problème était de se faufiler dehors dans cette obscurité à travers toutes ces formes spectrales sans se faire toucher. De toute façon, je n’avais pas le choix. Moi seul connaissait l’endroit et était assez motivé ou fou pour le faire. Shrin, Pounce et Rem étaient amorphes, les yeux collés au sol. Je ne pris même pas le temps de les prévenir. Je courus vers la sortie. Ils n’eurent pas le temps de dire quoi que ce soit. Je courais à perdre haleine. Cela allait, il n’y avait rien pour l’instant. Ce que je n’aurais pas dû dire, des formes apparaissaient dès la fin de ma pensée. A peine constitués, ils couraient de suite vers moi. Je les dispersais d’ un coup de griffes de lumière. Contrairement aux autres, je ne savais pas ma limite.
Je continuais ainsi mon petit bonhomme de chemin essayant d’éviter le plus possible ces créatures pour préserver ma réserve de magie que j’avais du mal à évaluer. Le chemin me paraissait plus long par rapport à ce que j’avais vu de loin. Je me demandais où était ce banc. Le temps défilait sans que je ne le trouve. J’espérais que mes amis tiendraient le coup. Comment avait-il fait cela Naro le gamin du banc ? En tout cas, il m’intriguait. Quand je l’avais vu pour la première fois, il avait eu l’air perdu et esseulé mais pas que cela, une énergie bizarre se dégageait de son corps. Un être fascinant, je m’étais dis, je devais faire sa connaissance. Et là, quand j’avais par dessus tout besoin de le retrouver, je ne le trouvais nulle part. Cette saleté de banc ! Ou était-il ? J’avais du mal à faire face tout seul à cette horde qui m’assaillait. Il fallait que je prenne la fuite. Je me défilais comme une gazelle et courut jusqu’ à plus soif. Je regardais en arrière pour vérifier si je n’étais suivi tout en continuant de trotter. Personne dans le paysage. Je les avais distancé pour un petit moment. Ils étaient à la fois résistants et lents. Ils mettraient du temps à me rattraper. Ne regardant pas devant, je me pris les jambes dans quelque chose d’assez bas et dur et m’affala dessus comme un phoque.
– Tiens, bonjour, c’est toi, je t’ai cherché partout. Ou étais-tu pendant tout ce temps? questionnais-je en me remettant petit à petit du choc en voyant le bon gamin.
– Bonjour. J’étais là. Sur ce banc.
Toujours aussi peu cocasse. Cela va être difficile.
Surtout que je ne comprenais pas ce qu’il voulait me dire. Je ne l’avais vu qu’une fois sur ce banc, tout près. La fois où on s’était rencontré par hasard.
– Désolé de te presser. Je n’ai pas trop le temps. J’aurais une question à te poser sans préambule.
Il ne dit rien. Il attendait certainement ma question.
– C’est toi qui produit tout ce bazar ? Les êtres humanoïdes difformes et transparents ? La barrière invisible autour du village que nous ne pouvons pas traverser mes compagnons et moi?
– Possible, lâcha-t-il le mot comme un petit caillou. Moi, je n’étais pas le petit poucet, je voulais avoir une réponse précise à mes questions.
– Ce n’est pas un jeu. Tu sais ce que font ces créatures.
Il me fit non de la tête. Il ne savait pas alors.
– Elles dissolvent les gens et les transforment en elles.
– Ah. Quelle horreur ! s’horrifia-t-il.
– Si c’est toi la source de tous ces évènements, il faut que tu arrêtes tout ça. Est-ce que tu le peux ?
– Oui … mais avant ça, j’ai une question ou plutôt c’est toi qui a à me la poser. Souviens-toi.
C’était un moment fatidique et je n’avais pas le temps. Qu’est-ce qu’il voulait dire par ça ? Déjà j’apercevais de vagues formes se rapprochaient de nous. Souviens-toi. De quoi ? On avait à peine discuter quelque temps la dernière fois. Il me semblait que je lui avais demandé son prénom et son nom. Ensuite… C’était flou dans le temps. Je n’arrivais pas à réfléchir. Les formes étaient toutes proches, à quelques pas d’ici. Ils allaient me toucher. A une poignée de mains à peine bientôt. J’allais mourir.
En plus, je ne savais pas ce que je sentirais quand je serais entremêlé dans l’espace-temps, scié entre deux dimensions. Une douleur atroce peut-être. Je ne devais pas me laisser aller. Je ne devais pas penser à des trucs morbides comme ça. Mes amis comptaient sur moi. Si ils étaient encore en vie. Non, ils étaient vivants. Je le savais. Je le sentais au fond de moi. Oui, c’était ça, l’amitié ! Il voulait ça et je le voulais aussi. C’était vrai qu’il me faisait flipper avec ces pouvoirs mystérieux mais je voulais devenir son ami. Je ne savais pas pourquoi. Peut-être à cause d’une sensation que j’avais éprouvé. Je le trouvais sympathique et touchant tout simplement. Monté sur le banc, apeuré par les créatures mais avec joie et sincérité dans cette question que je lui posais:
– Tu veux qu’on soit amis ? Parce que moi, je le veux bien sans compromission et sans contrefaçon.
– Avec plaisir. Depuis le temps que j’attends, dit-il en ouvrant les yeux en grand pour la première fois. Il me regarda d’un air heureux comme si je l’avais délivré.
Je sentais le souffle glacial de la mort sur moi. Une silhouette flou allait me toucher sous peu. Elle disparut comme par magie. Il n’y avait plus aucune forme nulle part. Quelques minutes après, il dit:
– Désolé encore. Il m’arrive parfois de ne pas comprendre une partie du pouvoir que j’ai en moi et de le laisser faire à sa guise. Il m’a endormi depuis trop longtemps tout simplement. J’étais prisonnier de mon corps sans pouvoir rien faire. Trop triste et déprimé pour ça. C’est mon pouvoir qui contrôlait mon corps. J’ai pu comme même te parler quand tu es venu. Grâce à ta question, tu m’as libéré et puis en acceptant d’être mon ami tu m’as réveillé totalement. Je ne sais pas si tu peux comprendre. C’est une question d’espace à avoir et de temps qu’on a.
Je ne pigeais rien en effet sauf en ce qui concernait les pouvoirs qu’on maîtrisait pas totalement. Je paniqua :
– J’espère juste que mes amis sont en vie. Et Jenny? Elle a disparu et est devenue l’une des créatures !
– Les effets de mon pouvoir ont du se dissiper.
– Tout est redevenu normal ?
– Oui. Tout le monde est revenu à la vie.
Je me leva et je m’éloigna du banc, trop heureux que j’étais puis m’arrêta et me retourna. Je lui signifia :
– Viens avec moi. Tu fais partie de notre équipe maintenant. Nous sommes amis après tout ce temps.
Sa face auparavant sombre et monotone s’illumina comme le jour. Il me suivit avec joie dans ma démarche pour retrouver nos amis. En effet, ils étaient devant l’auberge. Ils allaient bien et ne se souvenaient de rien sauf qu’on avait passé une nuit dans cet établissement. Le soleil s’était levé depuis longtemps.