L’héritage du Zénith – VIII

5 mins
La fratrie ne prit même pas le temps de converser sur l’annonce de leur père. Ils se contentèrent d’échanger des regards lourds de sens et se séparèrent aussitôt sans même s’accorder un mot de salut. Les commentaires fusèrent parmi les résidents ayant assisté à la scène. Les rumeurs, les murmures s’échangèrent  discrètement, mais rapidement, le palais retrouva son activité habituelle.
Lorsque Hachbanmeraug regagna ses quartiers, aucun de ses serviteurs ne s’aventura à lui demander comment s’était déroulé son entrevue au palais impérial… Il était su de tous que les relations entre eux n’étaient clairement pas celles d’un père avec son fils.
L’expression de son visage aurait de toutes façons suffi à dissuader quiconque de lui demander quoi que ce soit.
À cet instant, la démarche rapide, et l’aura oppressante se dégageant du prince, témoignaient d’une inhabituelle tension en lui. Tous prirent donc soin de simplement s’incliner sur son passage, sans montrer une quelconque curiosité, attendant de le voir disparaître au loin dans les longs couloirs pour se hasarder à faire quelques commentaires à voix très basse…
Le prince déboula dans ses quartiers privés, situés dans la plus haute des quatre-vingt-seize tours du palais, toujours en rage. Dans cet état, il aurait pu éliminer une armée entière, et n’importe lequel de ses propres hommes, qui aurait osé lui voler un ennemi… Il se laissa tomber dans un imposant fauteuil de velours rouge aux coutures dorés, et aux accoudoirs sculptés dans l’un des bois les plus précieux de la région. De sa position, il dominait toute la salle, bien plus austère que son étendue n’aurait pu le laisser imaginer : en dehors du siège princier, il n’y avait qu’un canapé de couleur brune, paraissant toutefois très confortable, lui faisant face avec. Entre eux, une petite table en verre sur trois pieds de marbre massifs. Sur la table, une carafe remplie à moitié d’un liquide rouge et quatre verres de cristal finement travaillé.
Chaque mur, en dehors de celui dans lequel était encastrée la lourde double porte en métal sombre qu’il venait de franchir, comprenait une imposante cheminée de marbre blanc sculpté en divers paysages ou personnages plus ou moins reconnaissables. Toutes allumées, elles renforçaient encore plus une chaleur pourtant à la limite du supportable.
Au-dessus de chacune d’elles, un immense portrait du prince en armure prenait place, semblant toiser les éventuels convives d’un regard accusateur et impitoyable.
Et c’était tout.
Rien d’autre n’était présent pour égayer un peu les lieux, ou pour démontrer un luxe. La pièce était finalement à l’image de son occupant : sans fioritures ni artifices inutiles. Elle se contentait de son utilisation première, à savoir recevoir d’éventuels « convoqués » car le prince n’invitait personne…
D’un coin de la salle, les deux silhouettes amputées aperçues plus tôt sur le champ de bataille, se révélèrent à lui et se mirent à genoux devant le trône. Elles attendirent respectueusement un mot de leur maître pour agir.
Un long temps passa dans un silence de plomb avant, qu’enfin, il ne lève un œil sur eux.
La silhouette amputée du bras droit sortit un sac de toile rougi de sous sa cape, le déposa au sol, et dénoua le nœud à son sommet. Les pans de tissus tombèrent en révélant une chevelure maculée de sang coagulant sur un visage livide d’homme. Le serviteur poussa la tête un peu plus près du prince et baissa de nouveaux le regard en prenant la parole :
— Comme convenu seigneur, voici la tête du commandant de l’armée de ce matin…
Le prince dévisagea la face à ses pieds, se pencha, l’attrapa par les cheveux, et d’un geste rapide balança la tête dans l’une des cheminées. Les flammes crépitèrent, et augmentèrent sous ce nouveau combustible, emplissant lentement la pièce d’une odeur très particulière.
L’autre silhouette, amputée du bras gauche, garda un temps le silence, puis finit par poser la question fatidique :
— Comment s’est passé votre entretien avec son Altesse votre père ?
Le prince, leva un œil vers son séide puis soupira…
— Ce n’était pas vraiment un entretien… Il a rassemblé toute sa progéniture… Pour parler de sa succession.
— Sa succession ? C’est donc un grand jour ! Vous allez enfin prendre sa place !
— Tais-toi mon frère ! lança soudainement la silhouette amputée du bras droit.
— Pardonnez mon enthousiasme…
— Enthousiasme mal placé qui plus est… Il ne m’a pas transmis le flambeau.
— Comment ? Il aurait préféré le prince Evysciel à vous ?
— Gemme ! relança la silhouette alors que sa capuche tomba, dévoilant le visage d’une jeune femme pourvue d’une longue chevelure blonde au regard d’un bleu profond, éclairant une peau ambrée ne devant rien à la chaleur mordante du lieu et de ses environs. Mais son portrait, à l’air doux, tranchait nettement avec la sauvagerie qu’elle avait dévoilée sur le champ de bataille… Ne manque pas de respect à Dame Evysciel !
L’autre retira également sa capuche, dévoila un visage très similaire au premier, bien qu’appartenant cette fois à un jeune homme, arborant quant à lui une coupe très courte et des yeux d’un vert intense.
— Hini, ma sœur, je sais bien que tu aimerais que ce soit une femme, mais ce n’est pas le cas.
— Et comment pourrais-tu le savoir ?
— C’est évident… Il suffit…
Le prince frappa son accoudoir en interrompant son serviteur :
— Et en quoi ce qui pend ou non entre ses jambes est-il important à cet instant ?
— Pardonnez-nous seigneur…
— Tss… Même mes propres serviteurs sont embrouillés par ses histoires ridicules… Ne vous fiez jamais à ce que vous pouvez entendre ou comprendre à son propos, c’est forcément son œuvre, dites-vous que personne ne sait qui est vraiment Evysciel… Son but est de semer la discorde, rien de plus.
Il laissa passer un temps pour bien signifier à son duo qu’il ne reviendrait jamais sur ce sujet et, qu’il ne tolérerait plus de dispute entre eux à ce propos, puis reprit :
— Il n’a pas choisi Evysciel non plus, pas plus que Lisithia d’ailleurs. Il nous a simplement confié qu’il devrait bientôt se retirer, mais il n’a rien dit de plus, si ce n’est qu’aucun de nous ne pourra se défiler…
— D’où votre rage seigneur, je comprends…, compatit Gemme. Ma sœur et moi, vous sommes entièrement dévoués. Vous nous avez recueillis et nommés. Si nous pouvons faire quoi que ce soit pour vous aider à prendre place sur le trône impérial, nous le ferons… Quoi que ce soit…
— Mon frère ! Penserais-tu à…?
— Cela me semble le moyen le plus simple d’assurer le trône à notre maître…
Le prince les toisa.
Ils étaient ses plus fidèles serviteurs. Ils ne remettaient jamais en cause ses ordres. Même les surnoms des plus simples dont il les avait volontairement affublés, ne les avaient pas contrariés le moins du monde : ils abandonnèrent leurs anciens pour ces nouveaux sans hésitation, ne bronchant même pas aux moqueries auxquelles ils durent faire face les premiers temps.
Les ricanements de leurs pairs cessèrent d’eux même au fur et à mesure de leurs exploits et « Gemini » devint presque une entité à part entière, que les autres surnommaient « l’ombre du prince ».
— Le moyen le plus simple dis-tu ? intervint finalement Hachbanmeraug. Crois-tu vraiment que ce soit si simple que ça ? Evysciel a la protection de son immonde araignée et le don de vision de son ange de compagnie, vous serez morts avant même d’atteindre son palais. Quant à Lisithia… Dois-je vraiment vous rappeler à qui vous devez la perte de vos bras ? Quel âge avait-elle déjà ? Cinq ans je crois… C’est ce genre d’emportement qui vous a mutilé… Vous étiez à peine à mon service, que vous vouliez déjà m’apporter sa tête en guise de preuve de votre dévotion… Pensez-vous que cela soit plus simple à présent que c’est une jeune femme méfiante ?
— Vous avez raison seigneur, pardonnez-moi…
— Tu me demandes un peu trop souvent pardon aujourd’hui… De toute façon, mon père ne tolérerait pas ce genre de raccourci, je suis sûr qu’il a un plan en tête… Il ne reste plus qu’à attendre de savoir lequel…
Le silence se fit… Attendre… Voilà quelque chose que le Prince Hachbanmeraug détestait plus que tout. Et se sentir impuissant face à une situation sur laquelle il n’avait aucune emprise n’arrangeait pas les choses…
Mais surtout, à quoi pouvait bien vouloir jouer son père ?

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1 Commentaire
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Annick Smits
1 année il y a

Toujours très agréable à lire. Vivement la suite ^^

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