Punk, Conformity and Love

8 mins

Pendant ce week-end, les 4000 festivaliers ont pu se déchaîner sur la musique enivrante et pleine de rage des Clash, de Police ou encore de Dr.Feelgood. Nous sommes le lendemain du festival punk de Mont de Marsan en 1977. En marge du Festival, un concert très attendu de Lou Reed est prévu pour clôturer ce week-end festif. Après plus de deux heures d’attentes, le public commence à douter et à s’impatienter de la venue du célèbre chanteur américain. La chaleur est étouffante en ce mois d’août, et la pression dans les verres est tiède. Les esprits ne sont plus aussi clairs qu’ils l’étaient vendredi. La fatigue fait tourner les têtes, mais il continue à boire à gorge déployer, voulant prolonger ce moment euphorique suspendu dans le temps.

Parmi la foule, il remarque une jeune femme à côté du comptoir, dont la fatigue n’a pas l’air d’avoir atteint. Elle cause fort et fait de grands gestes brusques pour illustrer ses paroles qu’elle débite rapidement, faisant renverser à chaque intonation la bière de sa carafe. Sa tenue dénote de toutes les autres. Elle porte des baskets blanches, devenues noires à cause de la poussière. Sa tenue verte flashy de marque est peu commune. Il la trouve de mauvais goûts, lui qui ne se sépare jamais de sa veste en cuir et de ses docs Martens, et dont une longue crête semblable à celle de Joe Strummer orne son crâne rasé. Il l’observe pendant de longues minutes, se demandant comment une fille à la tenue si conventionnelle a pu se retrouver dans un festival de marginaux. Sous l’effet de l’alcool, il ne peut s’empêcher d’aller la taquiner avec une pointe de sarcasme

– Particulier ton look…

Elle s’arrête de bavarder avec son amie, et le matte de haut en bas.

– T’as vu le tien ?

– Ouais, j’aime bien.

Elle le regarde plein de jugement.

– T’es le genre de mec à te faire passer pour ce que tu n’es pas.

– Toi par contre, tu dégages exactement ce que tu es.

– Ah ouais, et quoi ?

– Une pauv’ superficielle à la con.

– Si j’avais su qu’il y avait autant de trou de cul dans un festival punk, je ne serais pas venu.

– Ouais, c’est ce que t’aurait dû.

Ils se dévisagent en profondeur.

– T’as une vraie tête à claque, mais… j’ai quand même envie de t’embrasser.

– J’en crève d’envie aussi.

Leurs lèvres se touchent.

– T’en a eu assez ?

– Pas du tout. Et, toi ?

– Non plus.

Leurs langues s’entremêlent dans leurs bouches.

– On va faire un tour ?

– Avec joie.

Ils rejoignent le premier bloc sanitaire qu’ils croisent avec une envie pressante dévorant leurs entrailles. Par chance, il est désert. Les caleçons sales baignant dans l’eau stagnante et l’odeur répugnante de la pisse qui imprègne chaque recoin, ne les freine pas. Leurs pulsions sont bien trop fortes.

– Trouve un moyen de fermer la porte ! Dit-elle, le visage écarlate.

Elle retire son haut, dévoilant ses seins se balançant devant lui. Elle s’assoit sur le lavabo en écartant ses longues jambes. Il est dans un tel état d’ébullition qu’il cherche inlassablement n’importe quel objet ou quel merdier pouvant bloquer cette putain de porte. Il arrache un extincteur de contre le mur et le pose sous la poignée, empêchant les pisseurs de rentrer. Il se précipite corps et âme sur elle, désireux de la dévorer toute entière. Dans un simple élan, il lui retire son short flashy qu’il méprisait tant auparavant. Sa force décuplée par l’excitation, elle lui arrache son T-shirt des Ramones. Consumé par le désir, il se faufile entre ses cuisses brûlantes. Ils s’embrassent avec passions. Leurs corps sont en symbiose. Ils se perdent dans cette étreinte fusionnelle, explorant chaque courbe et chaque creux de l’autre avec une dévotion absolu.

On tente d’ouvrir la porte.

– Occupé ! Hurlent-ils dans une même cacophonie, partageant un rire complice.

À l’extérieur, une foule de festivaliers pressés de faire la petite et la grosse commission sont en furie de peur de louper Lou Reed. Leurs rouspétages n’entravent pas l’ébat fiévreux qui se déroule à l’intérieur. Les cœurs d’il et d’elle, battent si forts dans leur poitrine qu’ils sont à deux doigts d’exploser. Il pose sa main sur sa bouche, elle met sa main sur la sienne, et dans un même élan, ils jouissent ensemble dans le silence. Ils se blottissent l’un contre l’autre, vidé, et connecté, en désirant ne plus jamais se détacher l’un de l’autre. Le concert de Lou Reed semble avoir débuté, mais c’est devenu leur dernière priorité. La mélodie de « Pale Blue eyes » paraît flotter autour d’eux, créant une ambiance intime, les transportant dans un voyage mélancolique, persuadé qu’ils ne seront plus jamais aussi heureux qu’aujourd’hui.

Une fois soulagé, main dans la main, ils sortent des sanitaires à la manière de rock star dont rien n’atteint. Ils tendent leurs majeurs en l’air en direction de la foule les huant. Ils sont les rois du monde.

Depuis près de six mois, il a terminé de ses propres mains la construction de leur nouvelle maison. Surplombant le village, elle s’étend sur 120m², avec comme seuls voisins des vaches et des moutons. De la manière dont ses talons cognent le sol, elle est visiblement contrariée.

– Je vois que la vaisselle n’a pas été faite ! Lui lance-t-elle d’un ton plein de reproche.

– Je vois que t’arrive encore de bonne humeur ! Rétorque-t-il ironiquement.

– Pas du tout, tout va bien.

Elle jette violemment les clefs contre le hublot.

– Ce n’est pas par ce que ça, c’est mal passé au boulot que tu dois me faire chier.

– Tout s’est bien passé au boulot, arrête de me chercher l’embrouille ! Ce n’est pas par ce que je te fais une remarque que tu dois de suite t’emballer !

Il se lève brusquement du canapé.

– Vu la bonne ambiance, je me casse !

– Il faut que t’amène Lou au foot !

– Putain, je devais aller donner un coup de main à Franck !

– Je te l’avais pourtant dit !

– Fallait que tu me le répètes.

– Tu n’écoutes jamais quand je te parle.

– Bon allez, tchao.

Il ferme la porte violemment derrière lui, entendant sa femme hurler de colère à l’intérieur. Il soupire et rentre dans la voiture où son fils Lou l’attend.

– T’as pas oublié tes affaires ?

– Non. Répond le gamin sèchement à son père.

Il tourne la clef sur le contact. Le break démarre. Ils quittent la propriété et empruntent une route de campagne.

– Toi aussi, tu boudes ?

– Pourquoi maman et toi, vous m’avez appelé Lou. C’est un prénom de fille ! Les autres, ils se moquent de moi…

Il esquisse un sourire.

– Réponds-leur que ce n’est pas toi qui l’as choisit. Lorsque tu te ficheras de ce que pensent les autres de toi, c’est là que tu seras réellement fort et libre.

Il tire affectueusement la grosse joue de son fils.

– Vous vous aimez plus avec maman ! Lance le minot, exprimant ses inquiétudes.

– Pourquoi tu dis ça ? Demande son père surpris

– Moi quand je me dispute avec un copain, c’est que je l’aime pas et vous, vous ne faites que ça.

– Et ça depuis que l’on s’est rencontrés ! Rétorque-t-il en se marrant, une lueur nostalgique étincelant dans ses yeux. Il poursuit, essayant de rassurer son fils.

– Le jour où l’on cessera de se disputer, c’est là que tu devras réellement t’inquiéter.

Lou semble pensif. Il observe son père puis sourit de toute sa bouche d’enfant édenté.

Allongée dans le canapé, elle est absorbée par la lecture d’un roman de Karine Giebel. À force de lire des polars, il se demande si un jour, elle ne va pas essayer de le buter. Il s’assoit à ses côtés. Elle en profite pour installer ses pieds sur ces genoux. Il rompt le silence avec un air taquin.

– J’ai entendu dire que vous ne m’aimez plus madame ?

Elle pose son livre.

– Ah, j’ai entendu dire que c’était vous ! Les rumeurs vont de bon train dans cette maison.

Ils partagent un sourire complice. Il se met à quatre pattes sur le sofa puis glisse jusqu’à elle. Il lui mordille le cou. Les poils de sa barbe naissante la chatouille, et la fait rire. Elle le supplie d’arrêter. Il plonge son regard dans le sien.

– Tu es heureuse ? Lui demande-t-il plus sérieusement.

– Oui, répond telle du tac ou tac comme si c’était une évidence.

Ils s’embrassent avec tendresse et finissent la soirée au chaud sous les draps.

———

Comme tout les dimanche, toute la famille est réunie autour du banquet. Les enfants s’amusent en courant autour de la table, en s’arrosant d’eau avec leur pistolet. Ils sautent dans la piscine, éclaboussant les petits fours, les tranches melon et les morceaux de jambon de coche disposés en grande quantité. Les hommes déconnent près du barbecue, un verre de vin cuit à la main, tandis que les femmes plaisantent en préparant la table, tout sirotant leur verre de vin blanc. Malgré les effets de l’âge qui rongent ses os, et la sciatique lui causant un mal de chien, elle multiplie les pas et s’occupe de tout. Lui est assis au bout de la table tel le patriarche, les bras croisés, laissant juste le pouce dépassé de sous ses aisselles, le ventre bien charnu synonyme d’une vie bien remplit. Dans la précipitation, elle renverse malencontreusement le bol de vinaigrette maison sur le carrelage.

– Et voilà, encore une connerie ! À vouloir courir partout… L’accuse-t-il en levant les bras en l’air.

– Mais oh, je t’emmerde ! Tu n’as qu’à m’aider un peu ! Réplique-t-elle en allant chercher un essuie-tout à la maison.

Lou, maintenant père de trois enfants, fait remarquer :

– C’est vrai que maman en fait trop ! Mais, il faut qu’elle évite de parler comme ça devant les enfants.

Il réagit immédiatement, pointant son index vers son fils.

– Et je te permets pas de parler comme ça de ta mère ! Elle fait ce qu’elle veut, t’as compris ?!

Il n’accepte aucune critique envers elle. Il est le seul à avoir le droit de pouvoir pester contre ces faits et gestes, et c’est de même pour elle.

Le partage et la convivialité règnent autour de la table. La famille s’épanouit dans une ambiance chaleureuse, profitant pleinement de l’instant présent. Le repas est animé par les nombreuses conversations, évoquant des souvenirs précieux, et créant de nouveaux moments inoubliables. Ils parlent forts, sans filtre, les rires fusent, la vie bat son plein. Malgré les contestations de sa belle fille, il glisse discrètement à manger au chien sous la table, suscitant les sourires des enfants. Pendant ce temps, elle veille à ce que personne ne manque de rien, remplit de nouveaux les assiettes même si l’épaisse et juteuse côte à l’os a déjà rassasié tout le monde. Les bruits des bouchons de liège n’en finissent pas. Le vin régional colore les joues des convives autant que les rayons du soleil.

Alors que les adultes font un plouf dans la piscine pour se rafraichir, les enfants sont au frais à l’intérieur, regardant les bêtises de Bugs Bunny à la télévision. Leur grand-mère leur apporte une délicieuse « Découverte », un gâteau au chocolat, une spécialité du terroir. Elle ne manque pas de déposer un baiser affectueux sur le front de chacun d’eux avant de s’installer à leurs côtés. C’est le tour de leur grand-père de les rejoindre. Il s’assoit sur sa chaise en bois et se met à rire à chaque blague du lapin fou. Ils partagent des regards chargés de complicités. Les mots ne servent à rien. L’amour qui se lit dans leurs yeux est éternel.

La fatigue ravage son être. Il a veillé à ne montrer à personne la maladie qui le dévorant. Il ne veut pas qu’on s’inquiéte pour lui.

Avec les années, ils avaient perdu l’habitude de dormir ensemble, mais cette nuit-là, elle se blottit contre lui. La toux n’a pas l’air de vouloir le laisser tranquille. Elle pose sa main sur sa poitrine. Sa présence apaise sa souffrance. Il serre sa main.

– Nous avons créé quelque chose de magnifique. Murmure-t-il de sa voix faible, mais empreinte d’une conviction profonde.

Elle pose tendrement sa main sur sa joue.

– Il faudra être fort pour eux, mon amour, poursuit-il sa voix chargée d’une inquiétude teintée d’espoir.

Elle le rassure avec douceur.

– Ne t’inquiète pas mon ange, tout ira bien. On se battra pour toi. Ils ont appris à être fort.

– Je t’aime.

– Je t’aime.

Dans la nuit, il rendra son dernier souffle. Son souhait aura été exaucé. Quitter ce monde dans sa maison, dans les bras de son amour, l’accompagnant dans cette ultime épreuve de la vie.

Elle affronta ce malheur avec dignité, la tête haute. Elle prit soin de sa famille, se donnant corps et âme pour elle. Dans les coups durs, elle s’aida de l’homme qu’il était pour trouver la force d’avancer. Elle continua à faire les chose qu’ils aimaient partager lorsque il était encore de ce monde. Malheureusement, quelques années plus tard, la maladie la rattrapera et elle s’éteignit à son tour. Mais, avant de partir, elle réconforta les siens en leur assurant qu’elle était en paix, fière de la vie qu’elle a menée, et fière de ce qu’ils étaient. Ces cendres sont dispersées dans le jardin, à côté de celle de son mari. Là, où deux délicates roses poussèrent, et où on entend résonner, la mélodie “Pale Blue Eye” pour l’éternité.

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