L’héritage du Zénith – XIV

5 mins

Au palais impérial, Lisithia faisait de nouveau face à son père. Elle venait de lui annoncer son désir d’établir sa demeure au manoir de Dam, et d’emmener avec elle Henry et Nocre. Lucifer, toujours installé sur son trône, la toisait pour jauger sa détermination :

— Dam ? Cela fait bien longtemps que je n’avais pas entendu ce nom… Je suppose que tu connais donc ton lien avec ce lieu, n’est-ce pas ?

— Oui père, mais ça n’a rien à voir. Puisque tu me forces à participer à ta petite compétition, il me faut un point de chute… Raug et Evy ont les leurs. Je ne peux pas rester ici. Tes serviteurs sont déjà au courant de ce que tu manigances. Et j’avoue humblement ne pas être leur favorite pour prendre ta place. Et je ne parle même pas des espions d’Evy…

— Ce n’est que temporaire. Crois-en mon expérience, si tu es assise à ma place, ils te voueront tous une dévotion totale… Leur statut à cette cour leur est bien plus important que l’identité de leur maître. Mais peut-être pas Henry, je te le concède…

Il s’autorisa un instant pour passer une quinte de toux puis reprit :

— Dam n’est pas un endroit sûr, même pour nous. Je ne compte pas le nombre de serviteurs de ta mère qui se sont aventurés dans cette forêt et n’en sont jamais revenus… Même moi je dois avouer que je n’ai jamais su ce qui se terrait en son cœur, et cela même lorsque mes ailes étaient encore blanches…

— Te ferais-tu du souci pour moi père ? taquina la jeune femme.

Il sourit :

— Malgré ce que vous pensez, vous êtes tous les trois mon héritage à ce monde. Je n’ai aucune envie que vous gâchiez cela par des prises de décisions inconsidérées.

— Donc, c’est surtout l’affront fait à ton nom que constituerait une mort stupide pour nous qui t’inquiète… On est loin de l’amour paternel quand même…

Il s’amusa :

— Dis-moi… Pourquoi es-tu la seule à me tutoyer ?

Lisithia réfléchit un instant, mais opta pour une réponse sincère, même si elle ne plairait peut-être pas à son père…

— C’est naturel… Je ne te connais pas assez pour te respecter suffisamment pour te dire « vous ». Malgré ce qu’ils peuvent en dire, Raug et Evy te respectent bien davantage que moi mais, paradoxalement, ou pas d’ailleurs, ils désirent ta place bien plus que moi… Pour moi, tu n’es qu’un inconnu qui nous convoque quand bon lui semble…Tu es peut-être notre père, mais je sens bien que tu nous manipules, nous aussi, comme les autres. Tu ne t’en caches pas d’ailleurs, nous ne sommes que des expériences pour toi.

Lucifer sourit, peut-être aussi sincèrement qu’il en soit capable.

— J’apprécie cette franchise « ma fille » et je n’ai pas grand-chose à y redire… Et puis, tu es à moitié humaine après tout…

— Bref ! Tu m’autorises à aller là-bas et à prendre Henry et Nocre avec moi, oui ou non ?

— Fais comme bon te semble. Le manoir de Dam est tien de toute façon, Henry est à ton service depuis toujours, quant au cerbère… Eh bien, disons que c’est un cadeau d’un père à sa fille…

Il lui lança un petit rubis qu’elle examina avec attention, l’air intrigué. Lucifer s’expliqua :

— C’est une pierre d’invocation, tu ne vas pas te promener avec cette créature… Lorsque tu seras sur place, brise-la au sol et il apparaîtra. Prévois simplement un endroit suffisamment dégagé…

— Très bien… Merci.

Un silence pesant s’installa entre le père et sa fille, mais elle finit par s’incliner tout de même et quitta la pièce…

Peu de temps après son départ, Lucifer poussa un long soupir et s’exclama dans le vide :

— Ce lieu est rempli de vieilles ombres du passé… Mais j’en ressens une qui n’a rien à  faire ici, et ne qui ne m’apporte aucune nostalgie… Montre-toi, mon vieil ami, si tu veux revoir ton ciel.

Une silhouette apparut derrière le trône et déclara d’une voix rappelant les intonations strictes de Hachbanmeraug :

— Ami ? Ne m’insulte pas… Je ne voulais pas te déranger dans ce moment touchant… Ainsi donc, c’est elle ta fille… On dirait une banale humaine…

— Elle en a beaucoup de traits, en effet… Tu devrais voir ses yeux, ils sont magnifiques… à en mourir.

— Tu ne m’auras pas aussi facilement, Lucifer.

— Et si tu venais face à moi ?

La silhouette fit le tour du trône et se dévoila face à lui : un homme dégageant une aura n’ayant rien à envier à celle de Lucifer se dessina à la lumière des bougies. Grand, peu musculeux mais pourtant empreint d’une grande force. Il arborait une magnifique cotte argentée scintillante, comme sa longue chevelure blanche ruisselant sur ses épaules. Elle coulait entre une majestueuse paire d’ailes, se scindant en trois extrémités comme s’il en possédait six, formées de longues plumes aux reflets dorés. Elles descendaient jusqu’au sol, suivant ses jambes elles aussi protégées par des pièces argentées. Un visage à la peau pâle, presque translucide, illuminé par un regard d’un bleu céruléen, froid et empreint d’un mépris palpable pour Lucifer.

Il s’exprima en premier :

— Cela te convient mieux ?

— Lumiriel… Que tu as vieilli…

— C’est toi qui me dis ça ? Regarde-toi… Sans la protection céleste, tu n’es plus qu’un vieillard amorphe… Peux-tu encore simplement te lever sans tomber en poussière ?

— J’ai encore assez de force pour t’apprendre à tenir ta langue, mon vieil ami…

— Nous ne sommes plus amis depuis longtemps.

— C’est vrai… J’ai presque vu de la joie dans ton regard quand tu m’as envoyé ici.

— Ne te plains pas. Si j’avais décidé seul, tu serais mort.

— Ne sois pas si confiant… Je ne me suis pas vraiment défendu à l’époque, trop content de ne plus avoir à supporter votre hypocrisie.

— Et pourquoi une telle colère dans ce cas ?

— Colère ? Qui te dit que je n’ai pas simplement cherché à fêter ma liberté ?

— Les éons ne t’ont pas changé… Toujours à vouloir le dernier mot. Mais je peux encore te tuer. Ici, et maintenant.

— Non tu ne le peux pas. Et cela n’a rien à voir avec ma faiblesse, qu’elle soit réelle ou imaginaire… Pour pouvoir apparaître ici, tu as certainement eu recours à un sort bien au-delà de ton niveau. Tu n’as jamais excellé dans cette discipline… Et si tu veux ressortir d’ici autrement qu’en volaille farcie, tu dois économiser tes forces pour le relancer. Mais la principale raison est ailleurs : tu ne me tues pas, car telle est ton obligation. Moi, je te laisse vivre par ma seule volonté… Ne m’envies-tu pas cette liberté mon ami ?

— On voit ce que donne cette liberté… Tu ne m’auras pas aussi facilement.

— Allons, allons… Je n’essaye pas de te corrompre. Cela ne serait pas amusant de priver les armées céleste de son général en chef… D’autant que vous allez bientôt refaire votre apparition, n’est-ce pas ?

— Cela dépend de toi. C’est la raison de ma présence ici.

— Oh ! Ce n’est donc pas une simple visite de courtoisie ?

— Cesse donc de prendre tout à la légère ! Cela n’a donc pas suffi ? Des millénaires de guerres ont ravagé la surface du monde ! Je pensais que même toi, tu l’avais compris. Pourquoi prendre le risque de tout recommencer ?

— Ainsi va la vie sur le sol, mon ami… Le temps passe, et les enfants prennent la place de leurs parents… Ils font leurs choix, leurs réussites, leurs erreurs… Et puis, je suis certain que tu cherches le moindre prétexte pour relancer les hostilités. Tu devrais plutôt me remercier.

— Te remercier ? Ton aîné va conduire le monde à sa perte. Il n’aura pas la sagesse, dont tu as miraculeusement fait preuve, pour s’arrêter à temps…

— Tu mises donc sur lui ? Mes serviteurs prennent les paris, si tu veux mettre quelques pièces…

— Tu veux me faire croire que tes deux autres progénitures ont réellement leur chance contre lui ? C’est impossible. Il est comme toi à son âge, peut-être même plus puissant.

— Nous verrons bien…

— Qu’est-ce que tu mijotes ? Je sens bien que tu as quelque chose en tête…

— Tu me surestimes mon cher ami… Tu l’as dit toi-même : si je me levais de ce trône, je tomberais en poussière…

— Soit ! Garde tes secrets pour l’instant ! Mais nous n’en resterons pas là, sois-en sûr !

Furieux, l’ange suprême disparut dans un halo bleuté, laissant Lucifer seul, un sourire aux lèvres :

— Ainsi vont les choses, le temps reprend sa course…

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1 Commentaire
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Annick Smits
11 mois il y a

Ça ne va pas être très simple cette histoire … ^^
Hâte de lire.

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