Les pierres d’âme – Chapitre 3 – Repas en famille

12 mins

Merci à Françoise pour les corrections même si elles furent houleuses. Ce n’est peut-être pas encore fini !

Sommaire
Chapitre 2
Chapitre 4

Repas en famille

« Pour ceux qui aiment la bonne ambiance »

La voix tonitruante de mon père entrant dans la maison me fit quitter le chevet de mon grand-père, je lui donnai un petit baiser et lui fit un coucou de la main en quittant la pièce. Cette trompette sonnait l’heure où nous devrions aller partager le repas familial. Je me rendis donc dans la cuisine pour aider ma mère à mettre la table pendant que lui, allait se changer. Mon frère étant étudiant à l’université de Brivorest, une ville assez proche mais pas suffisamment pour rentrer le soir, il avait un appartement là-bas. Il n’y avait donc que quatre couverts à mettre.

Quand tout fut prêt, nous nous installâmes. Au bout de la table mon père, son énorme tronc tel un chêne, en patriarche qu’il était, dominait l’assemblée. Ma mère était installée à sa gauche, moi-même à sa droite – place d’Hugo quand il était là – et enfin ma petite sœur Lydia (Lili) à ma droite. Hormis le tic-tac de la grande horloge, le bruit des couverts dans les assiettes et les « slurps » que je faisais en mangeant ma soupe sous le regard courroucé de ma mère, pas un seul bruit ne venait perturber notre concentration sur la nourriture. On se serait cru dans un mauvais film des années 60.
— Le vieux est au bout du rouleau, avança mon père vers la fin du repas. Je vais enfin hériter de sa parcelle de forêt. De beaux projets s’annoncent, et Hugo va pouvoir m’aider. C’est son avenir qui se joue.

Il avait comme projet de s’associer avec d’autres gens dont j’ignorais jusqu’au nom pour construire un golf sur la parcelle de Grand-Papa, située dans la forêt et dont il aurait hérité. Il déboiserait tout et vendrait le bois. Une partie du terrain serait utilisée pour le golf et l’autre resterait consacrée à l’exploitation forestière. Il planterait à la place des arbres à croissance rapide et bien alignés qui lui permettraient de faire pas mal d’argent avec le défrichage et l’exploitation qui s’ensuivrait.

Jusqu’à une période récente, personne n’avait jamais osé s’attaquer à la forêt. Des légendes couraient sur son compte. On disait qu’elle était capable de se défendre si on l’attaquait. Il y avait des histoires de sorcières et de sacrifices humains ou d’autres choses tout aussi atroces. Jusqu’à présent cela avait empêché les charognards comme mon père de se gaver, quoique comme je l’ai signalé, il avait déjà un peu commencé à se moquer des lois immémoriales de Mère Nature. Il avait bien l’intention de mettre fin à ces croyances qu’il disait moyenâgeuses et d’exploiter à son compte tout ce qu’il pourrait.

Personne ne disait rien mais tout le monde avait son idée sur la question, même ma petite Lili de huit ans. Nous gardions toutes les trois les yeux rivés sur nos assiettes, sans broncher, n’osant défier le regard patriarcal. Je mis mes deux coudes sur la table, et appuyai ma tête sur mes mains jointes, comme je le faisais souvent pour réfléchir. Je riais intérieurement de la bonne blague que Grand-Papa avait projeté de lui faire sur le testament. Je n’en connaissais pas le contenu, mais j’imaginais qu’à mon grand plaisir, les ambitions de mon père en feraient les frais. Rira bien qui rira le dernier ! Si j’avais un rôle à jouer dans cette grande farce, je ne m’en priverais pas.

— Margaux, dit-il au bout d’un moment. J’ai réfléchi longuement à ton cas et tu vas arrêter tes études. Tu en as déjà bien assez fait pour une femme. En plus tu n’es pas bonne pour ça, tu n’es pas capable de grand-chose de toutes manières.
Une bonne entrée en matière, vous ne trouvez-pas ? Mon père avait un tact irréprochable.

Au lycée je n’avais pas des notes extraordinaires, et je veux bien avouer que je n’étais pas une fan absolue du travail scolaire. Cependant, j’avais des résultats tout à fait acceptables, certainement pas plus mauvaises que celles de mon frère à mon âge. Pourtant, lui, on le mettait sur un piédestal. Ainsi, affirmer que je n’étais bonne à rien relevait absolument de la mauvaise foi.
— Je vais te dire ce que tu vas devenir, continua-t-il. Tu finis ton année scolaire et ensuite je t’envoie travailler. Une place de caissière dans un supermarché te conviendra bien, tu devrais arriver à t’en sortir, sinon tu vas aller faire des ménages comme ta mère, même elle y parvient.

Il avait le génie pour les compliments. Il venait d’en fait un fort charmant pour ma mère…
— Je connais plusieurs gérants dans les supermarchés à Antalvay il ne devrait pas y avoir de problèmes pour te trouver un emploi.
« Ensuite quand on aura le golf, je te mettrai à l’accueil. Va falloir que tu apprennes à être plus présentable, que tu ressembles à une femme ! Prends exemple sur ta mère : du maquillage, une jolie coiffure, des bonnes manières, et voilà, une belle potiche.
Pour finir je te marierai à un bon parti de mes fréquentations.

Le mépris dans sa bouche était total. En moi la colère montait, bouillait, j’étais sur le point d’exploser comme une cocotte minute dont on aurait bouché l’évacuation. Alors pour décompresser le contenu de la marmite, je pris la parole. Selon les lois paternelles, je n’en avais pas vraiment le droit autour de cette table. Mais cette foi-ci je ne me laisserais pas faire. Je me devais de m’imposer afin de détruire ces pratiques archaïques.
— Crois-tu vraiment que tu pourras réellement m’imposer tout ça ?
Je regardai cet homme détesté, qui par malheur était mon père, droit dans les yeux et enchaînai :
— Ce n’est pas aux parents de déterminer quelle vie devront avoir leurs enfants, quelles études ils doivent faire ou encore moins leur désigner une personne à épouser !
— C’est moi qui paye, alors c’est moi qui décide. Répondit-il d’un ton glacial.
— Si tu veux, je peux appeler une assistance sociale, ou bien directement la gendarmerie si tu préfères, je me demande bien ce qu’ils diraient s’ils savaient comment tu nous traites. T’es au courant qu’on est en démocratie ? L’égalité homme-femme ça te dit quelque chose ?

Il me fusilla du regard, ne sachant pas quoi répondre. En règle générale personne n’élevait la voix devant lui, il n’avait pas pour habitude qu’une femme, surtout sa fille ne lui fasse front. J’avais tout à fait conscience d’avoir été insolente au possible, mais je ne regrettais rien, car il avait réellement exagéré, je n’aurais pu retenir plus longtemps ma colère. Enfin, peut-être avais-je été dure : on ne peut pas demander à un homme des cavernes d’avoir des notions de civilisation.
.

Comme la violence est le dernier recours des imbéciles (Selon Bernard Werber), et qu’il était dans cette situation précise, il se leva et brandit son énorme poing dans l’idée de me frapper violemment en pleine figure. Je l’aurais esquivé sans difficulté, mais d’un bond, ma mère fut entre nous, et c’est elle qui se prit le coup dans le sternum.

Elle recula sous le choc, le souffle coupé. Je la retins au vol pour éviter sa chute. Pendant qu’elle reprenait ses esprits, mon père s’était rassis comme si de rien n’était et se resservait placidement du potage. Lili était sur sa chaise, pétrifiée.

Puis il souffla entre ses dents comme un serpent :
— Vous ne perdez rien pour attendre toutes les deux ! Quand j’en aurai fini avec vous, vous verrez qui commande dans cette maison et vous la fermerez pour de bon.

Ma mère qui avait à peu près retrouvé ses esprits se dressa et répliqua d’un ton sec :
— Pascal, notre fille a le droit d’avoir des rêves !
— Tais-toi Hélène, je ne t’ai pas donné la parole. Ma fille fera ce que j’aurai décidé pour elle, continua-t-il rageusement. Des études… dit-il dédaigneusement, pis quoi encore, pourquoi pas des vacances tous frais payés au bord de la mer aussi, ce n’est pas ça qui va lui apprendre à torcher le cul de ses gosses. Il faut garder à l’esprit qu’elle doit  soutenir financièrement les études de son frère. Lui, c’est un homme et l’aîné de la famille !
Sur ces dernières paroles, il manifestait un sentiment de fierté envers Hugo. Il ricanait doucement mais gardait un calme parfaitement contrôlé. Il jouait avec nos nerfs.

Piquée au vif et entrant dans son jeu ma mère s’indigna :
— De ma vie, je ne t’ai jamais contredit, j’ai toujours fait profil bas, j’ai été la petite épouse qui faisait tout ce que tu disais. Aujourd’hui, c’est fini. Je refuse que l’on sacrifie l’un de nos enfants pour l’autre. Si je n’ai pas pu faire ce que je voulais de ma vie, je veux qu’eux puissent vivre comme ils l’entendent ! Si tu continues, je demande le divorce.

Je n’avais jamais vu ma mère prendre la parole de cette façon, j’étais en admiration totale devant elle.
— On ne divorce pas dans ma famille. Et c’est pas toi pauvre cruche qui va commencer. Tu vas  la fermer et rentrer dans le droit chemin. Sinon…
La colère s’exhalait de ses grosses narines comme la fumée aurait sorti des naseaux d’un taureau.

Je vis une détermination absolue dans le regard de ma mère. Mon père avait l’habitude qu’elle se plie à sa volonté. Mais cette fois-ci, elle ne se laisserait pas faire, je sus immédiatement qu’elle irait jusqu’au bout.
— Eh bien, ce n’est pas parce que ça n’a jamais été fait que ça ne peut pas commencer ! Et je n’apprécie pas tes insinuations.
— Je m’arrangerai pour que tu ne retrouves plus jamais de boulot. Ton principal travail est à la mairie, non ? Eh bien il se trouve que la maire et moi avons des projets en commun : le golf. Tu crois que tu ferais le poids devant moi ? D’ailleurs à partir de ce soir tu quittes la maison.
Son ton était doucereux.

Ma mère se ressaisit.
— Je te rappelle que cette maison ne t’appartient pas encore. C’est ton père qui nous a gentiment accueillis ici. Tu sais bien qu’il me préfère à toi, tant qu’il est en vie, c’est lui qui décide. Tu crois que tu arriveras à me chasser aussi facilement ?

Mon père dut sentir qu’il n’aurait pas gain de cause dans l’immédiat.
— D’accord Tu vas prendre tes affaires et que je ne t’y revoie plus. T’as qu’à aller dormir avec Margaux, elle a un grand lit. Ça ne va pas tarder à changer de patron ici, le vieux il va crever et ici ce sera à moi.
Quelle horreur, parler de mon grand-père comme ça, sans se cacher, n’avait-il aucun sentiment ? Son père allait mourir et lui ne pensait qu’à l’argent ? Il avait même l’air d’avoir envie de précipiter la chose.

Ma mère sortit de table en pleurant, à moitié de colère, à moitié d’impuissance. Bien qu’étant une femme effacée, elle était tout d’abord ma mère, ma petite maman. La voir me défendre bec et ongles, avoir reçu un coup frapper à ma place puis s’être fait encore humilier par mon père, puis se relever ensuite, me remplit d’une grande fierté pour elle. Je l’entraînai dans ma chambre afin de l’aider à se calmer et je fis signe à ma petite sœur de nous suivre. Regardant derrière moi en sortant de la cuisine, je voyais mon père ricaner. Il semblait certain de remporter la victoire, cet idiot.

Ma petite sœur était tétanisée par la peur. Je me penchai vers elle et la serrai dans mes bras pour la rassurer.
— Pourquoi papa est-il si méchant avec maman et toi ?
Que répondre à cela, que mon père était un méchant homme ? Qu’il ne pensait qu’à l’argent ? C’est difficile de dire ça à sa petite sœur si pure et naïve. Ma mère me tira de cet embarras.
— Écoute Lili, la vie des adultes est parfois compliquée. Papa a un travail dur, et quand il rentre, il arrive qu’il soit de très mauvaise humeur. Il y a aussi des choses sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Moi, je voudrais que vous puissiez faire le métier que vous voulez quand vous serez grand. Par contre, papa veut que tout soit comme il décide. Comme ces différences sont devenues trop importantes, nous allons nous séparer.
— Il t’a donné un coup de poing, je le déteste !
Je serrai ma petite sœur contre moi. Les enfants ne sont ni aveugles, ni bêtes.

Ses yeux se firent craintifs :
— Tu vas vouloir partir de la maison maman ? Qui s’occupera de moi ? Papa, lui, il ne sait pas faire. Surtout que maintenant il donne des coups de poings, moi je n’en veux pas.
— Ne t’inquiète pas ma Lili, on s’en sortira, on trouvera des solutions, lui dis-je. Toutes les trois : toi, maman et moi. Quatre avec Grand-Papa, tant qu’il est encore en vie.
— Je ne vous abandonnerai jamais, mes enfants.
Elle nous serra toutes les deux dans ses bras.

Lili sembla rassurée. Moi je ne l’étais pas, j’imagine que Maman non plus. Nous la raccompagnâmes dans sa chambre pour qu’elle dorme, et nous assîmes vers elle pour la veiller un moment. Quand elle fut endormie, nous allâmes toutes deux dans celle des parents pour que Maman puisse aller chercher ses affaires.

Cet instant avec Lydia nous avait permis de nous rassurer les unes et les autres. Ma mère s’était mise à faire sa valise et je l’aidai :
— Que va-t-on faire ? Demanda-t-elle simplement, autant pour elle que pour avoir une réponse.
— Pour l’instant on tient le coup. Tu vas venir dans ma chambre. Pas pour lui obéir, mais pour qu’il ne te fasse pas de mal, on ne sait jamais. Je te ferai une petite place !
J’essayai de prendre un ton enjoué en prononçant la dernière phrase, mais je sentis que ça sonnait faux.

Lorsque ses habits et ses quelques affaires de beauté furent transférés dans une valise et deux cartons, nous retournâmes dans ma chambre. Elle se mit à pleurer silencieusement devant la fenêtre et moi je m’assis sur mon lit, cherchant une position propice à la réflexion.
— Comment es-tu tombée amoureuse de lui ? Je n’arrive pas vraiment à le concevoir.
— Lorsque nous nous sommes mis en ménage, je ne sais pas si je l’aimais vraiment. Je voulais avoir un petit ami comme toutes mes copines. Comme au début il était charmant, prévenant, je me suis dit que ça pourrait être lui.
« Il présentait un masque de gentillesse envers moi, alors même si je ne l’aimais pas vraiment, on pouvait essayer. Je ne me suis pas méfiée, à l’époque on se mariait vite, dès que l’on fréquentait quelqu’un, les parents exigeaient le mariage, pour éviter les enfants naturels, comme on dit, tu comprends.
« Ses parents ont insisté pour que notre union se fasse. Comme je ne disais rien, les miens ne se sont pas méfiés, maintenant ils s’en mordent les doigts. Je n’étais pas spécialement malheureuse de la situation, mais pas vraiment heureuse non plus. Alors ça convenait à tout le monde.
« Puis dès le lendemain du mariage, j’ai commencé à comprendre mon erreur, le masque de gentillesse est tombé et il s’est montré sous son vrai jour, me coupant de mes amis  un à un et de mes activités. Il a bien manœuvré. Il faut faire attention, car sous couvert d’une apparente simplicité, se cache un manipulateur froid et très adroit.

Un moment passa, le temps que j’assimile ces informations et qu’elle en chasse le souvenir.

Je repris :
— J’ai l’impression que Grand-Papa a l’intention de lui jouer un tour particulier.
— Comment ça ?
— Je ne peux rien dire pour l’instant et d’ailleurs je ne connais pas ses intentions exactes, mais fais-lui confiance. Ce n’est pas parce qu’il est couché qu’il a les mains liées. Il a une bonne soldate également.
En disant ces derniers mots je me désignai du pouce, accompagnant ce geste d’un clin d’œil.
— Je ne sais pas ce que vous complotez tous les deux, mais un conseil, faites très attention. Je ne veux pas te voir souffrir.

Mes yeux glissèrent vers mon fameux diplôme es bêtise…
— D’ailleurs une idée vient de germer dans ma petite tête et qui pourrait bien changer la donne. Les Orion, ont-ils toujours un fauteuil roulant?
— Oui, oui, bien sûr, celui du vieux, mais il ne s’en sert pas souvent. Pourquoi ?
— J’ai dans l’idée que Grand-Papa voudrait peut-être assister une dernière fois à l’office au temple de la Mère Universelle.
— Tu vas quand même pas l’emmener jusque-là ?
— C’est pas exclu, ne t’inquiète pas, je le couvrirai bien et il sera bien installé. Ça lui fera du bien de pouvoir respirer le grand air.
— Je ne comprends pas où tu veux en venir.
— Tu le sauras bien assez tôt, ajoutai-je avec un clin d’œil. Allonge-toi Maman, tu dois te reposer maintenant. Ça te fera du bien.

Elle obtempéra. Je me levai discrètement pour aller espionner mon père. Parvenue près de la porte entrouverte, je pus l’observer à loisir. Il était toujours assis sur sa chaise et étais allé chercher une bouteille d’eau de vie qu’il avait commencé à vider, petit verre par petit verre. Cela ne présageait rien de bon.

Je retournai dans ma chambre et m’assis devant mon ordinateur. J’ouvrai un navigateur web et tapai sorcière dans mon moteur de recherche. J’avais entendu ce mot de la bouche de mon grand-père plusieurs fois aujourd’hui et devais pour l’amour de lui, en rencontrer une samedi. Je voulais donc savoir à quoi m’attendre, d’autant que ce mot m’inquiétait. Je ne savais pas que les sorcières existaient encore et leur évocation sonnait dans l’imaginaire populaire comme quelque chose d’effrayant.

Je trouvai des images de vieilles femmes au nez crochu décoré d’un ou plusieurs boutons très laids, ou d’autres  envoûtantes à l’air maléfique. Je cherchai quelques textes où je pus lire des histoires de persécutions qui avaient eu lieu au Moyen Âge. Il était question de sabbats, de cérémonies où elles se réunissaient pour danser nues devant des représentations impies et perpétrer des sacrifices d’animaux, ou pire, d’enfants ou encore de jeunes vierges de mon âge.

Dans certains textes qui se voulaient plus rassurants, on lisait que les sorcières étaient de simples femmes bannies de la société, expertes en herboristerie et vivant en vendant des philtres d’amour ou des poisons très violents. D’autres mentionnaient aussi qu’elles s’ingéniaient à défaire les couples en dévoyant les maris ou parfois les femmes les plus fidèles, les entraînant dans une débauche impie.

J’avais espéré être rassurée en recherchant de la documentation sur le sujet. Ce ne fut pas le cas ! Pourtant je savais dans mon for intérieur que mon grand-père ne pourrait pas se lier d’amitié avec une telle créature ! Quelque chose m’échappait certainement. J’éteignis mon appareil, en me disant que j’aurais mieux fait de ne pas le mettre en route ce soir.
Après avoir vérifié que ma mère dormait bien et que mon père n’écoutait pas à la porte, je téléphonai à Maître Duchêne pour transmettre le message de mon grand-père ainsi que le plan que j’avais fomenté. Heureusement, il me répondit.

C’est un peu après avoir raccroché que j’entendis un bruit  aussi assourdissant que bref venant de l’étage inférieur. Je descendis discrètement pour voir ce qui s’était produit et vis mon père étalé de tout son long au milieu de la pièce dans un état lamentable. Je ne pus retenir un petit rire : il l’avait bien mérité, non ?

D’après les ronflements qui s’en échappaient, il était bien vivant et vu sa position, il ne tomberait pas plus bas. Cela lui ferait une bonne nuit et le lendemain il serait tout courbaturé. Cela lui apprendrait à nous traiter comme il l’avait fait. Je décidai donc de le laisser le carrelage froid.

Je revenais à ma chambre quand, tout à coup un pur éclair de génie me fit revenir en arrière. Il fallait que je trouve une très mauvaise blague à lui préparer. Je n’avais jamais exercé mon art à son encontre, ce serait donc une surprise.

Après avoir cogité, je me dis qu’il était le seul à la maison à boire du café, et que le lendemain matin il serait content d’en prendre une grande tasse. Sans bruit, j’attrapai la cafetière et diluai dans l’eau qui s’y trouvait une bonne quantité de sel : de quoi réveiller un mort. J’imaginais déjà dans mon esprit  quelle serait son expression après l’avoir bu, et cela me réjouissait à l’avance. La prochaine fois, je couperais son eau de vie avec de l’eau… Ou j’aurais une meilleure idée entre-temps. J’avais promis à mon prof de math de troisième de faire honneur à mon diplôme ! Je respecterais ma promesse.

Je remontai dans ma chambre et y trouvai ma mère endormie en travers du lit, la pauvre devait être épuisée. Je dus la réveiller un instant pour avoir tout de même une petite place, puis je me lovai contre elle. Le sommeil fut long à venir et je me mis à réfléchir à mon emploi du temps du lendemain.

D’abord il fallait que je sois là quand mon père prendrait son café afin de profiter pleinement de sa réaction. Sinon, tout le plaisir s’en trouverait gâché. Ensuite je décidai que je n’irais pas à l’école : si on voulait me faire cesser mes études, il ne servait à rien d’y retourner d’autant que des affaires bien plus importantes m’attendaient. Puis j’irais voir la sorcière. Plus tôt mon grand-père bénéficierait d’un remède, mieux ce serait… en espérant que je rentre vivante ! Et enfin, la visite au temple.

J’oubliais quelque chose de primordial. Ah ! Oui, aller emprunter le fauteuil roulant des voisins. Je devais le faire tôt le matin, peut-être même avant le réveil de mon père. Vu la quantité d’alcool qu’il avait ingurgité, ce serait certainement tardif.

Le sommeil finit par venir, mais il fut encombré de visions de vieilles femmes grimaçantes, me poursuivant entre des objets de torture dont les formes biscornues auraient fait pâlir le plus expérimenté des bourreaux, armées de longs poignards de sacrifice aux runes élaborées et dégoulinants d’un sang noirâtre.

« Elle te demandera certainement un service en échange du remède. »
Cette phrase de mon grand-père me hanta toute la nuit. Dire que j’avais mal dormi cette nuit-là aurait été un doux euphémisme.

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5 Commentaires
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Thomas Rollinni
1 année il y a

J’ai dévoré d’une traite, c’est très immersif et bien écrit. Vivement la suite ! Juste une petite remarque, tu as laissé une répétition: aurait bouché l’évacuation aurait été bouchée pour les canalisations, mais j’ai adoré cette phrase. Sinon je n’ai rien vu d’autre!

Cora Line
1 année il y a

Dire que Pascal est un être antipathique est un doux euphémisme ! Quand à la question ci-dessous, je pense que vous pouvez laisser les dialogues en l’état…

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