Les jours passent, passent et puis passent. Les gens aussi passent et passent toujours encore, sans jamais s’arrêter. Comme une danse qui n’a qu’un seul rythme, celle de la vie, celle des tourments, celle de l’amour aussi mais surtout celle du temps. Je suis là, debout. A voir que rien ne tient à rien. Je ne m’ennuie pas. J’aime bien écouter les rires des gens, les chuchotements, l’émerveillement tout autant. Je suis là, debout à tenir cette pierre sans fin. Je suis immobile, immortel, immuable. On me scrute comme un corps sans âme et pourtant je suis habitée par tant de sentiments que certains s’arrêtent en donnant l’air de me comprendre. Je ne suis pas sûr d’avoir vécu, je n’ai pas agi. Je pense, je vois, j’entends mais je ne suis pas.
Il y a longtemps, j’ai cru pourtant que mes pieds se déliaient de mon socle et venaient rejoindre la pierre froide de mon époque. Que mon corps sentait l’air s’engouffrer dans le grand bâtiment, me parcourant ainsi de milliers de frissons. Ce n’était qu’un souvenir, probablement une illusion. Il me reste simplement la réminiscence de cette enfant qui avait effleuré ma joue dans un acte aimant. Je ne me souvenais que de son sourire celui qui dans son intention la plus douce m’avait libéré quelques instants. Peut-être était-ce cela qui m’avait amené à croire que mon corps alourdi de chêne n’était plus que chair humaine. Peut-être était-ce cela qui m’avait amené à croire que mes pieds libérés de leurs entraves avaient effleuré le sol. Seulement plus rien ne me prouvait que la réalité était telle. Et je suis toujours là, debout à me demander pourquoi mon cœur souffre.
Puis le temps passe, passe et passe. Je ne vois plus, je n’entends plus, suis je encore ? On me touche, on m’ébranle, on me scrute toujours. Je ne suis plus, je ne pense plus. Que reste-t-il dans mon regard, y a-t-on déjà perçu des larmes ? Qui me remarque, qui m’entend ? Moi je ne peux plus, je ne sais plus. Cette fois-ci le temps m’a eu.