Chapitre 13 – Le chaos
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Les deux retraversèrent le fuselage en convoie menotté. Gerflynt salua ces messieurs et accepta un Martini au passage. Tous s’esclaffèrent de la voir plier sous la force de l’alcool. Des passagers la sifflèrent, il y eut des remarques désobligeantes. Le vent tourna quand un type accrocha un billet à la ceinture de sa jupe. Dans le désordre qui suivit, d’autres hommes firent de même. On la siffla en demandant un strip-tease. Falsetti bouscula Gerflynt pour la faire passer derrière et se lança dans un déluge d’avertissements. La tension monta en flèche quand un homme éméché se leva pour le défier. L’intervention rapide du Steward empêcha le chaos de s’étendre.
Réfugiée à l’avant du fuselage, Gerflynt trempa ses lèvres dans le Martini avant que la surveillante ne le lui arrache des mains. La môme se laissa choir au comble du bonheur. La clameur à l’arrière de l’appareil était savoureuse. Cet homme était allé jusqu’à la défendre. Son cœur battait dans une effervescence exquise. Enfin cette impression de valoir quelque chose. Falsetti se tenait devant elle, son regard rivé dans le sien. La pellicule de sueur sur son front témoignait de son trouble, il déglutit et se pencha. Son odeur d’épices, la chaleur de sa peau… La jeune femme ferma les paupières et tendit les lèvres. Il y eut un déclic.
La menotte venait d’être accrochée au siège.
Laissée seule, la jeune femme se redressa et corrigea ce qui pouvait encore l’être de sa chevelure. « C’est normal Gerflynt, contrôle-toi, se dit-elle. Contrôle-toi… Bon sang, tu sais bien que c’est normal, même cette putain n’a pas voulue de toi. » Les paroles de sa demi-sœur Eleanor Sorensen étaient tombées en terrain fertile. Elle tenta de respirer, mais comme d’habitude, quelque chose de mauvais s’acharnait à l’intérieur. Il fallait tenir, ne pas céder, surtout ne pas exploser.
Au dehors, un moteur crachait l’huile. Les petites flammes sur le côté duraient depuis un moment. Pas d’intérêt de ce côté.
Le ton des conversations avait déjà changé. Gerflynt épongea ses yeux de sa main droite, consciente d’avoir trop pris d’alcool. Mieux valait se prendre un air sérieux. Le cartable tiré de son sac lui donna matière à penser. Ce séjour à Marseille devait durer trois mois, le retour à New-York étant prévu pour la fin de janvier 1952. D’ici là, le planning était chargé. La négociation des meubles désignés par Eleanor allait devoir respecter le budget. La réglementation pour l’exportation de ce genre de biens était assez compliquée et la préparation pour l’envoi vers les États-Unis promettait sa part d’imprévus. Ses lettres de créances étaient en ordre. Il y avait, semblait-il, tout un décorum à respecter avec les antiquaires. Gerflynt renifla et épongea une dernière larme en feuilletant son carnet d’adresse.
Une chose la fit sursauter.
Toutes ses entrées pour ses contacts marseillais étaient annotées. L’encre toute fraîche avait la couleur de la plume fontaine de Falsetti. Nouvelle bouffée de haine. « Comment aie-je pu être aussi naïve… »
Mais le texte des annotations l’empêcha de s’envoler : “Trafiquant de cannabis”, “Braqueur de banques”, “Arnaqueur”. Un autre possédait, semblait-il, une usine de frappe de pièces de dix francs en Toscane. Gerflynt laissa tomber ses papiers. « Dans quoi me suis-je embarquée ? »
Coup d’œil au hublot. Le moteur quatre flambait de toute sa puissance.