L’envolée du Constellation Chapitre 25

3 mins

Chapitre 25 – Arrêt au bidonville

Novembre 1951

Nord de Marseille 

637 mots

     Gerflynt abaissa sa fenêtre. Le silence. L’air glacial du matin. Les baraques, tout autour, ressemblaient à des clapiers bricolés avec des matériaux de fortune. La jeune femme fouilla ses poches et redressa le débris d’une clope. Briquet tendu, il faisait bon souffler. 

     Les deux ne s’adressèrent plus la parole. Dans cette aube aux relents de purin, un coq se risqua à chanter. Gerflynt délaissa la braise de sa cigarette et rompit le silence. « Le père de ma première famille d’accueil travaillait à la Navy Shipyard à Brooklyn. Il s’est fait tuer par des briseurs de grève. C’était un type bien, un gars généreux qui bossait de longues heures pour faire vivre sa famille, ce qui incluait au surplus, de nourrir une bouche inutile comme la mienne. »

     L’attente était interminable. Le silence emplissait l’air. « On dirait une… un shantytown, just like in the Great Depression. Comment dites-vous… un ville de bidons ? » L’homme pouffa. « Bidonville… » Ses joues se creusèrent sous la tire de sa cigarette. « En ‘44 nous avons tenté de prendre le contrôle d’une partie de Marseille. Trop tôt. Ça a mal tourné. Les Allemands ont rasé des quartiers complets. Les victimes sont ici. Ces gens ont tout perdu… »

     L’Italien jeta son mégot par la fenêtre. « Le problème c’est que les certificats de propriété ont disparu. La reconstruction bloque de partout. Mais nous allons tout arranger. Tout nettoyer. 

— N’essayez pas de m’amadouer. À Brooklyn, nous avons Crippen McGuinness. Ce type contrôle tout. Les tripots, la drogue, la prostitution… Tout lui appartient. Vos Guérini pourraient débloquer ce marasme s’ils le voulaient. Mais ils se servent en premier et les miettes qu’ils consentent à donner doivent être gagnées à coups de meurtre. Ces pauvres gens n’obtiendront jamais rien. Vous terrorisez les gars sur les quais et vous dressez contre eux leurs frères dans les collines à coup de discours et d’endoctrinements. Vous êtes des types dangereux. » 

     Gerflynt n’affronta pas le regard de l’Italien. Au loin, un homme à l’allure bourrue surgit d’une zone d’obscurité. Le gourdin à sa main se balançait comme un pendule au fil de ses pas. Il disparut entre deux tôles. « Le contremaître, commenta Falsetti.

— J’en ai assez vu. Je déménage à la Maison généralice. Je me remets en règle avec ma communauté. »

     Aucune réponse. Le silence de l’attente perdura. La jeune femme libéra sa cendre d’un tapotement de l’index. Deux semaines perdues à faire confiance à un type qui ne se révélait qu’au compte-gouttes et voilà qu’elle se retrouvaient dans ce fond de baril désespéré, à nouveau coincée dans l’engrenage de la pègre locale. Elle se mordit les lèvres. Quelque part une tempête se préparait. Eleanor Sorensen n’était qu’une salope qui avait abusé de sa bonne foi. 

     Mais qu’importe, pour le moment, avec un peu de chance, la visite de l’entrepôt Sorensen allait lui permettre de rencontrer ce demi-frère vivant à Marseille. Peut-être allait-il pouvoir lui donner un renseignement sur sa mère.

    Une lueur remua l’obscurité. Le contremaître émergea de la ruelle, une lampe tempête à la main. Le bougre était suivi par une douzaine d’hommes. Des débraillés à la tronche fiévreuse, des mal rasés la gueule édentée, des types au regard louche formaient une troupe qui passa en file indienne sous la portière de la môme. Le rétroviseur les montra regroupés, le temps de monter sous la bâche. Falsetti démarra, mais il ne put faire marche avant à cause d’un retardataire flottant dans une gabardine kakis. L’homme s’installa pour pisser bien en vue dans la lumière du phare. « On va se taper la pute du Colonel… » murmura-t-il en relevant bruyamment sa braguette. Le visage de fouine tourna un œil vicieux vers la môme. Dans le genre, Gerflynt était à la maison. 

     Falsetti releva l’offense. « Je vais rosser ce minable…

— Non ! »

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