Le Corps – Partie 12
Acte 2
Bloc 4 – Beat 12 – Le protagoniste compare sa nouvelle vie avec son ancienne
1 229 mots
La route pour l’Arizona nécessita quelques préparatifs. Grimmins était un être de chair fragile à transporter. Il fallait l’alimenter, lui trouver des WC, en plus de saluer les touristes médusés par son boulet. Et puis, mademoiselle devait dormir, déplier ses jambes une fois aux quatre heures. Tous ces besoins allongeaient la durée du transit vers le Grand Canyon.
De mon nouveau point de vue, la vie humaine semblait fragile, même lorsqu’elle se voulait combative. Être un ange ne comportait que des avantages, sauf peut-être pour les manières doucereuses du Bas Ciel que je maudissais. Le problème venait de leur relation à l’éternité. Comment forcer un Grand Navigateur à se magner le cul quand il ne peut pas mourir ?
Vector et les Séraphins alignèrent les motos en convoi. Grimmins et moi ajustèrent la fréquence de nos radios. J’étais avide de causer avec cette créature singulière, désireux de percer son mystère, même si, pour cela, il me fallait plastiquer le portail de son ego. Méthode militaire oblige.
Je fixai le boulet au siège et ajustai sa chaîne afin qu’elle ne gêne pas. Un signal et nous fîmes rugir nos engins. Nous allions voyager avec le minimum requis pour un assaut, quelques M16, des explosifs, des grenades et le reste, ceci au cas où la brigade chargée de nous accompagner aurait rencontré un pépin dans son vol direct vers l’Arizona. Notre expédition était celle de la dernière chance, rien à comparer avec les plans initiaux. Notre attaque allait ressembler au travail d’une mouche sur une forteresse. Au sortir de Salem, nous prîmes la Paul Revere Highway direction Sud, pour obliquer vers l’Ouest quelques miles avant New York.
« Je vais devoir m’accrocher à vous tout ce temps ? demanda ma passagère.
— Aussi bien s’habituer. À cause de vous, ce sera deux fois plus long. Ne vous gênez pas pour serrer le manche, au moins vous serez utile ! »
J’avais l’éternité pour corriger mes manières. Je limitai la vitesse à deux cents, conscient de ne pouvoir déployer mes ailes en cas de pépin. La fragilité de mon colis me remplissait de tendresse à son égard. Pour rien au monde ne l’aurais-je laissé se briser. Il fallait se rendre à l’évidence, les lois de la physique ne pardonnaient rien à ces délicates petites poches de chair et d’os. C’était à se demander comment j’avais pu être si frondeur de mon vivant.
Au hasard d’une courbe, j’inclinai la moto et risquai une conversation. « Alors Grimmins, à part le bricolage, comment faites-vous pour être si peu douée en tout ?
La réponse tarda à venir. Je tapai sur mon casque, il n’était pourtant pas défectueux.
— Je suis mi-diable, mi-ange. Je crois que dans mon cas, les deux natures se sont annulées.
Je sifflai comme on appelle une fille dans un strip-joint.
— Alors vous êtes un mulet. Un résidu d’incube ?
— C’est ça, Goujat ! Hurlez mon pedigree sur toutes les fréquences ! »
Le crachin de statique dans le casque confirma que nous étions écoutés. Sans doute partagions-nous la bande radio avec le trucker devant. Ce dernier nous salua d’un coup de klaxon. Au passage, je reconnus les traces d’une conscience angélique. « J’ai fait concevoir un harnais pour le saut dans l’Oblivion. Vous allez adorer !
— Putain ! de la Forge ! Taisez-vous, répondit Grimmins en me martelant le dos.
La salve vengeresse ne se fit pas attendre. « Au fait, ça fait quoi d’éviscérer un bougre ? Hein ? Dites-moi. À la guerre, vous en avez égorgé combien ?
— Je ne conseille pas d’essayer.
— On dit que vous avez à votre actif une flèche brisée [1]. L’incompétence, c’est congénital chez vous aussi ? »
Je ne sus quoi répondre. Grimmins venait de me frapper au cœur en abordant le sujet de ma pire défaite personnelle. Ça datait d’une dizaine d’années.
Désireux de remonter le moral des troupes, je ne m’étais pas soucié de ce qu’un Colonel en visite dans les tranchées attire le feu ennemi comme la merde pour les mouches. L’assaut fut lancé à mon arrivée au poste frontal. Mes lieutenants firent le maximum pour m’extraire de là. L’aviation balançait des bordées de napalm, canardait les troupes au sol, rien n’y fit, mon opposant voulait son trophée. Nous en étions à la baïonnette lorsque les secours se pointèrent. Je fus le seul survivant.
Je soupirai. Dans le genre, cette femme était un franc-tireur, ou bien nous nous étions connu dans une vie antérieure, pourquoi pas ? Son parcours était empreint de tant de mystère.
« Oui Grimmins. Aussi bien vous le dire, tout ce que je touche s’effondre. J’ai vécu mes dernières années seule, parce que j’avais peur de transmettre la guigne. J’ai tant souhaité qu’on m’oublie. J’étais un héros américain, mais j’affrontais quotidiennement le regard adressé à celui qui a tué. Être un monstre m’a usé, je suis mort devant vous. Ça ne vous a donc pas fait plaisir ?
Pas de réponse.
» Le Corps, lorsqu’elle s’est présentée, m’a offert des moments de grâce que je ne méritais pas, elle m’a fait sentir ma fragilité, mon insignifiance, le tout dans un aura de bien-être libérateur. Elle l’a fait sans un mot, sans conflit. Cette âme est la bonté incarnée, la loyauté inflexible. Je ne la méritais pas, je l’ai détruite, comme les autres.
— Taisez-vous. »
La route défila comme un ruban à la longueur infinie. « Parlez-moi de vos enfants, ça vous changera de votre radotage morbide.
— Oh ! Mais vous êtes une vraie salope.
— Je ne vois pas en quoi…
— De ce côté, la vie a égalisé le total. Sept hommes morts par ma faute, mes cinq enfants emportés dans un accident de voiture conduite par mon adolescente, le suicide de mon épouse. Avec moi, le compte est bon. J’ai été maudit et je l’ai mérité.
Il n’y eut que le silence comme réponse, et puis, ça.
— Vous êtes votre propre bourreau, de la Forge. »
Je ne répondis rien. Passé quelques secondes, le casque cracha un crépitement. Sans doute s’agissait-il de l’assaut final. « Si vos enfants sont au Bas-Ciel, pourquoi ne pas les retrouver ?
— Problèmes administratifs, semble-t-il. Et le sort de mon épouse reste inconnu. Elle a souffert en psychiatrie avant de se laisser mourir. Le Haut-Ciel prétend ne pas l’avoir jugée, ce qui est un non sens.
— Le purgatoire ?
— Pas jugée, je viens de vous le dire ! »
La bretelle vers la 95 Sud était encombrée. New York attirait les véhicules comme un aimant. Le silence s’imposa. La tête enfouie dans mon col, je m’occupais à naviguer entre les véhicules, le moteur a bas régime. Les Séraphins restèrent tout ce temps scotchés à mes rétroviseurs. L’accotement permit de prendre un peu de vitesse. L’embâcle céda un demi-mile en aval. Le casque crépita à nouveau.
— Je ne savais pas pour vos gosses. J’en suis désolée. »
Mary Grimmins m’enserra la poitrine. Cette compression enveloppante fit sortir ma tristesse comme l’eau d’une éponge. Mes yeux se mouillèrent. Un coup d’accélérateur et la Kawa bondit à trois cents.
Ma passagère hurla de terreur.
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[1] : Terme de l’Air Force référant à la perte d’une bombe nucléaire (écrasement d’un avion, chute accidentelle, etc.) Dans le film « We were soldiers » le terme désigne la perte d’un bataillon.
O. veut casser Mary Grimmins en la bousculant comme dans l’entraînement militaire
Mais la contre-attaque liée à sa blessure psychologique le déstabilise
Alors il met les gaz pour mettre fin au massacre de son cœur et limiter sa déroute.
C’est parti pour les enfers ! Et cette Grimmins…un vrai boulet lol
Un vrai boulet en effet MDR…
Mais que vont-ils trouver en enfer ? Quel combat devront ils livrer pour franchir le portail avec le cerbère à trois têtes ? C’est horrible ! Et comment pourront-ils ramener le Corps sans que l’Ange Noir ne procède à sa néantisation ? Et comment O. va-t-il faire pour gérer deux femmes, alors qu’il est incapable d’en approcher une seule sans la meurtrir ? Il y a tellement de défis à venir que je crains pour le rapprochement de O. et de son boulet Grimmins. Mon avis c’est que ça marchera pas entre les deux… ils vont se prendre la tête et ce sera la fin de l’histoire !
Ouais…ça ne peut que clasher, vu leurs caractères.