Mireille n’a jamais aimé Paris. Mais on ne lui a pas vraiment laissé le choix. Quel âge a-t-elle, maintenant ? Elle l’ignore, peut-être 86 ou 87, les jours ne se comptent plus. Il suffirait pourtant d’une simple addition, elle qui est né un peu avant la guerre, en 1936. Fille de parents fermiers, elle a gardé les mains usées des terres normandes, à labourer les pommes de terre et égorger les lapins pour le dîner. Quand la guerre a commencé, il a fallu remballer pelles et rateaux. Christian est parti sur le front, Anna dans la résistance. On l’a confiée à la boulangère du village, et puis ils sont partis. Elle avait quatre ans. C’est en revenant à la ferme dix ans plus tard qu’elle a rencontré Joseph. Il était encore étudiant en faculté de médecine et n’avait que faire d’une adolescente insolente. Sept ans plus tard ils se mariaient et Catherine naissait. Le fruit d’une passion impulsive au gout amer de la solitude. Joseph travaillait sans arrêt, Mireille s’occupait de la maison. Catherine grandissait. Medecin à son tour, elle brillait sur chaque aspect de sa vie. Belle, intelligente, curieuse mais prudente, sans jalousie Mireille admirait cette enfant libre, orgueuilleuse et fière, née d’un corps si seul, et pourtant elle collectait chaque étoile du ciel pour s’en broder un maillot de charme et d’autorité que les gens lui enviaient.
Quand elle lui a présenté Jules, Mireille n’a rien dit. Beau garçon, chirurgien plasticien renommé, mais d’un calme et d’une discretion idéals dans cette famille endeuillée par la mort de Joseph survenue quelques mois plus tôt. Il s’est imposé avec tact et douceur, apportant des fleurs chaque dimanche avant de s’enfuir dans les devoirs de son métier. Jules était un homme de silence, ne parlant que très bas pour ne pas déranger Catherine, déjà enceinte à cette époque. Même après la naissance d’Hortense, un premier mars, il a prit l’habitude de ne pas rire haut et fort, de s’exclamer, de crier. Il cachait ses colères dans un regard que ses yeux bruns rendaient encore plus dur et sévère. Un père effacé mais aimant. Un père qui est resté gendre et mari, même après la mort de Catherine. Cette maison normande à laquelle il devait une femme et une fille, Jules y allait chaque semaine, déposer à travers la fenêtre une part de tarte ou une carte postale, toujours soucieux de perturber. Puis il récupérait Hortense à l’école et tous les deux rentraient à la maison. Elle aussi ne parlait que très peu. Une enfant timide et réservée, mais que la beauté et le charme n’avaient pas épargnée. Ils vivaient dans un petit quartier, heureux du calme qu’offrait leur quotidien routinier et sans grande surprise. Ils voulaient un cadre strict et simple dans lequel ils se jetaient à coeur ouverts, avides d’une vie monotone et épargnée de sentiments. Hortense et Jules n’étaient pas insensibles, juste effrayés par le bruit des larmes. Ces longs sanglots lourds, insupportables à leurs yeux leur donnaient la migraine. Sans chercher la joie ils repoussaient la tristesse. Deux arbres, au milieu d’un champ, protégé de la foudre par la seule absence de nuages.
@O. DeJavel
Voilà qui devrait peut-être aider à en savoir plus sur elle…
Ah ! Oui, ça place l’arbre généalogique et ça donne un contexte.
Ce texte a également l’avantage de nous donner un échantillon des émotions de ton univers. Il est remarquablement bien écrit.
Je t’encourage à continuer ce récit qui a quelque chose d’unique dans sa couleur et son rythme (d’une lenteur escargotique, mais tout à fait appropriée à l’émotion que tu nous proposes)
Un autre façon de dire que j’admire ton travail sincèrement.