Un car de nuit pour l’enfer – Chapitre 3 – Le trou

6 mins

Car3 – Chap 5 Bloc 2 Beat 4 – A React and reflect – Le trou

Le car de nuit

Jour 1 – Novembre 1952 

Bloc 2 – Le problème dérange la vie de la protagoniste (1/3)

Beat 4 – Réflexion sur les conséquences à long termes 

1489 mots

 

But du Chapitre : 

  • La protagoniste réfléchit aux conséquences à long termes de l’incident

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      La tête sous les draps, la môme recracha les sédatifs dans une bouffée de fureur. Il était hors de question de se retrouver chez les McGuinness, encore moins d’être vendue à cette ordure de Falsetti. Il fallait tirer les choses au clair.

    Tout semblait calme à l’infirmerie. Le médecin-visiteur, un type sec au front dégarni, venait de franchir l’une des cloisons à barreaux et en était à signer le registre d’admission. Plus loin, une infirmière tapotait un oreiller en plaisantant avec une malade. Le maton Larry Olson échouait à en imposer à une petite femme en crise.

— Quoiqu’il arrive Brochet, garde le silence et surtout accorde-moi ta confiance !

— Putain de grands airs ! V’la que tu m’fais encore ta Marie-Antoinette.

    La môme se leva et poussa la civière dans l’allée centrale. Un regard fauve jeté en direction du personnel et elle obliqua vers une salle de passe. Tout alla bien jusqu’à ce que Vlad ne la harponne.

—  Accroche-toi Brochet !

     La civière entra dans la pièce comme un bolide, pulvérisant une armoire vitrée. Des fioles volèrent en éclats. L’air se remplit d’une odeur de désinfectant. Gerflynt verrouilla la porte et déplia la vieille par le col.

— Tu vas me donner toute l’histoire ! dit-elle la main brandie, prête à frapper.

— Môme… Ton maque veut te ravoir même s’il a perdu gros par ta faute. N’importe quelle gonzesse chialerait de bonheur.

     La grognasse séculaire savait s’y prendre. Gerflynt déglutit, le cœur battant.

— Y’a un bail que t’as vu le monde, Brochet. L’honneur chez les Italiens ça te dit quelque chose ? Maurelli, Falsetti, Spaghetti.

— Y’en a qui racontent que tu piges rapidement, enchaîna le crapaud. Pour moi, t’es qu’une bonne petite femelle pas trop futée, le genre prête à tout pour son homme. À voir ta rancœur…

— Je reste en taule et ce sont mes affaires. Je ne suis pas une Italienne, je suis une Saint-Sisters, bordel !

— Ça non ! T’es qu’une paumée comme y’en a plein ici. Tu te rebelles, tu plies et tu te rebelles à nouveau. Pour deux sous de tendresse, tu rends tes As comme une petite poule sincère. Mais au fond, tu sais que t’es plus rien, que t’as plus de vie. Y’en a ras le bol de ton manège, retourne à ton maque !

    La vieille lui cracha au visage. Ce tas d’os se savait trop fragile pour mériter une frappe en retour, dictature du faible, mieux valait dégager. La môme se mit à tourner en rond comme un tigre dopé aux effluves d’éther. Il fallait agir, trouver une idée. Accepter d’être vendue, c’était s’asseoir sur une bombe atomique, version tabloïds. La Supérieure et les religieuses allaient à nouveau prendre la tasse. Il ne fallait pas.

— Siobhán a pourtant tout fait pour te dresser, poursuivit l’ancêtre d’une voix lubrifiée à l’arsenic. Même à coup de tournevis dans le cul, tu refuses de comprendre. Les Sisters de RavenHills ont besoin d’un vrai boss, le genre capable de nous dire quoi faire et de fouetter les geignardes. C’est d’un leader qu’on a besoin, pas d’une sainte lavette dans ton genre.

     Vlad martela la porte. La vieille poursuivit son meurtre lent.

— T’es pas une meneuse. T’es entaulée, mais t’es pas comme nous. Ton histoire de drogue, laisse-moi rire. Ils se sont débarrassés de toi, parce que tu servais à rien. Et une fois tombée ici à RavenHills, tu fais quoi ? Tu t’installes. Un lit, repas fourni par Siobhán à condition de devenir son bras armé ! Pfftt… Deux mois après son arrivée, v’la la Sainte convertie en caïd numéro deux avec un p’tit business de pute en extra.

— Tu sais ce que ces chiennes me faisaient endurer. Je suivais les ordres ! Je n’avais pas le choix.

— C’est ce que je dis, Pétasse. Sans elle, t’es qu’une boule de nerf, une tarée, une bonne à rien.

    Le bras levé annonçait une correction, la vieille plissa son champ de rides, les baguettes levées pour se protéger.

— Réponds Brochet !  La vente…

— Môme fais gaffe ! Tu voulais des conseils, je t’en donne. Perds pas tes marques sur ce coup-là. Une bonne pute ne divorce pas, question réputation. Accepte le secours de ton Italien et réjouis-toi de prendre les baffes que tu mériteras en retour.

     Gerflynt la relâcha. Tout en elle hurlait de bâillonner ce restant de rombière revenue d’un autre siècle. Quarante années depuis que cette amatrice de poison à rat se frappait la tête sur les barreaux à entendre le gémissement de ses huit gosses en train de rendre l’âme, à envoyer la même lettre, au même souteneur, un type flingué de longue date.

    La poignée et sa bascule se mirent à jouer dans tous les sens. Le martèlement sur la porte prenait de l’intensité.

— Vlad ! Vas te faire foutre, putain !

     Manquer de respect à un officier entraînait des conséquences, mais l’heure n’était pas à la reddition. Pas tout de suite, pas maintenant.

— Et merde ! Pourquoi est-ce que je n’ai jamais voix au chapitre ?

     Les yeux de la môme se remplirent de larmes.

— Parce que les ententes, ça se fait avec le maque, pas avec la pute. T’as plus quinze ans, connasse.

    Gerflynt continua de faire du sur place. Falsetti allait lui soutirer ce qu’elle savait du physicien Suédois pour ensuite la tuer, là-dessus la confiance régnait. L’alternative n’était guère réjouissante. Siobhán l’avait questionnée sur ses premières années comme escorte après qu’elle ait été jetée à la rue. D’un client à l’autre, son premier amour l’avait entraînée dans le GFE, la Girl Friend Experience, un produit d’extorsion dont le rendement dépendait de la valeur des confidences obtenues sur l’oreiller. Ses séances au lit avaient enrichi le mec, mais le suicide d’un industriel avait projeté la pute aux enfers, le cœur incinéré dans les remords. Les McGuinness savaient que sa notoriété acquise dans son affaire de drogue avait tué toute valeur dans ce produit. Travailler pour des passes à quinze dollars ne valait pas qu’on la sorte d’ici. Il y avait anguille sous roche.

     L’ombre sous la porte laissait entrevoir l’arrivée du sergeant Riker et de sa bande de matraqueurs. La môme enleva son pansement de tête. La sueur coulait sur ses tempes. « Encore une raclée, je ne vais pas survivre longtemps à ce régime, » pensa-t-elle. Les tiroirs ouverts à la dérobée ne lui rendirent rien qui vaille, pas même une cigarette.

    Inutile de faire appel au procureur, son affaire était classée. Lui parler sans l’aval de cet enculeur de gosses qu’était le directeur Porter était de toute façon impossible. Une évasion en solo, pour peu qu’elle réussisse, allait éclabousser les religieuses.

— Je n’ai plus personne au monde !

— Môme faut pas devenir folle avec cette histoire.

     Un flash. Le transfert en psychiatrie au Bellevue Hospital ne dépendait que de l’autorité du médecin. La confirmation de sa folie dans les journaux allait exonérer la communauté de la Rédemption et alors une évasion devenait possible :  ce n’est pas une religieuse qui allait prendre le large mais une folle ! Voilà qui faisait toute la différence.

    Le transfert à Bellevue apportait plein d’avantages, l’un d’entre eux étant d’échapper à RavenHills et sa muraille de 15 mètres. Tout devenait alors possible. Courir librement dans les rues allait lui permettre d’organiser la revanche contre l’Italien.

     Brochet en était à dissimuler un bistouri.

— Donne-moi ça !

— Môme, fais gaffe, grinça la vieille d’une voix faiblarde.

    Gerflynt retint sa respiration et s’entailla un poignet. Le second n’avait pas encore pissé le sang que la porte et sa chambranle s’abattaient dans un fracas de casse et de clous arrachés. Le craquement d’un os se perdit dans l’avalanche de plâtre.

     Un passage à vide. La môme s’éveilla aplatie sous la porte.

— Brochet ! dis quelque chose.

    Des bottes s’activaient de partout. Les hommes de Riker soulevèrent la masse et alors Gerflynt sentit son cœur cogner, peut-être déjà par manque de sang. C’est à ce moment qu’elle entendit la vieille gémir sous l’armoire.

— Portez-lui secours, bande de salauds ! hurla-t-elle.

    Les gardes la saisirent par les poignets mais la môme se dégagea à coups de pieds et de poings pour se jeter à plat ventre.

— Hey ! Brochet ! Brochet !

    Aucune réaction, la vieille sembla évanouie, ou peut-être déjà morte. Le bras tendu ne réussit pas à faire contact.

— Vous l’avez tuée ! Espèces de monstres, hurla la détenue qui se sentit tirée par les pieds.

— Dites à Porter que je sais des choses. Ce salaud va payer !

    Saisie par la taille, son corps en torsade fouettait l’air à coups de pieds. On ne la maîtrisa que lorsque Vlad la recouvrit de son ventre mou comme une coulée de plomb. Il fallut s’y mettre à six pour la panser et l’insérer dans une camisole de force.

     La môme offrit sa reddition la bouche fourrée de sparadrap, affaissée au milieu d’un champ de bataille bombardé de sang. Son souffle redevint calme comme un battement d’aile, au grand soulagement du personnel et des patients attroupés en cercle.

     L’officier Olson fit place au toubib. L’homme promena ses chaussures de cuir dans le verre écrasé. Il prit le temps de retirer ses lunettes et de les nettoyer avec son handkerchief. Ses yeux cillèrent. L’éminent docteur Julius Klein corrigea sa voix et tira les lèvres.

— L’incapacité de cette créature à faire confiance l’empêche d’établir des relations durables et fait d’elle une solitaire, une éternelle mésadaptée. Tout ce cirque n’est au final qu’une crise d’hystérie, ajouta-t-il. Cette bonne à rien pourrait être dangereuse selon les circonstances, ce qui, sommes toutes, est assez banal à l’endroit où nous nous trouvons.

— Au trou ! lança Riker.

     L’injection de morphine fit planer la jeune femme jusqu’aux cachots du deuxième sous-sol. Bienvenue dans la réserve privée du directeur Porter.

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