Chapitre 10 – Questionnements

17 mins

Carmen

Allongée sur mon lit, tête plongée dans le vide, je compte distraitement les secondes en me demandant combien de temps faudra-t-il à mon sang pour monter à la tête et entrainer un violent mal de crâne qui me forcera à me relever. J’ai l’esprit complètement embrouillé et les idées plus tout à fait clair et, étrangement, cette position m’aide à réfléchir et faire le tris dans ce pêle-mêle de questionnements et de sentiments. J’ai chaud. J’ai la tête qui tourne et très vite le mal de tête s’impose. Au bout de 72 secondes, je suis forcée de me relever, je n’ai pas vraiment envie d’avoir à supporter des marteaux piqueurs dans mon cerveau, même si je les ai provoqués. Je me redresse lentement et m’assis bien en tailleur sur mon lit.

Je frissonne en sentant la douceur de ma couette sous mes jambes nues. C’est agréable, mais pas suffisamment pour me faire oublier le rappel à l’ordre du marteau piqueur. Je grimage et grommelle et attrapant ma tête entre mes mains. « Idiote ! », me gronde un voix au fond de mon esprit. Mais ce n’est pas Allyx. Ça ressemble plutôt à ce qu’il me reste de conscience. Ramenant mes genoux contre ma poitrine, les entoure de mes bras et y pose ma tête encore douloureuse.

J’inspire longuement et pousse un long soupire en secouant lentement la tête. Trois jours se sont écoulés depuis mon dernier entrainement avec Kalel. Je ne sais pas vraiment quoi penser, toutes sortes de pensées et d’émotions se bousculent encore dans mon esprit et je revois nos deux corps si proches. Son visage à seulement quelques centimètres du mien, son regard si chaleureux, sombre et plein de fierté à mon égard. Et… cette irrépressible envie que j’ai eu de l’embrasser… ça ne doit pas tourner rond chez moi…

Je grogne et me laisse tomber à plat dos sur mon lit, les bras écartés et les mains pendantes dans le vides. J’observe le plafond blanc de ma chambre et suis du regard les nombreuses fissures qui le décorent de part en part. Mon plafond à quelque chose d’apaisant, de relaxant. Je me laisse aller et ferme les yeux, savourant le calme ambiant régnant dans ma chambre.

On toque à ma porte, je sursaute et me redresse vivement, ce qui fait grincer mon lit. Ma vue se brouille et je grimace. Je me suis redressée trop rapidement. En secouant la tête, je me tourne vers la porte entre ouverte et observe Allyx qui se tient appuyée contre le rebord du mur. Les bras croisés contre sa poitrine, elle penche la tête sur le côté et me questionne du regard. Je ne lui ai pas beaucoup parlé durant ces trois derniers jours, je ne lui ai pas parlé du tout en fait. J’avais surement besoin de me retrouver seule pour mettre de l’ordre dans mes pensées mais malheureusement pour moi, elles sont toujours aussi confuses, voire plus encore. J’attrape mon oreiller et lui souris en tapotant la place à mes côtés. Elle vient s’y installer en attrapant au passage ma peluche Winnie l’Ourson négligemment posée au bout de mon lit. Elle lui caresse tendrement le dessus de la tête en le serrant contre sa poitrine. Elle sourit avant de m’adresser son fameux regard qui vous invite à déballer vos plus sombres secrets.

Mais je ne sais pas quoi lui dire. Je baisse la tête sur mon oreiller et caresse du bout du doigt un morceau de fil noir décousu. On ne dit rien pendant un moment, ne faisant que tripatouiller nos objets respectifs. Allyx se mets à se trémousser, se balançant légèrement de gauche à droite. Je sens bien qu’elle s’impatiente et qu’elle finira tôt au tard par craquer et me submerger de questions. Je sens bien qu’elle attend des explications et que ces trois jours à lui bloquer mes pensées, sans lui parler ont dû alimenter sa curiosité et son inquiétude. Elle finit par briser le silence.

– Qu’est-ce qu’il se passe Carmen ?

– Pour être tout à fait honnête, je n’en sais strictement rien.

Je l’observe hocher la tête et serrer Winnie dans ses bras sans prononcer le moindre mot.

– Tout se bouscule dans ma tête : pensées, émotions, sentiments, tout n’a plus ni queue ni tête, c’est un véritable fiasco ! J’ai l’impression que de tout remettre en question, je ne suis plus sûre de rien.

– A propos de quoi ?

Mais elle le sait très bien. Je n’ai pas besoin de parler car, tout comme moi, elle voit les visages de Kalel et de Danny s’imposer dans mon esprit.

– J’aime Danny, je le sais… Ou du moins je le pense. Ça n’est plus aussi évident pour moi depuis…

– Kalel ? Je hoche la tête, bien sur Kalel, qui d’autre pourrait être à l’origine de mes questionnements.

– C’est dingue quand même. (Je me redresse brusquement et ris d’un rire nerveux) Après trois ans de relation, je ne suis plus sûre de rien. Je l’aimais de tout mon cœur, j’en était persuadée, mais il a suffit que Kalel se pointe pour que je remette tout en question. Je me sens plus proche de lui que de Danny, surement par ce qu’il est comme nous et qu’il comprend mieux que Danny ce que je peux ressentir vis-à-vis de mes pouvoirs, mais ça ne devrait pas faire disparaitre mon besoin d’être auprès de Danny ? Il ne peut pas avoir fait disparaitre tous mes sentiments envers lui par un seul coup d’œil ? C’est comme-ci Kalel m’attirait comme un aimant et qu’il m’était impossible de lui résister. Je ressens le besoin de passer du temps avec Kalel, d’apprendre à le connaitre, de savoir ce qu’il aime, de connaitre le moindre de ses secrets… Mais… Je ne sais plus si j’ai encore envie de continuer avec Danny…

Ma voix faiblit. Je baisse les yeux au sol et me dandine d’un pied à l’autre. Sans un mot, Allyx se lève et me serre dans ses bras. Je sens ses mains entourer mes épaules et j’entends battre son cœur sous ma tempe. Il est calme, pas comme le mien. Je l’entends respirer tout aussi calmement, ce qui n’est pas mon cas. Je tente de maitriser les battement affolés de mon cœur et ma respiration saccadée. Je sens les doigts de ma sœur s’agiter sur mes épaules, leur caresse semble me calmer quelque peu mais il y a toujours quelque chose qui me dérange. Allyx ne parle pas. Je n’entends pas non plus ses pensées et je n’aime pas quand elle me cache ses pensées. Pendant ce qui me parait une éternité, elle reste complètement silencieuse. Je n’entends que le va et vient incessant de mes propres pensées qui me répètent encore et encore la même phrase, « Tu n’es qu’un monstre » …

– Ce n’est pas vrai, tu n’es pas un monstre !

La voix d’Allyx me fait sursauter. Surprise par sa réaction, je relève la tête et l’observe, les yeux écarquillés.

– Qui pourrait t’en vouloir ? De nos jours, tout le monde se sépare ! Ce type t’attire, soit, tant pis pour Danny tu lui auras laissé sa chance.

– Mais…

– Laisse-moi finir. Elle me coupe d’une voix tranchante et assurée. T’es-tu déjà demandé si Danny était le bon, t’es-tu déjà demandé pourquoi tu ne voulais rien faire avec lui, t’es-tu déjà demandé si tu avais parfaitement confiance en lui ou encore si tu étais sûre de l’aimer ? Toutes ses questions me donnent le tournis, je ne sais plus quoi dire… Ne t’es-tu pas déjà dis que tu pensais l’aimer par ce que lui ressentait quelque chose pour toi, malgré tes pouvoirs et ton statut de détraquée, ne t’es-tu pas sentie obligée de répondre à ses sentiments car lui seul t’avais donné une chance d’être normale ?

Ses questions sont beaucoup trop nombreuses pour que je puisse y réfléchir et y répondre. Elles me font l’effet d’une bombe et je me demande si, au fond, elle n’aurait pas raison. « Bien sur qu’elle a raison, tu le sais très bien ! », toujours cette même voix qui résonne dans mon esprit.

– Laisse-toi le temps de réfléchir. Prends le temps qu’il te faudra et n’écoute que ton cœur, lui seul saura te conduire sur le bon chemin.

Allyx dépose un tendre baisé sur mon front avant de se lever et de se diriger vers la porte. Elle s’arrête avant de la franchir et se tourne vers moi, sourire aux lèvres.

– En attendant repose-toi, la nuit porte conseil…

Je passe ma main sur mon front et soupire, m’écroulant une fois de plus sur mon lit. Je ferme les yeux et serre l’oreiller contre ma poitrine, en quête de réconfort. Je n’ai pas l’habitude qu’Allyx soit d’aussi bon conseil. Rares sont les fois où elle a pris le temps de me conseiller, de m’écouter et de me comprendre. Mais je dois avouer que ça fait du bien d’avoir une oreille attentive à portée de main.

J’observe mon réveil. Il est encore tôt pour se coucher et dormir. Mais je ne me sens pas le courage de bouger, de lire, ni même de trainer sur mon téléphone. Danny pourrait m’appeler ou m’envoyer un message et je n’ai pas le cœur à lui parler. J’éteins mon téléphone pour être sûr de ne pas être dérangée. Mon réveil m’indique toujours qu’il est trop tôt pour dormir, mais je suis fatiguée. Toutes ses questions m’ont épuisées. J’observe mon plafond, tentant de mettre de l’ordre à mes pensées. Mes paupières se font lourdes, je cligne plusieurs fois des yeux et lutte pour ne pas m’endormir. Mais à quoi bon, je suis de toute façon fatiguée. Alors je ferme les yeux. Tout est noir, silencieux et tranquille. C’est reposant, agréable et je souris.

***

Leurs regards m’observent, silencieux, attentifs. Postés l’un à côté de l’autre, bras croisés et sourcils froncés, les deux m’observent de leurs regards de braise, mais ne disent mot. J’observe le premier, essayant de déchiffrer son regard, de percevoir une émotion dans son regard sombre, mais je ne vois rien d’autre qu’une étonnante détermination. Il m’observe de haut et me souris. L’autre est plus discret et légèrement en retrait, plus petit mais tout aussi imposant. Là encore, son regard ne me révèle rien. Je les vois me sourire, confiants.

Le second s’avance d’un pas et relève la tête avant de murmurer d’une voix monocorde ;

– Choisis.

Mon cœur s’emballe, mon regard jongle entre les deux hommes qui se tiennent face à moi. Choisir, mais lequel ? Je n’en ai aucune idée. J’aimerais bien qu’on m’aide à faire un choix, donnez-moi seulement un indice que je puisse faire mon choix. Mais rien…

Le premier fait à son tour un pas, rejoignant le second, relève la tête et bombe le torse.

– Choisis !

 A l’unisson, ils font un pas vers moi. Puis un autre et ne s’arrêtent qu’à moins d’un mètre de moi. Ma respiration s’affole. J’observe l’un, puis l’autre. L’autre, puis l’un… Il ne se passe rien. Quand soudain, leurs bouches s’ouvrent en même temps. Leurs deux voix s’élèvent et résonnent dans ce lieux vide. Répétant une seule et même phrase.

– Fais-ton choix.

Il me faut faire un choix, je l’ai bien compris. Mais lequel choisir ? Je ferme les yeux. Lorsque je les réouvre, j’observe le second, les larmes aux yeux. Je fais un pas en avant. Mon cœur bat à tout rompre, martelant furieusement dans ma poitrine, rendant ma respiration chaotique. Je pourrais choisir la facilité, me réfugier dans ses bras familiers et protecteurs. Je pourrais décider de ne rien risquer, de ne pas jouer avec le feu… mais comme un papillon, la lumière de cette nouvelle flamme m’attire. Je décide de me lancer dans l’aventure, de tout risquer, car c’est ce qui rend l’histoire palpitante.

Encore un pas en avant. Lentement, la distance s’amenuise. J’observe son regard. Un regard flamboyant. Mon cœur s’apaise. Mon âme se réchauffe peu à peu. Je ferme une nouvelle fois les yeux, m’installe aux côtés de Kalel. Lorsque je les réouvre, Danny a disparu… Oui, j’aurais pu choisir la facilité, mais j’ai préféré me brûler les ailes.

« BIP… BIP… BIP… »

Mon réveil s’est soudainement mis à sonner.

Fébrile, je me redresse brusquement, trempée de sueur. Je porte ma main sur mon front brulant. Complètement paniquée, je tente de respirer calmement et ferme les yeux. Son visage s’impose de nouveau à mon esprit. Le second a disparu et n’est plus qu’un lointain souvenir.

– Mon choix est fait.

***

« Il faut qu’on parle, c’est urgent. Rejoins-moi devant l’amphi après les cours. » … Nerveuse, les mains tremblantes, je relis le message pour la onzième fois. Je ne me rends pas encore compte de ce que je m’apprête à faire, mais comme guidée par une force incontrôlable, mon pouce appuie sur le bouton « envoyer ». Il est maintenant trop tard, je ne peux plus revenir en arrière.

A ma droite, Allyx hoche la tête et pose sa main sur la mienne, faisant arrêter son tremblement incessant. Elle me dit que je fais le bon choix, mais je ne peux m’empêcher de penser le contraire. Et si je faisais une bêtise ? Pourquoi vouloir quitter un homme adorable qui vous aime de tout son cœur. « Peut-être par ce que tu ne l’aime pas, ou que tu ne l’aime plus », mais en pensée les paroles d’Allyx me paraissent encore plus invraisemblables. Mais j’ai eu tout le week-end pour y réfléchir. Je n’ai d’ailleurs pas beaucoup dormi, faisant toujours ce même rêve où je finissais par rejoindre Kalel. Peut-être ai-je seulement besoin de faire une pause, peut-être ai-je simplement besoin de réfléchir…

Allyx fronce les sourcils et secoue la tête. « Arrête de te voiler la face, ça ne sert à rien d’être avec lui par pitié… ». Encore une fois, elle a raison… Je dois me rendre à l’évidence, depuis plusieurs jours je fais tout pour éviter Danny. Et là encore, je fais tout pour retarder et éviter la confrontation.

Son visage s’adoucit et sa main se referme doucement sur la mienne. Elle me sourit et essaie de m’encourager. Mais la peur continue de me nouer l’estomac.

Un autre regard se pose alors sur moi, profitant d’un moment où les étudiants prennent notes du cours. Inquiet, son regard noisette s’attarde sur moi et lorsque je le croise enfin, je le détourne aussitôt. Du coin de l’œil, je le vois froncer les sourcils et pincer les lèvres. Mon rêve me revient alors en mémoire. Je me vois de nouveau avancer vers lui, renonçant à Danny qui s’efface progressivement de mon champs de vision. Je rougis et secoue vivement la tête essayant de chasser ces images de mon esprit. Lorsque je relève la tête, les commissures de ses lèvres s’étirent dans un discret sourire. Mon cœur s’emballe et je le revois penché au-dessus de moi dans la salle d’entrainement. Je suis sûre que les autres étudiants doivent entendre mon cœur cogner dans ma poitrine. J’enfonce mon visage dans mes bras, cachant le rougissement de mes joues juste après avoir aperçu le sourire triomphant de Kalel illuminer son visage.

***

Comme prévu, Danny m’attend à la sortie de l’amphi. Caché dans un coin sombre du couloir, à l’abris des regards, il se tient appuyé contre le mur. Même si son attitude reflète la détente, je remarque rapidement son pied taper frénétiquement contre le sol, signe de stress ou d’énervement (ou peut-être même les deux). Il observe sa montre et lève les yeux en apercevant les premiers étudiants quitter l’amphithéâtre. Allyx, juste devant moi, tourne la tête en ma direction et me sourit. « Tout va bien se passer », mais j’en doute. Dans mon dos, je sens le regard de Kalel se poser sur moi, je tourne la tête et mon regard croise le sien. Ce n’est peut-être qu’une impression ou une illusion d’optique, mais je le vois hocher subtilement la tête comme pour m’encourager.

J’inspire profondément, serre les poings et redresse la tête, essayant de me redonner confiance. J’avance d’un pas décidé vers Danny qui sourit en me voyant arriver. Je garde une expression neutre, parfaitement concentrée et ne m’arrête pas une fois arrivée à sa hauteur. D’un simple coup d’œil je fais signe à Danny de me suivre et nous nous enfonçons dans un des rares couloirs déserts de l’université. Arrivée au fond du couloir, je me retourne et constate que la pénombre nous protège au moins des étudiants curieux.

Danny s’avance vers moi. Je le vois approcher son visage du mien, prêt à m’embrasser mais je recule d’un pas et vient coller mon dos contre le mur. Il se fige. Son sourire s’envole et ses sourcils se froncent. Il ouvre la bouche mais je le coupe immédiatement.

– Attends, laisse-moi parler s’il te plait…

Il recule légèrement mais acquiesce tout de même. Les bras croisés et le regard inquiet, il m’observe de haut, attendant que je m’exprime.

– Il y a tellement de chose que j’aimerais te dire que je ne sais même pas par où commencer. J’ai l’impression que tout est si compliqué en ce moment, ma vie est complètement chamboulée, mes sentiments vont et viennent dans des directions complètement opposées. (Ses pupilles noircissent de colère. Je baisse les yeux, n’osant même plus affronter son regard) Je ne vais pas tourner autour du pot, tu as le droit de savoir ce qu’il se passe. Je ne sais plus où j’en suis.

J’ai lancé cette phrase comme une bombe mais le simple fait de l’avouer à voix haute me fait un bien fou. Mes épaules s’affaissent, je soupire longuement et relève enfin les yeux. Son regard s’est durcit laissant bruler une colère naissante.

– Je sais que tout cela est prématuré, peut-être que je fais une énorme bêtise mais j’ai besoin de temps, j’ai besoin de mettre de l’ordre dans mes idées, d’y voir plus clair. J’ai besoin de faire une pause.

Je me tais et attends sa réaction. Elle ne vient pas. Mon cœur s’emballe un peu plus au fur et à mesure que les secondes s’écoulent. Ma respiration chaotique me fait trembler tandis que je cherche une once d’émotion dans son regard vide.

– Danny je…

Alors il explose. Il avance vers moi, me faisant sursauter. Je me tasse contre le mur, rentrant ma tête dans mes épaules et l’observe. Il est grand, bien plus grand et costaud que moi, je m’en rends enfin compte. Son regard s’enflamme et les traits de son visage sont défigurés par la colère.

– J’espère que c’est une plaisanterie, si c’est le cas ce n’est pas drôle Carmen. (Sa voix gronde et résonne dans les couloirs. Je n’ose plus bouger alors qu’il se penche un peu plus au-dessus de moi) Comment peux-tu me faire ça ? Après trois ans, tu me lâches ça comme ça.

Il se retourne et attrape sa tête entre ses mains.

– Danny, je suis désolée, je…

– Désolée ?!?

Il s’est retourné en hurlant, attrapant violemment mes épaules. Il me claque brusquement contre le mur. Le choque traverse tout mon corps et je grimace de douleur. Paralysée par la peur, je ne bouge plus et ne prononce plus un mot. Je n’ai jamais vu Danny aussi furieux.

– Tu n’es qu’une garce ! Les autres avaient raison, je n’aurais jamais dû te faire confiance, espèce de… sale détraquée.

Je sursaute et entre ouvre la bouche, muette. Jamais il n’avait osé prononcer ces mots. J’entrouvre la bouche mais aucun son ne la franchis. Les larmes commencent à perler aux coins de mes yeux, me brouillant la vue. Je ne cherche même pas à les retenir et les laisse couler. La puissance de ces mots me font bien plus mal que ce à quoi je m’étais préparée. Je ferme les yeux et baisse la tête, encaissant chaque mot, chaque insulte, les laissant simplement raisonner dans mon esprit.

– Tu m’as fait perdre trois ans ! J’ai tout sacrifié pour toi et pour quoi, pour rien, pour que tu me dises que tu as besoin de réfléchir !

Un sanglot jaillit de ma gorge. Il se tait. Les cris cessent, les insultes également et je réouvre les yeux. Il ne me regarde plus et semble figé. Tête baissée, sourcils froncés et mâchoires serrées, il observe ses chaussures. Ses poings se contractent fermement et je le vois lever la main. Je me fige. Ma magie gronde dans mes veines, réclamant à être relâchée. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas utiliser mes pouvoirs sur lui, je ne veux pas. Sa main se met en mouvement et s’abat en un éclair sur moi. Mais je ne ressens rien. Aucune douleur, pas même légère. Rien. Je n’entends qu’un grondement et le bruit d’un impact amorti.

J’ouvre les yeux. Animé par un rage telle qu’il en tremble, Kalel se tient derrière Danny maintenant fermement son poignet dans sa main droite. Danny sert le poing sous la douleur et Kalel ressert sa prise. La main de Danny ne tarde pas à devenir blanche et celui-ci tire violemment sur son bras pour se dégager, mais Kalel ne bronche pas et son poignet reste enfermé dans sa main. Kalel l’attrape par le col et le soulève du sol. Son regard est devenu aussi noir que de l’encre. Danny trésaille et agrippe les mains de Kalel qui le rapproche un peu plus de lui. Danny prend peur et commence à s’agiter. Ses pupilles s’écarquillent, pourtant, Kalel ne dit rien, il ne fait que l’observer de son regard dur. Il déglutit et geint, apeuré. Kalel finit par le relâcher, le reposer au sol et se place à ma droite.

Danny recule d’un pas, tremblant de peur, mais se reprend bien vite en constatant notre proximité. Son regard bascule de Kalel à moi, puis de moi à Kalel pour enfin revenir une dernière fois sur moi. Son regard se durcit tandis qu’il fait le rapprochement. Il secoue la tête et me regarde avec méprit et dégout. Son regard me fait mal et me blesse bien plus que je ne l’aurais pensé.

– J’aurais dû m’en douter. (Alors il recule, continuant de me lancer un regard noir de colère) Je te promets que je me vengerais, tu ne t’en sortiras pas comme ça. Il ne sera pas toujours là pour te protéger.

Un horrible frisson me parcourt l’échine.

Menaçant, Kalel fait un pas en avant mais je le retiens par la manche de sa chemise.

– Dégage.

Kalel vient plaquer délicatement sa main dans le bas de mon dos et Danny finit par se retourner et quitter les lieux. Bientôt, le silence s’installe et je n’entends plus que le bruit de ma propre respiration chaotique.

***

– Tiens, bois-ça…

Kalel me tend une tasse de thé toute fumante. Je tends timidement les mains et attrape la tasse. Je ne me suis pas rendu compte que je tremblais toujours : les images de Danny sont encore bien trop présentes dans mon esprit.

Kalel ne dit rien et ne fais que m’observer. Je détourne le regard et le fixe sur ma tasse. Une délicate vapeur s’échappe de la tasse tandis qu’un liquide rougeâtre tremblote légèrement, se divisant en de délicats cercles ondulant dans la tasse. Je les observe bouger au même rythme que mes tremblements et ferme les yeux. Je porte la tasse à mes lèvres. Le liquide chaud caresse délicatement mes lèvres. J’avale une première gorgée de thé. Je souris enfin. Je sens le liquide chaud parfumé aux fruits rouges couler le long de ma gorge et réchauffer peu à peu mon estomac. Mes épaules se relâchent, j’inspire profondément tandis que la détente s’installe progressivement dans mon corps.

J’ouvre les yeux et inspecte méticuleusement la pièce. Tout est très minimaliste dans la cuisine de Kalel. Un placard ouvert attire mon attention. Il est complètement vide de nourriture : pas même la présence d’un seul paquet de biscuit. Par curiosité, j’ose m’avancer vers un autre placard, fermé, et l’ouvre, sans même demander l’avis de mon hôte. Il est tout aussi vide que le précédent. Il n’y a strictement rien, mis à part quelques petits paquets de poussière par ci, par là. Kalel se racle la gorge, me faisant sursauter, et s’avance vers le placard pour le fermer. Je fronce les sourcils, prête à le questionner. Mais il me devance.

– Je n’ai pas les mêmes besoins que toi, en ce qui concerne la nourriture.

Je hausse un sourcil et pince les lèvres, mais ne fais aucun commentaire.

Mon regard se porte de nouveau sur ma tasse. Il ne dit plus un mot. Ça en devient presque gênant. Je sens mon cœur s’accélérer. J’avale une nouvelle gorgée et me concentre sur celle-ci, essayant de ne pas penser au fait que je sois seule en présence du beau mais ténébreux monsieur Ennon. Je l’entends pouffer de rire. Trop tard… Je lève les yeux vers lui. Il me défi du regard, un sourire charmeur collé aux lèvres et fait un pas en avant. Je ne bouge pas, il attend quelques secondes puis fait un deuxième pas vers moi. Rapidement, il me prend la tasse encore chaude des mains, la pose sur le comptoir et attrape mon visage entre ses mains. Je n’ai pas le temps de réagir que déjà ses lèvres se posent sur les miennes dans un délicat baisé. Je sens mes jambes me lâcher. Celles-ci se mettent à trembler et je manque de tomber. Kalel m’attrape par la taille, sans jamais détacher ses lèvres des miennes, pour me serrer contre lui. Le baisé s’approfondit, devenant plus passionné. J’aurais dû le repousser, lui dire que nous ne devrions pas, que ça n’est pas bien. Peut-être que je le devrais encore. Mais je n’en suis tout simplement pas capable.

Il finit par me lâcher, s’écarter lentement de moi, en vérifiant que je tiens bien sur mes deux jambes. Je cligne plusieurs fois des yeux, complètement déboussolée par ce baisé. J’en avais bien sûr rêvé, je ne peux pas le nier. Mais tout cela ne va-t-il pas un peu trop vite ? Les yeux écarquillés par la surprise, je lève enfin le regard vers lui et plonge dans ses prunelles orangées. Son regard brille de désir, ses lèvres se sont étirées en un petit sourire charmeur et ses cheveux sont légèrement ébouriffés, ce qui le rend extrêmement séduisant. Je fais un pas en arrière, prise de peur. Il s’avance vers moi, le regard inquiet. Son sourire s’est évanoui et il me prend délicatement par la main.

– Je…

Son index se pose sur mes lèvres, me coupant la parole. Je me fige, mon cœur cogne dans ma poitrine et déjà je sens mon visage se réchauffer. Mon regard jongle entre son index et son propre regard. Il finit par se poser définitivement sur ses yeux et il me murmure.

– Je sais bien que tout cela est précipité, j’en ai conscience. Mais tu me plais, je ne peux pas le nier. Je sais aussi que c’est réciproque et ça aussi tu ne peux pas le nier… je te demande simplement de me laisser ma chance. Jamais je ne ferai quelque chose qui puisse te faire du mal ou de la peine.

Je ne sais pas ce que je suis censée lui répondre. Ma conscience, elle, me hurle de reculer, de m’enfuir en courant et de ne plus jamais lui adresser la parole. Mais aucuns de ses panneaux clignotant indiquant le mot danger en lettre rouge n’attirent mon attention. Aucunes de ses mises en garde ne sauraient détourner mon regard du sien. Je suis comme hypnotisée. Sans rien dire, j’hoche de la tête. Son sourire s’élargit, illuminant son visage et il m’embrasse une nouvelle fois.

– Tu accepterais de rester avec moi ce soir ?

J’hausse les sourcils et ouvre la bouche, muette et stupéfaite. En effet, tout cela va un peu trop vite pour moi et je ne peux m’empêcher de reculer. Il secoue la tête, se frotte l’arrière du cuir chevelu et rit, gêné.

– Je me suis mal fait comprendre. Son sourire me déroute. Je veux juste que tu passes la nuit ici, je ne te ferais rien si tu n’en a pas envie, fais-moi confiance.

Mon regard se perd dans le sien. Devrais-je lui faire confiance ? Même si je ne le connais pas encore très bien, je suis presque certaine d’en avoir envie et de pouvoir lui donner toute ma confiance. Je ne sais pas encore pourquoi, mais j’ai confiance en cet homme, pas seulement par ce qu’il s’agit de mon professeur et qu’il m’a déjà sauvée d’une mort certaine. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je me sens en sécurité avec lui, comme s’il ne pouvait rien m’arriver. Alors je souris, l’affronte du regard et hoche une dernière fois la tête avant de murmurer.

– Je te fais confiance.

Il soupire, soulagé et sourit.

– Mais avant ça il va falloir faire une chose. (Il fronce les sourcils et croise les bras contre son torse, sur la défensive. J’éclate de rire avant de poursuivre) Contrairement à toi, j’ai besoin de me nourrir, alors il est hors de question que je me prive de nourriture. Nous allons devoir faire les courses !

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx