Dans la brume posée sur la broussaille gelée par temps froid, il avance comme un spectre, comme un damné et comme s’il connaissait le chemin de sa destinée. Eliott Valentine, c’est encore cet individu qui part rejoindre un monde intangible, un monde fait d’onirismes illusoires, et qui n’existe nulle part ailleurs que dans sa propre conception de l’imagination.
Il avait un jour réalisé que la Prédatrice ne tirait pas vraiment les mailles de son sort mais qu’elle apparaissait là en garde-fou de des rêves, et qu’elle le préservait ainsi comme un appât coincé dans sa gigantesque toile d’araignée pour éventuellement, le déchiqueter plus tard.
Elle s’appelait Kami, souvent revêtue comme une sorte de pseudo gothique -s’il fallait vraiment classifier son apparence dans des castes révolues- mais avant tout, provocatrice et dotée d’une attitude nonchalamment tapageuse; un regard sévère, chargé de rage et de noire passion. En somme, la personne par excellence que Valentine n’aurait même pas songé à côtoyer dans son quotidien normal, parce que leurs environnements respectifs n’étaient de base, pas faits pour s’encastrer l’un dans l’autre: Kami et Valentine sont des univers complètement divergents, deux salles et deux ambiances. Mais dans ses rêves à lui, elle revenait sans cesse et dans ses cauchemars elle veillait, l’empêchant de sombrer trop loin, et ne le laissant graviter qu’autour de son champ des possibles. Alors, leurs espaces s’entrechoquaient sans relâche et alors encore, sur un parterre brumeux et indéfini, elle lui apparaissaient, dans un autre décor: une fois dans les couloirs de l’académie, une autre fois sur les rails d’un train. Même une fois, dans une sorte de tri-dimension improbable. Tantôt sur le bord d’un pont; tantôt dans une grotte qui prend l’eau. Sur les extrémités d’une longue échelle. Ici, ici, là bas, et bien d’autres endroits indéfinis.
…et j’aurais voulu que tout cela, continue.
Kami n’était à ses yeux, pas vraiment le monstre qu’elle se prétendait être, ni la vilaine catin des bois qu’elle s’était dit être. Juste, elle était, elle tissait et tissait encore. Une tisseuse.
Mais pour quoi.
– Tu sais Kami, a t-il un jour commencé.
En se rendant compte qu’il aurait dû saisir l’opportunité de poursuivre mille autres sujets en même temps.
– …Est ce que tu penses que je suis le fruit de tes états de sommeil ou bien alors, vice versa ?
Il n’aura jamais sa réponse.
Un jour, le pont se brise, les dimensions s’effondrent et l’image de la Tisseuse aux lèvres carmins disparaît subitement. Un jour, Yui Valentine a cessé de rêver; il a même peut-être été contraint, de tourner la page.
Depuis, ce n’est plus l’Araignée qui vient à lui telle une invocation. À travers la brume, perce toujours une silhouette féline qui rejoint les traces de Yui Valentine. Éloquence ce chat qui, de loin calque ses pas sur ceux de l’ancien gérant du salon de thé… jusqu’au tréfonds immatériels de son âme.
Tu es un bon chat. Même après la vie que tu as mené au Salon.
Bonjour, Éloquence.
Valentine a souri au chat blanc, toujours aussi élégant, distant et méfiant envers l’humanité. Le spectre laisse l’animal s’approcher pour accompagner son chemin éperdu vers un espace-temps erratique. Dans cette masse épaisse d’air froid condensé, il soupire. Un soupir qui s’accompagne d’une buée longue s’extirpant de ses lèvres, un souffle, puis un autre, tout ça à la place de mots inutiles.
– J’aimerais te dire que je ne pouvais répondre à ton appel.
L’écho étouffé de ses paroles se répercutent dans l’épaisseur du brouillard infini. Il sent ses cils s’alourdir de cette rosée de brume étrange.
Je t’ai entendu, mais à ce moment-là, Araignée, ce n’était pas le bon moment.
– …alors que dans le fond, j’ai toujours préféré de loin, le vide suave de ta déraison à toutes autres réalités sentimentales.
Ces romances là ne tiennent que sur un fil sur lequel Valentine n’a pas d’équilibre autre que trop éphémère. Et Kami lui avait déjà proposé de moins se réveiller, pour y échapper.
Il secoue légèrement la tête. Merci Kami, j’ai apprécié.
– Qui est ce chat ?
La voix de Camélia s’élève en même temps qu’elle déclenche un courant d’air qui fait jouer les cheveux au dessus de sa tête.
Camélia.
Yui a souri.
– Un vieux compagnon.
– La matrice est très mal réglée dans ce monde, enchaîne -t-elle. Je te perçois mal.
– Je le sais.
Une Tisseuse a disparu mais il reste Éloquence. Il reste aussi le carmin de ses lèvres sur les doigts de Valentine.
– Il va falloir rallumer les étoiles par ici, souffle t-il.
Et Camélia sait que les étoiles n’existent pas, mais c’est sans hésiter qu’elle a quand même enjambé un obstacle imaginaire pour rejoindre Eliott.