“ Le bourreau tue toujours deux fois,
la seconde fois par l’oubli “ Elie Wiesel
Un hommage à tous les bébés, enfants et adolescents torturés, manipulés, objets d’expérimentations barbares, assassinés, victimes de la folie délirante.
Le Cercle des Âmes
©Amanda Castello
Cette nouvelle est extraite du livre
” Les Amours Impossibles des Femmes qui ont changé le Monde “
Ni le tintement de deux goutes de rosée glissant sur un soupire, ni la fragrance de mille fleurs en extase réussit à troubler la réunion en cours. Quelques groupes sont clairement constitués. À première vue, ils semblent subdivisés par âge. Disposés en cercle, les participants sont concentrés sur un orateur qui se déplace au centre de l’assemblée.
Il s’approche de certains avec légèreté, tourne sur lui-même pour s’adresser, ensuite, à la partie opposée. Ses mouvements sont rapides et légers mais, en même temps, très intenses. Malgré le sérieux de l’argument, le ton de sa voix reste calme et son attitude contrôlée. Chaque fois qu’un des présents désire prendre la parole, une lumière dorée étincelle au-dessus de sa tête, puis cette même luminosité s’élargit, en se répandant sur chacun des membres pour en favoriser la communication. Naît ainsi le mouvement sinueux d’une vague merveilleusement changeante, éclaboussée de perles d’or pur qui éclatent dans un extraordinaire feu d’artifice.
– De quelle façon vous faire comprendre la puissance d’un tel rassemblement ? Comment vous décrire avec des mots humains le spectacle grandiose auquel je veux vous inviter ? Comment traduire dans le langage de vos cinq sens une réalité qui appartient à la dimension du Divin ? Je suis une âme très ancienne et ma mission est de faciliter la compréhension entre les mondes, le vôtre, celui des êtres humains et le nôtre, celui des âmes. Même si vous oubliez souvent notre existence, nous sommes très attentifs à vos besoins, nous observons vos efforts, nous tentons de vous soutenir dans les moments difficiles et nous nous réjouissons de vos instants heureux. Mais, puisque nous en sommes aux confidences, laissez-moi vous le dire… nous sommes très préoccupés par votre incapacité à gérer la planète qui vous a été confiée et pour le danger que vous êtes en train de lui faire courir. Quelqu’un, peut-être, peut vous aider. Venez avec moi dans l’Olam Haba1 et observez, non pas avec vos yeux, mais avec votre cœur.
— Je sais que beaucoup prêtent oreille aux forces obscures qui distillent en eux égoïsme, envie et soif de pouvoir.
L’âme au centre du Cercle des Âmes irradie une lumière opaque chaque fois qu’elle se voit contrainte à se rappeler les souffrances qui dérivent de tels comportements.
— Ils empoisonnent l’air, les mers, les fleuves et la terre, ils ignorent les changements climatiques, banalisent les catastrophes naturelles toujours plus fréquentes. La faim se propage, l’eau se fait rare et les maladies augmentent…
— Et les guerres ! interrompt une âme du groupe des anciens, les guerres sont partout ! Ils ne comprennent pas ! Ils n’ont rien appris des horreurs du passé.
Sur la tête de cette dernière s’entrechoquent des lueurs sombres, qui vont du brun à l’indigo, du rouge pourpre au gris sombre. Vite, les sœurs voisines se pressent autour de l’âme souffrante et soufflent sur elle une énergie d’amour pur.
— Calme, Shula.
Rachel et Deborah l’enveloppent dans de vastes drapés de lumière cristalline. Mais comment soulager tant de douleur gravée au feu dans l’essence même de la particule divine dont elle est façonnée ? Même dans l’Olam Haba où séjournent les âmes en attente de s’incarner ou qui se reprennent après de lourdes incarnations, comme dans ce cas, on ne perd pas la mémoire de son vécu. Shula, Rachel et Deborah sont entrées ensemble dans la chambre à gaz, à Auschwitz. Shula conserve encore le souvenir du regard plein de larmes de sa fille Rebecca, les lèvres serrées sur un cri de révolte silencieuse, les poings fermés de colère et d’impuissance, le menton dressé au ciel dans un hurlement muet : Shema Israel ! Ecoute Israël ! L’angoisse pèse sur le Cercle des Âmes. Certaines s’approchent de Shula déployant amour, tendresse et pardon. Le temps n’adoucit rien. Il transforme, démasque, focalise, mais il n’efface pas. Des réminiscences affluent jusqu’à submerger Shula tremblante au milieu de luminescences exsangues.
— Vite ! Vite ! Aidez-la ! crie une très jeune âme.
Elle n’est encore jamais descendue sur terre et ce qu’elle voit l’horrifie. Elle craint que l’âme épuisée ne s’éteigne complètement. Sa luminosité diminue brusquement. Elle est presque transparente. Elle sait bien qu’elle est immortelle, mais son tourment est palpable et la benjamine a peur. Elle ne veut plus aller sur cette planète. Elle la terrifie. Qu’auront-ils fait à Shula dont elle ignore tout de son existence précédente pour qu’elle soit réduite ainsi à l’évocation de sa propre vie ?
Pendant qu’une foule d’âmes se serre dans une chaîne d’énergie autour d’elle, Shula revit l’aube livide de ce 17 août 1944. Il savait, ils savaient tous… cela devait arriver… mais peut-être pas tous… parmi les Hongrois il y avait aussi de braves gens… ils n’auraient pas permis ça. Elle avait été prise, avec ses filles Rachel et Deborah, dans la rafle de Budapest, en août 44… Les hurlements, les coups, la tentative désespérée de protéger les enfants… les parents séparés, les amis dispersés, entassés comme des bêtes… et puis, la trahison… même pas vendus… les Hongrois les avaient livrés aux Allemands… Le train, ce train qui filait dans le néant et vers le néant, dans l’indifférence des témoins… la saleté, les odeurs, les larmes, les gémissements des petits… O Avinu Malkenu, Notre Père, notre Roi, je T’en supplie, fais que ce soit une erreur, un mauvais rêve ! Les prières, les litanies des vieux, les évanouissements, la mort silencieuse des plus faibles… l’arrivée de nuit au champ… Auschwitz et là…
Toutes les âmes se serrent dans un cercle. Au centre, Shula, pelotonnée sur elle-même. Ses filles l’embrassent et la bercent en lui chuchotant une vieille mélodie russe. Les âmes soufflent sur elle une pluie d’étoiles. Peu à peu, une bulle lumineuse chargée d’énergie spirituelle enlace la mère et ses filles.
Et là, elle l’avait vue… c’était elle ! Sa fille, la majeure dont elle ne savait plus rien depuis le jour où elle avait rejoint les partisans ! Merci mon Dieu, Todah Adonai !2 Rebecca, mon amour, c’est vraiment toi ?… En cachette, entre les mailles des barbelés, elles s’étaient murmuré quelques mots… des nouvelles fragmentaires des uns et des autres. Ainsi Shula avait appris l’arrestation de sa fille à Prague, au début 44 et son arrivée ici, à Auschwitz, après être passée par le camp de Terezin,3 en Mars 44. Elle avait su avec certitude ce que son intuition lui avait déjà suggéré… ce qui allait arriver… à elle, à eux, à tous, le plan d’extermination totale… ils savaient… tous savaient…
Non, mon enfant, je te l’interdis ! Tu ne nous connais pas. Tu as compris ? Tu dois vivre ! Pour nous, pour toi, pour nos Pères, pour Sion ! Tu dois survivre et aller à Sion !
Les larmes glissent sur les joues émaciées, mais ne trahissent aucune faiblesse.
N’oublies jamais qui tu es ! En toi et en tous ceux qui comme toi survivront, nous déposons notre héritage : tu es notre peuple et par toi nous vivrons et nous atteindrons la Terre Promise.
Le travail des âmes s’intensifie. Leur souffle remplit la bulle de pure énergie d’amour qui se soulève lentement. Il en faut beaucoup pour contraster le supplice qui arrache l’âme de Shula à coups de dents.
Ecoute-moi, ma fille adorée, je te supplie et je t’ordonne une dernière chose : je t’interdis de me regarder lorsque j’entrerai nue dans la chambre à gaz ! Ljubjyu tebja !4 Je t’aime !
La voix des âmes s’écoule comme une cascade de notes, semblable à un mantra. Elles s’unissent et se confondent.
Rebecca a maintenu la promesse. Quand elle a tourné la tête, ce sont les yeux de sa sœur Rachel qu’elle a croisés. La jeune fille lui a souri et a crié avec les autres :
« Aujourd’hui esclaves en terre étrangère, l’an prochain libres à Jérusalem ! »5
Fière comme sa mère, du haut de ses 16 printemps fauchés avant même de pouvoir fleurir, elle tenait par la main la petite Deborah. Même à seulement 12 ans, on comprend bien que ce n’est pas un jeu…
Des prières, litanies, invocations, chants de toutes les cultures ont rempli la bulle suspendue au-dessus des âmes qui tendent vers elle leurs mains frémissantes d’énergie. Elle brille et émane une lumière éblouissante. Progressivement, les formes recroquevillées se redressent pendant que la bulle se dissout dans l’éther environnant.
Tous veulent embrasser Shula et ses filles. Missak est le premier à serrer Shula contre lui. Missak Manouchian6 et son compagnon italien Rino del Negro. Ils ne sont pas finis dans un camp d’extermination, ils n’étaient pas juifs. Partisans, communistes et Rom, un mélange inacceptable et à détruire sans pitié pour les nazis. Manouchian et son groupe furent fusillés au Mont Valérien7, à Paris.
– Dans l’Olam Haba, des scènes comme celle-ci arrivent souvent. Croyez-vous que le Pardes8 ou l’Éden, si vous préférez l’appeler ainsi, soit le lieu du repos éternel ? Vous avez probablement un concept de Paradis construit sur les fables de votre enfance, mes chers amis !
Olam Haba signifie le monde qui viendra. Le repos, si jamais, vous en jouirez à la fin des temps, lorsque votre âme aura enfin atteint la pureté absolue. Pour l’instant, il me semble que vous avez encore du chemin à parcourir. Une incarnation est une entreprise sérieuse, qui se prépare avec soin. Pour employer une image que vous connaissez bien, cela ressemble à la gestation et à l’accouchement, mais le travail est bien plus complexe et a besoin de temps. Pas votre temps, mais la dimension de l’infini, le non-temps, le temps extensible, le temps relatif comme l’a parfaitement compris le vieil Albert. Oh, je vois que vous regardez autour de vous. Ne le cherchez pas ici. Il est redescendu et, si je peux vous faire une confidence, je crois qu’il regrette déjà notre Cercle des Âmes. Il est encore une petite fille, mais il promet ! À un an, Tiky, ainsi s’appelle aujourd’hui Albert, s’exprime déjà en sept langues : hébreu, russe, espagnol, anglais, yiddish9, arabe et elle montre des prédispositions pour le chinois ! Je vous vois surpris et douteux, mes amis, mais c’est ainsi, une incarnation ne suit pas de règles génétiques, raciales, culturelles, religieuses ou sexuelles.
Quand elle revient ici, l’âme élabore un bilan. Elle évalue ce qu’elle a accompli de son plan originel et ce qui lui reste à compléter. Elle se confronte avec le Conseil du Cercle des Âmes, elle réfléchit, elle rencontre ou retrouve des âmes qui appartiennent à son groupe, elle peut choisir de rester avec celles qui lui sont le plus proches ou qu’elle aime et ce sans limite de temps. Les âmes échangent des expériences, des opinions, s’assistent, peuvent demander un soutien aux plus anciennes qui revêtent le ministère de précepteurs et de maîtres spirituels. Ainsi elles poursuivent leur parcours de croissance. Lorsqu’une âme se sent prête, elle soumet sa demande au Conseil. À lui revient d’apprécier le chemin parcouru, le projet, le choix des parents, l’évaluation des difficultés que l’âme encourra durant son voyage humain, les corrections de route à prendre en considération, les arriérés de l’incarnation précédente à compenser et tant d’autres détails.
Que pensiez-vous ? Qu’un spermatozoïde rencontrait fortuitement un bel ovule et que le miracle, fruit d’un candide hasard, était ainsi accompli ? Je ne sais s’il s’agit d’ignorance ou d’ingénuité, à moins que ce ne soit à mettre sur le compte d’une certaine dose de paresse intellectuelle de votre part à approfondir certains concepts. Peut-être que désormais, vous regarderez votre mère et votre père avec des yeux différents et que vous vous demanderez, j’espère, avec un peu plus de jugement, ce que vous êtes venu faire sur cette terre ! Il est temps de vous rendre compte que nous sommes tous coresponsables du lieu où il nous est donné de vivre. À chaque incarnation vous avez en vous la possibilité de construire, de détruire ou de vous laisser passivement porter par les évènements. La vie fonctionne comme l’école : celui qui n’étudie pas doit répéter l’année !
Êtes-vous prêts à suivre la réunion du Conseil ? Elle reprend maintenant. Une âme a décidé de descendre sur la terre et a choisi une région du globe particulièrement chaude. Il y a quelque chose de très intéressant que je veux partager avec vous, mais n’oubliez pas de regarder avec votre cœur.
L’assemblée est de nouveau attentive. L’âme qui dirige la rencontre a repris son discours et, dans un agréable crépitement d’étincelles, la vague sinueuse se déplace comme une caresse sur les participants. Une sensation de ravissement et d’harmonie revêt le lieu.
— Mes très chères, nous sommes réunies pour accueillir un plan d’incarnation particulièrement intéressant. Je dirais presque… osé. Vous vous rappelez certainement que le Conseil a déjà donné son consentement au choix des respectives familles des trois âmes sur le point de naître. Comme de coutume, trois de nos sœurs se sont présentées ici à des intervalles réguliers, au cours des derniers neuf mois, en temps terrestre. Ensemble, nous avons construit le projet karmique. La proposition naît de l’une d’elle et je dois avouer que ce projet est autant ambitieux que généreux. Si elles réussissent à rester unies, à ne pas se perdre, à résister aux forces du mal aux aguets et à toutes les tentations et pièges que nous connaissons bien, elles seront en mesure d’arrêter la spirale destructive dans laquelle cette partie du monde se consume.
Un long soupire d’espoir soulève pendant un instant les membres du Conseil du petit nuage de béatitude sur lequel ils sont installés. Un groupe approuve avec bienveillance et, au degré de luminescence qu’il émet, se devine l’intensité de l’auspice. Shula et ses filles en font partie.
— La naissance est imminente.
L’âme se tait un instant. L’intention est tellement grandiose qu’elle hésite à la formuler. L’assemblée est parcourue d’un frémissement de curiosité teintée d’appréhension.
— La première naîtra dans quelques jours à Jérusalem Ouest10, l’autre successivement à Jérusalem Est et la troisième, peu après, dans une riche famille d’un pays arabe.
L’émotion vibre avec une telle ferveur qu’un tourbillon de lumière libère des éclairs dans toutes les directions, provoquant dans le ciel terrestre une incroyable pluie d’étoiles filantes, phénomène singulier en cette fin de mois d’août.
— Vous comprendrez, très chères sœurs, reprend avec commotion l’âme guide, que pèse sur nous une grande responsabilité. Le destin des âmes impliquées dans le plan devient un Destin Unique. Et bien davantage ! Ce Destin va impliquer les âmes encore en attente de s’incarner dans le futur, non seulement dans cette zone géographique, mais sur la totalité du globe. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que l’échiquier du Moyen Orient influe sur le monde entier.
L’approbation est unanime.
— Peut-être, ou mieux, presque sûrement, sur certaines grèvera, encore une fois, un sort douloureux, cependant jamais il ne nous a été donné de contempler une semblable opportunité.
Une âme s’avance. La lumière merveilleusement dorée qu’elle irradie exprime un ardent désire de communiquer. Shula la reconnaît et lui envoie un baiser qui vole comme un papillon. Elle est liée à Estelle d’une affection éternelle. Sa fille Rebecca lui doit la vie.
– Laissez que je vous raconte qui est Estelle. Pendant la retraite allemande de 45, Rebecca avait été évacuée d’Auschwitz vers le champ de Buchenwald11. Sentant la faillite imminente de leur folle et macabre entreprise, les allemands faisaient fonctionner les chambres à gaz et les fours d’Auschwitz nuit et jour, mais cela ne suffisait pas pour porter à terme leur œuvre satanique. Les Russes avançaient rapidement. Les nazis décidèrent alors de faire sauter les fours et de transférer le reste des prisonniers en Allemagne. Rebecca était parmi ceux-ci, et c’est là qu’elle fit la connaissance d’Estelle Keresztely12, française d’origine hongroise, déportée parce que communiste. Les deux jeunes filles sympathisèrent à l’instant. L’âge juvénile, un engagement politique semblable, un irrésistible sens de la solidarité, tout les rapprochait. Estelle était mourante et Rebecca l’assista de toutes ses forces. Estelle lui intima alors de substituer l’étoile jaune qu’elle portait sur son uniforme de déportée en tant que juive, avec son triangle rouge de prisonnière politique. Et ce fut ainsi que Rebecca, petite juive russe de 18 ans, réussit à déjouer les trois dernières sélections et échappa à la chambre à gaz, sort que connurent presque tous les autres prisonniers du camp. Lorsque Buchenwald fut libéré, la moitié des prisonniers survivant n’était pas juive, les allemands les avaient épargnés pour donner la ” priorité ” aux juifs à envoyer dans les chambres à gaz. Estelle mourut en Mars 45 et Shula ne prit connaissance de cette histoire que lorsqu’elles se rencontrèrent ici, dans l’Olam Haba.
— Je demande au Conseil la permission de descendre avec elles. J’ai déjà conversé avec l’âme qui naîtra à Jérusalem Ouest et je suis liée indissolublement à la famille qu’elle a choisie. Je veux pouvoir l’aider.
Shula voudrait la serrer fort contre elle. L’âme d’Estelle est tissée de générosité. Dans son essence palpite la fibre du don et du partage. Ses réincarnations sont presque complétées.
— Le Conseil te remercie, mais tu es plus utile ici pour guider nos Guerrières de la Lumière13, comme l’a écrit quelqu’un de là-bas, reprend l’âme guide. L’arrivée de cette âme qui t’est si chère, a déjà été préparée. Deux âmes fortes et nobles, Shiri et Dalia, sont depuis longtemps partie intégrante de cette même famille.
Estelle acquiesce et prend place près de son amie Shula.
— Les trois âmes s’incarnent en êtres féminins parce que Le Cercle des Âmes a décidé que le monde des humains ne peut être sauvé que par l’essence féminine de la Divinité.
L’âme s’interrompt mais, face à l’acceptation immédiate du Conseil, continue.
— L’âme guide du trio a choisi de naître à Jérusalem Ouest, d’une mère minuscule comme un elfe, rusée comme le renard du désert, dotée de l’intuition et de la connaissance des sorcières, du courage de la lionne et forgée au même acier d’Excalibur.14
Shula sourit attendrie. Elle est en train d’évoquer son unique petite-fille qu’elle n’a jamais connue. Elle se rappelle les bribes de conversation de nuit… mots égratignés sur le barbelé… la promesse arrachée à sa fille… Elle a réussi, la petite courageuse ! Puis, elle pense avec tendresse et reconnaissance à tous ces garçons et ces filles passés à travers l’holocauste qui, comme Rebecca, ont ressenti en eux le devoir de donner la vie comme revanche sur la mort. C’est ainsi qu’a surgi la génération des bougies de la mémoire15, un bien lourd héritage…
Plongée dans ses méditations, Shula ne s’est pas aperçue que l’âme guide l’attend. Elle est agenouillée devant elle et la regarde avec les yeux du cœur.
— Le père de la petite âme est beau comme un dieu, un pur diamant.
Elle lui fait un clin d’œil complice car elle sait combien Shula apprécie la beauté, révélation de la perfection divine.
— Il a la douceur, la promptitude et la force du vent qui murmure aux champs de froment dorés des grandes plaines, il fait se dresser les vagues qui ont la même couleur que ses yeux et rugit en chevauchant sur la steppe de neige gelée. Cette âme aura comme grand-mère une âme ancienne, blessée, mais encore au travail sur cette terre. Survivante des camps de concentration, elle a dédié sa vie à maintenir la promesse faite à sa mère avant qu’elle n’entre dans la chambre à gaz : « Shalom Tzion ! Shear yashuv ! Shalom ! ” Salut O Sion ! Ce qui reste reviendra ! »16 comme a prédi Isaïe17…
Shula se serre contre Rachel et Deborah pendant qu’Estelle lui tient les mains. Il n’y a plus ni angoisse ni douleur, mais une unique palpitation d’espoir qui les enveloppe dans la même aura de foi et de confiance. Shula murmure en continuation « Shadday, Tzur Israël, Adonaï, Tout-puissant, O Roche d’Israël, mon Seigneur, protège-les, guides-les et pour tout le reste… dayenu ! »18
L’âme élève doucement sa vibration pour renforcer la concentration, pendant que tous adressent un regard plein d’amour vers Shula.
— Aucun don de soi n’est jamais perdu, chères sœurs, aucune souffrance inutile. Tout est énergie. Tout vibre à l’infini. Tout va et revient magnifié. Un jour, les humains réussiront à comprendre que les mots et les pensées sont énergie et donc ne disparaissent jamais. Un temps, dans une Ère prochaine, grâce à l’engagement de chacun de nous, les humains apprendront à être attentifs à leurs pensées, à leurs mots, à leurs actions et donc à transformer leur propre destin, comme il est dit dans le Talmud19.
Quand tous sont à nouveau concentrés, l’âme guide explique :
— L’âme qui va naître à Jérusalem Ouest est la première âme de cette famille lacérée et dispersée de par le monde qui naîtra Goèlet, c’est-à-dire dans sa patrie.
Toutes les autres sont venues au monde et ont grandi dans la Diaspora20. Celle, dont on ne connaît pas encore le nom, mais que nous appellerons Kismet, magie en hébreu et destin en arabe classique, renfermera en elle-même la légèreté des goutes de rosée, la force des bois plantés dans le désert, le rugissement de la liberté et la douce saveur du raisin mûri au soleil de Sion. C’est une âme ancienne avec une grande expérience et une profonde sagesse. C’est à elle qu’il reviendra de se souvenir de l’engagement pris ici, dans l’Olam Haba, dans notre Cercle des Âmes. Elle retrouvera ses âmes jumelles et, unies dans une Pacte d’Amour, elles prépareront ensemble l’éclosion de la vraie Paix, elles affronteront la nuit de tous les dangers non plus pour survivre, mais contre les forces de l’Obscurantisme. Ani maamin21, Je crois.
Toutes les âmes répètent : « Ani maamin! »
– A une date que je ne peux vous révéler, Kismet a fait son entrée à Jérusalem Ouest. Quelques jours après, comme planifié au Conseil du Cercle des Âmes de l’Olam Haba, une autre incarnation s’est vérifiée à Jérusalem Est dans une famille d’origine palestinienne et, en accord avec la prévision, la troisième enfant a ouvert les yeux dans le désert d’un grand pays arabe. Lequel ? Je ne suis pas autorisée à le dévoiler. L’unique information que je peux vous offrir est que, dans les trois occasions, un étrange phénomène naturel s’est vérifié. Chaque fois, au cœur de la Mer Rouge, les eaux se sont partagées pour ensuite se refermer dans un fracas grandiose. Cela ne vous rappelle rien ?
Shalom !
Notes pour Le Cercle des Âmes
Olam Haba, correspond au Monde à venir. C’est le lieu où séjournent les âmes qui attendent de s’incarner ou qui se reprennent après de lourdes incarnations.
Todah Adonai, littéralement, en hébreu, Adonai signifie « Mes Seigneurs »(le singulier est Adoni, du grec Adonis, qui reprenait le terme phénicien employé pour la divinité appelée Tammuz) mais ce pluriel (comme d’ailleurs Elohim, qui signifie « dieux ») est un pluriel de respect. Source : Wikipedia
Camp de Terezin : Le camp de concentration de Theresienstadt (connu aussi comme ghetto), fut fondé prés de la ville forteresse de Terezín qui actuellement fait partie de la République Tchèque et fut utilisée par la Gestapo allemande pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Ljubjyu tebja, écrit phonétiquement, signifie « je t’aime » en russe.
« Aujourd’hui esclaves en terre étrangère, l’an prochain libres à Jérusalem ! » vient de la déclamation rituelle (Hagadda) que chaque famille juive récite le soir de Pesak (Pâques juive). Ce souhait se répète depuis 2000 ans : revenir à la Terre patrie et assister à la venue du Messie.
Missak Manouchian, né le 1 septembre 1906, arménien-français, fusillé le 21 février 1944. Il fut militant communiste et membre de la résistance française contre les nazis et les collaborateurs français.
Le Mont Valérien. Le Mont Valérien est une colline située à l’Ouest de Paris. À son sommet, se trouve la forteresse du même nom. De 1941 à 1944 y furent tués plus de mille otages et partisans. Le Mémorial de la France combattante y a été édifié en l’honneur de tous les morts de la Seconde Guerre Mondiale et fut inauguré le 18 juin 1960 par le Général de Gaulle.
Pardes (en hébreu verger) pour un courant du judaïsme cela représente le lieu de repos entre une vie et l’autre. Pardes est cité dans le Talmud, dans le Zohar et dans d’autres textes exégétiques comme le lieu du chemin mystique affronté par les quatre Rabbins, Ben Azzai, Ben Zomà, Elisha Ben Avuyà et Rabbi Akiva.
Le yiddish (yidish ou idish, littéralement « juif/judaïque ») est une langue germanique d’origine judaïque, avec un fort apport d’hébreu dans le vocabulaire. Avant la Shoah*, elle était parlée par toutes les communautés juives, d’Allemagne jusqu’à la Russie. De nombreuses communautés dans le monde, la conservent encore.
* Shoah en langue juive signifie destruction, désolation ou calamité, dans le sens d’un malheur soudain, inattendu. Ce mot est employé par les juifs au lieu du mot holocauste, utilisé de façon incorrecte pour se référer à l’extermination de la part des nazis (holocauste vient du grec holos complet et de kaustos bûcher et signifie une offerte sacrificielle à Dieu, brûlée ensuite complètement sur l’autel).
Jérusalem Ouest. La ville de Jérusalem est divisée en Jérusalem Ouest et Est. Jérusalem Ouest était la partie de Jérusalem assignée en 1948 par les Nations Unies à Israël. Jérusalem Est se trouvait originairement sous le contrôle jordanien, mais après la guerre des Six Jours (1967) elle est passée sous contrôle israélien.
Buchenwald, localité de la Turingia, en Allemagne orientale, située sur une colline boisée (Buchenwald signifie littéralement Bois de hêtres), environ à huit kilomètres de Weimar, connue comme camp de concentration et d’extermination nazi. (Source : Wikipedia)
Estelle Keresztely, française d’origine hongroise. L’épisode narré dans le récit s’est réellement produit.
Guerrière de la lumière, expression empruntée à l’œuvre de Paulo Coelho dans « Manuel du Guerrier de la Lumière », LGF , Livre de Poche, mars 2000.
Excalibur, la plus célèbre des épées mythologiques du roi Arthur. Comme le magicien Merlin l’avait prédit, seul l’homme capable d’extraire l’épée de la roche serait devenu roi. Arthur fut le seul capable et jura solennellement de se comporter en souverain loyal et de défendre la vérité et la justice. (Source : Wikipedia)
Les Bougies de la mémoire. Ce sont les filles et les fils des survivants de la Shoa. Devenus aujourd’hui des femmes et des hommes adultes, souvent des pères et des mères de famille, ils ont grandi sous le poids de la souffrance inénarrable de leurs parents qui ont déposé en eux non seulement leurs traumatismes et leurs souvenirs, mais leur mémoire. Non seulement la mémoire des faits, mais celle de leur peuple, d’une identité à préserver et à transmettre aux générations suivantes. Ils sont devenus les gardiens d’une mémoire sacrée, trésor précieux et garant de la survie, les bougies pour maintenir allumée un souvenir qui n’est plus individuel mais collectif.
Shalom Tzion ! Shear yashuv ! Shalom ! Salut Sion ! Ce qui reste reviendra ! Du livre du prophète Isaïe, Shear yashuv se réfère à la partie du peuple d’Israël qui serait revenue à Jérusalem et en terre d’Israël après la destruction du Temple. Aujourd’hui, ce terme désigne aussi le retour de la Diaspora à partir de l’an 1882. C’est aussi un nom propre masculin.
Isaïe (en hébreu, le Seigneur sauve) est l’un des prophètes bibliques, auquel on attribue, si non tout, au moins la partie initiale du livre d’Isaïe (chapitres. 1-39) ; il est considéré, avec Elie, l’un des prophètes les plus importants de toute la Bible. (Source : Wikipedia)
Dayenu : pour traduire le mot Dayenu il faut utiliser une phrase, il aurait été suffisant pour nous ou pour nous c’est suffisant. C’est un chant qui fait partie des litanies de la Pâques juive. Il a plus de mille ans. C’est une exhortation pour être reconnaissant à Dieu en remerciement des dons faits au peuple juif, (la libération de l’esclavage, le cadeau de la Torah et du Shabbat). Dayenu permet d’exprimer sa reconnaissance, car même si Dieu n’avait donné qu’un seul don, celui-ci aurait été suffisant.
Le Talmud (qui signifie enseignement, étude, discussion, de la racine hébraïque LMD) est un recueil des textes sacrés du Judaïsme. (Source : Wikipedia)
La diaspora juive (en langue hébraïque Tefutzah ou Galut, littéralement exil) est la dispersion du peuple juif produite pendant les règnes de Babylone et sous l’empire romain. Le terme a ensuite assumé le sens plus général de migration. (Source : Wikipedia)
Ani maamin : Je crois – une des plus belles prières juives, qui vient des 18 Articles de Foi de Maimonide. Ani Ma’amin est le credo hébraïque de la venue du Messie, établi par Moise Maimonide au XII siècle ; il s’agit en particulier du XII des XIII Principes de Foi. Ani Ma’amin sont les mots qui, sur le train nazi qui le transportait au camp de concentration de Treblinka, vinrent à l’esprit du rabbin chanteur Azriel David Fastag (son nom signifiait jour de jeûne en yiddish). Il les mit en musique. Les juifs déportés commencèrent à chanter sur leur train de mort laissant abasourdis et tremblants ceux qui, sur leur passage, les entendirent. Cela devint le chant final, le niggun entonné par les juifs entrant dans les fours crématoires. (Source : Wikipedia).