Dans son collège…

4 mins

       Dans son collège où elle enseigne l’Histoire et la géographie, on se languit de son assurance, cette façon qu’elle a de froncer les sourcils quand quelque chose la dérange, on se jalouse de son parcours sans faute, sans défaut. Hortense était bonne élève, elle enchainait les bonnes notes et collectionnait les compliments. Brevet, bac, CAPES, elle a gravé les échellons, avant de revenir au point de départ, dans une classe. Parfois elle rigole de ses retrouvailles avec les cahiers. Elle a changé de côté. À elle de féliciter, de recaler, à elle de maîtriser. Régler, planifier, ordonner. Hortense n’est plus une carte du jeu, elle est le début d’un chapiteau.

Ce matin, elle retrouve ses amies autour d’une table de la salle des profs. Toutes ont l’air épuisées. Les enfants malades, le mari qui rentre tard, Hortense les écoute avec un air détaché. Elle n’a ni enfant ni mari. Seulement un chat appelé Robert auquel il faut changer la litière de temps en temps. Et puis Mireille. Mais elle refuse d’en parler. Pas maintenant. C’est trop tôt. Personne ne comprendrait. 

– Comment va ta grand-mère, depuis le temps ?

– J’ai cours. On se voit après.

Les couloirs sont calmes, le matin. Pas de sacs en vrac à enjamber, aucun enfant à éviter. Elle aime le bruit de ses talons contre le carrelage, la clochette du porte-clé dans sa saccoche brune. C’est un vieux cadeau qui doit dater de ses années de lycée, peut-être reçu lors d’un anniversaire ou au cours d’une soirée. Sans doute attaché par politesse, mais il est resté, et elle a fini par l’aimer. La salle sent encore la peinture, les travaux étant achevés depuis les vacances dernières. Les murs sont encore blancs, quelques marques d’élèves dans les coins, on y lit un “ta gueule” précédé d’un “fils de” dont la suite effacée se devine. Hortense pose son sac et étalle une pile de feuilles. Encore une fois les notes ne sont pas fameuses. Il y a bien un 18 et deux 15 quelque part, mais également un bon lot de 7 et de 10, sans compter le 5 qui trône sur la gauche. Elle soupire. Que se passe-t-il donc dans leur tête pour que rien ne daigne rentrer ? Elle rassemble à nouveau les copies et les laisse sur son bureau. Le projecteur s’éveille lentement, de même que le soleil peine à émettre son premier rayon. Hortense s’asseoit et ferme les yeux. La sonnerie la fait sursauter. S’est-elle endormie ? En tout cas l’heure n’est plus à la réflexion. Des têtes apparaissent à travers la vitre de la salle, agitées et bavardes comme souvent le lundi matin. 

– Entrez et installez-vous en silence.

Il est incroyable d’écouter le nombre d’ordres stupides balancés dans le vent que l’on dit par réflexe sans jamais croire en son efficassité. Hortense sourit intérieurement de son espoir infini de voir un jour s’exécuter une consigne. Les élèves s’assoient assez facilement en général, mais le silence est bien souvent précédé de multiples soufflements et de noms, lancés à la volée, comme au jeu de la bataille navale.

– Bien, dit Hortense d’un air satisfait. J’espère que le week-end a été bon et reposant, autant que l’ont été vos révisions pour le contrôle dernier. 

Quelques rires dans le fond fusent. Elle aime observer les visages se crisper, se moquer, se pincer de déception ou d’espoir sur chacun des élèves qui la regardent. Leur sensibilité l’amuse.

– Je pense que vous vous en doutiez, c’est loin d’être admirable. Et ce pour une raison simple: vous n’apprenez pas. La troisième, c’est l’année du brevet ! Sans travail, c’est fini, pas de diplôme. Et vous faites quoi après ? Moi aussi je me le demande. Alors prenez vous en main et mettez vous au travail. 

Les copies provoquent toujours l’effet non voulu du premier cours de la journée. Le calme et l’attention nécessaires pour une correction se perdent bien trop facilement. Quelques sourires d’encouragement donnés aux plus travailleurs, il faut à nouveau crier au silence. C’est ainsi que fonctionne la préparation au premier examen de la vie d’un jeune, pense Hortense. 

À la pause de 10h, un deuxième café s’impose. La salle des profs est bien plus bruyante depuis le début de l’hiver. Les professeurs ont laissé leur cigarette pour la chaleur des canapés. Autour de la table se mêlent satisfactions et déceptions, exitations et ennuis du début de la semaine. Hortense échange avec une autre professeure, plus petite, mais dont les talons aiguilles rattrapent les centimètres. 

– Ouais, moi non plus ce chapitre n’est pas passé. Ils ont adoré les reportages vus en classe et les exposés à préparer, mais pour ce qui est la maison…

– Je suis d’accord. J’en ai même eu un qui a réussi à infiltrer la mort du roi dans sa copie !

– Il fallait bien trouver un nouveau record de bétise !

Les rires allègent peu à peu les frustrations de ce début de journée. Hortense récupère quelques feuilles dans son casier et s’élance dans les escaliers. La course s’explique par sa peur de la foule. Trop d’élèves lui donne le tournis, elle prend donc de l’avance. Manque de chance ce jour là, tous sont déjà enfoncés dans les longs couloirs du premier étage. Elle parvient tout de même à sortir de cette masse tant effrayante à ses yeux et ouvre à nouveau la salle. Cette fois, c’est une classe de cinquième qui l’attend. Sans vraiment le montrer, Hortense jubile à l’idée de faire cours à ces trente cerveaux bouillonnants de curiosité et de malice. Le cours s’enchaîne, les questions fusent, et la sonnerie arrive comme un rideau après une pièce de théatre. 

– Madame ? Interroge un petit rouquin à la sortie de classe. J’ai lu un super livre sur les seigneurs au Moyen-Âge. Est-ce que vous pouvez le lire ?

– Bien sûr ! Mais que dirais-tu de le présenter toi-même à tes camarades ?

La mine déçue qu’il affiche lui fait presque regretter la question. Avec le temps, elle a appris à reconnaître ses élèves, leurs habitudes et leur caractère. Celui là figure parmis les têtes de classe. Mais il est si timide que le simple fait de l’interroger en plein cours le rend presque malade. Pourtant, il est également de ceux qui ne s’effacent pas en vitesse dès la sonnerie. C’est déjà le troisième livre qu’il lui prête, et sans doite le dizième refus.

– Esteban, on ne vit pas en silence.

– Mais je parle, madame….

– Tu sais ce que je veux dire. De quoi tu as peur ?

– De rien.

– Alors pourquoi tu me dis non ?

– Parce que c’est votre avis que je veux, pas le leur.

Hortense sourit. Décidemment, il a réponse à tout.

– Prête le moi, je te le rends jeudi.

Le sourire jusqu’au oreille, le garçon s’échappe dans les couloirs. Elle reste là encore quelques instants, et s’enfuie à son tour.

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1 Commentaire
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DeJavel O.
2 années il y a

C’est une tranche de vie intéressante, mais que veux Hortense ? Le saurons-nous au prochain chapitre ?

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