LE CONTE DE LA SORCIÈRE DES BOIS 22. Dans la peau d’un change-peau

12 mins

Quatrième partie et conclusion de l’arc narratif. Une agréable lecture !

***

─ Pitié… Je vous en prie !

Le Chasseur se figea. Pas de doute possible, c’était bien la voix de Nellis qui sortait de la bouche de cet enfant. Un lutin. Maigre comme une brindille, couvert de crasse, cocotant comme une poule d’eau.

─ Qui t’es ?

─ Pitié !

─ Réponds si tu veux pas manger mon fer !

Le petit lutin sursauta. Sa figure laideronne n’était que peur à l’état pur.

─ Je… je… je suis… je suis…

─ Parle cancrelat !!!

Mais l’autre replongea dans ses sanglots.

─ Pitié… pitié…

─ Tu n’as que ce mot là à la bouche, cracha le Chasseur avec dégoût.

Une mare de sang grandissait autour du lutin implorant, s’écoulant du trou béant dans sa jambe droite.

─ Tu n’en as plus pour longtemps dans cet état. Alors t’as intérêt de causer si tu veux vivre.

Un éclair changea les traits larmoyants en une expression de haine féroce.

─ C’est toi qui va crever, sale monstre. Mon poison coule en abondance dans tes veines.

Le ton était celui que Nellis employait lors de ses colères les plus ardentes. Le Chasseur, loin de s’émouvoir, répondit par une moue distraite.

─ Ton poison, j’en fais mon affaire. J’ai connu bien pire, crois-moi. Le tien c’est rien que de la pisse de vigne, à peine de quoi m’émécher. Je connais des liqueurs plus corsées.

Le dépit du lutin pouvait se lire à des lieues. À croire qu’un rocher lui était tombé sur le crâne.

─ T’es qui toi ?

L’ours chauve, poing sur la hanche, planta sa lance en terre de deux bons pieds et, tout en grattant son torse velu infesté de puces, narra :

─ Ça fait des jours que je te traque. J’ai repéré tes traces au bas du Perchoir. T’as pas été facile à suivre. J’avais jamais vu une piste pareille. Pas une odeur, pas une brindille cassée. Tu semais rien derrière toi sinon quelques miettes que j’ai eu du mal à glaner. J’ai cru un moment traquer un esprit des limbes. Pour sûr, tu sais te faire discret, je te l’accorde. Par contre, tu te bats comme une fougère. Ç’a été facile de t’avoir. T’as beau jouer avec ta peau de caméléon, t’es pas invisible pour autant. Et contrairement aux esprits, t’es fait de chair, d’os et de tendons, faciles à trancher. Je dois dire que je suis déçu, à te voir.

Le Chasseur acheva son récit sur un cor bruyant qui s’avérait être un reniflement. Sans effort, il retira son arme de terre et la secoua. Le fer luisait sous l’éclat timide de la Dame du Couchant, enrobé de sombres nuées.

─ Maintenant, à toi de causer. C’est ta dernière chance, vermisseau.

Le lutin balaya les alentours en quête d’une voie de sortie, détourna le regard face à celui sombre et embrasé du Chasseur pour le porter sur Nellis et Jilam qui approchaient, boitillant épaule contre épaule. Ses petits yeux ténébreux s’écarquillèrent à la vue de Mousse-qui-pique niché dans la main du jeune homme. Il tendit le bras et aussitôt le fer tranchant fusa, à un cheveu de ses doigts.

─ Couché, pas bouger.

Le lutin déglutit face à son reflet déformé à la surface de l’imposante lame, polie par son propre sang. Soudain, il se vouta, les bras ballants, genoux trempés de sang.

─ J’ai cherché, longtemps cherché. Enfin, j’avais trouvé. Tout est perdu. Il ne me reste plus rien. Je ne suis plus rien.

─ Il te reste quelque chose. Ma copine ici présente a égaré sa voix. Tu vas lui rendre et je jure de te soigner. Tu vivras, à condition de répondre à mes questions. D’accord gamin ? Bon. Que fait un métamorphe dans ces bois ?

La voix de Nellis partit d’un rire grésillant.

─ J’sais pas. C’est quoi un métamorphe ?

─ Te fous pas de ma gueule ! J’en ai déjà croisé des spécimens de ton espèce. Contrairement aux changeformes, vous vous contentez pas de modifier votre apparence, vous vous persuadez d’être ce que vous devenez. Le reste, vous oubliez. Y a pas plus vicelard. Deviens fourmi, tu penseras fourmi. Deviens loup, tu penseras loup. L’est pas courante ton engeance. Faut dire que c’est dur de faire la différence entre le vrai et le faux. Et là, sous ta bidoche de mioche, forcé de l’avouer, t’es plutôt convaincant.

Silence pesant, uniquement égayé par les lointains chants funestes de la meute.

─ Tu te trompes.

─ Quoi ?

─ Quand tu dis que j’oublie. Je suis ce que je suis. Dans mon corps et mon esprit. Mais je n’oublis pas. Non. Enfin, pas tout. Je me souviens. Tel que tu me vois, j’étais ainsi autrefois, avant de devenir autre chose. Mon clan habitait les steppes. Nous nous déplacions souvent, au gré des vents qui portaient les saisons. Je me souviens de ma mère, de sa voix, qui chantait pour moi. Je me rappelle le premier poney que j’ai monté. Tout ça, c’était avant. J’ai senti que je changeais, quelque chose en moi. J’étais si jeune, je ne comprenais rien. Ma famille a fini par le voir aussi, et puis mes amis, qui l’ont dit à tout le clan. On se moquait de moi, on me méprisait. J’ai riposté. Alors les anciens m’ont convoqué. J’étais encore si jeune. Je me souviens des regards, le dégoût et la haine. Je les ressentais aussi, au plus profond de moi, ils m’appartenaient. Mes parents, eux, n’osaient même pas me regarder. Je me rappelle, ma mère pleurait dans les bras de mon père. Je n’existais plus pour eux. Pas un mot d’adieu quand j’ai été chassé. Même au milieu des autres, tout ce temps, j’avais été seul, alors, pour moi, rien n’avait changé. Longtemps, j’ai erré, seul, sans savoir où aller. Le vent se moquait. Les animaux se détournaient. Je me suis longtemps demandé : qu’est-ce qui cloche chez moi ? Pourquoi je suis ainsi ? Pourquoi moi ? Moi. Je n’étais plus moi. Enfin, dans un sens, si. J’ai été beaucoup de choses. Mais, toujours, des souvenirs s’accrochent. J’ai oublié le visage mes parents, nos jeux d’enfants, les moments de rire. Ne restait plus que l’écho des moqueries, le mépris et la peur sur les visages qui autrefois me souriaient. Et un jour, je me suis réveillé sous cette forme, celle sous laquelle tu m’as connu. Longtemps, on m’a traité de monstre. Alors monstre je suis devenu.

La voix de Nellis, désarticulée, s’interrompit. La sorcière et le Chasseur demeurèrent de marbre. Jilam, lui, confia Mousse-qui-pique à son épouse et vint s’agenouiller face au lutin, dont le visage transmettait désormais tout un panel chaotique d’émotions.

─ Je suis vraiment désolé pour ce qui t’es arrivé. Vraiment.

Il pointa du doigt sa femme.

─ Ils sont nombreux à la mépriser aussi. On la traite de monstre. Beaucoup voudraient la chasser du bois. Il n’est personne au monde qui comprend mieux ta situation qu’elle. Alors, je t’en prie, rends-lui sa voix. C’est tout ce que je demande.

Le lutin observa l’homme implorant qu’il avait manqué de tuer quelques instants plus tôt. Le méli-mélo de ses rides et grimaces rendaient illisibles ses pensées.

─ À une condition. Je veux le lapin-mousse.

─ Pourquoi ? Que lui veux-tu ?

Le lutin marqua un autre silence, lourd de réflexion.

─ Une nuit, alors que je dormais dans la steppe, j’ai fait un cauchemar terrifiant, commença-t-il, le regard flou plongé en lui-même. Jamais je n’en avais fait de tel. J’étais la bête la plus terrifiante de la steppe et aussi la plus terrifiée. À mon réveil, j’avais oublié qui j’étais. Je me revoyais dans la peau de l’enfant que j’étais autrefois, et, tout naturellement, j’ai cherché le réconfort de ma mère. J’ai retrouvé mon ancien clan. Dès qu’ils m’ont vu, ils se sont mis à hurler et à fuir. On me jetait des javelots et des flèches. Ma mémoire a effacé le reste. Je me suis réveillé dans la peau du monstre. Je me suis souvenu de qui j’étais quand j’ai vu les corps éparpillés autour, réduits en charpie, que j’ai senti le goût poisseux du sang dans ma gueule. J’ai cherché ma mère et mon père. Je ne les ai pas trouvés.

« À partir de là, j’ai voulu à tout prix me débarrasser de cette malédiction. Je me suis souvenu de la légende des lapins-mousse. Manger la chair d’un lapin-mousse rompt tous les maléfices dit la légende. J’ai dû faire trois fois le tour du monde. Et un jour, alors que je parcourais ces bois, il était là, minuscule, au point que j’ai manqué le confondre avec la mousse du rocher où il reposait. Ne me restait plus qu’à le cueillir. Mais à chaque fois que je l’approchais, j’hésitais, comme si une main invisible me retenait. C’est ainsi qu’il s’est enfui. Ce n’était qu’une question de temps pourtant, je le savais. Longtemps je l’avais cherché, je n’allais pas abandonner si près du but. Et il a fallu que vous apparaissiez. Maintenant, tout est perdu. Je n’en ai plus la force. En fait, je veux que ça s’arrête. J’ai changé d’avis. Tu peux me tuer si tu le souhaites. Je m’en carre, dit-il à l’adresse du Chasseur, nuque offerte.

Mais le Chasseur ne bougea pas. Sa lance demeura plantée dans le sol meuble de terre détrempée.

─ Tu ne peux pas avoir Mousse-qui-pique, je suis désolé. Une vie contre une vie, je ne l’accepte pas. Je te demande juste de rendre sa voix à ma compagne. S’il te plaît.

Le temps se suspendit. Puis le lutin porta la main à sa bouche et toussa à cracher ses poumons. Les spasmes cessèrent. Dans sa paume gluante, il tenait une bille blanche qu’il tendit à Nellis. Celle-ci s’approcha, prudemment, prit la bille qui avait la texture du cartilage. Hésitante, elle la goba. Aussitôt, la sensation d’avoir avalé une braise. La gorge en feu, elle se tordait dans tous les sens, incapable de respirer. Jilam, paniqué, tentait en vain de l’aider mais n’écopa que d’un méchant coude au visage. Et puis, tout s’arrêta. La sorcière, mains aux genoux, respirait bruyamment.

─ Nellis, chérie ?

Nellis se redressa, droite et fière de nouveau, sa peur envolée. Elle se racla la gorge, prit ses grands airs et ouvrit la bouche…

─ Tête de gland.

Jilam, sautillant de joie, se précipita pour l’enlacer. Un beau bleu embrassait sa pommette.

─ Je vais recracher ma voix si tu me serres aussi fort. Mú, arrête, tu me tires les cheveux. Bon, ça suffit.

Quand époux et furet daignèrent enfin s’écarter, un grognement retentit.

─ Comment tu te sens, sorcière ?

Nellis sourit au Chasseur dont le bonheur se lisait à travers la barbe brillante de gouttelettes et de sang séché.

─ Je dormirais bien une semaine entière. Au point où j’en suis, je serais incapable d’allumer une bougie.

Le son rauque d’un cor percé salua ses mots.

─ Une chance que tu aies été là.

─ Ne me flatte pas. J’ai échoué. Sans ton intervention, il en était fini de ton gars et son lapinou.

La sorcière se garda de répondre et l’ours chauve confondit son silence avec de la modestie. L’attention générale revint au lutin. Nellis avança vers lui. Elle avait retrouvé sa démarche impérieuse. Ce n’était que du chiqué pourtant. C’est à peine si elle maîtrisait la tremblote de ses genoux. La crainte, à tout moment, de sombrer. Plantée à deux pas de la silhouette voûtée, elle la toisait, attendant que le lutin dresse le regard.

─ Je n’ai qu’une chose à te dire, petit : tu es un idiot. Pire idiot que l’idiot que je connais. Même une noisette a plus de tête.

Le lutin se tut, car c’était lui, maintenant, qui avait perdu sa voix. Cela faisait une éternité, à force d’errer dans le corps de bêtes muettes, sans personne avec qui échanger, qu’il avait oublié la faculté de parole. Cependant, en cet instant, il n’en avait aucun besoin. Ses pensées se lisaient, claires comme l’eau de roche, sur son visage balafré.

─ Tu regrettes sans doute de m’avoir restitué ma voix. J’en connais certains qui souhaiteraient que je me taise à jamais. Je les comprends, parfois. Je peux être une vraie peau de vache. Mais seulement parce que je dis toujours la vérité. Et j’affirme que tu es un idiot. Pourquoi ? Je vais te le dire. Manger Mousse-qui-pique ou l’un de ses congénères ne changera rien à ton état.

Une violente grimace éclata à la surface du masque de suif.

─ Tu ne me crois pas ? C’est pourtant simple. Il est vrai que plusieurs récits mentionnent la nature anti-maléfice de la chair du lapin-mousse. Je ne connais personne, cependant, qui ait vérifié cette théorie. Mais dans ton cas, vrai ou faux, cela n’a aucune importance. Parce que ton état n’a rien à voir avec une quelconque malédiction. Ne me fais pas les gros yeux, ce que je te dis est vrai. Contrairement à notre ami Chasseur ici présent, j’ai beaucoup bourlingué hors du bois et j’ai croisé la route de métamorphes comme toi. Forcément, curiosité scientifique oblige, je les ai étudiés et ma conclusion est sans appel. Ce qui pour toi est un mal n’est qu’un trait génétique. Il en va de même pour les changeformes. Ce que je suis par ailleurs. Nous naissons tous, les immortels, avec ce gène en nous. Pourquoi est-il là ? Et pourquoi se réveille-t-il seulement chez certains ? Aucune idée.

« Petit, la seule raison qui t’a changé en monstre vient des moqueries et des rejets que tu as subi. Ce sont eux qui t’ont créé tel que tu es : bouffi de rancœur et de dégoût envers le monde et toi-même. Je sais de quoi je parle. Les sorcières ont de tout temps et partout été considérées comme des dangers ambulants. On se méfie de nous à cause de ce qui nous définie comme des êtres à part. Le changement, voilà ce qui effraie. Nous avons évolué, alors ils nous haïssent, voire nous jalousent, mais surtout, ils ont peur. Peur de changer eux-mêmes. Ainsi que tu l’as dit : tu es ce que tu es, je suis ce que je suis. Il n’existe aucune alternative à cet état de fait. Nous sommes ce que nous sommes, un point c’est tout. Le mal ne vit que dans les yeux qui le voient. Ne l’oublie jamais et tu finiras, un jour ou l’autre, par oublier le goût de l’amertume. Il m’a longtemps accompagné… jusqu’à ce que je croise le chemin d’un idiot.

Le cœur de Jilam se serra, aussi fort qu’étaient serrés les deux cœurs de l’elfe. Le lutin plongea dans les sanglots. Alors le Chasseur s’avança à son tour. Il avait abandonné sa lance. Il se pencha, poussa un soupir rauque et grommela :

─ J’ai une proposition à te faire, vermisseau. Si tu veux toujours mourir, je peux arranger ça, ici et maintenant, sans douleur. Hors de question de te laisser déguerpir. Je veux plus que tu traînes libre dans mon bois et j’ai pas pour habitude de larguer mon crottin chez le voisin. De toute façon, t’iras pas loin avec ta jambe. Second choix : tu viens avec moi. Je t’apprendrai à maîtriser ta métamorphose. Tu pourras choisir qui tu veux être. Tout sauf un monstre. Je t’aiderai et je t’enseignerai les coutumes du bois. Voilà, à toi de décider.

De retour à la tanière du chêne, la nuit était tombée.

─ Tu es certaine que tu ne veux pas rester manger un morceau ? demanda Nellis au Chasseur qui les avait gentiment raccompagnés dans leur état.

─ J’ai déjà goûté ta popote et ça m’a suffit. J’ai une faim de démon et j’ai horreur de chasser dans le noir, grommela le sanglier hirsute.

─ Tu es sûr que ça va aller ? s’enquit Jilam de sa petite voix fiévreuse.

─ Depuis le temps que j’arpente le bois, c’est pas un pitiot de mortel qui va me couver, renifla l’ours chauve.

Le couple échangea un regard entendu. Le bois pouvait s’embraser, quoi qu’il arrive, le Chasseur restait fidèle à lui-même.

─ Prends soin de toi, parla la sorcière, et de notre ami.

─ Que les esprits vous guident et vous accompagnent comme ils l’ont fait jusqu’ici, les gosses. À dans longtemps, j’espère.

Ce disant, il massait la demi-douzaine de bandages imbibés d’onguent camouflés sous sa cape. Il tourna ensuite la tête vers Mú, niché sur son épaule :

─ À un de ces quatre, ventre-à-pattes. Viens chasser quand tu veux.

Le furet-léopard passa sa queue dans la barbe avant de passer sur l’épaule de la sorcière. Le Chasseur rabattit sa capuche sur le rocher de son crâne et s’éloigna en direction de la lisière où l’attendait une silhouette, ombre maigre à la pleine lune. Le couple brandit une main timide. Puis le bois avala les deux formes.

─ Tu crois qu’il ira bien ? demanda Jilam, le cœur toujours serré.

─ Lequel ?

─ Les deux en fait.

Nellis resta muette un moment, les pensées naviguant au gré des étoiles.

─ Comme je le dis souvent : le Chasseur ne fait pas seulement partie du bois, il est le bois.

─ Tu radotes ma vieille !

─ Tais-toi sale gosse ! rétorqua la sorcière, gentille claque en prime.

─ Doucement ! Tu vas le réveiller.

Jilam écarta le pan de son manteau et jeta un œil à la poche intérieure. Mousse-qui-pique dormait paisiblement. De légers soubresauts indiquaient qu’il nageait dans le monde du rêve.

─ Notre boule en mousse en a bavé aujourd’hui. Tous ses efforts l’ont vidé. Il mérite bien son repos.

─ Tu veux dire quoi par là ? interrogea l’époux en identifiant l’air mystérieux affiché par son épouse. Qu’as-tu en tête ?

Un rictus complice salua sa déduction.

─ Je dois t’avouer une chose, mon amour. Quand la bête vous avait à sa merci, Mousse-qui-pique et toi, je n’ai rien fait.

─ Attends, quoi ? Que me chantes-tu là, sorcière ? Tu as peut être retrouvé ta voix, mais elle ne sort que des âneries. Qui d’autre aurait pu nous sauver la mise à Mousse et moi ?

Nellis économisa ses mots, se contentant d’actionner son sourcil gauche. Jilam jeta un autre regard dans sa poche.

─ Mousse ?

Le lapereau-mousse ouvrit ses petites billes d’encre et commença à remuer son museau riquiqui.

─ Notre lapinou s’avère avoir plus d’un tour sous ses piquants. Le récit du métamorphe m’a convaincue. En plus de leur don télépathique, les lapins-mousse savent manipuler l’esprit d’autrui, exactement comme je le fais. Nous avons là un mécanisme de défense diablement efficace. Mousse-qui-pique n’est encore qu’un lapereau et ne maîtrise que partiellement ses capacités. Mais ça a suffi à figer la bête assez longtemps pour que notre ami Chasseur intervienne. Du moins, c’est là ma théorie.

Jilam se sentit envahi d’une vague de gratitude envers la boule de mousse remuante. Une seconde vague, plus écumeuse encore, goba la première.

─ Merci, petit père.

La sorcière ne pouvait s’empêcher de sourire, submergée qu’elle était par ce bonheur niais que d’ordinaire elle méprisait.

─ Peut être que les lapins-mousse sont bel et bien des esprits en fin de compte. Des gardiens discrets qui veillent sur les pensées du bois, à l’abri des regards.

─ Il nous reste à trouver ses parents. Maintenant, on pourrait…

─ Garde ta chère Gardienne de côté. Le Chasseur a promis de nous aider. Tu en connais des meilleurs que lui pour trouver les choses cachées ? Rappelle-toi quand tu as été enlevé.

─ Oh, je m’en rappelle. Tu ne me laisseras jamais oublier, je crains.

À la surface du dôme de nuit, une lanterne se mit à scintiller, comme un clin d’œil du ciel. La drôle de petite famille l’observa un instant avant de rentrer à l’appel de Mamie Chaleur et Maman Faim.

─ Dis, chérie, chuchota Jilam sous les couvertures.

─ Mmh ?

─ Pourquoi tu n’as rien dit au Chasseur en le laissant croire que c’était toi qui nous avais sauvés ?

La sorcière se nicha plus profond dans le giron de son mari. Souriante dans l’intimité des ténèbres, d’une voix claire, elle murmura :

─ Inutile de gâcher une réputation.

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