Je ne dors presque plus.
Mes nuits sont infestées de cauchemars atroces. Je ne fais pourtant rien pour. Dès que je sombre dans les bras de Morphée, elles en profitent pour arriver.
Sournoisement.
Ces créatures abjectes souillant mes doux rêves, les transformant en une succession de scènes sans logique, plus étranges et horribles les unes que les autres. Je ne les connais pas et pourtant, elles, me connaissent, comme si nous avions grandi ensemble. Comme si elles n’étaient que des visages de mon passé occultés par ma mémoire, et se rappelant à mes souvenirs à travers mes rêves.
Au début, ce n’étaient que des cauchemars récurrents mais espacés. Ils me réveillaient subitement, mais les nuits suivantes étaient paisibles. Ils constituaient même une bonne discussion avec mes amis sur le thème de “décidemment, il y a de ces rêves parfois”.
Et puis, ils se sont mis à venir me hanter plus souvent, angoissants tout d’abord.
Je m’y sentais épié, suivi. J’y entendais des bruits étranges. Les marches conduisant à ma chambre craquaient sous le poids de pas lourds, me faisant longuement regarder ma porte, l’oreille tendue en m’éveillant en sursaut, ne sachant pas vraiment si le son ayant provoqué mon éveil était onirique ou réel…
A présent, ces créatures sont omniprésentes.
Chaque soir, elles sont différentes, à l’exception de cette chose sans visage, souriante, moqueuse, m’arrachant de ce cauchemar en sueur, mettant un terme à ma nuit.
Elles viennent inlassablement, comme une rengaine, pervertissant mes songes. S’attaquant à moi, à mon environnement, à mes proches, dévastant mes rêves, défigurant mes amis, ma famille. Délabrant les lieux autour de moi, m’offrant des spectacles au mieux macabres, au pire d’une violence sans nom.
Je ne peux plus me coucher sereinement. Je suis obligé de trainer ma carcasse épuisée jusqu’à m’écrouler de fatigue. Et là, elles reviennent, rampant, souillant un décor reposant en un paysage infernal où tout n’est que mort et souffrance. Elles m’y dévorent, me démembrent, me forcent à regarder les tortures infligées à ceux qui résident habituellement dans mes rêves, à les infliger même. Je me réveille, je ne dormirai plus, je le sais…
La journée me semble si courte, je regarde avec angoisse le ciel changer sa robe, prendre cette teinte rouge. Présage du sang qui m’attendra lorsque je fermerai les yeux, avant d’opter pour cette noirceur profonde, symbole des ténèbres dévorant chaque nuit un peu plus de mon esprit.
Les migraines m’accompagnent, je marche en titubant, je somnole constamment. Mes proches me pensent ivre, les médecins ne comprennent pas, on me prescrit des remèdes censés apaiser mes nuits. Je ne les prends pas, de crainte d’y rester piégé.
Je préfère encore m’éveiller lorsque le spectacle pousse mon esprit à s’en dissocier.
Désormais, les choses se sont aggravées. Je discerne de moins en moins la réalité de mes cauchemars. J’entends des bruits faisant mention de faits extrêmement proches de ce que je vois la nuit… Est-ce que je cauchemarde encore ? Est-ce que la réalité a fusionné avec mes rêves maudits ?
Je ne sais pas, je ne sais plus…
Je n’ai pas les idées claires, les mots se brouillent vite sous mes yeux, m’empêchant de lire avec concentration le journal, les mots me parviennent mais je ne les retiens pas, ne les assimile pas.
J’ai tellement sommeil…
Mes proches, au début si inquiets pour moi, prenant de mes nouvelles, venant régulièrement me voir, finissent par s’éloigner. Normal, je ne suis pas de la meilleure compagnie. Et si ce que je perçois de la réalité est vrai et ressemble si intensément aux descriptions que j’ai pu leur faire de mes cauchemars, je comprends qu’ils se méfient de moi… Moi-même, je me demande si c’étaient des rêves prémonitoires…
Ai-je vu ce qui arriverait à notre ville ? Ou m’a-t-on infecté de ces images ?
Je délire, je divague, je n’ai plus les idées claires. J’ai envie de dormir mais m’y refuse. Pourtant, endormi ou éveillé, tout s’est à présent confondu. De mon lit, je vois les flammes, j’entends les cris, les bruits de pas dans l’escalier menant à ma chambre, les grattements sur le toit. Si je dors, pourquoi est-ce que je ne me réveille pas ?
Je m’allonge, résigné. Je ne tiens plus.
Remontant mes draps sur moi. Je ne sais pas s’il fait jour ou nuit dehors. Je vois la poignée de ma porte osciller, les grattements s’intensifient, on dirait que quelque chose creuse le plafond, les murs, le plancher.
Mon lit.
Je pousse un long soupir, et ferme les yeux…
Peu importe.
Enfin, je vais pouvoir dormir…
Toujours aussi bon. L’horreur dans une sorte de chaos, de confusion…