Vindicta : Chapitre IV

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La lignée des de Katre était, à l’image des Alyde, Norgue, et Odejeanne, l’une des fondatrices de la cité, leurs noms même avaient traversé les âges. C’était également son ancêtre de l’époque qui les avait convaincus de donner le nom de Lioster à leur nouvelle ville naissante. Avec les trois autres familles, ils furent les premiers à oser entrer dans la demeure de l’ermite, et à y découvrir toutes les raisons de fonder une cité, et bien d’autres choses encore.

Très vite, le quatuor prit l’ascendant sur le reste de la population, bien contente d’avoir des gens sur qui compter, et contre qui se retourner en cas de problème.

Et les problèmes furent nombreux.

Les accidents mortels se multiplièrent, les maladies galopèrent dans les rues, les conflits et jalousies entre voisins menèrent souvent à des drames regrettables… Cependant, rien ne put les dissuader de toujours plus construire. Histoire de calmer les rumeurs et superstitions émergeantes, les dirigeants décidèrent qu’il serait désormais interdit de s’approcher de la demeure de l’ermite. Celle-ci était en effet régulièrement pillée afin de dénicher un prétendu journal, que le vieux Lioster aurait tenu afin d’indiquer l’emplacement des meilleurs filons. Les plus inquiets voyaient donc une rancune du vieil homme mort dans tous les drames les frappant.

Bien que n’ayant en rien éradiqué les événements tragiques, cela apaisa une certaine partie de la population. Chacun put prendre ses marques et la découverte quotidienne de nouveaux gisements aida grandement à assagir les esprits.

Jusque-là, le couple de Katre n’était que de simples marchands. La vision d’une population grandissante ne leur ayant pas échappée, ils délaissèrent les mines et les bois pour s’assurer le monopole des marchandises. Après tout, il fallait bien que tous ces braves gens puissent trouver quoi faire de leur or. Ils accumulèrent ainsi une fortune considérable. Pourtant, ils ne revendiquèrent jamais un statut particulier. Ils continuèrent de prendre des décisions pour la ville avec les trois autres, sans chercher à ce quel leur avis ne pèse plus.

Afin de simplifier les choses, ils se partagèrent la ville : Les de Katre s’occuperaient du quartier marchand à l’Ouest. Alyde, s’étant récemment découvert une foi inébranlable, construirait son église au Nord, là où les mines étaient les plus nombreuses. Quant aux Norgue et Odejeanne, ils veilleraient respectivement sur le bien-être et le quotidien de la population, à l’Est et au Sud.

Les générations passèrent sans que leur mainmise sur la ville ne soit remise en cause.

Dantes de Katre était alors le dernier de sa longue lignée, lorsque son épouse, Alice, mit au monde le futur héritier : Vincent. Dès sa naissance, cet enfant attira la curiosité, et chaque sortie de la mère créait des attroupements : tout le monde voulait voir les yeux du bébé.

En grandissant, l’intérêt que suscitait le garçonnet changea. Les autres enfants l’évitaient comme la peste, autant par crainte de la différence que par jalousie quant à son rang social, mais surtout aux commentaires élogieux de leurs mères sur lui.

Son comportement était aussi en cause. Alors que ses “camarades” s’affairaient à rire le plus possible en s’inventant des aventures épiques dans les bois armés de leurs épées-branches, lui, préférait rester le nez plongé dans de grands ouvrages bien trop savants pour son âge. Même quand certains d’entre eux cherchaient à le provoquer en déchirant le livre qu’il consultait par exemple, il ne réagissait pas. Il se contentait d’aller en chercher un autre.

Aucun de ses tourmenteurs n’avait cependant osé lever la main directement sur lui. Il leur faisait peur. Très peur.

Ses anniversaires se résumaient donc davantage à un concours de relation de la part des parents qu’à une bande d’enfants s’amusant. Vincent restait dans son coin, et laissait les autres gamins profiter pleinement de la demeure familiale.

Vincent avait trois ans lorsque, à quelques maisons du manoir des de Katre, une jeune femme, Gia Hérone, donna naissance à une petite fille que son père, Ethaniel, baptisa Véronica.

Le couple ne vivait à Lioster que depuis peu. Gia avait hérité cette petite maison confortable d’un oncle qu’elle n’avait que peu connu, mais dont elle était la seule parente en vie. L’oncle lui-même n’étant pas un historique de la ville, ils furent accueillis dans une indifférence polie, à l’exception du maire. Fraîchement élu en succession de son défunt père, ce dernier se prit d’affection pour cette fragile jeune femme enceinte.

Malheureusement, Roland ne put rien faire ce jour-là. Ethaniel ayant conservé son travail dans une autre ville, il partait tôt le matin, pour ne revenir que la nuit déjà tombée. La grossesse de Gia était difficile. Le docteur Norgue lui avait conseillé de ne pas faire trop d’effort, et ces derniers temps, de ne surtout pas rester seule. Mais la jeune femme n’avait personne vers qui se tourner, et ne voulait pas déranger ses voisins, qu’elle ne connaissait finalement que peu. Roland passait le plus de temps possible auprès d’elle, mais, son nouveau poste le contraignait souvent à d’autres tâches. 

C’est toutefois lui, qui la trouva dans une mare de sang, haletante, et qui dut mettre l’enfant au monde, qui dut la séparer de sa mère l’ayant à peine vue avant de définitivement fermer les yeux. C’est aussi lui qui dut attendre la nuit pour confier à ce père dévasté cette nouvelle vie ayant couté celle de sa femme…

Gia fit bien plus parler d’elle dans la mort que par sa vie. Ethaniel vit ainsi défiler chez lui bon nombre de voisins qu’il ne connaissait que de nom. Il dut prendre sur lui, adresser des sourires reconnaissants, des “merci” factices, à toutes ces personnes portant le masque de l’affliction cachant une simple curiosité pour les circonstances, ou simplement par respect des coutumes.

On lui promit évidemment une aide inconditionnelle, un soutien total et illimité dans le temps. Il savait qu’il n’en serait jamais rien.

La seule proposition qui se concrétisa réellement, fut celle du vieux bibliothécaire qui, proche de la retraite, lui proposa de reprendre son poste afin de pouvoir rester au plus près de sa fille. Il accepta avec gratitude.

Malgré les conditions de sa naissance, Véronica devint une enfant épanouie et particulièrement espiègle. Elle ne manquait jamais de se lancer des défis farfelus, parfois dangereux, provoquant les rires de son père bien trop permissif au goût de Roland, qui avait fini par gagner une place dans le cœur de la petite fille. Elle n’avait cependant aucun mal à attendrir le maire en posant sur lui ses grands yeux bleus.

Capable de s’inclure naturellement dans n’importe quel groupe d’enfants, elle ne prêtait aucune attention aux murmures des adultes sur son passage, la plaignant, ou s’interrogeant entre eux, sur son drame familial. Mais elle les entendait.

Le métier de son père ne la passionnait pas vraiment. Elle n’avait aucun attrait pour les livres, ni pour les études, préférant découvrir les choses par elle-même. Surtout si cela lui permettait de longues promenades en forêt, transformées en aventures épiques. C’était toujours elle qui s’enfonçait le plus dans les bois, bien au-delà de la limite imposée par les parents, et Roland.

Pourtant, un sujet de son père l’intriguait beaucoup. L’entendre parler autant d’un autre enfant particulièrement assidu, et friand de livres que lui-même ne comprenait pas, attisa sa curiosité. Surtout cette histoire de couleurs différentes dans ses yeux. Comment cela pouvait-il être possible ? Elle pressentait une astuce de son père pour la pousser à l’accompagner.

Elle résista. Au moins une semaine entière.

Véronica avait dix ans et Vincent treize, lorsqu’elle l’aborda avec son aplomb habituel, alors qu’il était plongé, seul, dans une épaisse encyclopédie dont elle ne comprenait même pas le nom. Elle frissonna quand il leva ses yeux sur elle, mais se retint de l’assaillir de questions.

Au même moment, loin dans un recoin de la forêt encore épargnée, le feuillage d’un très vieil arbre frémit. Il n’y avait pourtant pas de vent.

Et personne pour s’en étonner.

( à suivre… )

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3 Commentaires
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Annick Smits
2 années il y a

Hmm … c’est trop calme là d’un coup, je sens que ça ne va pas durer 🙂 Vite la suite …

O. DeJavel
2 années il y a

Vincent de Katre et Veronica (fille d’Ethaniel et Gia). Mmmm… oui le mystère…et puis, on n’a pas fini d’entendre parler d’Alzar et Nath… Nation ? Nathion ? Le maire Roland OdeJeanne ferait bien de se méfier…

Haldur d'Hystrial
1 année il y a

Il n’y aurait-il pas des influences Lovecraftiennes ? Pas au niveau du style, mais de l’histoire

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