L’ombre.
Encore une fois, je me réveille en pleine nuit. Ce sentiment que quelqu’un ou quelque chose était là, tout près, m’épiant une poignée de secondes plus tôt, m’envahissant comme toujours.
Puis, viennent les craquements du plancher. Ma déraison me pousse à imaginer cette prédatrice ténébreuse rôder autour de mon lit. Patiente, guettant le moment où l’enfant que je redeviens sortira la tête de sous ses draps, pour s’en emparer et l’entraîner dans sa fosse.
Le trajet fébrile de ma main jusqu’à la lampe de chevet, se fait toujours dans l’angoisse. Celle de me sentir saisi, bien sûr. Mais aussi celle de découvrir ce que la lumière révélera.
C’est la seule raison qui m’empêche encore de la laisser allumer en me couchant.
Je suis terrorisé d’ouvrir les yeux et de me retrouver nez à… ce qui rampe la nuit.
Une pression du doigt, le déclic, la lumière.
Rien.
Le calme paisible d’une chambre arrachée à la nuit.
Le tic-tac enivrant du réveil aux aiguilles amorçant leur descente salvatrice vers l’aube encore lointain.
Le sommeil se dispute avec ma peur.
Et toujours ce tic-tac.
Lentement, mon esprit fait migrer ce son vers ma porte. Le muant en l’atroce impression qu’on tapote minutieusement ses ongles contre les quelques centimètres de chêne nous séparant, égrènant chaque seconde.
Faites que cela ne soit que mon esprit.
Il faut que j’en ai le cœur net. On me dit que ce ne sont que des terreurs nocturnes. Peut-être.
Mais, une terreur reste une terreur.
Je me colle au bois glacial. De l’autre côté, je suis presque sûr que l’ombre du couloir fait pareil…
La vie et la mort, reflets l’une de l’autre. Symétrie parfaite par cet axe sylvestre.
J’ouvre.
La fraîcheur caresse mon visage de sa main spectrale, m’horripilant de frissons.
J’avance.
Sous mes pieds, l’abysse du rez-de-chaussée s’étend. La lumière de ma chambre n’en perce pas les ténèbres. Le ronronnement des appareils ménagers me met mal à l’aise. J’imagine toute une foule tapie dans l’ombre espérant me voir descendre, murmurant, affamée.
J’ai l’impression de vaciller.
La fenêtre au bout du couloir laisse passer la clarté nocturne, dessinant les ombres du mobilier sur les murs. Ombres s’étirant vers moi, menaçantes, lorsque des conducteurs noctambules passent dans la rue adjacente.
Je chasse de mon esprit toutes ces images. Je n’ai sous les yeux que le décor d’une maison offerte à la nuit.
Et c’est là que je la vois.
Silhouette partielle se tenant devant la fenêtre, percée des lumières extérieures qui ne la font pas broncher. Autour d’elle, les ombres des meubles semblent danser, m’inviter à la rejoindre.
Le conducteur s’éloigne, la lumière des phares redonne son trône à la Lune.
La clarté s’atténue.
La silhouette se fond dans l’ombre, mais, juste avant de disparaître, fond surtout sur moi.
Je regagne en hâte ma chambre, les quelques mètres pèsent comme un marathon dans mes jambes.
La porte close, je retrouve mon souffle en scrutant les ombres sous le lit, derrière mon bureau, mon armoire, prêt à la voir jaillir.
Mon cœur retrouve son calme petit à petit. Pas mon esprit.
Je ne sais pas si je deviens fou, ou si quelque chose joue vraiment avec moi.
L’ampoule montre des faiblesses, elle lutte contre l’ombre qui s’impatiente.
Je me traîne jusqu’au lit, attendant l’aube libératrice.
Avant la prochaine nuit.
La lumière abdique. L’ombre m’enlace.
J’ai peur. Peur que ça ne s’arrête jamais.
Peur de comment ça peut finir…
Si elle est réelle, qu’elle joue avec le vivant que je suis, qui sait ce qu’elle me fera quand je serai de son côté ?
Et on dit que les terreurs nocturnes n’existent pas … On ferait mieux de se méfier.
Très joli texte encore.
Bonjour Antho CLEST
Je me suis laissé emporter, par ces mots qui usant de crêpe mortuaire brodent le sombre, sur ou plutôt dans les toiles emplies d’une obscure clarté du CARAVAGE* ou de Pierre SOULAGES**.
* Le CARAVAGE s’est essayé dit on au clair obscur.
https://www.cath.ch/newsf/caravage-maitre-du-clair-obscur-expose-a-paris/
** Pour SOULAGES Tout n’est pas noir :https://www.pierre-soulages.com/exposition/soulages-verre-cartons-des-vitraux-de-conques/
Merci pour la délicatesse de cette mise en opacité ou pourtant l’on ne broie pas du noir.