Elle se glissa dans le groupe d’élève qui entrait et découvrit une large pièce où s’alignaient deux rangées de table de deux personnes. Iel vit les autres se jeter dessus comme s’ils savaient où leur place se trouvait. Ce doit être pareil dans les écoles générales. Ils choisissent probablement les places dont ils ont l’habitude. Hiloy se ressaisit et décida d’aller au dernier rang en espérant ne pas se faire remarquer. Elle se cala contre le mur et attendit la suite.
L’un des adultes resta devant le tableau tandis que les trois autres se dispersaient dans la salle. Ils étaient là pour garder l’ordre et prévenir tout tentative d’agression entre élèves.
L’entrée de deux garçons créa un remue-ménage chez le groupe de quatre qui s’était déjà installé. Le garçon aux cheveux châtains ouvrit les bras en criant :
-Meb ! Citseko !
Les deux adolescents eurent un mouvement surpris avant que celui qui portait l’or ne se mette à rire et rejoigne le groupe, tandis que celui qui portait l’argent se contentait d’un demi-sourire et de rester en peu en retrait. Il y eut des accolades chaleureuses alors qu’ils parlaient tous en même temps. Les filles n’étaient pas en reste. Mis à part l’esclave, assise silencieusement, les trois autres filles discutaient activement. A la table voisine de celle d’Hiloy, deux autres riaient. La Cinquième aperçut le couple qu’elle avait croisé la veille et qui l’avait laissé passer dans le couloir. Ils s’installèrent à la deuxième table devant elle.
Le professeur finit par fermer la porte et donna un coup sec et sonore sur le bureau avec sa règle. Les groupes se divisèrent, chacun rejoignit sa place. Une grande fille aux longs cheveux couleur prune vint s’asseoir à côté de Hiloy. Son uniforme était brodé d’argent et la Cinquième dut se pencher discrètement pour tenter de voir son blason, un bâton entouré d’étoile. Connais pas. Quand elle se redressa, Hiloy vit que sa voisine l’observait en souriant. Gênée, l’adolescente lui rendit son sourire en bafouillant des excuses. L’héritière d’argent se contenta de se présenter :
-Falibi du clan Féetérique.
-Hiloy Plilaz.
Avant qu’elles aient pu ajouter quoique ce soit, l’enseignant commença l’appel. Lorsque Hiloy se leva pour répondre à son nom, tout les regards convergèrent vers elle. Voilà, voilà, voilà. Cela ne dura que quelques secondes, mais elle fut soulagée de pouvoir s’asseoir. L’adolescente se concentra, espérant retenir le plus de nom possible. Mais au final, elle ne se rappela que le garçon aux cheveux châtains appelé Elférad, le garçon en jupe, Indilk, la maîtresse de l’esclave, Vish et sa voisine. Sur un total de combien ? Vingt ? C’est pas si mal. Le cours commença par un rappel des règles qu’on leur avait déjà exposé à leur arrivée.
La journée s’écoula tranquillement pour Hiloy. Elle mangea dans un coin du réfectoire. Personne ne sembla pressé de lui adresser la parole et elle ne s’en plaignait pas. Quand la sonnerie annonçant la fin des cours résonna, elle rangea ses affaires avec un certain contentement. La plupart des élèves s’étaient déjà levés quand l’une des femmes qui se tenait au fond de la salle, lança :
-Concernant la journée de demain !
Ils se figèrent attendant la suite. La surveillante continua après s’être assurée que ses trois collègues ne souhaitaient pas continuer :
-La première activité commencera dès demain.
La salle s’emplit de plaintes et de geignements dont Hiloy ne comprit pas la raison. La femme continua d’une voix plus forte pour se faire entendre dans l’agitation qui venait de saisir les héritiers :
-Les règles vous seront expliquées en cours. Nous vous prévenons pour que vous ne soyez pas pris au dépourvu. Bonne soirée.
Il y eut des ricanements et quelques railleries tandis qu’ils sortaient. Hiloy savait qu’il y avait des activités. Seulement, son précepteur n’étant pas allé à l’école des héritiers, il n’avait pu lui fournir aucun renseignement. Sa mère étant une des Cinq, elle avait simplement eu le droit de refuser de participer et pour ce qui était de son père, eh bien, il ne s’était jamais donné la peine de vraiment lui parler.
La Cinquième passa par sa chambre pour poser ses affaires et dormir un peu avant d’aller dîner. Hiloy se figea en entendant toquer à la porte. C’est qui ça ? Elle resta immobile à passer toutes les possibilités dans son esprit. Quelqu’un de sa classe ? Quelqu’un du dortoir ? Un surveillant ?
-C’est quand tu veux, mais nous, on voudrait bien maintenant.
Hiloy alla ouvrir en reconnaissant la voix de Tefpiro. Les jumeaux aux tignasses multicolore se tenaient dans le couloir, souriant, les mains dans les poches. Elle avait à peine entrouvert qu’Oru poussait la porte pour entrer. Hiloy referma après eux :
-Qu’est-ce que vous faites là ?
Tefpiro observa la chambre avec intérêt avant de dire :
-L’Union, t’as oublié ?
Ah, oui. Hiloy avait été tellement absorbé par ses cours que cette histoire d’union lui était sortie de la tête. Oru s’installa dans le fauteuil du bureau et s’amusa à le faire tourner, tandis que son frère tendait un rouleau de papier à Hiloy :
-Tiens, c’est ta copie.
La Cinquième ouvrit pour lire le court paragraphe qui se trouvait dessus. Comme l’adolescent le lui avait dit, il y était écrit qu’ils prêtaient serment de ne pas se mêler des histoires des autres sous aucune forme que ce soit. Chacun chez soi en somme. En bas de page, cinq signatures.
-Donc, si je signe, cela veut dire qu’il n’y aura jamais de duel entre nous.
Oru étala sur le bureau quatre autres feuilles identiques, alors que son frère acquiesçait :
-Non seulement ça, mais tu n’aura pas à craindre que l’on veuille t’assassiner.
Hiloy haussa les sourcils :
-Pourquoi l’un de vous voudrait me tuer ? Je ne crois pas qu’aucun de vos clans ne veuille se retrouver dernier des Cinq.
Tefpiro sembla réfléchir :
-Ah oui, c’est vrai.
Il prit l’adolescente par le bras pour la mener jusqu’au bureau :
-On fait ça surtout pour les autres. Ils sont paranos, tu sais.
Sa sœur tapa deux fois du doigt sur la table et il réagit comme si elle venait de s’exprimer aussi clairement que n’importe qui :
-C’est vrai, ils ont de quoi être parano. Tu verrais la tronche du premier…
Oru lui envoya un coup de coude dans les côtes qui le plia en deux. Elle prit la main d’Hiloy et y mit un stylo. Tefpiro retrouva son souffle pour dire :
-Faut que tu signes chacune des copies. Elles sont aux autres.
La Cinquième commença à signer en demandant :
-Pourquoi ils ne sont pas venus aussi ?
-Je te l’ai dit, ils sont paranos.
Hiloy finit de signer et se redressa en ajoutant :
-Il n’empêche que ça n’arrange pas mes affaires. Mon père ne va pas être content.
Le garçon haussa les épaules :
-Tu trouveras bien autre chose. Tu devrais plutôt te préoccuper de ceux d’en-dessous.
Il pointa le doigt vers le sol, mais Hiloy comprit bien qu’il parlait de tous les autres clans qui rêveraient de prendre la place d’un des Cinq.
-Vous êtes combien dans ta classe ?
Surprise par la question, Hiloy mit un peu de temps à répondre :
-Heu… une vingtaine, il me semble.
Oru avait fait disparaître les papiers dans ses poches pendant que son frère continuait :
-Un petit conseil. Dorénavant, considère que tu as dix-neuf ennemis qui t’accompagnent tous les jours.
Ils allaient sortir, mais Hiloy les retint :
-Je peux vous poser une question ?
Tefpiro secoua la tête de droite à gauche, alors que sa sœur le faisait de haut en bas. Hiloy passa son regard de l’un à l’autre avant de tenter :
-On nous a dit que demain, une activité commencerait. Vous savez en quoi elle consiste ?
Les jumeaux s’entre-regardèrent avant de passer chacun un bras autour de ses épaules.
-Tu sais quoi, Puîné.e ? On va manger ensemble. Dans l’état actuel des choses, tu es trop ignorante pour survivre et on s’en voudrait.
Quand ils furent installés autour de leur dîner, Hiloy ne put ignorer les regards qui pesaient sur eux :
-On attire un peu l’attention, non ? Ils vont croire que l’on complote, vous ne pensez pas ?
Tefpiro haussa les épaules :
-Garde à l’esprit que, pour eux, on aura toujours l’air de comploter. Bon, qu’est-ce que tu sais sur les activités ?
Hiloy résuma :
-Ma mère n’y a jamais participé et n’y a donc jamais trop prêté attention. Mon père ne me parle pas et mon précepteur n’est pas venu à cette école.
Le jeune homme revint au premier point :
-Ta mère t’a parlé des activités auxquelles elle a été obligé de participer ? On n’échappe pas à toutes, tu sais.
La Cinquième secoua la tête :
-Non. Elle n’aime pas en parler.
Les jumeaux échangèrent un regard avant que le garçon reprenne :
-Normal, au fond.
-Pourquoi ?
Il eut un sourire mystérieux :
-Disons que certaines activités sont faites pour permettre aux autres de s’élever.
Avant qu’elle n’ait pu demander de détails, Tefpiro enchaîna :
-Pour celle de demain. Il s’agira du jeu des souhaits.
Hiloy se penchait pour ne rien perdre de ce qu’il dirait ensuite.
-Les secondes années pourront demander n’importe quoi aux premières années dès qu’ils en croiseront un.
L’adolescente avait du mal à imaginer la situation :
-On vous a demandé quoi à vous ?
Ils la regardèrent avec surprise, puis Tefpiro répondit :
-Bah, rien. On y a pas participé, nous. Et tu n’y participeras pas non plus.
-Mais pourquoi ?
Le Quatrième haussa un sourcil :
-Tu écoutes quand je te parle ?
Hiloy se recula :
-Bien sûr, mais je ne comprends pas pourquoi je n’y participerai pas.
Il répliqua :
-N’oublie pas les dix-neufs ennemis. Les activités sont des “jeux” qu’il est difficile de contrôler et de surveiller. Si tu veux te débarrasser d’un rival, c’est là que tu peux tenter ta chance. Sitôt que tu acceptes de participer, tu acceptes les risques.
Hiloy ne trouva rien à redire, mais toutes ces informations lui tournèrent dans le crâne alors qu’elle allait se coucher. Si elle ne pouvait pas s’élever, au moins, dans l’immédiat, la Cinquième devait s’assurer de survivre. Pour cela, il faut que je fasse en sorte que les dix-neuf ennemis deviennent des amis. Hors, comment se rapprocher si elle se mettait à l’écart en ne participant pas aux activités ? Si Hiloy faisait face aux mêmes dangers que les autres, ils l’accepteraient plus facilement. Les héritiers des Quatre pouvaient bien faire ce qu’ils voulaient, leur charge leur suffisait à eux. Elle se coucha, confortée dans la marche à suivre. Le jeu des souhaits, ce ne doit pas être si terrible.
La Cinquième était déjà installée à sa table quand la sonnerie annonça le début des cours. Alors que l’enseignant s’apprêtait à fermer la porte, sa voisine entra précipitamment. L’héritière d’argent fit un grand sourire au professeur en le saluant et s’empressa de rejoindre sa place. En s’asseyant, elle croisa le regard d’Hiloy et lui sourit. Celle-ci s’empressa de l’imiter. Elle s’appelle Falibi... j’en suis quasiment sûr. Un coup de règle sur la table amena le silence.
-Comme on vous l’a dit hier, une activité commencera aujourd’hui.
Hiloy se crispa. Son cœur battait à cent à l’heure.
-Il s’agit du jeu des souhaits.
En chœur avec le reste de la classe, elle entendit sa voisine soupirer, tout en se reculant dans sa chaise comme si cela pouvait l’écarter de ce qui arriverait ensuite. L’enseignant commença à marquer différents points au tableau tout en les énumérant à haute voix :
-Le jeu est simple. A partir de ce moment, chaque fois que vous croiserez un second année, il aura le droit de vous ordonner n’importe quoi et vous, vous aurez l’obligation d’obéir. Cependant, vous êtes en droit de refuser dans les cas extrême. Si la demande vous met mal à l’aise ou touche à la morale.
Il fit face à sa classe pour ajouter :
-Par exemple, si l’on vous demande de vous déshabiller, vous pouvez refuser.
Tandis qu’il parlait, l’un des surveillants passait dans les rangs avec un pot. Le temps de cette activité, ils devaient renoncer à leur blasons. Cela permettait d’éviter le favoritisme des alliés ou l’acharnement des ennemis. Hiloy fit tourner le blason entre ses doigts avant d’avancer la main vers le pot. Lorsqu’elle la vit faire, Falibi arrêta son geste en lui saisissant le poignet, tandis que le surveillant écartait le récipient en disant :
-Non, vous n’avez pas à participer.
Sa voisine ajouta :
-C’est vrai, les Cinq ne participent pas.
Hiloy hocha la tête :
-Je sais, mais je veux jouer aussi.
Le surveillant lança un regard perdu à l’enseignant. L’autre homme et la femme qui complétaient leur équipe se rendirent au bureau où un conciliabule entre les quatre eut lieu. Falibi se tourna vers Hiloy qui observait les adultes avec une certaine appréhension. Pour la rassurer, sa voisine lui sourit en disant :
-Je crois que c’est la première fois qu’un des Cinq veut participer.
A ce moment, l’enseignant annonça :
-Vous pouvez participer puisque vous le souhaitez, cependant, l’école ne sera pas responsable de ce qui pourrait vous arriver.
Hiloy acquiesça :
-D’accord.
Le surveillant ramena le pot et elle y laissa tomber son blason. Le cours commença avec quelques murmures concernant le comportement de la Cinquième. Celle-ci se doutait qu’ils s’imaginaient sans doute qu’elle avait un plan, que cela n’annonçait rien de bon, mais Falibi souriait. C’est bon signe ou pas ?