Après quelques jours de convalescence, les personnes ayant les blessures les moins sévères furent remises sur pieds et prêts à entamer les kilomètres qui nous séparaient de la capitale, Mhala. Depuis ma rencontre avec la prophétesse, environs quatre jours s’étaient écoulés et, pourtant, malgré le temps accordé à mes réflexions, je semblais incapable de me résoudre à accepter la situation dans laquelle je me trouvais actuellement. Comme si je refusais d’accepter les faits tels qu’ils étaient. Personne n’avait été au courant de mon nouveau titre, mais je percevais clairement la curiosité des orphelins et des chevaliers. Leurs regards perçants me suivaient toujours lorsque je me promenais dans le campement ou lorsque je m’éloignais pour tenir compagnie à Nyra. La question que je répétais en boucle dans ma tête était : comment s’attendaient-ils à ce que je crois à cette prophétie ? Je savais que les prophètes et devins étaient incapables de mentir, mais je restais tout de même sceptique. Puisque c’était le général Telrym Daserion qui m’avait obligé d’aller voir dame Caelyn, il semblait le plus impatient et voulait savoir ce qu’il c’était produit avec la centaure il a quelques jours. J’étais consciente que je devais le dire bientôt sinon cela me reviendrait, tôt ou tard, à la figure. Bizarrement, j’avais l’impression que si je leur avouais, j’allais devoir me coller une étiquette sur le front et que jamais je ne pourrais me débarrasser. Inquiète de leur réactions, je me demandais s’ils allaient me détester ? Honnêtement, je ne savais pas quoi en penser et ces spéculations accablaient tout entièrement la moindre parcelle de mon esprit. Je ne savais pas donner de la tête et cela me rongeait de l’intérieur. Ne pouvais-je pas tout simplement vivre une vie normale ? La veille de notre départ d’Amselume, le général demanda à me voir. Il se planta sous un peuplier, là où il n’y avait personne. Que voulait-il me dire ? Des réponses probablement.
— J’ai attendu que tu me parles de la visite, mais ton silence ne restera pas, commença-t-il en me fixant intensément de ses prunelles bleues sévères. Je sais bien que ta rencontre avec la prophète t’a rendue mal à l’aise et cela se voit très bien. Qu’a dit la prophétesse Caelyn ?
Il prononça ses derniers mots d’une manière si différente que je fus légèrement surprise. Ils étaient empreints d’un grand respect pour la devineresse. Pendant un bref instant, je cherchai son regard devenu insistant, puis détourna le mien en poussant un soupir lourd de sens. Étais-je si transparente ? Cela se voyait tant que ça ? J’étais si nerveuse que j’imaginais que c’était le cas.
— Je croyais que les réponses que je recherchais étaient simples, mais après ces révélations, il y a quatre jours, je comprends que c’est loin de la réalité à laquelle je pensais. Selon elle, je suis en partie ange ainsi que démon. Je serai aussi une Asura et je ne sais pas trop ce que cela implique excepté le fait que je dois compléter une prophétie vieille comme le monde sans laisser mon démon intérieur prendre le contrôle de mon âme. Tout cela me dépasse, lui avouais dans un nouveau soupir d’exaspération.
Il recula d’un pas, surpris par cette soudaine annonce, puis, comme si j’avais dit quelque chose de drôle, il se mit à rire. Ses traits se détendirent et je ne pus m’empêcher de penser que malgré son air sévère habituel, qu’il pouvait être tout de même beau avec ses yeux bleus et ses longs cheveux bruns foncés attachés derrière sa nuque. S’il n’avait pas aussi mauvais caractère, ça serait mieux. Je fus étonnée de le voir rire de la sorte. Lui qui était toujours froid et qui ne montrait aucune émotion.
— J’aurais dû m’en douter lorsque je t’ai vue à l’orphelinat. Il y a si longtemps qu’on ait eu une aussi bonne nouvelle ! Peut-être que cette fois-ce la prophétie sera complétée, murmura-t-il presque pour lui-même en reprenant son air sévère habituel.
Sa réaction me fit penser à celle du roi des elfes. Étais-ce tant une aussi bonne nouvelle ? Étais-ce que les gens attendaient ? Une prophétie ayant pour but le génocide d’une race ?
— Enfin complétée ? Demandais-je perplexe. Je ne comprends pas.
— Elle a été créée par les dieux lors de l’apparition des démons sur Extyria. Aucun Asura ayant vu le jour jusqu’à présent ont été en mesure de la réaliser. Ils y en a eu plusieurs avant toi, mais tous ont échoués et nous sommes toujours coincés au pied du mur entourés de démons nous attaquant depuis des lustres, me répondit-il avec mépris.
Son regard se perdit momentanément dans la végétation luxuriante de l’Yndran, puis revient vers le mien.
— Pourquoi n’y sont-ils pas arrivés ?
— Pour une raison que l’on ignore, certains Asura étaient des démons. Celui avant toi en était un. Il se nommait Oberos Sygrekil. Il était un démon de feu très puissant, mais les diviotis ont pris le dessus sur sa soif de pouvoir et l’ont tué.
Mon expression se déforma en une grimace horrifiée. Les diviotis l’avaient tué ? Dieu, je ne voulais pas que cela m’arrive. Comme si le général avait lu dans mes pensées, il me rassura l’instant d’après ;
— Aucun mal ne peut t’être fait si tu l’exécutes correctement. Il serait dommage d’attendre un autre millénaire avant de pouvoir espérer vaincre ces démons une fois pour toute.
Son visage s’assombrit, puis il baissa la tête pour regarder la mousse sur le sol. Ses prunelles donnaient l’impression qu’elles étaient devenues encore plus dures et froides en un instant. Détestait-il autant les démons ? Et pourquoi ? Que nous avaient-ils fait pour en arriver à une guerre constante depuis longtemps. Il remonta sa tête, puis coup court à notre échange en me tourna le dos pour se diriger vers sa couchette. Il me laissa en plan, perdue et bouleversée sous les branches de l’arbre. Puisqu’il était tard, je décidai de faire la même chose. Malgré le sol dur et terreux, j’essayai de m’installer confortablement dans ma cape, mais en vain. À mon grand soulagement, je ne refis pas le même cauchemars remplit de corps de démons à mes pieds cependant, mon sommeil fut tout de même agité.
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Oberos Sygrekil
Pris par surprise au beau milieu de la nuit, l’homme posa sa main droite sur sa poitrine au niveau du cœur, car une vive douleur lui transperçait le corps depuis près d’une minute. Haletant, il se redressa tant bien que mal sur son lit duveteux recouvert de soie aux couleurs exquises, mais se retomba sur son oreiller de plumes. Il savait parfaitement la raison de cette souffrance. À son grand désarroi, cette dernière devint plus lancinante et il se mit à hurlant tant c’était insupportable. Rapidement, un homme entra, puis un autre quelques secondes plus tard. Le malheureux se cambra sous la douleur. De grosses gouttes de sueur perlèrent de son front, puis se mélangèrent à ses larmes salées. Les deux hommes se ruèrent vers lui alors que leurs questions se perdaient dans les cris d’agonie. Le premier homme qui était entrée, un sorcier ainsi qu’un des dix conseillers d’Oberos nommé Aydan Valendyl, s’agenouilla aux côté du démon souffrant, puis posa sa main au-dessus du cœur de l’homme qui hurlait toujours.
— Qu’allez-vous faire maître Valendyl ? demanda le deuxième homme, un simple servant travaillant au palais, malgré les cris qui couvraient ses paroles.
— Je vais tenter de réduire sa douleur avec ma magie, mais je ne sais pas si cela fonctionnera. Il faut simplement espérer que ma magie n’entre pas en conflit avec la source de sa douleur. Si je suis capable de la localiser, ce sera au moins fait.
Une lueur mauve émana de la paume du sorcier, puis d’un geste de la main, essaya de réduire la douleur. Oberos hurla de plus belle donc il y avait bien eu opposition entre la magie et le mal de son roi. Passant au plan B, il passa ses deux mains au-dessus de ce dernier et trouva la source dans son esprit. Le sceau des Asuras se dissipait lentement, ce qui causait la douleur du démon.
— Avez-vous trouvé ?
— Oui, son sceau s’efface ce qui veut dire le nouvel Asura s’est réveillé il n’y a pas longtemps. La douleur ne cessera pas tant qu’il est toujours dans son esprit.
Le roi se détendit quelques peu et ses cris se tarirent, mais les perles de sueurs restèrent. Pantois et le souffle court, il réussit à prononcer une courte phrase avant de tomber dans le sommeil.
— Jamais la prophétie ne sera complète, souffla Oberos dans un faible murmure.
— Vous pouvez compter sur moi, mon roi.
Le roi sombra dans les bras réconfortants de Seiren, alors qu’Aydan ainsi que le serviteur sortaient de sa chambre. Ils allèrent tous deux dans les leurs pour se recoucher puisque les cris les avaient réveillés au milieu de la nuit. Les bras du dieu les accueillirent à leurs tours.
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Aeris
Le lendemain matin, on me réveilla d’une manière de la plus désagréable : un seau d’eau froide à la figure. À peine réveillée et vivement en colère contre la personne qui avait osé me jeter de l’eau au visage, je bondis hors de ma cape pour lui faire face. Je fus nez à nez avec Kaleb accompagné d’Elize, un sourire hilare imprimé sur leurs visages et le triton tenait un seau en cuivre dégoulinant d’eau dans sa main gauche et sa droite prenait appuis sur sa cuisse. Il riait aux éclats révélant ses dents blanches. Je le foudroyai du regard avant de me mettre à rire à mon tour. Profitant de son inattention, je lui flanquai un coup de poing amical sur le bras.
— Kaleb ! Qu’est-ce qu’il t’a pris de faire ça ? lui demandais-je toujours en riant aux éclats.
Il fit un effort pour me répondre quelque chose de cohérent, mais il se remit à rire dès qu’il ouvrit la bouche. Il était incapable de prononcer des paroles ayant un minimum de sens. Il se calma, mais Elize répondit à sa place ;
— À sa défense, on essaie de te réveiller depuis une bonne dizaine de minute donc on a dû y aller de la manière forte, dit-elle en finissant sa phrase par un petit rire.
— Le régiment est prêt ?
— Presque. Nous partons dans une trentaine de minutes. Prépare tes affaires et soit certaine de n’avoir rien oublié.
Je hochai la tête avant de leur annoncer que j’allais me sécher avant de les rejoindre. Je ne voulais pas me mettre à marcher avec une tunique humide alors qu’il fait un peu frais dehors. Je ne veux pas attraper froid. Près d’une heure plus tard, nous marchions tous sur le chemin de noyers en direction de Sellaluna où se trouvait Mhala, la capitale et plus grosse ville d’Extyria. Je me disais qu’en allant là-bas je pourrai recevoir un bon entrainement, mais puisque j’étais une Asura, j’allais peut-être devoir me concentrer sur la prophétie même si je n’en avais pas envie. Porter ce titre, comme un chapeau qui ne m’allait pas, me fit réaliser que cela ne sera pas une tâche facile. De plus, je ne savais pas comment l’exécuter. Lourdement, je soupirai, puis plongeai mon regard vers le sol qui défilait devant mes iris aux fur et à mesure que j’avançais sur le chemin terreux et bosselé du chemin des noyers. J’ai peur de ce que me réserve le futur, pensais-je angoissée.
Asura – Dieux et diviotis – chapitre 7