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6 mins

“Hello! Hooray! Let the show begin
I’ve been ready
Hello! Hooray! Let the lights grow dim
I’ve been ready “
Alice Cooper

Monsters Circus + Le dresseur de monstres enhanced

Par les nuits pluvieuses, lorsqu’une cheminée de ferme isolée crachait sa fragile fumée, alors qu’à l’intérieur les femmes s’affairaient autour du linge autrefois blanc devenu ensanglanté, alors que les hommes attendaient, dans la salle à manger autour de la massive table de bois, la silhouette d’une roulotte faisait son apparition, au loin.
« Mon dieu faite que l’enfant meurt… » lâchait une vieille édentée, précédent de quelques secondes le cri perçant du nouveau-né.
Dehors, Mr Loyal qui n’avait rien de loyal, foutu fils de putain, attachait ses chevaux.
La vieille entrait l’air grave dans la sale à manger et tendait à un homme son fardeau, un petit paquet.
Dehors Mr Loyal sortait sa pièce d’argent montée sur une chaîne afin d’y jeter un rapide coup d’œil comme s’il s’agissait d’une montre gousset, puis il entrait, sans prendre la peine de frapper.
Il passait en revue l’assemblée, jusqu’à ce que son regard s’arrête sur la seule personne qui ne le dévisageait pas : l’homme au fardeau qui pleurait en se tenant le front.
Mr Loyal lui disait simplement :
« Mes sincères condoléances… » avant de jeter sur la table massive une bourse de cuir repue.

Lorsque la porte se refermait, l’assemblée lâchait un soupir de soulagement.
La roulotte s’éloignait dans les ténèbres, emportant le nouveau-né. Avec le temps, cette nuit prendrait la texture diffuse des mauvais rêves.

Brouhaha, lumières rallumées.
[Charmante interlude du Joueur de Flûte]
Ce ne sont pas les rats que j’attire, ce ne sont pas de répugnants rongeurs qui se jettent du haut de la falaise, mais vos illusions et vos mensonges assassins. Je ne laisserai survivre que les plus sombres.
Ce ne sont pas vos enfants que je suis revenu chercher, mais les mal-aimés, les nouveaux dieux que vous excluez du monde, ceux que vous essayez de tuer, de nier.
Un jour je les ferai tous revenir, plus fort et plus furieux, ils inonderont votre monde à travers mes mots, leur gloire aveuglera vos désirs, leur beauté vous réduira en cendre.
Laissez venir à moi tous les petits enfants.
Je suis le chien joueur de flûte.
Je marche sur deux pattes, je suis coiffé d’un chapeau rigolo.
Je ne suis pas venu vous offrir le salut.
Ni aucune rédemption.
[Fin de la charmante interlude]
Silence, lumières éteintes

Avant les spectacles les monstres de foire attendaient dans leurs cages pleines de sciure.
Ils ne se parlaient pas.
La plupart communiquaient par grognements, la plupart étaient arrivés au cirque à l’état de nourrisson, emmenés par ce Mr Loyal qui n’avait rien de loyal, mais tout d’un foutu fils de pute.
Les jumeaux aimaient bien l’homme-éléphant, un gros type dont le nez disparaissait sous une tumeur en forme de trompe.
L’homme-éléphant dansait pour les jumeaux soudés par le crâne. Il riait à leur intention.
Les jumeaux aimaient moins le garçon-crocodile. Les cris des animaux lui faisait peur. Malgré sa peau recouverte de croûtes, le garçon-crocodile piaillait, continuellement terrorisé par l’enfermement et la proximité des animaux.
Les jumeaux soudés par le crâne n’aimaient pas entendre non-plus le brouhaha des spectateurs qui s’installaient derrière le rideau, ni leurs cris, ni leurs rires.
Et puis arrivait l’instant de la musique de cirque, le signal de début de spectacle. Dans une demi-heure les lumières s’allumeraient, et les spectateurs envahiraient l’endroit.

Brouhaha lumières rallumées.

[Charmante interlude du Joueur de Flûte]
Nous nous réuniront entre personnes inquiétantes, entre très longs et très petits, très maigres et très gros, certains auront des cheveux électriques et d’autres des yeux inversés, des membres à l’envers. Nous nous réunirons entre gens de mauvaises compagnies, nous nous habillerons de noir, nous masquerons nos traits disgracieux et nos airs rêveurs sous des cagoules noires également, et puis nous entrerons chez vous, la nuit. Notre nombre vous dissuadera de toute résistance, et c’est aussi serein que des petits enfants, comme d’innocents agneaux emmenés à l’abattoir, ou encore comme un délicat bébé plongé dans l’eau du baptême divin, que vous vous confierez à nos soins. Nous vous étendrons délicatement au sol, nous vous entraverons avec beaucoup de tendresse, puis nous installerons nos petits outils brillant, bien aiguisés. Ensuite nous vous ouvrirons le ventre et pataugerons nos mains dedans, nous rirons et danseront bruyamment en soulevant vos organes palpitants pendant que vous supplierez, crierez et agoniserez, nous nous barbouillerons les visages de vos rouges et danserons comme des indiens.
Ensuite, nous sortirons vos bébés et vos petits enfants, nous les déposerons dans des landaus devant les portes des appartements. Les couloirs seront calmes et déserts au petit matin. C’est le chien joueur de flûte qui est passé les prendre ! Il marche sur deux pattes, il est coiffé d’un chapeau rigolo ! Le silence s’abattra sur la ville. Seulement le bruit des machines à laver qui tournent, et le son de vos têtes coupées qui rebondissent dedans.
Et puis, encore, nous creuserons la terre pour déterrer vos corps. Et nous les violerons. Nous ferons de la magie noire, de la magie vaudoue. Nous découperons vos tétons et placerons une minuscule poupée dedans. Nous recoudrons avec des lacets en cuir. Vos corps sans têtes renfermeront vos âmes, captives. Vous vous remettrez à marcher en oubliant cette nuit. Le bruit inondera de nouveau les villes vidées de ses enfants, vous errerez en fantômes, prisonniers de vos tâches passées, et puis vous ne vous souviendrez de rien. Pour vous, cette nuit n’aura jamais existé.
[Fin de la charmante interlude]
Silence, lumières éteintes

– L’histoire du dresseur de monstre –
Ma vie dans une cage bien que je ne sois pas un monstre ?
Ma vie dans une cage, en compagnie de mes chiens, et de mes monstres.
Armé de mon bâton, ma cage demeure recouverte d’un lourd drap rouge.
Silencieux et cachés nous attendons.
Sur mon costume sont collés de minuscules miroirs qui réfléchiront, plus tard, la lumière de l’unique projecteur en des centaines de faisceaux, pour que dans mon costume, entouré de mes chiens et de mon monstre, nous ressemblions à des pierres précieuses ! Vous vous installez toujours en pensant être seuls, mais j’écoute vos bruits, votre molle excitation, les frôlements de vos vêtements, vos bavardages vos interrogations, votre contentement de vous retrouver durement assis sur des bancs de bois rugueux, dans la froide atmosphère humide du chapiteau.
Autrefois, j’avais un monstre aux ailes de cuir noires, et elle volait.
Mr Loyal a vendu tous ses billets, je l’imagine compter les rangs, ou la monnaie, je l’imagine regarder sa pièce d’argent montée sur une chaîne. Je l’imagine compter.
Dans les ténèbres du tissu, mon monstre hennit doucement.

Le nain tire sur la corde pour envoler le rideau !
Regardez mes chiens, ils marchent sur deux pattes ! Ils sont coiffés de chapeaux rigolos !
Regardez mon monstre courir et tourner, regardez mon monstre, et ses grands yeux bleus !
Regardez mes chiens, ils marchent sur deux pattes, jouent du minuscule tambourin, ils sont coiffés de chapeaux rigolos !
Hébété je vois mon monstre trébucher, puis tomber.
Avant, j’avais un monstre ailé qui volait et me griffait.
Avant j’ai aussi eu un monstre qui brillait, et un autre monstre qui dormait.
Mes chiens marchent sur deux pattes, leurs gueules toujours entrebâillées comme s’ils souriaient ?
Mon monstre est tombée et ne se relèvera plus jamais.
La bonne société s’est levée, énervée, la belle société pense ne pas en avoir eu pour son argent, les spectateurs sont des acteurs qui récitent des phrases apprises par cœur.
Tous parlent des spectacles qui les attendent, le garçon crocodile, les jumeaux par le crâne soudés, ou des manèges, qui les propulseront vers de fausses étoiles en papier mâché puis recrachées.
La lourde tenture recouvre de nouveau la cage, mon monstre a cessé de respirer.
Dans ma roulotte plus tard, je me demanderai pourquoi mon monstre d’avant me griffait ? Et même si je le souhaite, je n’aurais pas le cœur à ouvrir mes plaies pour voir ce qui s’y cache. Et puis le sang séché qui a coulé sur moi en grande quantité me rassurera.
Je n’ai plus de monstre à faire courir ou voler, j’ai brûlé sa cage de bois durant la nuit.
A la lumière du bûcher, mes chiens marchent sur deux pattes, mes chiens jouent du tambourin, ils sont coiffés de chapeaux rigolos. Leurs gueules toujours entrebâillées, à la lumière du brasier, on dirait qu’ils souriaient.

Brouhaha, lumières rallumées.
[Charmante conclusion du Joueur de Flûte]
Laissez venir à moi les femmes pas très belles, laissez venir à moi les femmes pas très intelligentes, laissez venir à moi les femmes pas très artistes, laissez venir à moi les femmes vulgaires, laissez venir à moi les femmes que vous ne respectez pas, celles qui ne comptent pas, laissez venir à moi les femmes que vous ne comprenez pas, laissez venir à moi les connasses, les salopes, celles dont on rit celles qui n’ont pas d’amis, les anges les archanges et les sacs à foutre, laissez venir à moi les femmes sans culture, sans avenir, laissez venir à moi les boulimiques et les anorexiques, les junkies, laissez venir à moi les folles bonnes à enfermer, laissez venir à moi les suicides girls, laissez venir à moi celles qui brillent à vous en faire mal aux yeux, laissez venir à moi celles qui sentent mauvais, laissez venir à moi les infréquentables, les imprésentables, les imbaisables…
Je vais jouer de la musique en tapant sur les touches de mon clavier relié à rien, je vais jouer ma musique et elles se jetteront toutes, calmement, par-delà la falaise, et ce sera bien. Ensuite je reviendrai vous voir, mais vous ne me paierez pas ce qui était convenu, vous me rirez au nez, et vous enverrez même quelques hommes me botter le train, et je ne vous en voudrai pas, non, cela ne sera pas grave car…
Lorsque vous rentrerez chez vous alors, vous réaliserez. Vous comprendrez, oui vous vous rendrez compte de ce que j’ai fait…
Vous comprendrez que je vous ai enlevé la seule beauté que comptaient vos vies.

Vous courrez partout afin de les chercher, trop tard.

Nous… tous…aurons sauté par-delà la falaise, par-delà les nuages…
Et où nous serons, sans vous, nous serons bien.

Je suis le chien joueur de flûte.

Je marche sur deux pattes, je suis coiffé d’un chapeau rigolo.

Je ne suis pas venu vous offrir le salut.

Ni aucune rédemption.

[Fin de la charmante conclusion]

Brouhaha, les spectateurs indifférents se lèvent et partent.

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