Tenebris (cycle) : Empire

6 mins

– Te souviens-tu de nous ?
– Pourquoi m’as-tu faite venir, les traités sont à signer avec le roi vaincu.
– Pas de traité, je réfléchis à la mise à mort de ton époux. Son exécution sera à la hauteur de sa valeur, et à mes yeux, il n’en possède aucune. Ce n’est qu’un porc ! Même moins, je fais honte aux porcs en disant cela, la nature n’utilise pas le vice. Pour réparer l’affront fait envers le porc intelligent, généreux et nourricier, il me faudra garder à l’esprit de sacrifier une chèvre très tôt demain, en son honneur.
– Ta voix tremblante de colère annonce des intentions pleines de rage, à l’heure où la sérénité du vainqueur devrait être tienne, et placer dans ta bouche des paroles magnanimes. Ta victoire est une défaite, et tu ne le sais qu’aujourd’hui. Mais quelle puissante malédiction guida ton existence ! Si cruelle qu’avec le temps, elle en inspirera à tous le rire !    
– Nous écouterons avec attention le rire que j’inspirerai à ton mari lorsque je l’ouvrirai en deux sur la place publique. Ma victoire est totale, sauf pour les aveugles et les fous. Maintenant arrête de me tourner le dos, et réponds à ma question : te souviens-tu de nous ?
– Je ne suis pas aveugle, par cette fenêtre je regarde la ville. Et je ne suis pas folle, j’essaye d’imprégner mon esprit de tes sages paroles, afin de faire correspondre cette réalité à tes mots. Personne ne me semble d’humeur à célébrer ta victoire. Je ne vois qu’une cité désolée, et des rues désertées. Nos campagnes brûlent encore au loin, leurs fumées alimentent la grisaille. J’essaye de comprendre cette victoire, je l’essaye de toutes mes forces, mais peu importe. Que le monde soit ou pas d’accord avec toi, cela ne fait aucune différence, puisque tu es cette victoire, dont la main porte un glaive qui brisa tous les autres. Voudrais-tu que j’offre une danse à l’honneur de ce grand jour ?
– Arrête, s’il te plaît.
– Vois comme je danse pour toi, Ô Roi, apprécie ma joie alors que je fête ta célébration !
– ARRÊTE !
– Brandir une arme, tu ne sais faire que ça, même face à l’épouse d’un ennemi vaincu ? Qu’as-tu fait ?
– Te souviens-tu de nous, autrefois ?
– Qu’as-tu fait, dis-le-moi, hormis avoir condamné ton peuple à la ruine. Imbécile …
– Mesure tes paroles ou ton sang maculera mon épée si par ton venin tu la chasses encore de son fourreau ! J’ai libéré nos terres, accaparées par le calcul et la ruse d’un lâche, un étranger. J’ai ramené l’honneur en ce lieu, effacé l’infamie, et cette honte, considérée par tous comme égal au nom du Royaume. Par mes actes, notre pays retrouvera sa grandeur d’origine, sa lumière. J’ai jeté à terre une gouvernance corrompue. Le temps éclatant figé le jour où il prit le pouvoir, s’apprête en cet instant à reprendre sa marche.  
– … imbécile. Tu as réalisé ce que d’autres, plus intelligents, attendaient de toi. Et ils n’ont que faire de l’honneur imaginaire de ce Royaume. Car ceux qui te guidèrent veulent plus de pouvoir, et cela passera par notre asservissement.
– Tu racontes n’importe quoi. Je ne dois cette victoire qu’à une seule puissance, la valeur de mon armée, le courage des hommes qui la composent.   
– Étrangement, je suis heureuse d’arriver enfin à ce moment. Aussi funeste soit-il, ce jour me semble moins terrible que l’interminable attente. Je sus tout, dès l’instant où j’entendis prononcer ton nom. Des rumeurs parlaient d’un petit commandant à la tête de déserteurs ayant établi ses quartiers dans le sud du pays. Point d’armée ennemie, mais une simple bande de voleurs, d’assassins, de violeurs, dont la plupart n’étaient pas même originaires du pays.
– Des assassins et des déserteurs, tes imposteurs d’amis nous voyaient donc ainsi.  
– Ton nom résonna à mes oreilles en un présage sinistre. J’essayai de convaincre mon époux de prendre ta menace au sérieux. Nous rapatriâmes des troupes, laissant le plus petit nombre garder nos frontières. Pendant que les sages se trouvaient encore persuadés que l’hiver se chargerait de disperser vos forces sur les routes, j’entretins mes réseaux, assurant notre dévotion envers l’Empire. Un peu avant que ton armée ne prenne la route, aux sourires affectés et au silence de l’Empire face à mes demandes de garnisons, je compris. Alors que le conseil commençait à questionner nos généraux ce qu’il convenait de faire, je savais que ton retour n’était plus qu’une question de temps.
– Tu fus toujours quelqu’un d’une grande valeur, je n’en ai jamais douté. Je veux te soulager de ce poids, car même alarmés aux premières heures, jamais ton roi parvenu et sa cour de politiciens rampants n’auraient réussi à nous barrer la route.   
– Oui, comme la mort se rappelant toujours et emmenant son lot de peines et de souffrances, je sus que tu aurais le dernier mot.
– Arrête de t’acharner à me présenter en monstre, arrête de faire semblant, d’avoir oublié ce qu’il se passa entre ces murs il y a longtemps. A cette époque… te souviens-tu de cette époque, te souviens-tu de nous ? Je suis le libérateur.
– Les cris lointains arrivèrent d’abord par messagers, puis par les réfugiés, que ta terreur chassait de leurs terres afin de les précipiter sur les routes vers notre capitale. Un libérateur dis-tu ? Qu’il est facile de lever une foule de lâches, de les armer, puis de les envoyer tels des chiens à l’encontre des paysans, de leurs femmes et de leurs enfants.
– Tu refuses de l’admettre, même en cette heure où ton roi est défait, tu préfères encore faire semblant. Mais je comprends ton attitude, cet aveuglement désespéré dans la peur, non que je te juge, mais d’avoir à rendre compte à ta propre conscience. Je fus heureux d’apprendre tes noces, non-contraintes, même si cela m’étonna. Après tout, tu étais comme moi, tu étais d’ici, plus légitime sur ce trône, et je te l’ai dit, je t’ai toujours considéré comme une femme de grande valeur. D’ailleurs ce trône que tu partageais en est la preuve, car au vu de ton rang, jamais tu n’aurais pu y accéder sans l’arrivée de cet imposteur. C’est la question que je me posai toutes ces années, car tu ne m’avais pas laissé ce souvenir, alors je me demandai sans cesse, si tu te souvenais encore de nous ? De qui nous étions ? Mais j’étais dans une erreur laissée par ton souvenir, je le comprends aujourd’hui. Car nous étions jeunes, alors peut-être pas assez accomplis pour laisser voir ce que nous sommes devenus ? Alors c’est donc celle-là que tu es ? Une femme dont l’existence fut seulement motivée par la quête de pouvoir, prête à accepter toutes les compromissions ? Ta valeur et ta volonté, aussi grandes soient-elles, n’y changèrent rien. Je suis revenu avec mon armée.
– Une armée ? C’est ainsi que tu nommes cette troupe d’animaux disparates, ne faisant aucun prisonnier, laissant même derrière-eux leurs blessés et leurs morts ?
– Ne t’avises pas à insulter mes compagnons. Les généraux que tu voies ici faisaient autrefois partis de l’armée du Royaume, et contrairement à toi, tous préférèrent la vie difficile de l’exil à la luxure et le déshonneur.
– « Armée du royaume », « déshonneur », voilà que sortent de ta bouche de biens étranges mots. Ce que l’on me raconta et ce que je vis à ce propos, c’est une marée de bêtes, déferlante sur le pays, un monstre affamé dévorant nos campagnes, tuant le bétail sur pieds, massacrant les hommes, violant les filles et les femmes, se passant au sein de sa horde les corps d’enfants suppliciés pour ne laisser dans son sillage que MORT ET DÉSOLATION ! Même la terre ressemblait à un cadavre après le passage de vos bottes !
– Tu as vu la guerre, rien d’autre. La liberté volée renaît toujours dans la violence, il s’agit d’une mécanique.
– Aucune liberté ne naîtra de tes actes, ne comprends-tu pas ? Tu n’as réussi que ce que d’autres t’autorisèrent à faire. Penses-tu vraiment que tes trente mille hommes impressionnent l’Empire ? Qu’il s’agit de la cause de son silence dans ce conflit ? L’Empire ne fut qu’un parent souriant, se bornant à contempler son enfant, toi, détruire avec colère un château de sable ! Mais l’Empire ne tardera pas à venir, alors profite bien de ton trône, illusionne-toi avec force sur l’ancien temps, la lumière passée et toutes tes sottises ! Oui l’Empire viendra très vite, et il te frappera avec force. Il dispersera ta horde comme un chien pouilleux que l’on chasse d’un coup de botte ! Tes survivants se terreront dans les forêts, les montagnes, et toi comme tes généraux seront crucifiés sur la route menant à Rome ! L’Empire te traitera avec plus de cruauté que tu n’en inventeras jamais à l’encontre de mon roi. L’Empire fera de toi un exemple, non par justice, mais pour faire croire au monde qu’il ne fut point le complice de tes exactions ! Et que restera t-il alors, te poses-tu seulement la question ? Après ta défaite annoncée, l’Empire régnera sur notre peuple, ordonnera ses lois comme nôtres, le réduira à un esclavage, l’Empire appelé et acclamé par une population cauchemardant à l’idée de ton règne. Au final, les enfants de nos enfants, une fois devenus Hommes, ne se souviendront plus de nos Royaumes. Rien n’existera plus ici, hormis l’Empire de Rome.

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