« La Terre sera affamée tant que je n’aurai pas retrouvé ma fille »
Quelque part dans la banlieue de Minsc, début des années 2000.
– Elle n’est pas… Elle fait le mal et moi aussi, mais… Dans mon cas tu vois, c’est un peu différent.
— Elle est bonne ?
— Belle tu veux dire ? Oh oui, elle est très belle. Surtout quand elle ne le veut pas.
— Bah…
— Quoi ?
— J’en connais une autre comme ça.
— Comme ça ? Comme quoi ? Comme Lauriana ?
— Ouais, la femme de mon cousin : c’est une peste.
— Lauriana n’est pas une peste. Elle “est” la peste !
— Le remède est simple, quand elle exagère, tu lui mets une bonne paire de baffes. Y a rien concernant les femmes qu’une baffe ne puisse régler.
— Une baffe ? Ça parait simple oui… Je n’y avais jamais pensé. Vraiment, je te remercie.
— Pas de quoi.
— Un jour, je lui ai mis des coups de marteau, c’était à Détroit. Mais ensuite les choses ont dégénéré. Remarque, c’est logique, puisqu’il ne s’agissait pas de baffes. Pour se venger, elle a attiré un homme dans la maison où je l’avais enfermé. Elle l’a fait monter dans sa chambre, puis elle l’a éventré, et je l’ai regardé crever. La dernière chose qu’il m’a demandé fut de voir la photo de sa petite fille, qu’il gardait dans son porte-feuille. Elle fait ce genre de chose, la femme de ton cousin ?
— Je ne crois pas, non. Mais on ne va pas commencer un concours de qui fait quoi. J’en ai connu des cinglées, et ce que je te dis : la femme de mon cousin n’a aucune limite dans la vacherie, elle les fait toutes. Ouais, elle est vraiment la pire des garces.
— Alors… Que Dieu prenne en pitié ton cousin.
— Amen.
✝ ✝
Quelque part dans une voiture en Europe, couple en fuite, 1998
– Jouons à « ce que je n’aime point ».
– Non.
– Alors jouons à « ce que je n’apprécie guère », je commence : Je n’apprécie guère le XII e siècle dans son ensemble. Une époque pénible, au plus haut point.
— Je n’apprécie guère tes jeux idiots.
– Je n’apprécie guère les chiens, ces créatures infernales. Ni les autres animaux.
– Je n’apprécie guère le Canada, Sarnia en particulier, et ses hôtels envahis par tes zombis.
– Je n’apprécie guère lorsque tu es gronchon.
– Je n’apprécie guère la ville de Waco. Ni David Koresh, guerre à son âme. Et le mot que tu voulais employer est « ronchon », gronchon ne veut rien dire.
– Je n’apprécie guère lorsque tu me reprends sur un mot idiot. Les vrais mots, je les connais tous, et dans toutes les langues.
– Si tu le dis.
– Jouons à un autre jeu, celui-ci te rend trop négatif. Jouons à « ce que j’apprécie énormément » : J’apprécie énormément le XIX e siècle, la meilleure époque parmi toutes.
– J’apprécie quand je te sens proche de moi, mais ça n’arrive plus.
– J’apprécie énormément que tu sois mortel, et moi non. Ainsi un jour, je me verrai naturellement débarrassée de ta pestilence.
✝ ✝
Ciampino, Italie, 1992
Lauriana sortit précipitamment quelque chose de sa pochette qu’elle jeta sur la table. Un bout de soleil se mit à briller sur la nappe de tissu blanc.
Le servant s’en saisit et l’examina.
— CHRS REGN VINC IMP ? Ça veut dire quoi ?
— « Le Christ règne, vainc et commande ! » Il s’agit d’un Louis d’or. Cela vaut cher, et des pièces comme celle-ci, j’en possède plein ! Un fabuleux trésor caché il y a des siècles, dans un endroit du monde inaccessible aux hommes, aux dieux, et au temps !
— Un fabuleux trésor, hein…
— Oui ! Des centaines de pièces comme celle-ci, des milliers peut-être ! Autrefois nue, j’aimais me rouler dedans en riant !
— Les petites filles adorent les « fabuleux trésors »… Cette pièce est pour moi, tu me la donnes ? Lauriana, c’est mon cadeau ?
— Oui, comme tout mon fabuleux trésor, je t’offre tout ! Ainsi aidé par cette fortune, tu me soustrairas facilement à l’Ordre !
Le servant réfléchit, puis tendit son bras par-dessus la table, sa paume contre la joue de Lauriana qui y reposa le plein poids de sa tête, souriante. Saisissant la pièce entre deux doigts, il se perdit dans sa contemplation.
— A mes yeux, cette pièce est la plus précieuse de toutes. Elle possède seule plus de valeur que tous les trésors du Monde. Parce qu’elle est ton tout premier cadeau, pour moi. Alors comment pourrais-je la reconnaître, le jour où elle sera noyée au milieu d’un millier d’autres sœurs ?
D’un geste rapide, Lauriana reprit la pièce et mordit dedans. Sous l’effort, une grosse ride verticale barra son front. Ses yeux se mirent à briller d’une expression intense et animale. Lauriana mordait dans l’or de toutes ses forces. Sa canine se déchaussa, un épais filet de sang dégoulina de sa gencive, suivit la courbe de son menton, pour finalement goutter sur la table et s’étendre en corolle, dans l’épaisse serviette blanche proprement pliée à côté de son assiette.
Gêné, le servant jeta un regard anxieux à la salle du restaurant. Quand Lauriana reposa la pièce sanglante sur la table, deux balafres en forme de croix défiguraient son côté face.
– Mon premier cadeau pour toi est désormais unique, et tu reconnaîtras cette pièce parmi toutes. Tu la reconnaîtras parmi tous les trésors du monde !
✝ ✝
Paris, aujourd’hui
– La sagesse, et l’âge. A mes yeux il n’existe aucun concept plus contradictoires. Vous est-il déjà arrivé de croiser un vieux sage ? Arrivés à un certain stade, les vieux ne sont plus bons à rien, sauf à se chier dessus. Ils gazouillent comme des nouveaux nés. Alors concernant les immortels… Imaginez un peu ! J’ai passé ma vie à en servir une. Cela ferait de moi un… Une sorte de spécialiste de la question, j’imagine, raison pour laquelle je suis ici – excusez-moi pourrais-je avoir deux aspirines, plus un verre d’eau ? Quelque chose, n’importe quoi capable de calmer cette douleur. Mes maux de têtes, ils sont… est-ce que ces maux de têtes sont là parce qu’elle n’est plus là ? Si c’est le cas, je n’arriverais jamais à vivre comme ça. Lauriana, elle… Souvent, elle se comportait en adolescente stupide. Une adolescente comme celles que comptent les hautes familles. Les adolescentes qui s’ennuient. Votre science a inventé une maladie pour nous parler de celles-là. Les… Les quoi, déjà ? Allô docteur, vous êtes là ?
– Je suis là, 305.
– A chaque fois que vous me convoquez, à chaque fois que je m’assoie sur cette chaise inconfortable face à vous qui vous tenez dans l’obscurité, à chaque fois que vous me soumettez aux questions tordues de votre test, à chaque fois, j’ai envie de bondir pour vous rejoindre et vous arracher la tête. Vous savez que j’en serais capable, vous en avez conscience : si vraiment je me laissais aller, cette vitre blindée ne vous sauverait pas. Mais étrangement, et sans que j’en comprenne le pourquoi, lorsque vous ne me répondez pas, quand vous gardez le silence, j’ai peur que vous ne soyez plus là. Néanmoins, cette peur est incomparable à celles que je ressentais en permanence, lorsque je vivais à ses côtés… Une peur tout de même. La peur toujours, on en sort pas.
– Je suis là, 305. Uniquement pour vous. Même lorsque je ne parle pas, je suis là.
– Oui.
– Je vais vous faire apporter des aspirines. Et non, vos maux de tête ne sont pas dus à son absence. Ni au test de Voight-Kampff.
– Oui. Oui, oui, je vous crois.
– Vos maux sont seulement les symptômes d’un profond abattement.
– Pourriez-vous m’appeler autrement que 305 ? Surtout si vous ne croyez pas en mon histoire. Et puis, je possède un prénom.
– Mickaël ?
– Le prénom que mes parents m’ont donné, mon vrai prénom. Après tout, même ce monstre déguisé en femme avait droit à son prénom.
– Théo ? Vous préférez que je vous appelle Théo, 305 ?
– Oui.
-…
-…
-…
-…
-…
-…
– 305 ? Vous ne dites plus rien, souhaitez-vous que l’on arrête cet entretien ?
– J’attends.
– Quoi ?
– Votre réponse.
– La réponse à quelle question ?
– Vous savez.
– Bipolaire.
– Oui. Il s’agit bien du nom de la maladie que votre science a inventé pour qualifier les gens comme Lauriana.
– Mais elle ne l’était pas. Du moins, elle n’était pas que ça.
– A elle seule, Lauriana était une immortelle doublée d’une vraie salope égoïste, plus les sept cavaliers de l’apocalypse, alors oui en effet, je crois que Lauriana était un peu plus qu’une névrosée influençable. J’ai détesté Bram Stoker, vous le saviez ? Je vous en ai déjà parlé, je crois. Je l’ai détesté avec force. Comme n’importe quel homme déteste les anciens amants de sa femme.
– C’est la première fois que vous parlez d’elle comme d’une femme. Et comme de « votre femme ».
– S’il vous plaît, éloignons-nous des baratins psychologiques. Nous valons tous mieux que ça.
– Tous ?
– Oui : vous et elle, plus moi. Oh mon dieu, vous seriez l’image symbolique du père, et elle…
– Arrêtez de nous faire perdre notre temps, 305. Surtout si vous tenez à vos aspirines.
– J’ai toujours préféré la poésie religieuse à la simplification psychologique. Que vous le vouliez ou non, nous formons une Trinité tous trois, qui commença deux siècles avant la naissance du Christ. Mais une Trinité de quelle nature ? Là réside la question qui devrait vous intéresser…
– Je ne l’ai jamais connu, alors je ne vois pas en quoi …
– Et vous doutez encore de la nature “extraordinaire” de son existence. Pourtant, vous souhaitez que je vous parle d’elle. Il n’est question que d’elle. Vous pourriez me faire parler d’elle jusqu’à la fin des temps.
– Et vous en doutez encore, mais je ne m’intéresse qu’à vous. Je suis là pour vous comprendre, vous aider. Je suis la seule personne qui ne s’intéressa jamais à vous.
– Dans notre Trinité, elle est le Père, je suis le Fils, et vous,vous êtes son esprit saint. Vous en êtes encore inconscient, mais c’est elle que vous essayez de toucher, à travers moi. J’ai souvent assisté à ça. Pauvre fou, vous désirez qu’elle vous voie ! Mais mon dieu, peu importe ce que je peux vous dire, hein, elle vous fascine comme tous les autres, et vous ne m’entendez pas !
– Calmez-vous 305 et rasseyez-vous.J’essaie de vous aider. Il s’agit là de mon seul but.
– Non, si vous compreniez, si vous compreniez vraiment ce qu’elle est, vous n’essaieriez pas ! Parce qu’elle est au-delà du mal le plus absolu, elle est au-delà de la mort, ELLE EST LA DAMNATION ÉTERNELLE, CES CHOSES EXISTENT !
– Pensez-vous que Lauriana est toujours présente, quelque part ?
– Quoi ?
– 305 ?
-…
– 305, pensez-vous que Lauriana est toujours présente, quelque part ? C’est une question importante. Si vous y répondez sincèrement, je consentirais à vous faire emmener vos aspirines.
– Non. Je l’ai vu étendue morte dans cette cuisine, et je le sais. Je peux le sentir à travers tous les atomes qui me composent. Lauriana m’a laissé seul. Elle n’existe plus.
– Lauriana est morte.
– Mais… Si c’est le cas, alors pourquoi…
– Oui ?
– Si elle est morte, est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi je me sens si mal ?
– Parce que vous…
– Ne prétendez pas que je suis fou, ou je vous jure que je vous tue maintenant.
– Parce que vous…
– Ne prétendez pas non plus que je l’aimais.
– Ce n’était pas le cas ?
✝ ✝
Deux décades plus tôt dans le centre-ville d’une maison en ruine de Détroit, le servant tourne en rond dans le salon, les deux mains sur la tête, avec une physionomie qu’il aurait trouvée ridiculement comique s’il avait pu se voir. Le jeune homme tourne en rond, puis se fait vomir dans un coin. Deux doigts au fond de la gorge les larmes aux yeux, il regarde les flots acides d’alcool éclabousser le plancher encombré de débris vermoulus. Il s’agit d’une bonne chose de faite, qu’il n’aurait pas à subir plus tard, malgré lui, lorsqu’il montera à l’étage. Peu importe ce qui l’attendait, il vomirait ce soir, cela ne faisait aucun doute. Car jamais avant cette nuit, il aurait imaginé possible de faire crier ainsi de douleur un être humain. Les cris avaient laissé place aux gémissements. Après avoir vomi de la bile, il s’essuya la bouche d’un revers, et se dirigea dans le couloir. Il posa sa main sur la rambarde pour se préparer à gravir l’escalier, quand les hurlements reprirent, avec plus de force.
” Quel que soit ce qui m’attend là-haut, je m’en sors bien », c’est la réflexion qu’il se fit.
“Je lui ai crié dessus après tout, et je lui ai mis des coups de marteau, alors bon… Si toute cette histoire se limite en un meurtre plus quelques vomissements, oui, on pourra dire que je m’en sors bien…”
✝ ✝
– Le Dracula de Bram Stoker ne s’en sort pas si mal. Je me suis souvent moqué de lui, et donc d’elle, une fois compris ce que cet homme ridicule racontait. Après tout, Dracula est l’histoire d’un vieillard riche et décadent incapable de ressentir, et qui ne poursuit qu’un seul but avec obstination : baiser le corps d’une jeune gourde de bonne famille. Cette analyse mettait Lauriana en rage. Enfin… Une rage contenue en des proportions humaines, une rage très… Féminine, dirons-nous. Lauriana pensait que Dracula avait été écrit en son honneur, alors qu’en réalité, ce livre ne raconte que les petits fantasmes de son auteur. Après Sarnia, je l’ai relu avec attention, plusieurs fois. Ce roman était devenu une obsession passagère, que j’assouvissais en cachette d’elle. Après ma colère et ma jalousie contre son auteur – après tout, Lauriana n’avait montré que ses bons côtés à Stoker, quant moi, elle ne m’utilisait que pour éponger sa merde deux siècles plus tard – Et puis j’ai compris. Cette histoire était à l’image de leur relation, qui ne représentait rien. Rien de plus qu’une aventure autistique entre un homme et son livre. Ou entre Lauriana et un auteur. Stoker racontait ses fantasmes de vieille personne nantie, Lauriana le laissait accéder aux parties les plus factices de son âme, mais moi, moi… Je me trouvais dans la pleine et ténébreuse vérité de Lauriana. Stoker avait connu Lauriana tout comme moi, aussi j’avais espéré qu’il me comprenne à rebours du temps, et surtout, qu’il me montre la logique des sentiments que je ressentais envers elle. J’étais peut-être Mina dans l’histoire ? Mais non. Rien. Dracula n’est qu’un vieux libidineux plein aux as, et qui s’ennuie terriblement. Stoker ce vieux, j’en riais ouvertement, je la moquais. Lauriana en réponse, forte du pouvoir de détruire l’humanité entière, se contentait de me crier dessus. Elle m’envoyait des assiettes à la gueule, ce genre. Ce fut une époque très drôle, enfin… Drôle pour nous deux. A notre mesure, s’entend.
– Lauriana était drôle ?
– Oh oui, beaucoup. Souvent malgré elle, et à ses dépens. Mais le rire n’est pas exactement l’image que je garderais de notre quotidien. Avant que vous ne posiez la question, en dehors des meurtres et autres destructions, en dehors des… Vous savez quoi…
– Non.
– En dehors de sa propension à se transformer en horreur coiffée de cornes et montée sur sabots, en dehors des morts-vivants, des massacres de masse, Lauriana était simplement une fille triste. Nostalgique. Pleine de douleurs, inconsolable. Sa tristesse et sa douleur, fabriquaient notre quotidien. Par période, elle se transformait en créature sexuelle quand en réalité, Lauriana fut l’être le moins sexuel que ce monde ne connu jamais. Elle détestait le sexe, comme la chair, ou le vivant. Elle pouvait se montrer fragile parfois, elle pouvait aussi rire oui, très rarement. Elle pouvait pleurer, feindre l’attachement… Lauriana pouvait faire semblant d’un tas de choses, tout en y croyant vraiment. Au point que je suis incapable de vous dire aujourd’hui qui était Lauriana, en dehors… Des cornes, des sabots, des massacres de masse et des morts-vivants.
– D’où votre remarque à propos de sa supposée bipolarité ?
– Non. D’où ma remarque sur le fait que Dracula, même s’il n’est qu’un pathétique renifleur de chatte, s’en sort plutôt bien. La vieillesse n’apporte aucune sagesse. Et l’immortalité fabrique des monstres. Puis-je à mon tour vous poser une question, à propos d’elle ?
– Oui.
– Si Lauriana a existé, pensez-vous qu’une mystérieuse société humaine, même très puissante, aurait pu l’empêcher de détruire notre Monde ? Pensez-vous que des servants auraient pu la contraindre en quoi que ce soit ? Ce Mikaël, Satoshi, ou même moi ?
– Où voulez-vous en venir ?
– Je ne sais pas.
– Vous pensez que Lauriana n’avait pas le pouvoir de détruire le Monde, comme l’Ordre le prétend ? Vous pensez qu’il s’agit d’une fabrication, qu’elle n’était qu’une femme ordinaire ?
– C’est ce qu’il vous plaît de penser, mais non. Je sous-entendais une seconde hypothèse.
– Laquelle ?
– Lauriana n’a jamais détruit ce Monde parce qu’elle ne le souhaitait pas. Elle voulait en faire partie. C’est l’unique chose qu’elle désirait.
– Ne s’agissait-il pas de votre désir, avant le sien ?
– Lauriana était incapable de rêver, ni même de faire semblant. Rêver à sa place, il s’agissait de ma fonction à ses côtés. Je rêvais… Je rêvais pour elle d’un morceau de Sicile qui ressemblerait à celle qu’elle connut, à son époque mortelle. Un morceau de Sicile qui serait à nous. Je rêvais d’une vieille masure, et d’un vent brûlant soufflant sa brulance entre les vieilles pierres. Je rêvais d’un terrain nu et rocailleux, et puis d’un olivier au travers duquel nous aurions pu admirer le couchant. Nous avons eu toutes ces choses. Et ce court instant fut le seul de bonheur intense qu’elle connut durant son interminable existence. Les oiseaux ne s’écrasaient plus à son passage. Les enfants ne pleuraient plus. Les anormaux restaient immobiles, leur long filet de bave aux… Les hommes se retournaient à son passage, la bave aux lèvres. Les chiens ne voulaient plus se jeter sur elle pour la dévorer. Elle était libre, libre d’être qui elle aurait dû être. Cette jeune-femme tuée puis ramenée à la vie, fut dans ce coin du monde, pendant une infime période, une jeune-femme joyeuse. Je lui avais même offert un chien, en Sicile. Lorsque nous nous sommes rencontrés, elle m’avait offert un Louis d’or, son premier et unique cadeau. Un Louis d’or marqué d’une croix. Je lui offris l’acceptation du Monde, ce fut cela mon cadeau. Mon cadeau sous la forme d’un chien qui lui léchait la main.
– Vous parlez d’elle comme un homme amoureux. Mais s’il s’agissait de son rêve…
– Elle serait toujours vivante, là-bas, n’est-ce pas ? Et aujourd’hui nous regarderions ensemble le soleil se coucher entre les branches de l’olivier ? Il s’agissait bien de son rêve, oui. Vous ne savez pas.
– Expliquez-moi.
– En Sicile, si je suis bien tombé amoureux, ce fut d’une autre femme. Le cauchemar recommença dès que je les ai présentés.
– Lauriana a tué cette femme ?
– Non, c’est moi qui l’ai tué. Et Lauriana ne me l’a jamais pardonné. J’avais changé Lauriana à force de rêver pour elle, sans prévoir qu’elle, elle me changerait autant. De nous deux, j’étais devenu le monstre.
J’aime beaucoup !