I – Le dernier avertissement.
– Ma vie entière, j’ai côtoyé la mort par jeu, mais aujourd’hui, c’est différent. Je la sens perchée sur mon épaule, son œil ne me quitte plus, son œil unique, qui ne dort jamais. Elle me regarde de profil, comme un oiseau.
– Tu en as peur ?
– Non. Elle ne me fit jamais peur, simplement tout est différent. Je n’éprouve plus aucun intérêt dans le jeu. Les choses sont là, le monde est posé, je m’y sens étranger, je ne sais plus.
– Alors, es-tu prêt ?
– A mourir ?
– A accomplir ce que tu dois réaliser.
– Reste t-il quelque chose d’important à réaliser alors qu’on va mourir ?
– Je ne sais pas, à toi de le découvrir, ce n’est pas ma vie.
– Mais ça pourrait être ma fin.
– J’adore écouter de la musique.
– Quoi ?
– L’important dans ma vie, j’adore écouter de la musique. Et toi, quel fut l’important tout au long de ta vie ?
– Tuer. Mais toi …
– Oui ?
– Es-tu un homme, ou une femme ?
– A ton avis ?
– Tu es un ange, car les anges n’ont pas de sexe, dit-on.
– Non, je suis masculin. Et je ne suis pas ange, seulement un messager.
– Je te trouve très beau. C’est un compliment rare de ma part, habituellement je vois les hommes répugnants. Je pense même que tu es la plus belle chose que je n’ai jamais vu.
– Alors, j’espère que tu ne rencontreras jamais de femelle de ma race. Si tu es à ce point sensible à notre présence, ton cerveau et ton cœur exploseraient dès l’instant où tes yeux se poseraient sur elle.
– J’aimerais mourir comme ça.
– Écoute, je ne peux rester longtemps.
– Pourquoi ?
– Les rayons du soleil et des étoiles qui frappent ce Monde feront apparaître des cloques noires sur mon corps, des tumeurs, ma peau noircirait, se tordrait comme une feuille consumée par la flamme.
– Entre te mettre à l’abri.
– L’air que tu respires est pour moi poison, l’eau, tout le reste …
– Je crois que tu es un ange.
– Si c’est ce que je suis, alors, les Dieux nous ont abandonné tous.
– Reste un peu avec moi, je t’en supplie …
– Je suis venu te transmettre ce message : pardonne.
– JAMAIS ! Je n’abandonnerai pas, je leur ferai payer, je les détruirai ! Je les détruirai tous, jusqu’au dernier !
– Non, tu ne m’as pas compris. Pardonne-toi.
– Mais je n’ai commis aucun acte que je pourrais me reprocher.
– Pardonne-toi de ne pouvoir vaincre la douleur et la mort, parce que personne ne le peut. Pardonne-toi de n’être qu’un homme. Pardonne-toi, de ne pouvoir nous sauver tous. Si tu ne le fais pas …
– Et alors ? Parles ! Quoi ?!
– Si tu ne te pardonnes pas, tu offriras ton âme au Chevalier Sombre, et crois-moi … Personne, dans aucun Monde, n’a envie de cela.
***
II
Le Chevalier Sombre
” On parle d’un cavalier dont le cœur se serait transformé en celui d’un démon, on dit que son regard est de glace, et lorsqu’il sourit, ses lèvres découvrent des dents à la blancheur d’une lame.
Ce cavalier dont l’armure de cuir arbore des pointes, sent l’hiver et la tombe. Il chevauche son coursier à la robe sombre, et parcourt la frontière, séparant les Mondes. Ce cavalier ne ressent jamais ni fatigue ni remords. Assoiffé par le meurtre, affamé par la destruction, il vit pour faire souffrir les délicates créatures ailées. Ma belle, ma princesse bien-aimée je t’en supplie … Ce cavalier te recherche et s’approche en ce moment même ! S’il te trouve, tu seras sa prisonnière, et il te fera un mal dont l’atrocité ne porte aucun nom ! Nous n’avons plus de temps, dis tout de suite adieu à ce Monde et suis-moi à travers la porte ! Car de l’autre côté s’étend le royaume de Faery, et tous tes sujets t’y attendent ! Tous sont pressés de te voir, et de s’agenouiller afin de louer ta vision ! Un prince magnifique est impatient d’orner ton front d’une couronne de fleurs … Là-bas je t’en fais la promesse, tu ne ressentiras ni peines, ni douleurs. A Faery, tu ne seras plus jamais seule. Car Faery est le royaume où les rêves se réalisent et durent jusqu’à la fin des temps ! Je le sens il arrive, viens avec moi ! Pour cela il te suffit de me répondre ” oui je le veux”. Suis-moi belle princesse ! Suis-moi à travers cette porte maintenant…. MAINTENANT ! ”
[…]
Le cavalier sombre à l’armure ornée de piques lui saisit un bras et la tira violemment vers lui. La jeune fille se débattit, hurla, du moins c’est ce qu’elle pensa, car dans l’autre dimension, son corps enlisé dans la boue, immobilisé par les racines pourrissantes du vieil arbre, elle restait là, étendue et amorphe. Le cavalier sombre interrompit sa besogne afin de contempler la voûte souterraine faite de couches végétales, de roches hideuses, et d’asticots. Il s’agissait de la demeure des crapauds, un temple pour insectes à carapaces, une cathédrale pour les serpents, et toutes les créatures à sang froid qu’il était possible de trouver dans cette partie du monde. Son regard se troubla, une torpeur l’emporta au-delà, alors que les dimensions se superposaient.
La jeune-fille horrifiée assistait impuissante à l’anéantissement du palais des fées à mesure que l’homme l’arrachait à la porte; l’immense tenture, les chandeliers, les lustres, les tapis au sol, tout se désagrégeait tandis que ses magnifiques sujets courraient en tous sens, terrifiés.
Dans ses cheveux ornés de pétales, sur sa robe délicate brodée de dentelle blanche, dans ses cheveux hirsutes de terre et de feuilles pourrissantes, sur ses habits en lambeaux qui découvraient sa peau maculée de crasse, il pleuvait des cendres.
« Vous détruisez ce bel endroit » gémit-elle entre les mondes.
« Cet endroit ne fut jamais beau », répondit-il toujours absent.
La fille ne pesait plus grand-chose, pourtant le chevalier avait l’impression d’avoir à soulever tout le poids du Monde.
Elle le supplia et hurla dans les deux espaces-temps à une milliseconde d’intervalle, elle lui répéta vouloir rester vivre dans le Royaume … Essoufflé par l’effort, l’agent spécial 223 grinça :
« Peu importe si je dois tuer tes rêves et plonger ton existence dans les ténèbres, peu importe que tu me maudisses, et qu’à chacune de tes nuits, la lune soit témoin de tes pleurs : je l’empêcherai. Tu resteras vivante. Même si pour toi cela ne représente que douleur, tu resteras vivante. Dans la gloire éternelle de Notre Seigneur et Sauveur. »