Stawberry fields forever

3 mins

Quand le Sandozien est entré dans ma modeste boutique, glissant et chuintant sur ses alvéoles caudales, j’avoue que j’me suis plus préoccupé du temps que je devrais passer à nettoyer la traînée de ses sécrétions de déplacements que de savoir ce que foutais chez moi cette grosse limace fluo. J’ai rien contre ces machins-là, j’suis pas raciste, mais voyez-vous, j’ai pas fait mettre de sol auto-nettoyant. Vu que je sers pas de bouffe, ça aurait servi à rien. On est juste un magasin d’occases en tous genres. Les gens z’yeutent plus ou moins longtemps, choisissent un truc, tentent de négocier ou pas ; et se cassent. Ils sont rares ceux qui salissent. Encore plus rares ceux qui râlent après la saleté du lino. Le Sandozien, il a rien fait de tout ça.

Il est allé direct vers la table des boîtes de Rita. Rita, c’est l’aïeule, elle est si vieille qu’elle peut plus faire grand-chose, sauf ses boîtes. Elle les récupère au terminal B de notre station orbitale où les gars qui travaillent dans l’anneau en orbite autour des ruines de Terra laissent tout ce qu’ils peuvent pas revendre. Dans le lot, y a tout un tas de trucs, des boîtes, des objets, des minéraux, des restes de végétaux. Bref, tout ce qui traîne dans le vide et qui n’a pas été vaporisé lors de la Catastrophe. La vieille en fait des “compositions” comme elle dit, ça l’occupe. Et de temps en temps, il se trouve quelqu’un pour en acheter une. Cela lui permet de couvrir une partie ce qu’elle me doit pour le gîte, la bouffe et l’oxygène.

Ce jour-là, le sandozien s’est dirigé droit sur le présentoir de Rita. Il a émis un hululement. Les autres clients ont tous arrêté de chiner, histoire de voir ce qui se passait. Je me suis pointé vers l’alien, en faisant bien gaffe à pas marcher dans ses putain d’sécrétions. De l’un de ces innombrables pseudopodes latéraux, il a désigné une des boîtes, la blanche et rose. Rita avait mis un temps fou à la faire, j’me souviens. Il a émis un hologramme avec son module Unicom. Le prix. Il était astronomique. Vingt-mille pesos galactiques, de quoi acheter dix boutiques comme la mienne. Sans réfléchir, j’ai validé la transaction. On sait pas, ça aurait pu être une erreur. Pensez, s’il s’était ravisé, pffuit, sous le nez qu’ils nous seraient passés les vingt-mille. Mais non, il s’est rien passé de tout ça. L’alien est parti avec sa boîte, point barre. Inutile de dire que j’ en étais sur le cul. Je l’ai été encore plus lorsque j’ai demandé à Rita ce que contenait sa fichue boîte. À vrai dire, y avait rien de différent par rapport à l’habitude : un peu d’eau parfumé, une fraise de sa serre hydropo, une poignée de sable de Terra, un bouquet d’herbes sêchées, des mini boîtes, contenant de la peluche-c’est son truc à Rita, les boîtes dans des boîtes- un tube en verre rempli de paillettes… J’ai eu beau tourner la chose dans tous les sens, y avait rien là-dedans qui valait Vingt-mille pesos. Mais bon, c’était beaucoup de thunes, j’ai lâché l’affaire. Et j’ai continué ma vie comme avant ou presque. J’ai quand même racheté la moitié de cette station pourrie avec cet oseille. C’est seulement il y a deux jours que j’ai compris.

Quand ils ont interrompu la finale de laser-dunk pour annoncer que les Sandoziens avaient enfin réussi à ressusciter leur planète stérile ravagées par leurs ancêtres, il y a des millénaires de ça. Ils l’ont retapée petit à petit en récoltant des éléments par-ci par là dans tout l’univers. Comme tout le monde, j’ai été bluffé par les images de ce pauvre caillou sans vie recouvert de végétation en quelques minutes. C’est pas pour rien que ça a fait le tour de tous les réseaux multiplanétaires. À perte de vue, on a vu pulluler en rien de temps des plantes magnifiques sur du sable fin tout doré. Certaines ressemblaient à des fraisiers géants. C’est là que ça a fait tilt dans ma tête. Le sable, les fraises…

Du coup, cher maître, vous pensez que ça pourrait nous rapporter combien si on collait un procès aux Sandoziens ? Quand on y pense vingt mille Pesos, c’est pas si énorme comme somme. Ça part vite au final. Et puis c’est pas que l’argent, y a aussi comme qui dirait un genre de préjudice moral. On a quand même aidé à sauver une planète avec Rita !Ça joue !

Loïc Buczkowicz

 

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