James Chevallier ; c’est mon petit nom. Je suis banquier, sur Paris, habitant à Saint-Germain-des-Prés.
Habituellement, lorsque je dis cela, on fait la moue devant moi : les banquiers ont la réputation d’hommes aigris, avares et toujours habillés en costars. Cependant, je ne suis pas de cela, mon grand plaisir, c’est voyager. Chaque client, dossier, ou affaire à traiter à l’étranger est un prétexte à partir.
Une fois la journée terminée, dans mon hôtel, je troque mes Richelieus bien cirées pour mes pauvres baskets trouées, mon pantalon pour un jeans, et envoie ma veste traîner sur le lit. Au revoir stress et finance, ce soir, je flâne sur la plage.
Laissant mes pensées vagabonder, je m’amuse de choses simples, rien que le nom de cette île m’égaye : la Réunion. C’est amusant d’y venir pour le travail. Ah ! si toutes les réunions pouvaient être les mêmes, être synonyme de ce doux sable noir rougissant sous le soleil se couchant sur un océan tranquille.
C’est à s’en sentir tout petit, debout là, face aux embruns, les mains dans les poches, le vent dans les cheveux, et le regard perdu à l’horizon s’étendant à l’infini devant nos yeux éblouis.
Le soleil se meurt dans la mer tropicale, arrosant la houle de ses rayons vermeils, dans le calme animé par moment par les cris de quelques mouettes se battant pour une vieille carcasse de poisson.
En fermant les yeux, le murmure du ressac emplit l’espace, régulier et tranquille, apportant avec lui les légers craquements des galets qu’il roule.
Demain, j’irai faire un tour vers les volcans, me sentir, sur le cratère du Piton des Neiges, le roi de l’île. Je découvrirai les paysages sculptés par la lave durcie, comme si la nature avait décidé de monter son exposition au grand air. Je souris. La Nature est sans doute la plus grande et la plus talentueuse des artistes.
Le vent m’apporte, au milieu de l’odeur de l’iode marin, quelques senteurs de fruits et d’épices, me ramenant des souvenirs de précédents voyages.
Je marche, seul, heureux sans raison, au bord de l’eau, souriant au monde désert autour de moi ; j’observe un coquillage, joue avec le va-et-vient des vagues… Un instant, je redeviens gamin, au milieu de la plage, grimpant sur les rochers pour mieux scruter le paysage autour de moi. C’était comme une carte postale à ciel ouvert, comme une incrustation de rêve dans la réalité.
Les voyages forgent la jeunesse, les souvenirs la personnalité ; perdu dans ce décor, je me sens libre et joyeux, ignorant la nuit commençant à assombrir la mer.
Bientôt je devrai retourner à l’hôtel, et me coucher, pour mieux rêver de cette soirée. Puis il faudra rentrer.
***
Du fond de mon bureau, je souris, me rappelant cette échappée. Voyant la fin de la pause déjeuner arriver, je referme mon carnet de voyages, et le range dans ma mallette ; omettant délibérément, sous mes multiples dossiers, l’éclat doucement brillant, du papier glacé d’une carte postale « oubliée ».