Conte de la Vêprée

3 mins

Je me faufilais au milieu de la foule pressée et fatiguée du mardi soir. Heureusement, après une course effrénée, j’avais réussi à avoir le dernier RER de la vêprée.

Soupirant de soulagement d’enfin pouvoir reposer un peu mes jambes malgré le monde et sa nette proximité, mon regard se perdit un instant dans le vide par-delà la fenêtre découpant son encadrement sur les flancs de ce grand serpent de ferraille cahotant. La soirée avait été longue.

Tout, autour, s’animait, que cela soit le paysage extérieur au gré du tournant des rails que la valse des usagers montant, descendant, prenant la place des autres, s’écartant, s’exclamant, râlant, se chamaillant, râlant encore… C’était là l’ambiance habituelle de ce genre de lieu somme toute !

Personne ne faisait plus attention à moi que cela, tout comme je ne faisais pas vraiment attention à eux, observant distraitement les reflets dans la vitre en face de moi, m’amusant parfois de voir quelqu’un se tromper de RER, ou bien de direction, descendant aussi vite que monté au son strident de l’alarme de fermeture des portes, bravant vaillamment le panonceau l’interdisant.

Comme je n’avais rien de mieux à faire, coincé entre ces quatre murs lancés à grande vitesse, j’en vins à fourvoyer mes pensées au gré des souvenirs de ma journée. Elle n’avait rien eu d’exceptionnel, à dire vrai, elle avait commencé tôt, fini tard, et continuait encore pour quelque temps. Cependant, la fin avait été différente, parfaite, à la limite du jouissif. Une plaie ouverte dans le quotidien, une brèche dans le train-train habituel.

Le train se secoua, s’arrêtant en un crissement de ses plaquettes de frein épuisées par quelques années de loyaux services. Il regorgea hors de ses entrailles un essaim bourdonnant, se vidant de moitié au milieu de ce carrefour parisien qu’est la gare de Châtelet – Les Halles. L’espace devint plus tranquille et l’air respirable, peu de monde allait dans ma direction.

L’antre mouvant s’étant libéré, plus rien d’intéressant n’était d’autre à observer que mon propre reflet découpé en transparence subtile dans la vitre.

Mes cheveux ne ressemblaient plus à rien, décoiffés comme le dernier des négligés ; le col de ma chemise, remis en vitesse, avait un faux-air de vieux chiffon mal repassé ; la manche de ma veste, à demi relevée sur un bout de tissu blanc douteux, faisait presque peine à voir, et d’entre ses pans tombant droits à cause de son bouton arraché, l’on pouvait apercevoir quelques éclats vermeils sur mon plastron clair.

Quelques gouttes de même couleur glissaient encore paresseusement le long de mon bras, s’étant frayées un sinueux ruisseau sanguinolant sous mon autre manche, jusqu’à ma main.

J’avais l’œil nerveux mais le visage paisible, un sourire satisfait aux coins des lèvres et une main fourrée dans la poche. L’autre laissait ses doigts fins s’ouvrir et se fermer impatiemment, les ongles rougis, comme plein de sang.

Et le monde, autour, toujours, ne s’intéressait pas à moi.

Levant les yeux sur le plan des stations, je laissais découvrir au regard des plus observateurs quelques griffures çà et là sur mon cou et mon visage, le tout réhaussé de giclées cramoisies. L’on pourrait croire à l’attaque cynique d’un chat, ou la preuve d’un caractère maladroit, bien que cela ne fut rien de tout cela.

Et les passants, toujours, faisaient leur vie autour.

Le train s’arrêta encore ; je descendrai au prochain arrêt. Un petit groupe de fantômes, sorcières et autres vampires et bossus entra, riant aux éclats, s’amusant innocemment à faire peur aux passants. Je retins un rire. Ah, ce que j’aime cette étrange nuit où tout est permis, car ce soir, c’est Halloween !

Plus j’y repensais, plus je souriais.

Chaque crachas du RER, chaque ronronnement des portières me rappelait un peu plus de détails sur cette soirée. Un regard, un éclat, une prière, un soupir, une giclée de sang, le silence, la fuite, le RER. Un enchaînement presque naturel, n’est-ce pas, pour un assassin tel que moi !

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