C’était un point dans le noir.
Une lueur dans les abysses, un phare dans le brouillard…
Était-ce des minutes ou des heures qu’au milieu des ténèbres son corps épuisé supportait un peu plus telle la pression de l’air lors d’une chute libre ?
Ses jambes peinaient à porter son poids, la douleur terrassait chaque partie de son être jusqu’à la pointe de chaque nerfs… Un nouveau pas était aussi épuisant qu’une longue et rapide course, l’espoir s’écoulait hors de son esprit comme s’échappait de son abdomen des flots vermeils qu’il tentait tant bien que mal de retenir entre ses mains.
Il fallait… Tenir… Jusque… Là-bas.
L’on voyait un point de lumière, malgré son esprit brouillé il reconnaissait un réverbère.
L’on voyait revenir la félicité en devinant la silhouette de métal dormant en dessous : perdue au milieu de cette longue route sombre, elle ne pouvait être seule.
Jamais tant joie ne fut si forte, soulagement si profond : il allait pouvoir raconter son histoire, expliquer son état, demander de l’aide, survivre !… C’était… Tout ce qu’il souhaitait après avoir pu s’échapper de Ses griffes… Survivre.
Revoir le jour se lever, revoir sa famille tant aimée ! Oublier ce mauvais moment passé…
Fut-ce des heures ou des secondes pour, sur le bitume, se frayer un sanguinolant sentier jusqu’à la belle immobile…
Il n’avait pas eu tort. Elle n’était point seule.
Dos à lui que cachait le contrejour, l’ombre paisible d’un de ses semblables, appuyé contre la carosserie luisante.
Une douce fumée blanche s’élevait en serpentant tranquillement de sa main posée nonchalamment sur l’aile avant de la belle métalisée.
Il n’avait pas semblé remarquer sa présence… Alors il tenta de se manifester, le souffle court de cette si longue épopée…
“Hey… Pardonnez-moi… Besoin d’aide… J’peux tout expliquer…
— Mais… Je n’en doute pas…”
Oh grand Dieu. Cette voix.
Il aurait dû s’en douter à cette stature.
Son cœur manqua un battement comme il manqua un souffle. Voulant fuir il recula trop brusquement pour son enveloppe de chaire et d’os que même l’adrénaline ne pu empêcher de tomber à la renverse.
Au son lourd et mat de son échec répondit doucement un charmant rire et enfin, l’ombre fine se retourna vers lui.
La voiture encore les séparait mais lui semblait bien trop faible armure face au démon dévoilant sous ses traits beau garçon son tendre sourire carnivore.
Il croisa les bras sur le capot de l’automobile, relevant celui tenant la cigarette pour poser son menton dans sa paume, son regard brillant de fourbe malice venant se poser sur lui.
C’était adorable cet air effrayé de proie trop confiante retombant sur le bourreau qu’elle venait de quitter.
C’était comme voir une mouche se débattre dans une toile d’araignée. Le fascinant spectacle d’une nature atrocement grandiose.
C’était comme percer un petit trou dans un sac rempli d’eau et l’observer se vider tout doucement sans lui offrir la chance d’en finir plus vite en le pressant entre ses doigts…
Et il continuait d’essayer de fuir… Il reculait en rampant à l’envers, refusant de lui tourner le dos.
Il tachait le sol, déchirait ses vêtements, s’écorchait les paumes… Il oubliait d’être raisonnable, tentait d’espérer !
C’était si beau ! C’était sublime !
Mais toute bonne chose a une fin.
Immobile, souffle faiblissant, la douleur l’avait terrassé.
C’était un point dans le noir.
La stupeur s’y mêlant resterait à jamais gravée au fond de son regard lorsque s’écartant du phare naufrageur la Mort vint à frapper.
Une lueur dans les abysses, un phare dans le brouillard…
Le ronronnement paresseux d’un moteur que l’on démarre empli la paisible nuit.
Les puissants yeux scintillants du fauve de métal déchirèrent le manteau sombre.
C’était un point dans le noir.
Il s’éloigna au milieu de nulle part vers les routes sinueuses de la campagne environnante, abandonnant au silence et à la Nature le fruit de sa joussive chasse.
Une lueur dans les abysses… Un corps dans le brouillard.