Ecrire 7 – Deuil

3 mins

Jour 7. 26 mai 2020. 21 h 15.

Ce soir, le clavier n’attendra pas. Hier, je me faisais la réflexion que ce jour serait comme la fin d’un cycle. Qu’il faudrait passer à autre chose ensuite, que je ne me voyais pas continuer à tenir ce journal d’écriture. Que j’avais le droit et peut-être surtout le devoir de passer à autre chose sinon je risquais de tourner en rond à ressasser les mêmes idées. Qu’il me faudrait désormais oser un peu plus, aller plus loin que ces simples errances de la pensée.

Fin de première semaine d’écriture. Peut-être que j’aurais aussi pu faire une pause, le 7ᵉ jour. Et finalement, c’est la journée qui m’a donné mon sujet de ce soir. Il est fort à propos pour cette fin de cycle : un ami m’a annoncé le décès de son père.

Quels mots, quelles paroles employer en de telles circonstances ? Dire, écrire, parler, que peuvent donc représenter des mots d’autrui face à la douleur indicible du deuil ? Pour y avoir été confrontée maintes fois dans ma vie, je n’ai toujours pas trouvé de réponse à cette question.

 “Mes sincères condoléances” et toutes leurs variantes m’ont toujours semblé d’une platitude et d’une banalité indécente face à la douleur. J’ignore s’il existe des mots qui ont le réel pouvoir d’apporter un soupçon de réconfort à une personne endeuillée. Au contraire, quand je les entendais, je les trouvais d’une grande violence. C’était comme si le défunt mourait encore et encore, à chaque fois qu’ils étaient prononcés. Ils étaient tels des flèches acérées qui m’atteignaient en plein cœur. Ajoutant encore de la souffrance à celle qui était mienne. Inutiles. 

À la place, j’aurais préféré des mots plus personnels, plus authentiques, plus sincères que ces formules galvaudées. Ou même mieux que les mots, des gestes, des attitudes en silence qui en auraient dit plus long que ces trois malheureux mots emprisonnant à tout jamais la mort dans un cadre ordinaire.

Oui, la mort fait partie de la vie. Dès que l’on vient au monde, on s’approche chaque jour de cette issue. L’immortalité n’est pas encore d’actualité, le temps nous est compté. Chaque matin qui renaît peut être le dernier. Soyons heureux de nous le voir accordé. Cela signifie que nous avons encore des choses à accomplir avant que notre heure ne soit venue. Chaque jour, le compteur est remis à zéro. Sachons faire bon usage des heures qui nous sont données en cadeau.

À mon ami qui m’a annoncé la nouvelle, j’ai néanmoins exprimé mes condoléances en les nuançant immédiatement et lui disant qu’elles ne me satisfaisaient pas pour les raisons évoquées ci-dessus. En de telles circonstances, je préfère partager avec les personnes endeuillées un texte qui n’est pas de moi, consigné dans mon petit carnet de citations depuis 1996, année de la disparition d’une personne de ma famille.

Ce texte-là, bien plus que toute autre parole banale ou superficielle, m’avait alors soutenue. Alors j’espère qu’il pourra aussi aider un peu ceux à qui je l’adresse. À le lire la première fois, on est peut-être révolté par ce qu’il exprime, on n’est peut-être pas d’accord du tout, soit. C’est une phase nécessaire. Avec le temps, peut-être, quelques semaines, mois plus tard, on commence à l’apprécier, ou pas. Des années plus tard, avec le recul, on le relit peut-être avec joie, en se disant, oui, c’est bien vrai, ou pas. Chacun sa sensibilité, la mienne en tous les cas y avait alors trouvé de quoi se nourrir lors de ce passage difficile.

Je crois qu’il peut être extrapolé dans certains de ces aspects à d’autres contextes que celui du deuil véritable. Il peut aussi s’agir de la perte d’un ami que l’on perd de vue du jour au lendemain sans explication, d’une rupture amoureuse. Chacun peut sans doute y trouver une parcelle de vérité qui correspond à sa situation présente. 

Voici donc ce texte :  

Rien ne peut remplacer la présence d’un être cher. Il est inutile d’essayer ; il faut supporter et tenir bon. Cela paraît très dur, et pourtant, c’est aussi une grande consolation car, puisque le vide n’est pas comblé, on reste lié par lui. Il est faux de dire que Dieu le comble, il le maintient au contraire et nous aide ainsi à conserver notre ancienne communion, même si c’est douloureux. Ensuite la séparation est plus dure dans la mesure où nos souvenirs sont plus beaux et plus riches. Mais la gratitude transforme le supplice du souvenir en une douce joie. On porte en soi la beauté du passé non comme une épine, mais comme un précieux cadeau. Qu’on se garde de fouiller dans ses souvenirs, de se livrer à eux. Un cadeau précieux est un trésor qu’on est certain de posséder, mais qu’on ne contemple qu’en de rares moments ; alors une joie et une force durable émanent du passé.

Le jour se lève. Dietrich BONHOEFFER

Mon ami m’attend.

22 h 00

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1 Commentaire
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Andreas Hornung
3 années il y a

Votre texte et la citation de Bonhoeffer sont très émouvants et sensibles. Je pense à la mort tous les jours, mais je ne vois pas la mort comme une menace, mais comme un symbole du don précieux de la vie.

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