Siv Livre 1er L’éveil des anciens Guerriers Chapitre 1 : La mort de l’innocence

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– Prologue a lire avant ce chapitre-

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« Je ne te crains plus, Dame mort ; je sais que tu fixes déjà l’heure à mon égard, et même moi, qui voyage désormais à tes côtés, je ne puis espérer t’échapper. »

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I

 L’on raconta que l’histoire prît naissance sur les sols du royaume du Grand-Sud. Et qu’elle surviendrait dans le Nouveau-Monde, lors d’un prélude de printemps en terre Dangharienne.
 
L’on raconta qu’un jour, aux abords sud des Grands-Lac, entre les Chênes Noirs immenses, âmes de la forêt de Kornlir, et sa flore si luxuriante, errait un ours brun. Lumière et obscurité des bois baignaient ces terres, lors de cette matinée en mois d’avril. Et bien que tout paraisse paisible autour de l’animal massif, non loin, gisaient deux âmes en guet de la bête. Ils épiaient celui qui se hasardait au fil d’une source sauvage. Là, où la nature prospère lui concéda enfin un poisson brigué. Et ses grognes assourdissantes émergèrent pour un repas qui le combla. Puissant, au point de brouiller l’écho du flot qui ruisselait d’entre les roches. Car ceux-ci vibrèrent si fortement qu’ils se répercutèrent jusqu’aux oreilles des deux ombres, patientes, et à l’affût, dans les hautes herbes.
 
Le premier afficha son regard aux tons bleuis comme les océans sous le reflet d’un ciel dégagé. Il lorgnait l’ursidé qui se situait à moins de trente pas devant lui, mais l’individu prolongea son impassibilité. Sa chevelure mi-longue, d’un châtain cuivré, reluisait en quelques endroits sous un effet rayonnant du soleil. Et sa crinière, nouée de deux nattes entortillées vers l’arrière, remua au gré d’une brise soudaine qui lui effleura le visage. Il espérait patiemment, allongé face contre terre de tout son être, sur un sol humecté d’une rosée aurorale qui baignait encore la forêt de sa douce fraicheur. Toutefois, il ne gisait là, point seul. Que nenni ! En effet, à son flanc gauche, un personnage à l’aspect plus frêle redressa la tête avec prudence. Car en vérité, il s’avérait être un enfant âgé d’une quinzaine d’années tout au plus. Il arborait sa crinière blonde, rasée des deux côtés jusqu’en mitan des tempes. Et elle chatoyait sous la clarté d’un halo de lumière.
 
Ainsi donc, le jeunot se remarquait dans une posture similaire à celle de son père qui l’accompagnait. Pour sûr, il resta tout aussi immobile qu’une souche. Surtout qu’il se trouvait face à un animal sauvage qui en imposait, et qui pouvait devenir, par mégarde, imprévisible. D’un hochement de la tête, il tint au plus fort de lui-même un silence imperturbable quand son père désigna, d’un regard, une lance posée derrière eux. Elle était là, gardée volontairement en prévenance d’une possible proie de chasse. Et surtout, afin que le temps à l’action d’un affaiblissement de la bête avant de l’éliminer s’avère moindre. Sans compter que la rareté d’une telle quantité de pitances ce devait être assuré d’un avantage à la réussite.
 
« Doucement, fils… Tout doux… », maugréa le père, d’un signe calme de la main, se risquant à tempérer leurs mouvements. Car le voici désireux d’éviter un saut d’humeur de la bête, en vérité. Toutefois, l’impatience, et surtout l’inexpérience de son fils, le contraignit à commettre le geste inopportun… Le geste, dont le fil des évènements changea la donne d’une journée fortuite.
L’ursidé érigea promptement le museau, dressant sa gueule impressionnante dans leur direction. Son attitude à humer les odeurs, qui flânaient autour de lui, lui permit à comprendre. Et il sut, par la grâce d’une brise qui s’engouffra dans la crinière au teint clair du jeunot, que le danger se trouvait en approche. Alors, la bête laissa émerger son hostilité. Elle s’éleva tel un titan, gigantesque et trônant comme le roi qu’il est, juché sur ses pattes arrière. La voici qui en arborait sa superbe stature, s’érigeant sur près de dix pieds de haut. Et son hurlement apparut si virulent qu’il s’abandonna longuement en un écho qui jaillit d’entre les arbres géants de Kornlir…
… et il se répercuta un son sourd, un son qui flâna jusque par-delà la grande forêt.


II

 Aux abords des Grands Lacs, entre deux étendues immenses, les terres émergées concédaient un passage le long des eaux. D’ailleurs, il en devint l’emplacement idéal de tranquillité à une ferme pour une famille. Cette bâtisse demeurait typique, fabriquée de rondin de bois. Et elle se composait partiellement de pierres dans son soubassement, se pourvoyait d’un toit comblé de branchages, ainsi que de pailles baignées d’une boue argileuse. L’endroit était un lieu propre, muni d’un enclos où vivaient plusieurs suidés qui pataugeaient dans la fange. Et au demeurant, au beau milieu de quelques restes jetés avec hâte, se trouvait également une jeune femme. Sa longue chevelure à la couleur claire remua au vent et vint alors obstruer son regard au moment d’un écho. Un cri bestial qui retentit et vogua jusque par-delà la forêt.

Elle se figea, droite, avec la vue qui porta au loin. Et elle étala un sourire subit, tout en rétablissant cette mèche rebelle du bout de ses doigts. « J’en devine deux qui doivent certainement s’encourir comme des lapins ! » marmonna-t-elle, d’un geste afin de refermer, derrière elle, la petite clôture en rondins de bois. Vêtue d’une longue tunique de lin épais aux tons marron, bottée de cuir animal, elle se dirigea, tranquille, et avec quiétude, vers la fermette. Une bâtisse au toit paillé d’où émergeait une fumée claire, qui émanait d’un âtre encore en éveil.

III

 Dans la forêt de Kornlir, le silence placide prédomina et il permit aux grands Chênes Noirs de s’imposer avec leurs cimes, souveraines des lieux. Leurs magistrales ramures s’enrichissaient déjà de feuillages aux différentes teintes orangées, prêts à se parer de leur grenat habituel du printemps. Ils étaient des arbres géants aux allures de monstres vêtus de bois sombre. Et ils semblaient hypnotiques tel un vertige au regard de leurs pinacles qui vacillaient au gré du vent soufflant. Malgré tout, cette frondaison éclatante n’autorisa guère qu’un laissez-passer sommaire aux luminescences de quelques parcelles éparses. Elles daignèrent, pareilles à des halos de pureté, en baigner le sol, telle la grâce en déférence face à ces seigneurs centenaires. S’ajouta l’apparition d’un rai qui abreuva une pousse esseulée, d’une chaleur douce et voluptueuse. Cependant, la quiétude bienfaisante se troubla lors d’un bref instant…

 Survint l’éruption soudaine et retentissante d’un homme par-dessus un talus pierreux, suivi d’un autre. Tous deux surprirent cette nature léthargique par l’envol et la dispersion d’une faune apeurée. Et ils y donnèrent matière à une scène cocasse.

 – Cours ! s’écria le père, d’un engouement sur le visage.

 Il dévia le regard vers son fils et s’amusa de leur fuite, pourtant déroutante. Néanmoins, il appréhendait continûment un passage possible, celui où il prévoirait de s’abriter. Tout comme il convoitait une arme quelconque, laissée à leur campement. Et ainsi, braver la bête. Or, leur débâcle n’en finissait plus ! Ils dévalèrent quelques monceaux feuillus, avec vélocité, et aussi apeurés qu’un cerf en fuite de chasseurs. D’un saut, ils franchirent les vieux branchages errants, au risque même de choir, ou pire encore, parachever leur course entre les griffes dévastatrices de l’ursidé !

 Le jeunot haletait si rudement, que cela se répercutait jusqu’à ses propres oreilles. Et il y résonna l’écho de son effroi. Tant et si bien, qu’il en devint une finalité à sa survie. Pourtant, il n’afficha nul regard vers l’arrière, bien que l’inquiétude qu’il portait envers son père le démange. Alors, il effectua un détournement d’attention, et cela le contraignit à cogiter en un instant. « Où est-il passé ? », songea-t-il, d’un visage submergé par l’effarement. Et cela le déstabilisa, tant ces pensées vinrent à lui perturber sa concentration. Elles agirent comme un égarement qui le fit vaciller. Vaciller d’un pied contre une épaisse souche qui affleurait le sol. Et il se vautra plus encore après un plongeon qu’il ne maîtrisa guère. Le voilà, valdinguer, la tête la première. Avec un réflexe ultime, il se protégea d’une mauvaise blessure, grâce à son recroquevillement soudain sur lui-même. Contracté du visage, le regard clos, il dévala sur une bonne distance sans réussir à en maintenir le moindre suivi. Surtout qu’il connut, dans sa chute, un rebond du corps sous l’effet d’une collision à l’impact violent sur quelques branchages. Il en poussa des cris succincts qui s’étouffèrent d’eux-mêmes sous le craquement bruyant des buissons. Et pourtant, malgré une sensation de vertige qui l’inonda, il reprit le contrôle de sa débâcle et se redressa avec vélocité. Sitôt, le voici prêt à s’élancer vers une course nouvelle, mais son regard se submergea d’envie. Une envie légitime à savoir… et il saisit le temps à visualiser les alentours, à la recherche de la bête, à la recherche de son père. Pour sûr, il comprit sa solitude, car il s’en trouve bel et bien esseulé, poursuivi par un animal déterminé dont le rugissement approchait à nouveau.

 – Père… ! s’écria-t-il à plusieurs reprises, son visage marqué par l’angoisse.

 Perturbé, horrifié, il se dressa sur un flanc de pente terreux. Et il virevolta sur lui-même, une, deux… trois fois de suite ! Il restait hagard dans sa recherche, préoccupé du haut de son surplomb.

 – Père ! beugla-t-il à maintes reprises, à s’en tortiller les cordes vocales.

 Survint alors la peur dans son regard, figée tels la glace et le gel. La peur, qui accéléra sa respiration, qui résonna au rythme effréné de son cœur, battant la chamade dans sa poitrine. Et pour unique repartie à ses appels, il ne se manifesta qu’un grognement vigoureux… ainsi qu’un animal empli de colère face à lui.

 Surgit brusquement la bête…, à moins de dix pas. Elle prit appui sur ses pattes robustes et s’érigea, parée pour un affrontement, bien qu’il devienne inégal. Et la terreur revêtit son plus beau manteau, elle exhiba ses atours blafards sur le visage du jeunot, tandis que lui, il chuta et traina son corps quasi engourdi par l’effroi. Il peina vivement à l’aide de ses mains, de ses pieds qu’il imprégna de terre durcie tant il se força à ramper vers une fuite impossible. Ses déplacements en devinrent spasmodiques à l’approche de la bête. Et son regard se perdit au fin fond des abimes de celui d’un titan…

 Survint l’affolement, telle une boue glacée, qui lui recouvrit chaque trait du visage. La panique régna en maîtresse et lui paralysa les membres, tandis que sa gorge se garrota d’une obstruction incontrôlable… Il agita alors un coude et en espérait encore une certaine protection. Surtout que sa parade ne pouvait éviter la furie de la bête… pas moins que ses griffes acérées.

 – Meurs !

Un hurlement bref émana d’une voix rauque et quasi gutturale. Elle résonna par-dessus l’animal. Et le père y surgit en brandissant sa hache des deux mains. Il le fit dans un saut impressionnant qui surplomba la bête. Bras tendus vers le ciel, muscles raidis comme le fer, tandis que, d’un geste, il fendit l’air avec son arme.

 Survint alors un bruit sourd… Et le tranchant de la hache frappa la bête d’un coup redoutable et net. Le sang gicla tant, qu’il macula le visage du jeunot encore pétrifié. Pour sûr, il entrevit toute la puissance, toute la force de celui que l’on nommait l’Ancien Guerrier… nul autre que son père.

 Effondrée, la bête n’offrait plus que sa masse gisante, inerte, et charnue au pied du jeunot encore essoufflé. Son soupir rejoignit son affaissement des épaules face au soulagement inopiné qui l’envahit. Et d’un geste instinctif, il se décrassa rapidement les joues du sang de la bête, d’un revers de sa manche et déconcerté.

  – Il t’aura fait courir celui-là ! déclara le père, d’une lippe ironique.

  – Devrais-je m’enfuir de la même manière, chaque fois ? se demanda le jeunot, tandis que son père lui tendit une main aidante, et qu’ils s’en amusèrent tous deux. « Toutefois, si mère m’autorise encore à t’accompagner », ajouta-t-il, empli d’amertume.

 – Et devons-nous lui narrer chacun de nos faits et gestes ? intervint le père d’un regard froncé. Ou, t’accorderas-tu à nous garder quelques secrets d’hommes ? poursuivit-il d’un air espiègle lorsqu’il se pencha vers son fils, et posa une main fière sur son épaule.

 – Bien évidemment… Mais, elle obtient en général toutes ses demandes, assura-t-il d’une lippe railleuse, tandis que son rictus demeura toujours lors d’un long hochement de tête.

 – En effet, je l’admets, sourit le père. Nous verrons cela en temps voulu… Pour l’heure, il te faut t’acquitter d’une besogne particulière, annonça-t-il, d’un bras tendu et armé d’un coutelas. Il est l’heure pour toi d’un premier nettoyage de la bête.

 – Là, tout de suite… ? quémanda le jeunot, d’un air fébrile et hésitant tout à coup.

 – Tu ne crains guère grand-chose d’un animal mort, mon fils. Sauf, si la vue du sang te donne soudainement des haut-le-cœur…, déclara-t-il. Maintenant, peut-être n’est-ce point le moment d’un ancien rite familial…, sous-entendit-il, d’un geste qui porta l’illusion à ranger sa lame.

 – De quel rite parles-tu ?

 « Il est vieux de trois générations… Dépassé, semble-t-il », dit le père d’un air malicieux qu’il détourna.

  – Je m’en occupe ! rétorqua sans tarder le jeunot, d’une main tendue et d’un hochement de tête pour confirmer ses dires.

 Le père offrit une moue vers son fils, et pourtant, il n’en espérait pas moins. Et avec peu d’assurance, le jeunot joua de l’arme entre ses doigts avec incertitude, ploya un genou, puis un second de même, avant de contracter son inspiration. Elle s’accéléra, mais il la contrôla face à un père impatient. Le regard fermé, un pressentit de haut le cœur, et malgré tout le fils exécuta son geste. Il le réalisa finement d’une frappe sèche. Et sa lame s’enfonça d’un bruit sourd à la perforation de la peau épaisse de l’animal. Sa main tremblota durant un instant, mais très vite, il finit par appuyer son mouvement et déchira proprement la chair de l’ursidé. Cela causa un flux soudain de sang chaud et odorant comme le cuivre qui lui macula les doigts. Survint dès lors une nausée, cependant, contrôlable, même pour lui. Au regard de son père, il s’efforça à la retenue, se contint et persista à achever son rite… pour la plus grande joie d’un père empli de fierté. À son tour, celui-ci s’abaissa et, souriant, il enfonça deux doigts dans la carcasse de la bête avant de peindre le visage de son fils d’une empreinte ensanglantée, en toute solennité.

 – Te voici adroit. Au point de pouvoir nourrir les tiens, Jaal, annonça le père, d’un air satisfait, d’une main qui serra la nuque de son fils, tandis qu’il apposa son front contre le sien, et que tous deux s’unirent dans une liesse commune. Allez ! ordonna-t-il ensuite. Amène donc le cheval. Avec le travois. Nous devons emporter cette carcasse. Ta mère doit s’impatienter, déclara-t-il, d’une poussée de la main dans le dos.

 Ils mirent du temps, et de l’effort afin d’installer et fixer la carcasse de la bête. Car elle pesait son poids ! Mais ils effectuèrent la besogne dans la bonne humeur. Et ils prirent dès lors le chemin de la ferme, avec quelques frasques sauvages qu’ils se remémorèrent pendant leur retour.

IV

 La clarté brutale vint frapper les pieds noueux des géants de Kornlir. Elle en illumina leurs troncs et imbiba leurs cimes d’un halo qui étincela, tandis qu’elle laissa apparaitre le père et son fils à l’orée du bois. Les voici, guillerets, dans leur trajet qui les conduisaientvers les passages rocailleux, aux abords des lacs. 

 La jeune femme de la ferme patientait déjà au retour des siens. Droite, face au vent qui s’engouffra dans sa robe de lin, elle s’abrita des miroitements du soleil, sa main apposée au front. Et elle se défendit ainsi d’un rayonnement qui l’éblouissait. Elle sourit et chemina tranquillement plus avant, sur le sentier terreux qui menait au gué, situé à des lieues plus éloignées. Elle entrevit alors le retour des siens et elle l’appréhenda avec bonne humeur au bord de la rive où s’écoulait le doux bruit d’un remous des flots du lac. Et progressivement, elle afficha un faciès amusé en discernant l’animal allongé sur le travois et trainé par la monture de son époux. Dès lors, elle inclina la tête dans un hochement sobre et finit par émettre un soupir concis qui s’accompagna d’un léger rictus du coin des lèvres. Et quand elle effectua un pas vers lui, qui demeura droit et fier sur son destrier :

 – Je suppose que la découpe me revient…, annonça-t-elle d’un air flapi.

 – Non ! Je m’en acquitterais avec Jaal, répondit l’homme en démontant avec nonchalance, tandis qu’il joignit son épouse et la saisit vivement d’une main au niveau de la taille et par la nuque de l’autre. 

 Il la serra avec aplomb, contre lui, avant de l’embrasser sans gènes. Assurément, il la contempla d’un regard admiratif alors que la voici si gracieuse avec ses yeux clairs, et sa crinière blonde qui remua sous une brise légère. « Il l’a éviscéré de ses propres mains ! » chuchota-t-il, d’un baiser apposé avec finesse non loin de l’oreille de la jeune femme. Toutefois, il conserva une certaine discrétion. Car il cherchait à valoriser son fils auprès de la mère. Et elle endossa le rôle à la perfection, d’une main posée sur sa poitrine, au niveau de son cœur, incarnant le jeu de l’émotion… 

 – L’enfant que je mis au monde il y a quinze ans deviendrait-il déjà homme ? demanda-t-elle, d’un léger sanglot qu’elle refoula joyeusement. 

 Mais elle dévia son attention vers son époux, lorsqu’il intervint à son tour : 

 – Il en emprunte le chemin. Mais, pour sûr, te voilà riche d’un fils bien hardi, déclara le père avec assurance.

 Il n’en fallut guère plus que du ton soutenu, volontairement, pour en allécher Jaal, qui crâna dès lors, comme un bœuf qui vint à trôner au sein de la prairie. Tant et si bien, qu’il en arbora son visage peint du sang de la bête. Et il s’avança vers sa mère, qui en offrit l’air altier à son égard. 

 – Jaal… Fils de Rofrid Asgeïr. Peins du sang de la bête, annonça -t-elle. 

 Quel parent n’en estimerait guère autant son enfant ? Et elle légitima son amour une énième fois. Car elle n’hésita point à lui apposer un doux baiser sur le haut du crâne, fermant les yeux et humant le parfum de sa plus grande fierté. Néanmoins, ce dernier sembla bien plus enclin à narrer son expédition, et surtout, conter la manière dont l’animal imposant passa de vie à trépas. Dès lors, le jeunot s’agita à chacune de ses paroles, il gesticula des bras à tout va lors de sa locution, avide de relater les évènements…

 – Un seul coup, mère ! s’écria-t-il d’un égard vers son père. Il a jailli de nulle part ! J’étais terrifié quand l’ours s’est dressé devant moi ! C’était un véritable titan ! Et si proche… Que j’aurais pu en ressentir l’haleine ! Père…, s’emporta Jaal en cherchant ses mots dans une exaltation qui l’emplissait. Et… et, une frappe, une seule a fendu le crâne de la bête, finit-il d’une respiration ahanante, avec une lueur dans le regard.

 Captivé par celui qu’il désire encenser, Jaal sembla asséché de toute énergie en conséquence de son récit enthousiaste. Et la mère, quant à elle, en demeura… quelque peu flegmatique. Car, bien vite, elle troqua son engouement soudain pour un fils, à l’acrimonie du père.

 – Oui, je vois ! Et, de quelle façon pensez-vous altérer ma colère ? Celle vers un père qui apparait de si bon entrain. Pendant que son fils confronte la mort face à un animal pareil, interrogea-t-elle les deux, d’une exacerbation dans sa voix. 

 Survint alors la tentative d’évitement de Rofrid, tandis que le regard inquisiteur de son épouse en devint interminable. Surtout qu’il ne se contenta que d’un bref mouvement de la bouche, fouillant dans sa réflexion après un quelconque plaidoyer recevable… pour une mère. « Tout était coordonné ! », déclara-t-il, d’un air qui ne donna certes guère de conviction. « Il… Il attirait l’ours », affirma-t-il en s’essayant à un récit abêtissant, d’un pas vers l’arrière, à l’instant où Siv l’affronta, d’un pas en avant. 

 – … il se trouvait en sécurité… Je t’assure ! Un fossé, grand. Très grand ! inter-préta-t-il, d’un geste démesuré des mains alors qu’il effectua plus de petits pas à reculons encore. Bien sûr, j’avais déjà tout prévu, promit-il sans vérité, tandis qu’elle ne lâcha nullement prise, bravant son époux avec davantage d’agacement à chaque explication. 

 – Évidemment…, répondit-elle d’une moue de la bouche. Jaal, va te décrasser de ce sang ! Ton père et moi avons à revoir quelques précisions sur les termes : responsabilités et dangers… 

 – Mais, la découpe…, quémanda Jaal, d’un rabaissement fortuit des épaules et d’un air dépité. 

 De son côté, elle resta de glace, impassible même. Juste… un index brandi vers la ferme, autoritaire et sans concession. Pourtant, elle s’accorda à un mot, un seul… déterminant et indiscutable :

 – Maintenant ! 

 Le père, qui se malaxa le front de ses doigts pendant un bref instant, la mine accablée, s’employa à livrer vers son fils un signe de tête qui l’incita à l’obéissance. Bien évidemment, son épouse devint désireuse aux questions. Car, elle s’interrogeait et cherchait à mieux interpréter les faits. 

 – Jaillis… Terrifié et proche… À en ressentir l’haleine… Et dressé devant lui…, répéta celle-ci, d’un regard froncé, inquiète pour son enfant et les risques prix au mépris de sa vie. 

 – L’animal l’avait repéré… Que veux-tu que je te dise ? expliqua-t-il en se détournant d’elle, d’un haussement des épaules, comme si les circonstances en demeurèrent inévitables. 

 Mais au demeurant, il garda inlassablement son sourire. 

– Il n’aura que quinze ans, Rofrid ! affirma-t-elle sur un ton coléreux et d’un air contrarié avant de lui arguer du danger auquel leur fils fut confronté. Et si ta sublime intervention s’était déroulée un instant trop tard… ? Hein ? questionna-t-elle d’un lever de sourcil. Un ours de cette taille l’aurait éviscéré ! D’une seule frappe ! 

 – Aurait… ! témoigna-t-il avec confiance, d’un index qu’il pointa. S’il te plait, femme, vas-tu m’en garder rigueur toute la journée ? demanda-t-il d’une approche osée vers et par le saisissement délicat du poignet. 

 Toutefois, cette dernière maintint sa position et se refusa à d’oiseuses flatteries afin de minimiser les faits. Avec le regard froid, elle se tourna pour offrir en réponse que celles de son dos et d’une main dressée bien ferme. Et elle se croisa ensuite les bras, accompagnés d’un haussement des épaules. 

 – Siv…, intervint Rofrid, d’une caresse qu’il affectionna au toucher de la longue chevelure ondulée de son épouse, d’une attitude plus suborneuse encore. Je te taillerais une paire de bottes dans sa fourrure…, promit-il doucement, d’un geste de la tête vers la carcasse sans vie de la bête, gisante, sur le travois. Elles te tiendront chaudement les pieds, expliqua-t-il, d’une approche délicate de sa bouche vers l’oreille, le cou, de Siv. Je les confectionnerais de manière à ce qu’elles résistent au temps. Pour plusieurs hivers, même. Avec une pareille qualité de peau, il n’y a aucun souci, précisa-t-il d’une voix calme et doucereuse. 

 – Et tu penses peut-être réussir à te faire pardonner, avec si peu ? Ou en commerçant avec moi ? Avec ton marchandage grotesque ? demanda Siv d’un regard, qu’elle garda hautain, et qu’elle dévia rapidement vers une attention qui le toisa.

 – Et je te les soignerais chaque soirée, garantit-il d’une moue affirmative. 

 Bien qu’elle demeure de dos, un pincement du coin des lèvres et un sourire amusé s’affichaient déjà sur le visage de Siv. Car, elle savait Rofrid malicieux et doué pour l’attendrir. D’ailleurs, il ne se gêna guère d’en exploiter le recours bien plus qu’à la normale. Dès lors, il la ceintura, tout en délicatesse, d’un bras à la taille, la couvrant de plusieurs baisers subtils sur la peau du cou, sur sa chair si douce… 

 – Arrête ! ordonna-t-elle, d’un déplacement brusque du corps vers le côté. 

 Et elle se tourna aussitôt vers lui, droite, rigide comme un pic, le regard froncé et en apposant ses mains au niveau de la taille. Elle le défia dans son allure et haussa même un peu le menton. 

 – Ne parlais-tu pas…, d’une paire de bottes ? questionna-t-elle d’un hochement de la tête, léger, et l’œil curieux. 

 Et Rofrid ne put qu’acquiescer d’un grommèlement, qu’il ajouta malgré lui. Cependant, il maintint une certaine joie sur le visage, un rictus, qui se gradua jusqu’au sourire explicite d’un combat gagné. Car, pour sûr, il remporta celui-ci. Mais… lorsqu’il osa réitérer une stratégie, intime, elle esquiva aussitôt, d’une main qu’elle apposa avec fermeté, contre la poitrine de son époux. Et de cette manière, elle lui fit barrage de quelques intentions, jugées prématurées. 

 – Dans ce cas, avant tout, je la veux avec une coupe haute, ordonna Siv d’un air arrogant, tandis que l’acquiescement de Rofrid, par un geste bref de la tête, ne se fit guère attendre. Secondement, reprit-elle, alors qu’il s’essaya une nouvelle fois à une approche. Secondement ! insista Siv, d’un refoulement brusque de ses mains, poussant avec sérieux son époux, d’un index autoritaire qu’elle brandit. Tu me les fabriqueras plus montante qu’à l’habitude. Droites et solides jusqu’aux genoux ! précisa-t-elle d’un doigt qu’elle tapota, ferme, sur le torse de Rofrid. Et bien entendu, j’en choisirais par moi-même la partie de peau qui me ravira… Et qui servira à la confection de mes superbes bottes, ordonna-t-elle, de son visage qu’elle frôla au plus près de celui de Rofrid, défiant, despotique et sans concession.

 – D’accord…, répondit-il, d’un levé de bras, soumis, vaincu. Tout ce que tu demanderas… ne sera que mon plaisir, précisa-t-il, d’une courbette ironique.

 Sans attendre, il profita du moment de complaisance. Et il la serra contre lui, ardemment, mais sans outre brusqueries. Surtout qu’il remarqua bien vite cette petite incertitude qui envahissait toujours Siv. Il y alla même d’un regard empli d’appétence, dévoreur, avide de baisers offerts avec douceur, sur la peau chaude et suave du cou de son épouse. Mais, l’opiniâtreté s’avéra définie chez elle. Et elle maintint un inébranlable flegme, tout en consentant cette approche. Elle lui céda le bénéfice d’un moment, conservatrice de ce regard, à la fois provocateur et espiègle. Certes, elle ne s’abandonna guère en entièreté aux désirs de Rofrid, que nenni. Elle peaufinait déjà le parachèvement d’un négoce final, en vérité. 

 – Et…, dit-elle, d’un index qu’elle érigea de nouveau, telles une frontière, une barrière, entre sa bouche et celle de Rofrid. 

 – Ce doigt commence fortement à m’irriter…, sourit-il.

 – Et…, insista Siv, d’un regard qu’elle accentua. Tu t’acquitteras aux plaisirs d’un soin de mes pieds. Chaque soir, durant trois lunes. 

 – Trois lunes ! s’étonna-t-il, sidéré. Me confondrais-tu avec l’un des anciens Dieux-Guérisseurs ? pesta Rofrid, d’un air exacerbé face à cette seconde requête, tandis qu’il effectua un pas vers l’arrière, d’une main qu’il passa dans sa chevelure et avec grand soupir. 

 – Très bien ! réagit-elle subitement. Je me plie à ton refus, annonça Siv d’une légère moue. Néanmoins… mon cher époux, je tiens à te spécifier que l’agrément sexuel dont tu disposes se restreindra au plaisir que tu t’octroieras avec la main. Celle-là même qui te sert de porteuse de hache, précisa-t-elle avec insolence et provocation. Durant ces fameuses, trois lunes ! émit-elle d’un haussement du regard et d’un sourire forcé qu’elle accentua pleinement.

 À toute évidence, elle savait s’imposer après seize années de vie commune et elle se voulait gagnante, de la bataille. Et donc, elle s’approcha au plus près et à chaque intonation des mots qu’elle lui prononçât à l’oreille avec bravade, ses traits du visage grimacèrent : « Et j’espère pour toi que tu astiqueras aussi suffisamment ton manche qu’au moment de brandir ton arme avec hardiesse, guerrier ! », chuchota Siv d’un mépris à l’évidence. Sans attendre, elle effectua un demi-tour, calme, sans discours, et se dirigea vers la fermette, tranquille. Et elle chemina à petits pas, provocante, déterminée, et fière, dans son allure, tandis qu’elle conserva la joie d’une moue amusée. Survint un rire, qu’elle camoufla aisément jusqu’à son arrivée aux enclos des suidés, là, où elle stoppa et haussa le menton, d’une simagrée de satisfaction sur les lèvres. Car, Rofrid ne put s’empêcher d’intervenir : 

 – C’est bon ! … tu as gagné, répondit Rofrid, soupira-t-il d’un hochement de tête, tel un guerrier vaincu. 

 Toutefois, Siv garda le dos tourné, enjouée et arrogante, au point qu’elle dressa la main et dévoila dans son geste trois de ses doigts, d’une précision que Rofrid se devait d’accepter. 

 – D’accord…, émit-il de vive voix. Trois maudites lunes, je sais…, marmonna-t-il d’une grogne calme, mais d’un air résigné. 

 – Ah ! s’exclama-t-elle tout à coup. Et, bien entendu, je t’envoie Jaal, affirma Siv d’une volteface et d’une lippe souriante à souhait. La découpe en sa compagnie… paraissait si importante à tes yeux…, rappela-t-elle, d’un froncement du regard. Et donc, la mienne n’en deviendrait que plus frivole, me semble-t-il… Et il s’en amusa d’un rire succinct qu’il ne put prévenir, inopiné et bref. 

 Très vite, Jaal vint à le rejoindre, tandis que Rofrid demeura muet, à poser les mains au niveau de sa taille et à observer le ciel si clair. Car il détestait perdre au jeu des compromis face à son épouse. Pourtant, les mots lui manquèrent, les réflexions, elles, fusèrent dans sa tête. Aussitôt, il sourit vers Jaal, mais il dévia son attention, attirée par l’attitude de Siv qu’il remarqua soudainement. 

 Adossée au montant de porte, la lippe lascive, elle le provoqua dans son allure. Et d’un regard, qu’elle orienta vers sa cuisse dévêtue, elle amplifia sa sensualité vers Rofrid. Et il en déchiffra aisément les appétences indiquées. Bien vite, il se redressa avec le cœur battant la chamade, le rictus léger. Discrètement, il dévisagea son fils qui s’affairait à délier la bête du travois :

– Jaal ! Pratique la chose avec délicatesse…, demanda-t-il, d’un geste où il tendit le couteau de dépeçage. 

 Aussitôt, avide, Rofrid dévia son attention. Car il désirait la conserver vers leur maisonnée, là où Siv se faufila, lascive et enjouée. Et le voilà déjà enclin à la rejoindre, désintéressé de la besogne qui incombe à son fils… Un fils, figé, déconcerté vers un coutelas qu’il tint encore en main et un père qui se défile. 

 – Père ? s’enquit Jaal, d’un froncement de sourcils. Seul ? s’étonna le jeunot.

 – Tu voulais apprendre, non ? demanda Rofrid d’un regard orienté vers le logis. Le moment est venu. Occupe-t’en… Je te rejoins au plus vite, annonça-t-il d’une lippe entrouverte. 

 Jaal réagit à l’attitude de son père, scrutant vers la ferme, pensif durant un bref instant. Et il ne chercha guère à poser plus de questions. Car, pour sûr, il comprit aisément. Et il s’en amusa, sans autre explication, déjà à la corvée sur la carcasse, avec hâte. 

 – Excellente besogne, fils ! déclara Rofrid, d’une fausse attention. Continue ainsi… Et avec tact sur les parties moins pansues, précisa-t-il, d’un doigt pointé vers l’animal, d’une vigilance laconique, et d’un intérêt sans cesse orienté vers la maisonnée. 

 Jaal tut ses mots, d’un air égayé. Aussitôt, il perpétua sa tâche en s’appliquant à chacun de ses gestes. De son côté, Rofrid s’avançait doucement et remontait le chemin terreux qui menait à sa ferme. Et il progressa avec plus d’entrain lorsqu’il arriva à proximité du logis. Pour sûr, lorsqu’il pénétra dans sa demeure, il montra un visage enjoué. Tandis que, lascive et démonstrative, dans ses signes, Siv déambula avec lenteur. Et elle le charma, avide d’entamer une danse réservée aux adultes. Bien sûr, elle s’en divertissait explicitement, d’une incitation accentuée, appliquée, rebelle et joueuse. Et si elle ne souhaitait point se livrer avec aisance, elle savait que le jeu n’en figurerait que plus excitant. 

 Survint alors le jeu du chat et de la souris, quand elle profita d’une des poutres centrales pour s’y protéger…, sans en réalité le désirer. Amusé, attiré, Rofrid autorisa pleinement la petite mise en scène, d’un sourire qu’il esquissa, tandis que, d’une posture ludique, il mua son approche douce en un élan vers la seconde bataille de la journée… En cela, jouir des plaisirs que son épouse lui consentira.

 – La chasse n’est pas encore close, guerrier ! formula Siv, d’un regard provocateur. Alors…, dis-moi ? Celui qui réussit à rivaliser avec la bête sauvage, parviendra-t-il seulement à dominer sa propre femme ? demanda-t-elle, d’un déplacement qui la dissimula légèrement derrière la poutre épaisse, jouant de sa vue avec dérision.

 – De l’ours à la louve… Le défi me comble ! 

 – La louve qui s’assujettit intentionnellement n’en demeure guère pour autant un agneau déjà apprivoisé, guerrier ! déclara Siv, d’une attitude qu’elle choisit, facétieuse et provocatrice, jusqu’à en laisser entrevoir le haut d’une cuisse. 

 Aussitôt, elle en montra la seconde, d’un geste à remonter sa robe du bout des doigts. Et elle l’exécuta avec beaucoup de lasciveté dans sa posture. Mais, au demeurant, lorsqu’elle perçut l’abaissement du regard de Rofrid vers celles-ci, elle bondit telle une lionne. Et avec aisance, elle se dissimula, à l’aide de l’échelle en bois qui menait à leur couche. Depuis le début, elle ne souhaitait, en aucun cas, lui offrir la facilité à la chose… 

 Dans la bâtisse, alors que le jeu de la sensualité se poursuivit, la chaleur se sentit douce, tandis que l’âtre fumait encore. Et il lâchait un aspect brumeux en l’intérieur de la maisonnée. Au centre de la pièce, une grande table en chêne trônait à la gauche. Elle se garnissait de trois sièges, charpentés à la main, à même le tronc. Et tout autour, les murs de tourbes affichaient une forme bien rectangulaire de l’habitation. Avec une dimension agréable, le toit s’appuyait sur deux solides poteaux qui délimitaient ainsi deux espaces parallèles. Et alors que le sol, lui, se composait essentiellement de terre battue, un nuage aérien de poussières virevolta sous les pas de Siv. Car elle s’amusait de Rofrid, se protégeant par l’accès à la chambrée du haut. Et elle usa encore de stratagème, afin qu’il ne sache la saisir. 

 Son rire se répercuta dans toute la bâtisse. 

 Les voici tous deux tels des enfants, adolescents, immatures dans leur jeu d’adultes. L’un et l’autre, ils se provoquèrent, au détour du foyer, brûlant. Il était ce « long feu », établi d’un simple trou creusé, cimenté de boue et de pierres qui y pourvoyaient chaleur, lumière ou moyen de cuisson. Mais en l’instant, il servit bien plus d’un rempart entre les deux amants, tandis que Siv tournoyait entre celui-ci et la banquette située le long du mur. Avec un remblai de terre recouvert d’un cadre de bois, l’objet offrait une couche idéale pour Jaal. Or, l’emplacement, restreint, obligea Siv à un retour sur ses pas. Et Rofrid profita du contexte. Aussitôt, il se risqua à une approche et se précipita vers elle. Toutefois, elle l’esquiva avec justesse, riant telle une enfant divertie et enjouée. À vrai dire, elle agissait, pareil au renard, avec malice. Car elle circula comme une anguille entre les cloisons transversales qui divisaient l’habitation. Et elle s’immobilisa peut-être un tantinet trop vite… s’essayant à un passage au-devant de Rofrid. Mais, les mains de son époux l’agrippèrent, la serrèrent contre l’échelle en bois. 

 – Il est fini de t’enfuir, annonça Rofrid avec fermeté, d’un air ravi et sûr de lui, par l’étreinte fournie. 

 – Rien n’est gagné, guerrier ! assura-t-elle, d’un haussement des sourcils.

 Survint la douleur. Rofrid, abaissé, se maintint les parties génitales, tandis qu’il gémissait d’un râle, long et sourd. Car Siv, déterminée, lui asséna un coup de genou dans le bas-ventre, sans peur. Puisque cela lui permit de s’extirper le long des échelons. Là-haut, adossée au mur de sa couche. Et Rofrid, quant à lui, demeurait amenuisé, plié bien malgré lui par la souffrance qui l’envahissait encore. Le coup fut parfait et si puissant qu’il dut prendre appui au sol afin de ne pas choir sous le mal avilissant. Survint chez lui une respiration ahanante, et la lividité gagna son visage. Et il en devint pâle comme la neige un soir d’hiver. Et ses traits se garnirent d’une expression vieille comme le monde, la détresse. Pourtant, il dressa bien vite la tête, souffla à maintes reprises, tandis que, étrangement, la souffrance se mua en un rire qui le submergea. Et il se releva, titubant, chancelant même, au besoin à se maintenir d’une main sur l’échelle de bois. Aussitôt, entre soupir profond et râle succinct, il orienta son regard vers le haut. Et l’effet brutal de la douleur daigna enfin se répercuter, d’une larme légère aux yeux. Avec appui, des deux mains sur ses genoux, il expira fortement. Et il prit le temps à la récupération, jusqu’à la dissipation du mal. « Le guerrier s’avouerait-il vaincu ? », entendit-il, d’un rire qu’il recouvra à nouveau. 

 – Je vis avec un serpent, grommela-t-il, d’un soupir bref. 

 Aussitôt, il agrippa l’un des montants de l’échelle et commença à se hisser péniblement, jusqu’à l’étage de leur chambrée. Car le voici encore plus enhardi à parvenir à ses fins. La résolution apparut en lui, tandis qu’il affronta, d’un face-à-face, son épouse engaillardie. 

 – Les yeux te piqueraient-ils, mon amour ? demanda-t-elle, d’une lippe ironique, quand elle l’entrevit au haut des échelons. 

 – Celui que tu as choisi pour époux ne s’avoue pas aussi facilement vaincu ! Tu devrais le savoir, depuis le temps, furie du Nord ! 

 Et il bondit, se rua et la plaqua de son corps sur la draperie de lin et les couvertures de laine. Mais, elle agit avec vélocité, tandis qu’elle agrippa les parties génitales d’une main ferme. Une main qu’elle serra plus fortement, une main qu’elle ne lâcha point quand Rofrid ambitionna un geste de défense. Survinrent une expiration vive, une bouche entrouverte et une grande agressivité sur le visage de Rofrid. Et Siv en savoura l’instant, d’une lippe rétractée, d’une mâchoire crispée, telle une louve à la démonstration de ses crocs. 

 – Sans ta hache, tu ne demeures guère plus qu’un homme. Faible, comme tant d’autres, à la vue d’une cuisse. Vous, guerriers, vos esprits ne se monopolisent que pour deux choses, annonça-t-elle, d’un air grimaçant. La bataille et le plaisir de vos queues ! Alors ? Et à présent ? Hein ? Comment comptes-tu procéder ? Maintenant qu’une main délicate de femme te maîtrise par ce qui te sert de cerveau, guerrier ? demanda-t-elle, provocante, tandis que la douleur, le râle, s’entendirent et se virent chez Rofrid. 

 Malgré cela, ses traits se durcirent, lorsque son regard croisa celui de son épouse. Et il eut beau atteindre le teint violacé d’une baie de sureau, cela ne l’empêcha guère d’agir avec instinct. Pour sûr, il la savait prête à tout. Tout comme elle n’oserait point aller au-delà. Aussitôt, véloce et vif, il agrippa le poignet de Siv avec fermeté et opéra de même avec l’autre main, tandis qu’elle se risqua à un ultime revirement. Avec le poing serré, elle voulut lui asséner un coup au visage. Mais, Rofrid la bloqua dans son élan. Et il l’obligea à s’allonger sous son poids en la plaquant contre leur couche. Il se fit lourd et encombrant afin qu’elle ne puisse bouger. Sitôt, elle haleta sous la contrainte. Et elle s’abandonna d’un relâchement doux, tandis qu’elle renferma Rofrid de ses jambes, avec sensualité. Ravi, ardent, son époux desserra l’étreinte, d’une main qu’il glissa sous la robe de lin, avide d’une rencontre avec la peau attiédie de Siv. Et elle exploita ce bref instant, un moment qu’il pensait déjà à une victoire acquise. Somme toute, elle s’en trouva éphémère. Car Siv saisit avec vélocité la lame dissimulée sous leurs oreillers. Cette lame courte que Rofrid conservait constamment, au cas où l’un ou l’autre péril surviendrait. Et elle serra fortement les doigts sur le manche. Et elle l’appliqua de sang-froid sur la gorge de son époux.

 – Et la grande Dame, déesse des abysses, vient de t’emporter, guerrier ! affirma-t-elle, d’un visage qu’elle approcha au plus près.

 – Il t’en aura fallu du temps, répondit-il, d’une respiration qui s’ahana. 

 Les mouvements de leurs poitrines répliquèrent à leurs expirations, à l’unisson. Et discrètement, d’un regard rivé vers celui bleu profond de Rofrid, Siv ne put qu’en relâcher son emprise, conquise par son amant. 

 – Indomptable, comme le serpent… Mais aussi belle qu’un soir de Lune, sous la noirceur étoilée d’un voile sombre. 

 Et leurs regards s’intensifièrent. 

 Survinrent alors les désirs… Passions qu’ils s’autorisèrent aux déclenchements des appétences. Aussitôt, Rofrid en amorça les prémices, d’une caresse sinueuse qui erra sur la cuisse de Siv. Avec légèreté, elle se sentit brûlante, réceptive et réactive au toucher, tandis qu’il s’en délecta du bout des doigts et de ses lèvres qui s’abreuvèrent d’une peau sucrée. Et ses baisers devinrent humides lorsqu’il remonta ce tissu de lin. Car cela le gêna dans son ambition à hasarder une main vers l’intime, avide des secrets dissimulés au creux des reins. Essoufflée, attisée, Siv en goûta chaque caresse, tantôt fugace, parfois luxurieuse à souhait. Et Rofrid se languit très vite d’un sein. Un téton, qu’elle orienta, docile et affamée, par la moiteur des lèvres de son époux ! Désirée, envieuse, Siv offrit à la bouche de Rofrid, ses baisers, sa langue, suave. Et à nouveau, il s’aventura sur les chemins lisses du corps de Siv, égaré à dessein, vers les profondeurs cachées. Ainsi, son étreinte se relâcha en définitive, tandis que, au bruit sourd sur le plancher, Siv abandonna tout autant sa lame. Et elle le rejoignit dans sa respiration saccadée. Leurs concordances exquises encouragèrent Siv à ceinturer Rofrid de ses cuisses, d’un mouvement accentué au rythme de ses ambitions. Et leurs gestes se grisèrent d’une ivresse souveraine. 

 L’exaltation régna. Et Siv se dévêtit de sa tunique de lin, envieuse de caresses sur sa poitrine claire. Avec volupté, elle ne put se contenir d’un abandon à quelques gémissements aigus, égarés, lors d’un moment où le temps ne se compte plus. Et elle glissa ses doigts dans la chevelure de Rofrid, envoutée, envahie, guide pour son époux vers un antre qu’elle implora d’une convoitise au rebondi de son bassin. Aussitôt, elle en ressentit les séquelles, séductrices subtiles d’un régal à la jouissance, tandis que, au voyage du bout de ses lèvres, Rofrid parcourut le corps dénudé. Et il goûta la chair sucrée, d’une langue, jusqu’à entrelacer celle de son épouse. Ainsi, la passion se mua en une vigueur, puissante, sensuelle, alors qu’elle les orienta tous deux au bord d’une bestialité… Une bestialité exquise, ensorceleuse d’une hâte à en fractionner le souffle. Et l’intensité les enivra, les contraignit aux délices, tandis que, fervente, Siv entrouvrit ses cuisses, défroqua son époux avec ardeur, pour enfin le recueillir entre ses reins. Avec sa façon d’aller et venir, elle autorisa Rofrid où nul semblable ne le pourrait. Et ils se donnèrent, gémissant tous deux vers le plaisir, amants pour le temps d’un moment esseulé. Les voici unis l’un à l’autre comme au premier jour, pareil au matin d’avant, ainsi que durant les prochains.

V

 Un ciel qui s’assombrit et l’arrivée du crépuscule escorté de ses clartés envoutantes annoncèrent le déclin d’une journée, aux abords des Grands-Lac. Pourtant, Rofrid parut toujours à la besogne en cette heure tardive. Car il s’acquittait d’un stère de bois, fendant les buches à l’aide d’une hache courte et légère. Et l’entrechoquement, si percutant, s’entendit dans un écho qui rejaillit par-delà le lac… 

 – Te manquerais-je au point d’utiliser mon ustensile de coupe ? 

 Siv apparut sous la clarté du seuil de la maisonnée, quand elle referma la porte de chêne, sans excès de bruit, et elle s’avança paisiblement vers son époux. Elle tenait en main une laine animale aux teints sombres dont elle se munit au niveau des épaules. Et elle la plaça telle une cape qui la réchaufferait d’une brise fraiche et inopinée. Souriante, elle observa Rofrid et s’adossa sur l’une des poutrelles qui maintenaient le faîte de l’étable, pendant qu’elle prolongea son regard attendri et passionné vers Rofrid. Lui respirait de manière ahanante sous l’effort qu’il fournit à la coupe. Mais, il se redressa et souffla brièvement quand il s’aperçut de l’approche de son épouse. Sur le moment, son attitude devint particulière face à elle…, comme une possession, un envoutement devant son charme indéniable. Et il s’en trouva admiratif et expressif d’une bouche entrouverte. Il la dévisagea avec intensité, subjugué par le clair lumineux de ces yeux qui le fascinaient toujours autant. « Les Dieux devraient te jalouser pour un tel regard… Aussi cristallins qu’une frondaison d’un bel été, et… divin », déclara-t-il à voix basse. Car il aimait à lui murmurer cet aphorisme lors des moments intimes. Toutefois, il parut ennuyé :

 – … et Jaal doit avoir décrassé ma hache avec tant de conviction, annonça-t-il en passant ses doigts dans la chevelure de Siv, afin d’y replacer une mèche rebelle par derrière l’oreille. Qu’elle s’en soit évaporée comme la brume, précisa-t-il d’un rire résonnant. 

 Amusé néanmoins, son éclat s’entendit tel un écho métallique qui cabota sur les flots du lac, jusque dans le crépuscule de l’horizon. Et Siv l’accompagna, avant d’intervenir :

 – Tu n’as guère besoin de t’en inquiéter. Il la garde auprès de sa couche. Briquée et aiguisée comme il se doit, expliqua Siv, tandis qu’elle se blottit dans les bras de Rofrid, d’un menton qu’elle apposa sur sa poitrine costaude. 

 Et sa tête suivit le mouvement en réponse d’une respiration haletante, causée par les efforts fournis. Enlacée, elle embrassa le torse de Rofrid et laissa ses lèvres glisser dans l’interstice d’une chemise de lin imbibée de sueur.

 – … il parle de son père avec tant de fierté, déclara-t-elle en orientant son regard vers lui.

 – Pour l’abattage d’un ours sans défense ? rétorqua-t-il d’une lippe ironique. 

 – D’avoir pu contempler en lui le guerrier qu’il est, affirma-t-elle en se redressant face à lui. 

 – Évènements d’un temps jadis… À présent, il n’en demeure qu’un cultivateur, précisa Rofrid, d’une caresse, tendre, sur la joue de Siv, du revers de la main. 

 Aussitôt, leurs regards se comprirent, sans la soif d’un quelconque dialogue… D’ailleurs, Siv ne releva guère la chose et se contenta d’observer la nuée de buches amoncelées sous le porche de l’étable. 

 – En voilà bien assez pour les jours qui viennent. Tu devrais rentrer et manger un peu, déclara-t-elle d’une voix doucereuse, tandis qu’elle passa une main affectueuse sur le torse de Rofrid. Ton écuelle est prête. Tu n’as plus qu’à te servir dans le chaudron. Un ragout de viande… Je sais que tu aimes ça.

 – J’avoue qu’à t’entendre, l’appétit se fait sentir. 

 Siv embrassa une nouvelle fois la poitrine de son époux et le ceintura de ses bras, d’une inspiration forte. « Si seulement ce n’était que l’appétit… 

 — … tu empestes l’animal ! », assura-t-elle d’un haussement des sourcils. 

 – À chaque jour que les anciens Dieux nous accordent, j’en admire l’amélioration et la douceur de tes paroles. 

 Survint alors leurs rires à tous deux, unis et amusés. Et Siv en soupira, d’un air heureux, tandis que Rofrid la choya, encore, d’un passage de ses doigts dans sa chevelure blonde. Et il en huma le parfum avec délectation, d’un regard clos.

 – Va ! Moi, je voudrais profiter de la clarté du soir au bord de l’eau, avant de me coucher, avoua-t-elle d’un léger baiser du bout des lèvres, qu’elle lui concéda. 

 Toutefois, Rofrid désira en jouir également quelques instants. Et il contempla le ciel, jouant encore de ses doigts dans la crinière de Siv, avant de se décider à bouger : 

 – Je veillerai à ce que notre fils s’endorme sous de bons auspices. Je m’empresserai ensuite à ôter ce fumet qui t’incommode, assura-t-il, d’un subtil rictus qui amusa Siv, tandis qu’elle le gratifia sobrement d’un second baiser. Car d’emblée, il se dirigea vers l’intérieur de la maisonnée. 

 Et Siv observa les étoiles. Elle s’adossa et soupira, pensive, contre la poutrelle durant un long moment. Surgit une brise inopinée, fine, qui vint s’engouffrer dans sa chevelure et lui frappa le visage avec délicatesse. Bien vite, elle s’enivra de l’instant avec délectation, ravie d’une fraicheur douce et bienfaisante. Aussitôt, elle en inhala chaque parcelle, de ses yeux clos, avant de les réouvrir avec suavité. Dès lors, elle fit un pas et patienta un moment avant de cheminer placidement en direction du bord de rive. Là, où le lac lui apparut sombre. Et elle en contempla les flots, étranges et opaques comme l’encre. Cependant, ils n’abandonnèrent en son regard que le croquis, d’une route sinueuse et éclaircie sous les traits d’une lune blanchâtre, pâle et laiteuse d’un voile poudreux, telles les neiges éternelles des Pics du Grand-Nord. 

 Siv scruta alors le ciel, parsemé de millier d’étoiles, plus scintillantes les unes que les autres. Et, elle prit une assise dans la petite barque de bois, celle aux bordages disposés à clin, pareils à des ardoises de toit. La voici, les genoux repliés, tandis qu’elle se défit de sa peau de laine qui lui recouvrait les épaules. Car, elle se sentit libre en ce début de nuit, et ses yeux clairs, admiratifs et rêveurs parcoururent ce décor à la nature endormie. Aussitôt, elle ferma le regard et se concentra, à l’écoute, à la recherche d’un son, un bruit souverain des échos, comme ceux du clapotis de l’eau. Et elle en ressentit soudain celui d’un vent qui partit naviguer vers les abords de rive, tandis qu’elle ouït les bavardages nocturnes de quelques hiboux. Car ils huèrent au sommet de grands chênes, jusqu’à leur résonance… 

 Survint un hennissement, perturbateur, qui s’entendit. Il fut celui d’un cheval qui remarqua l’approche de son maître. Puisque de son côté, Rofrid vint à vérifier l’écurie, quand il apposa une main rassurante sur les nasaux de l’animal.

 – Chut… Calme ! ordonna-t-il. 

 Et il aperçut sa femme, esseulée. Dès lors, il effectua un dernier passage avec la paume de main, cajolant l’encolure du cheval, avant de cheminer vers Siv. Arrivé aux abords du lac, il se positionna à loisir aux côtés d’elle, et il demeura silencieux. Car, le voici, tout autant emporté par une nature si parfaite. Néanmoins, son attention dévia lorsqu’il remarqua cet affaissement de la tunique de lin qu’elle portait. Et il y découvrit la peau blanchâtre d’une cuisse, où il y apposa, subtilement, ses doigts, contractés et remontant avec malice le long de la cuisse. Cependant, il maintint une fausse attitude discrète, admiratif, sans réellement l’être, des flots calmes face à lui. Aussitôt, Siv réouvrit les yeux, et pendant qu’elle examinait la main de son époux qui s’aventurait vers son intimité, elle la saisit avec fermeté et fronça le regard vers Rofrid. 

 – Ne t’ai-je pas comblé dans la matinée ? demanda-t-elle, d’un geste qui repoussa la main non autorisée. Ou, me prendrais-tu pour l’une de ses filles de joie qui prospèrent à Khordull ? questionna Siv en replaçant comme il faut sa robe de lin. 

 La mâchoire crispée et un souffle succinct furent la réponse de Rofrid. Car, sans réellement maugréer, il n’osa guère affronter le regard de Siv, non plus. Et il demeura, figé, obnubilé des flots sombres et quiets. Il soupira, encore, longuement, haussant les sourcils dans un ressenti d’esseulement… Chose qui amusa Siv. Et elle en sourit avec délice, silencieuse. Mais, après un bref instant, d’un geste rapide et lourd, d’une impulsion sèche, elle posa la jambe sur celles de son époux. « Aurais-tu oublié le pacte conclu ce matin avec ta femme ? », réclama-t-elle avec malice. 

 – … figure-toi que moi, je n’ai guère omis notre arrangement ! précisa-t-elle, d’un menton qu’elle accola au niveau de l’épaule de Rofrid. Alors ? Tu t’en acquittes d’une première fournée aujourd’hui ? Ou devrais-je attendre ma nouvelle paire de bottes promise ? demanda-t-elle, d’une allure désinvolte.

 Et cela divertit Rofrid, qui ne put s’éviter d’en rire. D’ailleurs, ils en devinrent tous deux complices d’un enjouement discret. Néanmoins, sans mot dire, ce dernier prit tranquillement le pied de son épouse d’une main, tandis qu’il trempa l’autre dans les eaux fraiches du lac. Et il l’en ressortit après un instant, avant d’humidifier, avec délicatesse, le talon ainsi que les orteils de Siv. Pour sûr, ses doigts entrecroisèrent ceux du pied de Siv, d’une douceur sur les extrémités et avec fermeté dans la voute plantaire. Et le bienfait ne se fit point attendre à en discerner l’attitude de Siv. Car elle pencha la tête vers l’arrière et se mordilla les lèvres avec légèreté, tant elle savourait l’efficacité des gestes de Rofrid. Mais…, il cessa subitement, saisit l’autre jambe rapidement, tandis qu’elle en afficha un air perplexe :

 – Déjà… ? déclara-t-elle, d’un haussement des sourcils. Si tu confectionnes mes bottes avec autant d’entrain, je n’imagine même pas de quoi elles auront l’apparence… ! affirma-t-elle, d’une lippe ironique, avant de s’égayer de l’éclat de rire de Rofrid. 

 Et là encore, ils communièrent d’une liesse soudaine et agréable. Malgré cela, Rofrid soupira et s’étendit de tout son long dans la petite embarcation. Et, tandis qu’il affichait une légère moue, il tendit une main vers elle :

 – Redonne-moi ce pied insatisfait, ordonna-t-il, d’une allure encline à la compassion.

 Assurément, elle ne se fit guère attendre et se tourna un peu afin de placer celui-ci contre le torse de son époux. Et elle effectua son geste d’un air altier, mais… ravi. Cependant, l’attention réelle de Rofrid dériva très vite, et bien intentionnellement, vers un entrebâillement de tunique qui laissa paraitre la beauté pâle et intime d’une cuisse. Et elle remarqua son comportement en l’instant, tandis qu’elle en afficha un rictus au coin des lèvres. 

 – Je conçois mieux ta position…, affirma Siv, d’une dérision dans son attitude.

 – Tant qu’à faire ! J’aime à profiter d’une vue dégagée, annonça Rofrid, d’un froncement du regard, qu’il accentua pleinement vers l’entrecuisse de son épouse. 

 Amusée, elle en soupira, avant de se décider à le chevaucher sans mégardes. Et elle s’appuya de ses mains sur les épaules de Rofrid, tandis que sa chevelure vint à lui effleurer le visage. Le voici bien ravi, pour sûr, de l’attitude de Siv. D’ailleurs, il amorça, sans plus tarder, une main aventureuse, sous la tunique, fureteur au désir d’une rencontre vers la peau attiédie en cette soirée affraichie. Aussitôt, elle le stoppa, bloqua l’avancée de ses doigts et le toisa fièrement d’un œil folâtre. Blessé dans son orgueil, Rofrid se redressa promptement et se maintint en une position assise, tandis qu’un soupir succinct s’échappa de sa bouche. Les yeux froncés vers son épouse :

 – Pourquoi ai-je tenté de négocier avec une louve ? se demanda-t-il, d’un plissement des yeux. Même édentée, tu mordrais la main de celui qui te nourrit ! affirma-t-il d’un léger regard empli de mépris. 

 Et tout à coup, celui de Siv se ternit à l’entente des propos.

 – Ah… Et tu crois que c’est la tienne qui me repait, répliqua Siv d’un regard froncé, tandis que, sèchement et d’une main serrée, elle lui saisit la mâchoire. Dis-moi, mon cher et bienveillant époux…, se moqua-t-elle. Qui dresse donc ton écuelle, chaque jour ? Qui, martèle ta viande pour l’attendrir ? Et qui cultive ta terre pour te nourrir d’un plat quotidien ? Alors que toi, tu t’enivres, demanda-t-elle, agacée. La louve, comme tu aimes à dire… Hé bien, cette louve gère la tanière d’un mâle qui, sous prétexte d’avoir abattu la bête, ne daigne qu’à se gaver et s’endormir à loisir jusqu’au prochain festin ! Ce bien-être se mérite ! … tout comme les plaisirs inlassables qui t’envahissent dès la vue d’une de mes cuisses, précisa-t-elle, d’un regard haut, altier, avant de relâcher sèchement son emprise des doigts sur la mâchoire de Rofrid. Satisfais-la ! rétorqua-t-elle d’un geste à remonter sa robe, afin d’étaler son pied nu. Et, en la récompensant d’une nouvelle paire de bottes… Et quelques soins de pieds bien gagnés. Entre autres exemples, proclama Siv, d’une moue irritée sur son visage grimaçant. 

 Malgré cela, il en sourit… bien que les paroles de Siv fassent leur effet.

 – Assieds-toi de côté, que je t’honore de ma promesse…, sorcière ! ironisa-t-il d’un bref soupir et en la contemplant avec intensité. 

 D’ailleurs, après un tel regard, elle-même ne put résister. Et elle appliqua ses lèvres sur celles de Rofrid, avide d’un baiser suave en guise de réponse. Mais, elle joua la finaude. Et elle réouvrit les paupières, afin d’exploiter l’instant de distraction. Aussitôt, elle glissa une main dans la culotte de Rofrid, tandis qu’il en demeura pantois et surpris. Et la bouche entrouverte, Siv effleura encore celle de son époux. Elle haussa les sourcils et s’affaira d’une main vicieuse. Sans plus attendre, Rofrid se hasarda d’une approche aux cuisses de Siv. Mais, elle réfréna prestement son geste : 

 – Qui t’a donné la permission ? demanda-t-elle, stoppant son acte lascif. 

 – Et toi ? répondit-il d’un œil hagard. 

 – Dis-moi seulement que cela te déplait et j’arrête dans l’instant, lui déclara-t-elle, de sa main débauchée, qu’elle serra et activa avec lenteur. 

 Et elle se hâta, petit à petit, dans son mouvement, tandis qu’elle s’agrippa même de l’autre bras, au cou de Rofrid, sans pour autant lâcher son regard perdu dans le sien. Survint une excitation qui inonda le visage de Rofrid, jusqu’à muer d’une étrange crispation… 

 – Oh, non ! intervint-elle, d’un geste de la tête, tandis qu’elle stoppa définitivement celui de sa main. N’espère pas en finir de cette manière, assura-t-elle, d’un front apposé à celui de Rofrid. 

 Et elle dégagea sa main, s’agenouilla et se redressa en douceur. Adroite, elle releva sa robe, s’aida d’elle-même et opéra tel un guide pour que son corps reçoive Rofrid. Survinrent alors leurs gémissements suaves, tandis qu’elle se laissa glisser, à en devenir un soulagement pour elle… comme pour lui. Aussitôt, elle se déhancha, calme, et d’une maîtrise qui permit à son époux d’autres attouchements qu’il convoitait depuis un bon moment. Et sous les échos d’un clapotis, leurs ombres s’unifièrent aux caresses invisibles d’un halo de lune resplendissant. Car voici la légèreté, d’une nouvelle nuit, qui conduisit une femme complaisante vers l’approbation de ses secrets intimes à son époux.

VI

 Déjà, le petit matin agrémenta les lieux, d’un soleil radieux qui se révéla sur les abords de rive. Et les tableaux aux peintures naturelles créèrent ainsi un décor munificent. Pourtant, encore présent, un léger teint hivernal abreuvait toujours certains endroits. Car la cime des monts lointains se parait inlassablement, du voile blanc laiteux de la neige. 

 En ce nouveau jour, une certaine fraicheur planait continûment, sous une brume, qui lévitait par-dessus les flots calmes et endormis du lac. Et dans la petite embarcation esseulée, le couple, étreint sous la peau animale que portait Siv à la veillée, paraissait assoupi avec quiétude. Toutefois, la chaleur exquise du soleil vint se balader, sous forme d’un halo qui chemina, jusqu’à cajoler avec douceur, l’épiderme et les épaules de Siv. Et cela engendra l’onctuosité d’une sensation agréable et délectable, que la jeune femme savoura, d’un gémissement discret. Néanmoins, elle grommela, plus fortement, lorsque Rofrid se saisit à tressauter sous l’effet d’une appréhension. Et il se dressa légèrement, visualisant le lointain, tandis que ses yeux balayèrent l’horizon en un instant.

 – Debout ! réagit-il, d’un sursaut brusque. 

 Dans l’instant, il secoua Siv sans réserve. Et à peine, il se tint droit, qu’il revêtit sa chemise de corps. « Laisse-moi profiter… Encore un peu… », marmonna-t-elle, ses paupières entrebâillées. 

 – Siv ! beugla-t-il, son regard froncé vers elle. 

 Aussitôt, elle bougea, se redressa, la tête la première, et comprit qu’un problème s’affairait. Bien vite, elle visualisa les alentours…, sans rien entrevoir d’inhabituel. Néanmoins, Rofrid, quant à lui, guettait continûment les environs. Inquiet, dans son attitude, et vif à finir de se rhabiller. Sitôt, elle fit de même, sans mot dire, se revêtant avec hâte. Et elle sortit de la petite embarcation, enjambant le rebord, tandis qu’elle attrapa et comprima la peau de laine sur sa poitrine. Pour sûr, la voici envahie d’une appréhension tout à coup, se tournant vers son époux. Lui, se figea, droit, l’œil à scruter le sentier qui conduisait par-delà la courte plaine, tandis que sa respiration ralentit, tant sa concentration prit le dessus. « Rofrid… », l’appela Siv, son regard anxieux. Quinze années de vies à le supporter, à l’aimer… Certes, elle le connaissait à la perfection. Alors, elle le dévisagea un instant, quand il inspecta le passage… Celui, situé en bordure du lac… Celui qui émanait du sombre chemin de Kornlir, et qui s’arrêtait sur leur terre. Obnubilé par ce couloir garni de rocs et d’une route terreuse qui virait aux derrières de ceux-ci, Rofrid demeura aussi muet qu’un poisson dans les eaux. Car là où ils vivaient, l’endroit restait le seul et unique lieu qui disparaissait des regards, caché d’un décor naturel et rocailleux. 

 – Rentre, réveille notre fils et reste avec lui à l’intérieur ! ordonna-t-il froidement. 

 Figée… tel un bloc de glace, Siv s’emplit d’incompréhension. Et d’un automatisme de la main, elle replaça une mèche rebelle, qui obstruait son regard soucieux. Elle se maintint droite, la bouche entrouverte, sans ne guère se rendre compte, tandis qu’elle avança d’un pas vers son époux, sa démarche hésitante et le bras tendu fébrilement. Et elle parvint à apposer le bout de ses doigts, sur ceux de Rofrid, à la recherche d’une quelconque rassurance. Toutefois, bien qu’il les enlace, ceux-ci se crispèrent et chaque muscle de son bras opéra tout autant, jusqu’à ceux de son visage… Il serra le poing, tandis qu’elle en ressentit toute la fermeté. « Tout de suite ! », commanda Rofrid, son regard aussi sombre que la nuit. Et son insistance endurcit même ses traits, son front, et ses sourcils se froncèrent avec agressivité. Surtout qu’il prit une attitude que Siv n’eût plus aperçue depuis bien des saisons… 

 Et elle n’attendit guère d’autres rappels. Elle obéit en l’instant, avec empressement, sans discourir. Aussitôt, elle appuya ses pas, de plus en plus, s’encourant jusqu’à leur ferme. Et elle en gémit d’un trémolo aigu, bref et étouffé dans son avancée. Évidemment, elle comprit qu’un danger prochain se présentait à eux. Et quand elle atteignit la maisonnée, elle y entra et referma la porte si vivement, que son fils en tressaillit d’un sursaut subit. Le voici droit sur sa couche, dressé de son buste et le cœur battant la chamade, tandis qu’il découvrit sa mère, apeurée et ahanante. 

 – Mère… ? demanda Jaal, inquiet, quand il aperçut des lèvres tremblantes et du teint aussi froid que le blanc de l’hiver chez elle. Et père ? réclama-t-il en la voyant seule, de son regard qui balaya toute la pièce.

 – Habille-toi ! commanda-t-elle, d’un air empli d’anxiété. 

 – Pourquoi ? Qu’y-a-t-il ? insista Jaal, d’une appréhension soudaine, sa culotte de lin enfilée en toute hâte.

 – Monte là-haut et ne bouge pas ! ordonna-t-elle d’un geste de la tête, lui indiquant sa propre couche. 

 Aussitôt, elle s’accola à la porte d’entrée et quand sa respiration s’apaisa, elle scruta au-dehors par l’un des interstices laissés entre les planches de chêne. Pour sûr, la curiosité envahit Jaal. D’ailleurs, il ne put s’empêcher à faire de même et rejoignit immédiatement sa mère, intrigué par l’extérieur. Et bien vite, elle réagit avec autorité, son regard froncé vers Jaal. 

 – Obéis et va te cacher là-haut ! 

 – Non ! Je veux comprendre, rétorqua-t-il, entêté et déterminé. 

 Borné, il prit la même position qu’elle, désireux d’épier les moindres faits et gestes qui se dérouleraient au-dehors. « Aussi têtu que ton père ! », grommela Siv, sans insister, son soupir léger face à l’attitude de son fils.

 – Là ! Regarde… Des guerriers, annonça Jaal subitement.

 Avec persévérance, elle scruta et discerna l’arrivée d’un groupe de cavaliers en armes. Et elle différencia rapidement les boucliers, ainsi que les épées encore portées au fourreau. Mais, ces hommes à la parure complète du combattant avant une bataille l’intriguèrent davantage. 

 – Les guerriers du Dragon …, déclara-t-elle à mi-voix, d’un air interrogatif, tandis qu’elle effectua un recul soudain de la tête. Que font des Hackad dans les terres du Sud ? 

 – La bannière, celle du Dragon-Noir, mère… 

 Aussitôt, elle se repositionna et remarqua tout autant l’effigie sur fond rougeâtre qui apparaissait sur les boucliers. Pour sûr, elle reconnut également l’homme en discussion avec Rofrid. « Garrath… », marmonna-t-elle quand elle vit son époux approcher avec assurance vers ce dernier.

 – Qui est-ce ?

 – Garrath… Le fils du roi Brand… Tu l’as déjà rencontré dans le cas de notre traversée de Khordull. Mais, tu n’avais que quatre ans à l’époque, narra-t-elle, d’un air pensif, errant brièvement dans ses souvenirs d’antan. Il a contribué à notre passage en forêt de Kornlir, lors du grand changement. 

 – Ah ! Alors, il ne souhaite que du bien…, déclara Jaal, d’un haussement des sourcils, tandis que sa mère inspira profondément.

 Elle paraissait ennuyée à devoir fournir une réponse. Mais, lorsqu’elle plongea son regard dans celui de son fils, elle poussa un soupir succinct. Pour sûr, une explication était attendue… 

 – Pour t’avouer, il s’appliquait surtout au bon déroulement de notre bannissement… Nous vouer à toute l’humiliation possible. Non ! affirma-t-elle d’un rire moqueur. Les appétences de cet homme s’érigent bien au-delà de nos aspirations, crois-moi ! Et son père, tout autant que lui, s’arrange pour que nous vivotions au maximum. Je te le dis : ces gens ne sont aucunement bienfaisants pour nous. Surtout, ne l’oublie jamais ! À l’époque, nous subsistions tels de véritables parias, assura Siv, d’un regard-espion dirigé par l’un des interstices de la porte. 

 – Et… cela aurait-il changé ? demanda Jaal, d’une lippe ironique. 

 – Non…, répondit-elle en le dévisageant un instant. Mais, ton père espère toujours aux jours qui passent, d’une omission qui envahirait certains esprits, expliqua Siv, d’une main tendue et délicate, vers une mèche rebelle qu’elle replaça. Et la mémoire courte de certains, comme il aime à dire, peut fournir une sureté à la viabilité d’un avenir, pour chacun de nous… 

 – Et avec le temps, à vieux roi, nouveau roi, déclara Jaal, d’une réflexion censée, tandis que sa mère acquiesça d’un simple mouvement de la tête. Alors… Voici l’homme qui règnera un jour sur les terres du Grand-Sud…, parla Jaal. Ou sinon… Peut-être ne se trouve-t-il ici que pour la dîme, annonça-t-il.

 – N… nnon. Pourquoi ? Il s’acquitterait lui-même d’une telle besogne… Je n’y crois guère. Et puis, que viennent faire ici les guerriers des Terres-de-Sang ? En sa compagnie, qui plus est ? répliqua-t-elle, d’un haussement des sourcils, l’œil évasif à l’intrigue de cette venue inopinée et étrange. 

 Et elle approcha une oreille, afin de puiser une écoute possible de la discussion entre Garath et son époux. « Je ne les entends pas… », annonça Siv, lorsqu’elle orienta à nouveau son regard vers l’extérieur, au travers de l’interstice. Mais, elle remarqua bien l’attitude distinctive des cavaliers. Surtout quand ils cerclèrent Rofrid, avec subtilité. 

 Survint l’effroi, âpre. Et il liquéfia quasi son visage, tandis qu’elle déglutit, d’une respiration ahanante et soudaine. Aussitôt, elle dévia son attention vers la couche de son fils et d’un élan, elle s’y rua. Paniquée, les mains tendues, elle se précipita vers l’arme de Rofrid, une hache lourde qu’elle agrippa sans en concevoir quelques risques probants. Pour sûr, avec la respiration hâtive et le comportement au stress évident de sa mère, Jaal agit à son tour. Et il l’appréhenda, au plus vite, désireux de stopper son ardeur. 

 – Non ! intervint Jaal, d’un geste de la main, saisissant l’objet.

 – Lâche cette hache ! Ton père est seul et sans moyen de défense, spécifia Siv, d’un ton appuyé sur ses mots. 

 Elle tenta de maintenir vigoureusement l’arme que Jaal, lui, s’efforçait à reprendre. « Laisse-moi ! Ils ne viennent guère ici pour tergiverser d’une dîme impayée ! », rétorqua Siv, d’une angoisse qui l’enivra. Jaal crut bon d’intervenir :

 – Je le sais ! Mais, comment vas-tu la lui donner au beau milieu de neuf guerriers ? demanda Jaal, d’un air ferme tandis qu’il sentit enfin la résistance de sa mère s’apaiser, et finement, il subtilisa la hache. 

 Aussitôt, il la redéposa sur sa couche et se figea, concentré… Il raisonna un instant et sortit un objet dissimulé dans son dos, à sa ceinture de cuir : « … le couteau à dépecer… », balbutia Siv au regard de celui-ci. Mais, Jaal demeura hésitant en contemplant l’arme dans sa main. 

 – … nous devrons agir avec discrétion, déclara-t-il, d’un regard bas. Le moindre geste suspect pourrait déclencher l’attaque des guerriers, assura-t-il avec crainte.

 Siv inspira profondément et acquiesça. Et bien qu’elle expire d’un sang-froid, ses doigts qui replacèrent sa chevelure en vitesse tremblotèrent. Pour sûr, l’anxiété se présenta à elle. D’ailleurs, elle dut s’en éponger les mains d’une moiteur inopinée, se les frottant grossièrement sur sa tunique de lin. Bref, elle se contrôla et recouvrit une respiration calme, d’un souffle succinct. Et elle saisit en douceur le coutelas et le dissimula dans le revers de sa manche, tandis qu’elle s’orienta vers la sortie, d’un reniflement, suivi d’un soupir incisif. Elle avança d’un pas… Quand son comportement et son attitude dévoilèrent une nouvelle austérité de ses angoisses. Car elle rétablit les plis de sa tunique, sous de multiples agissements, sans véritablement dominer ses gestes. Surtout lorsqu’elle observa la porte de bois, si proche, insurmontable, et sa respiration s’accéléra. Pour sûr, la voici timorée, aux saisies de la poignée. Ses doigts, fébriles tout à coup, se rétractèrent au franchissement de l’obstacle, tandis que Jaal, lui, comprit l’inquiétude de sa mère. Tant et si bien, qu’il vint interrompre sa peur, avec flegme, se plaçant avec calme au-devant d’elle. Et il déploya une main, ferme, vers elle, d’un regard complice et déterminé d’une décision.

 – C’est à moi d’intervenir…, déclara-t-il avec aplomb. 

 – N… nnon, essaya-t-elle de lui répondre. 

 – Mère… Comme moi, tu sais qu’ils ne se méfieront pas d’un jeunot. Et puis… Je suis le plus à même de lui glisser cette arme. Je resterais non moins discret qu’un renard, assura-t-il, d’un bref sourire. Tout va bien se passer… Garde confiance… 

 Le regard placide, l’air altier et une main tendue convainquirent sa mère, bien malgré elle. Et elle céda l’objet d’une légère moue, décidée et pourtant timorée à l’idée que son enfant jouera de sa vie. Malgré tout, Jaal récupéra la lame et la camoufla à son tour, droit et affirmé dans ses gestes et d’un cran aussi digne qu’un guerrier. 

 Siv posa alors une main sur la joue de Jaal, son visage souriant.

 – Ton père peut être fier de son fils… Et sache que jamais je ne te laisserai seul. Je me joindrais donc à tes pas au plus vite. Et je m’assurerais que tu peux lui fournir le coutelas. J’agirais avec distraction auprès des guerriers, déclara Siv, d’une caresse qu’elle offrit au menton de Jaal, du bout des doigts, tandis qu’elle apposa son front contre le sien. Nous resterons ensemble… Jusqu’au bout ! Alors, sois abrupt, conseilla-t-elle, d’une main posée sur la poitrine de son enfant. N’oublie jamais qui tu es… Tu es fils de Rofrid Asgeïr, ancien Guerrier du Grand Roi Arnvald… et descendant Hulfhendnar1. 

 – Et fils de Siv, fille du Nord, ajouta Jaal solennellement, tandis que sa mère l’enlaça d’une étreinte ardente.

 Jaal l’enserra de même, le temps d’un moment. Et il ouvrit la porte sans mégardes, hâtif et téméraire jusqu’au-dehors. Mais, quand la porte se ferma devant Siv, le silence régna. Puisqu’elle parut désappointée sur l’instant. Toutefois, après un maintien forcé d’une attitude qu’elle voulut digne face à son enfant, Siv releva une main à la bouche, soupirant, geignant même, son front posé contre la porte. Car elle éprouva un ressenti d’effluves affolants… Des effluves nommés, désarroi…, peur et émoi…

VII

 Sur le seuil, au-dehors, Jaal tint un calme surprenant. D’ailleurs, il s’autorisa à un bref dégluti, sobre, lorsqu’il se révéla aux regards des guerriers en nombres. Il maintint même une certaine aisance au-devant des neuf hommes de bonne corpulence. Et il eut le temps de bien les discerner : une chevelure tressée, voire rasée pour certains, la barbe pour d’autres et des traits aguerris qui s’affirmaient dans une robustesse quasi solennelle. Culotés de noir, bottés de cuir noir, ils portaient en outre des pourpoints épais munis de souples cottes de mailles légères. Bref, un équipement qui prévaut contre une visite de politesse. Surtout avec leurs haches de guerre maintenues sur leur monture, les épées longues encore au fourreau, tandis qu’ils arboraient chacun un bouclier disposé dans le dos, soutenu et fixé par une bretelle large autour de la poitrine. Et avec au centre de ceux-ci, l’effigie du Dragon-Noir, l’emblème du royaume des Terres-de-Sang. Plutôt bien équipé à vrai dire. D’ailleurs, Jaal le remarqua aisément, tout autant qu’il aperçut leur chef, placé plus avant, discret dans son attitude, même… étrange, pour un chef. Et Jaal en fronça le regard, intrigué par l’homme affublé d’un heaume de combat, suiveur de celui dont sa mère lui parla, Garrath, fils de Brand Svensson et héritier du Grand-Sud. Aussitôt, Jaal avança vers ce dernier, qui, quant à lui, faisait face à Rofrid. Le voici avec une cape que seul un commandant portait, brodée d’une riche étoffe noire et attachée à l’aide d’une fibule jetée à l’épaule droite. De plus, Garrath avait la carrure costaude, le visage buriné et la chevelure courte, coiffure typique des gens du sud. 

 Survint l’amusement d’un regard pour celui-ci, d’une situation, pour le moins, biscornue. Pour sûr ! Car lorsque Rofrid se tourna à l’entente d’un bruit de pas, il découvrit son fils, nonchalant et qui cheminait vers lui. Et ainsi, Garrath, tout sourire, eut le besoin d’intervenir : 

 – Hé bien ! Voici une absence expliquée qui reparait en moment inopportun, di-rait-on…, un intrus que nous n’espérions guère voir se manifester céans, déclara Garath, d’une lippe ironique. Et le fils prodigue vient donc à notre rencontre, ancien guerrier, annonça-t-il, d’un rictus amer, tandis qu’il se redressa sur sa selle, d’un appui sur le pommeau. 

 Néanmoins, il maintint un air plus interrogatif ensuite. Et il fronça le regard, avant de descendre de sa monture. L’homme s’avança d’un pas, ses doigts triturant son menton, l’air intrigué, sans réellement s’étonner…

 – Ne nous mentionnais-tu pas une indéniable absence, il y a un instant ? questionna-t-il d’un pas en avant et d’une position légèrement latérale. À en estimer l’imprévu, j’en ressens une intense incertitude quant à celle de ta femme, qui au demeurant, gambaderait dans la forêt avec ton fils, ancien guerrier. À la cueillette, disait-il…, grimaça Garrath, la moue évidente, suivie d’une profonde inspiration, et expirant d’un souffle fort et bref, tandis que ses compagnons en devinrent hilares. 

 Surtout quand une conclusion inopportune vint à déconcerter Rofrid. Pour sûr, chacun y alla d’un rire, lorsque Siv surgit à son tour. Et pourtant, elle tint une allure altière et placide, tandis qu’elle cheminait vers son époux. Qui dut, malgré ses dires, s’en accommoder d’un simple soupir. Et elle avança et concéda, au passage, un baiser sur la crinière blonde de son enfant qui gardait une apparente sérénité. Même qu’elle l’effectua sans s’immobiliser, d’un pas sûr vers Rofrid, d’un sourire porté en avant. D’ailleurs, l’on pourrait dire qu’elle se montra innocente…, à la limite d’en dévoiler une certaine ingénuité. Toutefois, en elle régnait continûment une crainte qui l’asphyxiait, telle la noyade en eau profonde. Et elle apposa calmement, une main assurée, sur l’épaule de son époux, confiant un simple message à ce dernier : 

 – Ton fils aspire à ta permission, concernant la chasse d’hier, dans la matinée… et surtout pour le dépeçage que tu lui avais promis…, annonça-t-elle, ses dires bien habiles. 

 Pour sûr, elle resta discrète, mais finaude. Car elle concéda un regard loquace vers Rofrid, avant de s’intéresser aux guerriers qui les entouraient. Cependant, elle s’adressa avant tout, à celui qui leur faisait face, Garrath. Et elle accentua son sourire, bien que son appréhension l’envahisse intérieurement. Mais, elle progressa d’un pas franc et appuya une main calme sur le haut du crâne du cheval, d’une caresse qu’elle voulut subtile, et d’un air contemplateur vers Garath. À vrai dire, elle en simula ses anxiétés, et brava l’homme, d’une attention qui le divertirait… Elle joua donc, d’atours bien dissimulés, mais… intelligibles à celui qui les convoitait.

 – Bonjour Garrath. 

Et elle cajola les naseaux de la monture, de sa paume, douce dans le regard, tandis qu’elle accota son visage angélique sur la joue de l’animal, d’une complaisance à souhait. 

 – Siv…, annonça ce dernier, d’un œil concupiscent et avide.

 – Il apparait tôt pour la dîme… Mais, je suis certaine que Rofrid peut te l’allouer sans peine, assura-t-elle avec sérénité. 

Malicieuse, elle parvint à octroyer ce bref instant à Jaal…, un moment où il profita pour procurer subrepticement le coutelas à son père, tout en le dissimulant de lui-même au niveau de sa taille. Et il plaça ainsi l’objet, sous la chemise de lin de Rofrid, qui appréhenda la manœuvre avec espièglerie. Aussitôt, il se positionna, discret, derrière Jaal, d’un bras qui l’enserra à la poitrine, tandis qu’il joua de ses doigts dans la chevelure aux couleurs des blés de ce dernier. Pour sûr, le voici songeur de la situation, d’un baiser qu’il apposa sur la toison dorée, et qu’il huma tel un parfum des Dieux. Mais, Garrath, de son côté, entrevit l’attitude de Siv. Et très vite, il devint ferme et concis dans ses paroles… Tout autant dans ses gestes d’ailleurs. Car il brandit brusquement son épée, d’une initiative vive. Et il orienta sa lame vers la gorge de Siv, tandis que, sous l’effet des miroitements ensoleillés, le métal scintilla. 

 – Il suffit…, suffit de nous prendre pour des sots ! annonça-t-il, son regard fermé et ses traits emplis de haine tout à coup. 

Pour sûr, Rofrid intervint sans attendre, d’un écart de côté, tandis qu’il glissa, avec sang-froid, deux doigts sous la lame de Garrath. Et il éloigna le fer de sa cible, prudent, guide, de celle-ci vers sa propre poitrine. D’ailleurs, cela encouragea vivement deux autres guerriers à démonter à leur tour, d’un pas provocateur vers Rofrid, intimidant avec leurs protections de bataille sur le visage. Et ils brandirent leur épée avec menace, face à lui, dont le regard s’altéra tout à coup, et qui tint à contenir la hardiesse des guerriers : « doucement, Garrath…, doucement. » Aussitôt, Rofrid éleva l’autre main, vers les deux guerriers, tandis qu’il demeura calme, et tenta ainsi de les intimer à stopper leur avancée. 

 – Discutons… Si les termes de la dîme venaient à ne plus satisfaire le roi. Si elles nécessitaient quelques changements que ce soit. Nous ne contesterions jamais ses demandes. Fais-nous part de tes exigences ou de celle de ton père, Garrath. Quelles qu’elles soient, en tous les cas, nous nous y soumettrons pleinement, déclara Rofrid, avec prestance et assurance. 

Malgré cela, Garrath n’en offrit qu’un léger rictus allusif pour réponse. Et il fit un pas, relâcha son bras, un instant, et il le tendit à nouveau, ferme, tandis qu’il brandit sa lame accusatrice vers le cou de Rofrid. « Je te soupçonnais…, plus subtil », avisa Garath, d’un sourire obligé. Amusé et ironique au ton de sa voix, Garrath rabaissa son arme et il en enfonça la pointe dans le sol, tandis qu’il joua de celle-ci dans la terre boueuse. Sitôt, il spécifia les choses : 

 – Toutefois, sache que mes propos demeurent chétifs en ce qui te concerne. J’admets que ta fausse niaiserie m’aura bien diverti, d’ailleurs, clarifia Garrath d’une intonation cynique. Cependant, ici…, et en ce jour, tout a une fin ! précisa-t-il avec un rictus des plus insistants, tandis qu’il se montra désinvolte dans son attitude.

Le voici qui se déploie tel le suzerain altier d’une écoute à ses propres mots. Et Rofrid, quant à lui, se décala aussitôt, d’un bras protecteur pour son épouse et Jaal. Mais, il comprit la présence de Garrath et ses cavaliers. Car il s’orienta vers les siens et ses yeux parurent coruscants. Sitôt, il exhiba son regard, tandis qu’il le dirigea vers le ciel bleui. Un firmament qui dominait déjà les Grands-Lac. Et d’un enchainement ininterrompu, Rofrid contempla toutes choses qui agrémentaient les lieux qui les enclavaient, lui et les siens. Avec douceur, il observa les rocs blanchâtres sur l’autre rive, ceux qui bosselaient l’horizon de ses tons pâles. Et il perçut ensuite les abords de Kornlir, envahi par le souvenir d’une chasse intime avec son fils, une chasse gravée à jamais en mémoire. Aussitôt, il aima son fils, à nouveau, et il goûta une dernière fois à la beauté des yeux clairs de son épouse. Survint une brise, légère et aérienne, lorsqu’elle s’engouffra dans la longue chevelure de Siv. Rofrid la ressentit aussi résonnante qu’une houle… Une houle à la vague furibonde, limpide comme la mer, un soir d’été aux falaises du Grand-Sud. Et leurs regards se figèrent. Les bruits s’estompèrent. Rien ne sembla survivre autour d’eux…, le métal luisant des armes des guerriers, ni le hennissement d’une monture qui pressentit le danger. Pas même Garrath, qui s’alléguait tant bien que mal de pamphlets aux doléances d’une décision qui le conduisit céans. Que nenni ! Rien ne pouvait les perturber… Et Siv s’en émerveilla, tandis qu’elle y élucida une vérité dans la démarche de Rofrid. Pour sûr, elle comprit ce qu’il lui signifiait d’un regard. Et elle se rappela, un instant, cet aphorisme qu’il chérissait, qu’il lui chuchotait lors de leurs crépuscules intimes aux abords des eaux du lac. Car ils apparaissaient comme le rêve d’une vieillesse à l’ambition éternelle et opulente, passionnés pour leurs destinées… Des mots qui résonnèrent aux souvenirs de tous deux, une dernière fois… 

« Là s’accomplira la fin de notre route ;

puisqu’en ces lieux, il s’érige une terre qui nous ensevelira ;

voici la parcelle abritée d’un ciel où Sól1 teintera nos tombes de sa lumière ;

nos âmes gîteront où Máni1 nous baignera dans son crépuscule… »

Et Siv se contraignit au sourire, d’une larme sinueuse et abandonnée sur sa joue. Alors, comme un accord, elle acquiesça, d’un bref signe de tête, d’un regard aimant. Car la voici bienveillante, ceignant Jaal aux épaules, le celant contre sa poitrine, en harmonie avec elle-même. Et elle scella légèrement les yeux, quand Rofrid se raidit soudain…

Et la promptitude des évènements s’accéléra, tel un fléau surgi des enfers. Véloce comme le serpent, précis comme un faucon, Rofrid s’élança, tandis que Siv recourut à son instinct, telle une louve. Et elle exhorta son fils, d’une poussée vive et forte de ses mains, à se dérober du danger. La voici, vociférant : 

 – Cours ! 

Et elle hurla si puissamment, que les formes de son visage s’altérèrent. Car elle se crispa totalement lors de son cri et ses traits devinrent aussi durs que le marbre fissuré. Aussitôt, de son côté, Rofrid, plus furtif qu’un battement de cil et ardent comme l’éclair, atteignit sa première cible. Bondissant en un saut, il effectua un pas vers la monture et le guerrier derrière lui, situés au plus proche. 

Pour sûr, Jaal se précipita, tel un renard fougueux, à toute jambe, d’une course vers l’étable. Car là, il profiterait des chevaux, propices à sa fuite, tandis que Siv virevolta avec diligence. Et elle fut si prompte, qu’elle en grimaça dans son impulsion, les bras tendus pour attraper la bride du cavalier ciblé par Rofrid. Dès lors, la bataille d’une survie débuta, sous l’engagement hostile des deux amants.

VIII

Hardis, tous les deux, tel un seul homme, ils agirent pour la lutte d’un trépas. Car la survivance d’un fils prévaut à leur propre vie. Et Siv, égale à la louve en rabattage d’une proie, empoigna l’oreille de l’animal. À pleine dent, elle la mordit. Avec ses mains, d’un déplacement continu, d’un cri guttural et barbare, elle dévia ensuite le chanfrein et les naseaux du destrier, tandis que sa hargne força l’animal à s’affaisser de tout son poids vers le bas. Aussitôt, la bête chuta sur le côté. Pour sûr, le cavalier paniqua, stupéfié, confondu par l’attaque, pendant que Rofrid opéra avec dessein et au profit de la perdition du guerrier, il le happa vers le sol. 

Surgit alors un jaillissement sanguinolent. Car Rofrid, d’une série de frappes rapides, plongea la lame du couteau à dépecer dans la gorge du cavalier. Et le fer pénétra la chair avec aisance, tandis que le visage de Rofrid se macula d’un ton érubescent. Résolu, son regard reluisit sous le sang qui lui dégoulinait du front aux joues. Aussitôt, il remarqua Siv qui empoigna l’épée au fourreau de l’homme abattu. Pour sûr, ils restèrent expéditifs, tant et si bien que la surprise s’en trouva totale chez leurs ennemis. Et, dans l’effarement général, un brouhaha résonna parmi les chevaux, qui hennirent si vigoureusement, qu’il en retentit un son quasi stridulant. Et il se répercuta jusqu’à l’écho… Un écho qui ondoya par-delà les rocs et les eaux calmes des Grands-Lac. Mais, rien n’était gagné pour autant. Ainsi, Siv perpétua sa hardiesse et propulsa l’arme dont elle s’empara vers son époux, d’un visage crispé, marqué et déterminé. Et elle ne s’arrêta guère en si bon chemin ! Oh que nenni ! Prompte, elle se pressa sur le coutelas encore planté dans la chair du cavalier, le saisit dans son élan et se rua vers son fils. D’une concordance incroyable, par cette action si véloce, le sang jaillit à nouveau ! Car Rofrid eut le réflexe approprié et empoigna l’épée dans sa volée, semblable à un aigle qui vint à plonger sur sa proie. Et il se dressa sitôt avant, tandis qu’il s’affirma aux deux autres guerriers qui le chargèrent à leur tour. Pour sûr, chacun d’eux se pressa au désir d’asséner une frappe mortelle, d’un assaut enthousiaste. Mais… Rofrid joua de cette grossière erreur… Les naïfs qu’ils sont ! Assurément, d’une foulée, Rofrid perfora la gorge du premier et d’un coup d’estoc foudroyant, il fit pénétrer le métal dans la chair du second, tel le fil à couper dans une motte de beurre attendrie. Et d’un réflexe, le guerrier posa les mains sur sa blessure, béante, d’un râle au son guttural, tandis qu’il s’effondra à genoux… Et il s’écroula comme une masse inerte dans la terre boueuse. Néanmoins, de son côté, Jaal risquait déjà une mainmise sur le cheval de son père… Un cheval qui s’en apeura sitôt devant, au ressenti d’une rage et d’une colère qui firent effluve dans la petite vallée. Et elle se braqua à l’arrivée du jeunot, d’un refus à la saisie, par appréhension de l’agitation. Pour sûr, cela permit à l’un des cavaliers d’en répondre bien assez tôt, faisant ainsi barrage aux actions de Rofrid et des siens. Car il parvint sans effort à s’entremettre face à l’élan de Jaal. Et il cabra sa monture, d’une riposte vive qu’il accentua d’un tirage de ses rênes sur le côté. 

Survint un hennissement puissant, des sabots imposants qui s’élevèrent et piétinèrent le sol, tandis que Jaal chuta sous la menace. Et d’un réflexe immédiat, il brandit un coude, au-devant de son visage… Une bien vaine protection. Ébahi, figé de stupeur, il n’eut guère le temps d’un appel pendant qu’il vit l’animal se dresser. Arriva Siv, qui bondit, telle une lionne, sur la croupe du cheval. Et d’une aisance ahurissante, elle se plaça juste à l’arrière du cavalier, ses traits du visage enragés. Car la voici résolue comme jamais, de ses bras qui enserrent le guerrier, alors qu’elle l’étreignit à hauteur de la gorge et fit de même avec ses jambes, d’une pression au niveau de la taille. Et sa résolution déforma sa bouche, d’un résultat de haine ainsi qu’à l’émergence d’une fougue sans nom. Aussitôt, elle arracha le guerrier hors de sa monture, avec puissance, et elle l’emmena dans une chute rapide, tandis qu’elle en vociféra d’agressivité. Pour sûr, le cavalier y omit toute maîtrise. Et ce contrecoup le contraignit à tirailler sa bride, d’une quasi-rigidité du corps, alors que l’animal en perçut les effets ravageurs. Sitôt, il se braqua, d’un hennissement aigu… Et il s’écroula de tout son poids, déstabilisé par l’action de son cavalier. Tenace, agile… Siv réagit avec vivacité, en l’instant ! Et elle se dégagea de la chute, d’un saut de côté, d’une main au sol, pendant qu’elle se maintint avec le genou posé à terre. Sitôt avant, elle brava le guerrier dans sa posture, tête dressée, bouche contractée, comme la louve… Une louve aux crocs arborés, avides d’une menace vers celui désireux de s’en prendre à sa progéniture… Sans un cri, sans peur, elle garda le masque provocateur d’une mère protectrice. Et elle osa brandir le coutelas, d’un bras tendu, aux muscles raidis tel le fer. Combattante, guerrière… Rien ne s’interposera entre la mère et son fils. Que nenni ! La voici prête ! Avec le regard qui défia l’homme… Homme qui s’emplit soudain d’un effroi, face à une rage inaccoutumée. Pour sûr, Jaal en exploita le moment, d’un bond sur la selle de monte du cavalier, tandis que Siv s’élança vers le guerrier. Point de réflexion. Guère d’attente… Et bien que l’homme s’essaie à saisir son épée, il ne réussit qu’à lâcher prise. Car Siv bondit ! D’un geste, elle ôta le casque du guerrier et elle dressa les deux mains, bras contractés… avant de les ployer. Et elle frappa, d’un cri éraillé, d’une lame qui perfora le visage du guerrier. Pour sûr, elle se redressa tout aussi rapidement, son visage maculé d’une giclure de sang. Figée, mais heureuse pour son fils, tandis que Jaal prit enfin la fuite au galop du cheval. Et elle en sourit brièvement, d’un soupir de soulagement. Pourtant, elle ne sut trop pourquoi… Le pourquoi d’un tel attrait vers Rofrid. Car elle dévia son regard vers lui, contemplatrice d’un homme à qui la haine parut sépulcrale et sombre dans ses yeux. Et l’obstination de Rofrid, sa rage de vaincre et sa lutte en devinrent barbares. Avec de multiples touches, il coordonna ses parades et frappes, sans pondération, jusqu’à ce que six guerriers l’encerclent. Et il fit tournoyer son épée par-dessus sa tête, d’un bruit sonore où le fer fendit l’air et obligea à un écart les fameux guerriers. Vif, méthodique, il engagea le premier d’une estocade avec progression assurée, tandis que les épées s’entrechoquèrent, d’un conflit au son tintant du métal. Et avec une série de déplacements de pas, il fit pivoter son corps, accentua et asséna ses frappes d’une assiduité déconcertante. Puisque sa vaillance en demeurait indiscutable. Avec une esquive haute, il para et contraignit l’avancée de son ennemi, qui, au demeurant, resta bien trop zélée. Et ce dernier perdit pied et se pétrifia sous la douleur. Car la lame de Rofrid le pourfendit d’une touche en coup de taille, et lui piqua les reins. Sitôt après, l’homme s’effondra jusqu’aux genoux, d’un regard béat, tandis que Rofrid poursuivit, sans se réfréner, l’exécutant d’une offensive où il virevolta et lui trancha la tête d’une seule impulsion. Et il résonna, d’une voix forte, sonnante comme le glas :

 – Rofrid ! 

Figée, effarée… Voici Siv, qui exhorta son époux, d’une voix hurleuse, son visage pâle comme le blanc des neiges… Et elle apparut terrorisée, tandis que Rofrid comprit aisément. Tant… Oui, tant ! Tant de guerriers les cernaient déjà bien avant le déclenchement des hostilités. Et malgré son courage, Rofrid n’eut guère le choix à l’évident surnombre d’assaillants. Puisque ceux-ci rallièrent Jaal sans coup férir, dans sa vaine tentative d’évasion. Aussitôt, Rofrid baissa son bras vaillant, amer au constat d’un ennemi qui détenait son fils. Enserré par un guerrier et la gorge menacée d’une dague, Jaal ne put se débattre de celui qui le maintenait. Car voici un homme prêt à occire le jeunot, sans tressaillir et avec la lippe moqueuse. Toutefois, Jaal garda son sang-froid, d’un air courageux et intrépide… Même téméraire jusque dans ses propos : 

 – Jusqu’au bout, père ! 

 – Lâche cette épée ! Sinon, il meurt dans l’instant ! ordonna le guerrier qui conserva un rictus étrange de satisfaction, sa dague sur le cou de Jaal.

 – Rofrid…, non…, supplia Siv d’un regard désemparé. Je vous en conjure… Laissez-le…, implora-t-elle ensuite vers le guerrier, d’une main tendue vers son enfant.

Et les larmes émergèrent sur le visage de Siv, d’un flux sans contrôle, tandis que la sonorité de sa voix mua au rythme de ses sanglots. « … pitié… », quémanda-t-elle vers Rofrid. Car elle cherchait une conciliation, loquace, qui émanerait de lui. 

Résigné, ce dernier se figea dans ses traits. Et sans tarder, il accéda pleinement à la sommation. Aussitôt, il laissa choir son arme, sans concession, d’un pas en avant, le regard inquiet pour son fils. 

Survint un haut-le-cœur, chez Rofrid. Bouche entrouverte, yeux écarquillés… Il n’obtint qu’en retour, de la part de Siv, un visage tétanisé, paralysé du masque de la mort, tandis que son propre teint blêmit sur le coup, telle la neige sous un ciel grisâtre. Et les traits de Rofrid se solidifièrent, comme de la boue glacée qui envahit la peau, froide, pétrifiante, pendant que son regard s’inclina face à celui de Siv. 

Survint le sang, expectoré avec brusquerie, d’un gémissement morbide. Le torse bombé et les mains crispées, sa poitrine éclata sous la force d’un fer qui le transperça, lorsqu’un bras l’enferma au niveau des épaules, suivi du visage de Garrath, lubrique, qui s’accola au sien… « Admire-la… Mire donc cette beauté. Une dernière fois, guerrier… », chuchota Garrath, d’un cynisme effarant dans les yeux.

 – Sache que toi et les tiens n’atteindrez jamais le domaine des anciens Dieux, annonça Garath de vive voix, d’un toucher du doigt délicat et étrange, sur la gorge de Rofrid. Car je te le dis, Asgeïr ! J’abandonnerais ton cadavre aux bêtes sauvages. Ton fils s’asphyxiera dans son propre sang. Pendant que j’apprécierais les plaisirs intimes de sa mère… Et je nourrirais les flammes qui embraseront tes terres de son corps ravagé. Ta famille te rejoindra sur le chemin errant des Marrais Maudits. Entends-tu mes mots, Asgeïr ? Je vous expédie tous trois dans l’abime des Damnés. Là, où vos âmes vogueront dans une infinie lamentation… 

Et Garath en grimaça de haine, à chaque intonation de voix, tandis que d’un mouvement sec, il enfonça son épée, avec virulence, au travers de Rofrid. Survint un flux de sang lorsque la lame le transperça. Et son visage se crispa d’une douleur ineffable quand Garath retira violemment le fer. À l’instant, Rofrid chuta jusqu’aux genoux, d’une main tremblotante qu’il porta vers sa blessure, son regard hagard et perdu. Néanmoins, Garath s’en amusa, pendant que Rofrid offrit une attention à son épouse, d’un désir à l’excuse de son propre trépas. Et son corps croula… Rofrid s’aplatit contre la boue terreuse et asséchée du sol, sa respiration rauque. Sitôt après, sa vue entama la route qui mène vers le brouillard blanchâtre… La brume d’un voile opaque où régnait la nuit sombre. Toutefois, il s’essaya à quelques efforts, vains et désespérés à vouloir cheminer vers Siv. Et ils provoquèrent un râle au son étouffé, le dernier, avant que le manteau obscur de la mort ait recouvert ses yeux clairs pour l’éternité. Car la vie le déserta définitivement, pendant que Siv cherchait toujours à résister, d’une ultime impulsion de révolte. Et elle se tortilla sous l’effet d’une affliction immense, qui la submergea, d’une intensité déroutante, tandis que ses hurlements vibrèrent, d’une complainte dissonante et insondable, qui accompagna celle d’un fils… Et elle en parut éternelle… 

Pour sûr, Garrath et ses hommes s’en récréèrent, impudemment, tandis qu’un gloussement saugrenu et malsain émergea de la bouche du guerrier preneur d’otage. Voici Siv, perdue et égarée dans son regard, en déni à la fatalité si flagrante. Et elle se contracta, et s’effondra, sur les genoux, sur le sol boueux. Mais elle fut empoignée, par les assaillants, à son tour, prisonnière, sous l’attitude concupiscente de Garrath qui remit son épée ensanglantée au fourreau. Car, sans modération, ce dernier chemina vers elle, d’un sourire avide. Et il l’agrippa par la crinière, d’une main ferme et violente. Effrayée, elle bascula en arrière, sous la contrainte, tandis que Garrath la traina sans demi-mesures, avec lui, jusqu’en la maisonnée. Et elle eut beau hurler, débattre de ses mains ou de ses pieds, rien n’y fit… Jaal, lui-même, ne put guère empêcher le règne puissant du guerrier. Car en ce jour sombre, le funeste sembla omniprésent en ces lieux… Le tragique Destin qui parut inéluctable.

IX

Sitôt à l’intérieur de la maisonnée, Siv se défendit, de ses membres, à tout va, lorsque Garath voulut la redresser. Car elle asséna ses coups avec violence… et écorcha la chair du guerrier, tant qu’elle le put, dans un déchainement démesuré. Pour sûr, il s’en trouva lacéré aux joues, ainsi qu’aux mains. Mais, rien ne protégea Siv de la suite…

À l’instant, Garath l’expédia avec force sur la grande table en chêne. Et il la maintint d’une main, le bras raidi et aussi dur que le roc, son visage empli de haine et déformé par le désir interdit qui le submergeait. 

 – Ton sort est inéluctable. Accepte de me fournir tes plaisirs sans te rebeller. Et je te gage une bonne fin ! argumenta-t-il avec détermination, tandis qu’il contempla la chair blanchâtre de Siv, d’une attitude perverse, à la vue d’une poitrine ferme. « J… jamais ! » se défendit-elle en s’essayant à soustraire la main robuste de Garath, de frappes, de grif-fures et de coups… bien vains. 

 – … de voir ton acharnement à aspirer en réchapper m’obligera à accroitre ta souffrance, précisa-t-il, d’une main interdite qu’il engagea sur un sein encore dissimulé. 

Déchainée, furibonde, Siv, avec hargne, parvint à se redresser, malgré le choc. Et la voici résolue, comme jamais, à se défaire du guerrier. Aussitôt, elle se crispa dans ses muscles, d’un regard fielleux, alors qu’elle brailla sa rage, d’un cri sourd, à s’en déparer la forme des traits du visage. Pour sûr, elle ne lui laisserait guère de facilité. Et en un sursaut, elle s’empara du pichet en terre cuite qu’elle aperçut sur le côté. Avec force et violence, elle le fracassa sur la tempe de Garath. Mais d’emblée, il répliqua, d’un revers de main vigoureux, tandis que la lèvre de Siv se fissura sous l’impact, d’une coulée ensanglantée. Car le coup l’envoya valdinguer entre les tabourets de bois, à s’en cogner la mâchoire. Et bien qu’elle en soit étourdie, Siv s’appuya de ses mains, sur le sol poussiéreux, d’un visage crispé et sa respiration s’accéléra. Sa bouche parut se déformer, tant l’effet de rage la submergea. Sitôt, elle se tourna, se rua et s’agrippa en un bond sur Garrath. « Espèce de harpie ! », déclara-t-il, d’un toucher de la main à sa blessure, tandis qu’il observait ses doigts ensanglantés et s’abandonnait à la colère. Et telle une louve acculée, elle profita de l’inattention du moment. Elle le ceintura au cou de ses bras et à la taille de ses cuisses, avec fermeté, son regard résolu. Aussitôt, elle lui asséna un coup de tête, à s’en meurtrir le front. Et elle l’écorcha dans la foulée, de ses ongles, resserrés, sous l’arcade sourcilière ainsi qu’aux joues.

Garath eut beau s’essayer à la repousser, à tournoyer, à la percuter contre l’une des poutres de chêne… Que nenni ! Rien ne changea son obstination. D’ailleurs, avec vigueur, Siv lui mordit l’oreille, d’une sauvagerie innommable… Et elle arracha le lobe de Garath. Garrath, qui, dans un cri de souffrance inattendue, réagit au plus vite… pour sûr, il l’était ! Imposant comme un roc ! Costaud et puissant ! Et surtout… incontrôlable. En outre, plus rien ne parut le retenir… Et il la souleva d’une telle aisance qu’elle en perdit contact avec le sol de ses pieds. Les deux bras tendus, raidis et crispés, il ragea, tandis qu’elle s’en trouva accolée au mur de tourbe. Et il l’étreignit au niveau de la gorge, alors que les traits de son visage devinrent obscurs, son regard sembla ténébreux comme l’encre. Acharné, il grimaça, serra ses doigts et les appliqua de plus en plus fortement… Avide, cruel, le voici résolu d’une frénésie qui le submerge dans sa volition. Mais, Siv ne paniqua guère pour autant. Car, la bouche ensanglantée, elle ne se gêna point. Elle le toisa sans vergogne, lui crachant à la figure la chair arrachée de ses dents. Pour sûr, la colère s’étala sur le visage de Garrath. D’ailleurs, il s’appliqua à la strangulation, d’une moue mortifiée, avide de compresser, broyer s’il le fallait, la gorge de Siv et il ne s’en cacha nullement : 

 – Je vais te briser le cou ! ragea-t-il avec acrimonie, tandis qu’il grimaçait, acharné dans ses traits. Cesse de gesticuler ! s’exclama Garath.

Et comme un réflexe à la survie, Siv le martela de ses poings, sans ressentir les effets. Car elle voulait désespérément desserrer l’étreinte enragée. Asphyxiée, elle entama un déclin de perceptibilité. Et elle se mit à emprunter le chemin de la frayeur…, celle obscurcie par la peur envahissante, dominée par le pouvoir de la force bestiale. Et son corps remua et s’agita tant et si bien, que ses jambes s’animèrent dans le vide, sa gorge se garrota et l’entrava à l’ingérence d’un air vital. Sitôt, elle le frappa, à nouveau, encore, et encore… jusqu’à son épuisement. 

Soumise…, encline au renoncement, elle ne chercha plus à combattre. Et elle po-sa ses mains sur les bras de Garath, calme, avec espoir… L’espérance à vivre. Et quand ses forces semblèrent l’abandonner à jamais, que la peau de son visage en devint aussi violacée que l’Aster en floraison d’été…, Garath, se détendit légèrement. Surtout qu’il se préparait à la résolution d’une mort. Et pendant que Siv se mit à rejoindre doucement le chemin qui la mènerait aux abimes de l’au-delà, ses yeux révulsés et ses plaintes noyées d’un son guttural… Garath lâcha enfin prise. Il relâcha son emprise et laissa choir Siv, tel un amas de viande, sur le sol poussiéreux de la maisonnée. 

Survint l’air, sauveteur, inespéré… Aussitôt, Siv porta ses mains au niveau de sa gorge, rougie et bleuie par les marques du barbare. Car elle suffoquait encore et, lorsqu’elle inspira finalement, avec intensité, son teint mua vers des tons plus colorés. La respiration ahanante, elle sortit néanmoins victorieuse du supplice, tandis que ses yeux s’embuèrent et recouvrèrent enfin une vue plus distinctive. Pour sûr, la nausée l’envahit aisément. Mais la vie se fit ressentir avec force, et sans tarder, elle amorça un déplacement instinctif. Car, fuir, quitter la folie du guerrier, voilà ce qui prévalait. Et elle se mit à ramper, hâtive, d’une première main, de l’autre, pour avancer. Se hisser de ses ongles, les incruster dans le sol granuleux. Voilà ce qu’elle désirait en l’instant ! Et bien qu’elle toussote et crache une bave involontaire qui lui inondait les lèvres jusqu’au menton, elle s’empressa dans ses gestes. La terre qu’elle remua vola en une brume poussiéreuse. Et elle tint un affolement incontrôlé, expectorant à grandes toux subites. Car l’appréhension, elle-même, se joignit à la bataille. Aussitôt, Siv poursuivit sa trainée rampante, tel un ver qui fuirait le coq, avide. Et elle se tracta, affamée d’une survie, tandis qu’elle geignit, anxieuse d’échapper à son bourreau. 

 – Où vas-tu ? Je n’en ai pas terminé avec toi, femme ! annonça Garath, d’une main qui empoigna la chevelure de Siv.

Se manifesta un cri de saisissement, tandis que Garath redressait Siv farouchement et la plaqua avec véhémence contre la table en chêne. Surtout qu’il maintint le visage de son avant-bras, d’une pression et d’un soutien sur la nuque. Et là…, quand il souleva le jupon en lin, d’un rictus, d’une excitation salivaire, ses yeux déposèrent une concupiscence débauchée vers une paire de fesses à la peau blanchâtre. Mais, lorsqu’il y apposa une main profane, Siv recouvra ses instincts… 

Survint un cri de rage… Elle puisa dans ses dernières forces. Et d’une impulsion, elle se redressa et se refoula d’elle-même, d’un coup de pied prompt, sur le rebord de la table. Pour sûr, l’effet déstabilisa Garath ! Car il ne prévoyait guère un tel revirement, assurément convaincu d’une soumission à sa puissance. Et Siv exploita ce relâchement inopiné. Elle entraina Garath dans son essor, jusqu’au mur de tourbe situé derrière eux. Déterminée, son visage abimé par la colère, Siv virevolta et asséna un autre coup de tête. Le craquement se fit entendre… Le craquement, sourd et caverneux, d’une cloison nasale brisée sous le choc d’une pareille frappe ! Pour sûr, il en porta les mains à sa figure. « Je vais t’écorcher ! Femme, démon ! », vociféra-t-il, tandis que le sang surgit de sa chair balafrée. Et la plainte du guerrier se mêla parmi ses geignements… Néanmoins, Siv sut indubitablement que cela ne le réfrènera guère. Aussitôt, de ce fait, elle le cogna, avec puissance, d’un genou au niveau des parties génitales. Brutale, et somme toute méthodique, elle l’accentua d’un deuxième tout aussi virulent. Et Garath en suffoqua immédiatement, d’un effet qui le fit s’écrouler sur lui-même, d’une lamentation éraillée…

L’allure à tituber, la voix gémissante, Siv, se redressa, tant bien que mal. Vive, elle se hasarda, d’une main au fourreau du guerrier. Et elle empoigna l’épée, d’un geste véloce, mais… imprécis. Aussitôt, énergique et crispée dans ses traits, elle éleva ses bras. Muscles raidis, poigne ferme, bien qu’appesantie par le poids de l’arme, Siv brave Garrath ! Résolue ! Prête à occire une bonne fois pour toutes le guerrier. Mais, survint une scène… Un spectacle qu’elle n’envisageait guère et qui la réfréna dans son acte décisif. Surtout au moment le plus funeste, lorsque son bourreau ne sut brandir qu’une main en préservation vers la mort.

 – Lâche cette épée ! 

Surgit un guerrier, avec fracas ! L’homme, celui paré d’un heaume à protection nasale… Celui-là même que Jaal trouva étrange comme chef guerrier. Le voici qui fit irruption céans. Car, en vérité, il fut en proie au doute. Et, d’un aplomb certain, il pénétra dans la maisonnée, exhibant Jaal d’entre ses mains. « Il suffit, te dis-je ! Lâche…, lâche cette épée ! Ou je le tranche tel un goret ! », affirma-t-il, d’un visage dissimulé par son casque de bataille, tandis qu’il menaça d’égorger Jaal, d’une dague à la lame bien effilée. Siv renonça définitivement à son espoir de rébellion, sans discourir, d’un sanglot sommaire. Et elle se figea d’effroi, bras tendus vers le haut, toujours raidi dans ses muscles. Car l’épée guettait encore, avide d’une tête… Mais, les poignets de Siv s’abaissèrent et ses coudes plièrent, alors qu’elle expira brièvement. 

Survint un bruit succinct… L’écho du fer qui vint à retomber sur le sol poussiéreux, d’un son métallique. Pour sûr, Garath en soupira… d’un regard amer. Et pendant que les yeux d’une mère s’apeurèrent à la vue d’un fils pris en otage : « Jaal… », marmonna-t-elle avec le visage empli d’épouvante. 

 – Non ! Jusqu’au bout ! s’écria le jeunot, sans pouvoir se débattre. Pour père…, pleura-t-il.

Toutefois, elle fit son choix. Maintenir en vie celui qu’elle chérissait plus que la sienne était sa priorité… Et elle se figea, droite, essoufflée, la lèvre ensanglantée et les yeux embués. « Je ne peux pas… » balbutia-t-elle, d’un hochement de tête.

Soulagé, Garath recouvra très vite son sourire. Et il se releva, d’un appui sur la grande table en chêne. D’ailleurs, il se permit même à un rire, lorsqu’il se courba légèrement et palpa son oreille déchirée, du bout des doigts. Car, il parut hilare… Amusé, face à une situation qui, cependant, aurait pu lui en couter sa tête. « Mon Destin, ne prévoyait guère ma fin en ce jour, femme, déclara-t-il. Mais, je dois t’avouer que tu possèdes autant de hardiesse que ton défunt guerrier », lâcha-t-il, d’un hochement de tête et d’une lippe rieuse. Et tandis qu’il se redressa, il souffla succinctement : 

 – … hé bien ! Tu m’auras privilégié de bien des déplaisirs, sauvageonne. Mais là, assura-t-il d’un regard vers le jeunot prisonnier. Je me sais paisible d’une jouissance sereine, tant ta docilité me gratifiera de tes complaisances. Pourtant…, déclara-t-il, d’un second mouvement de la tête, d’un bruit au craquement osseux. Pourtant, je vais t’octroyer quelques rétributions…, celles du sang, annonça-t-il, d’un air impassible. Et il empoigna Siv par le bras, sans attendre, tandis qu’il la fit virevolter face à lui. 

Survint un coup, puissant et étourdissant… Un coup que Garath asséna d’un poing fermé, avec hargne et force. Et la douleur se ressentit chez Siv, d’un vertige brusque. Pour sûr, elle s’écroula ! Et Jaal eut beau brailler tel un sagouin, rien n’empêchera plus le guerrier. Sitôt qu’elle figura au sol, sitôt Garath la saisit à nouveau, par la chevelure, d’un défi dans son regard. Et Jaal s’essaya à bouger, répliquer pour venir en aide à sa mère. Mais, le guerrier qui le maintenait appliqua plus profondément le tranchant de lame.

 – Remue encore et il en sera là ton dernier geste, jeune Asgeïr, menaça l’homme en pressant sa dague effilée, tandis qu’un filet sanguinolent survint sur la gorge de Jaal. 

– Non…, réagit vivement Siv, d’un signe de tête et le bras tendu vers son enfant. 

Et ainsi, Garrath la saisit à nouveau, avec véhémence, compréhensif de son avantage. Amusé, il réitéra sa frappe…, une…, deux fois ! Et le sang gicla, de l’arcade sourcilière de Siv. Mais, surtout, elle en devint inerte, asservie et volontaire sous les coups, d’un désir à la survie de son fils. Car la voici prête… Prête à s’offrir au guerrier. Sitôt, Garath s’emplit d’ambitions malsaines, tandis qu’il plaqua Siv contre le bois de la grande table en chêne. 

 – Il est fini le temps des jeux, fini de me gratifier de tes insoumissions, femme ! 

Acharné, il abaissa avec courroux le haut de la tunique de Siv, faisant émerger sa poitrine dénudée, tandis qu’il s’empressa à la palper, avec dureté. Mais, elle ne réagissait guère… L’œil boursouflé et la bouche ensanglantée, elle n’orienta alors son attention que vers son enfant, tandis qu’elle tendit vers lui, fébrilement, une main désespérée : 

 – Ne regarde pas…, bafouilla-t-elle.

 – Non ! vociféra Jaal maintes fois, inondé de chagrin, et d’une colère qui l’anima plus encore.

 – Cesse donc ! Et contemple ta mère…, déclara l’homme avec force et contrainte, tandis qu’il tint Jaal par le front. Vois… Vois ce corps qui va connaitre violence et plaisir d’un autre homme, jeune Asgeïr, précisa-t-il en le contenant fermement par la chevelure. 

Et l’individu l’obligea à une observance, d’une vue orientée avec constance. De son côté, Garrath s’emporta plus encore, lorsqu’il s’empara de sa dague, tandis qu’il redressa Siv et la retourna, de face contre la table en chêne. Sitôt, il déchira le haut de la tunique qu’elle portait et joua de sa lame, avec finesse, sur la chair de Siv. 

Survint un cri de douleur. Car le tranchant de la lame sculpta et dessina de son empreinte, une saignée sur la peau claire. Et Garath s’appliqua, lentement, à bonne profondeur, se délectant d’une saveur malsaine, d’un air lascif… Pour sûr, il opéra avec assurance. La certitude qu’elle n’atteint point la mort ni la défaillance. Et il balafra le corps de Siv, de deux plaies croisées, d’un insoutenable châtiment infligé par ses désirs. 

 – Bien, et là, prévint Garrath, d’une joue accolée à celle de Siv. Maintenant, je vais t’honorer des jouissances de ma queue ! Et pendant que j’expirerai mon plaisir…, précisa-t-il d’une lippe rieuse et d’un regard vers Jaal. Ton fils…, indiqua-t-il d’un geste de la tête, tandis qu’il apposa sa langue sur la joue de Siv et la parcourut jusqu’au front d’une lèche vicieuse. Il saignera…, tel un goret, que l’on égorge. Et à ces mots, l’autre guerrier sourit, tandis qu’il s’avança légèrement et renifla la chevelure de Jaal, pendant que Siv s’en pétrifia. 

Survint le sang… rouge comme un fruit d’été et abondant comme le vin renversé. Car le guerrier réalisa son office, et trancha lentement la chair de Jaal. Et il effectua son acte d’un cynisme rare, exacerbé même, dans les traits de son visage, alors que Siv n’entrevit que l’effondrement de son enfant. Et le désarroi ne détint plus aucune dénomination. Le silence devint roi et l’incompréhension la submergea, l’air glacé, effaré… Toutefois, elle ne quitta point Jaal du regard, tandis qu’il gisait, asphyxié par son propre sang. Mais elle contempla, une dernière fois, la clarté des yeux de son fils, égale à ceux d’un père. Car elle en perçut chaque parcelle de cette vie qui désertait son enfant, d’une main tendue vers lui. Et elle s’acquitta de toute insurrection, cédant sa chair à la violence perverse, submergée par le désir profond à la résipiscence, d’un air hagard et la bouche béate d’inertie… Sitôt furent volés, dépouillés, ses paroles et ses cris… 

Survinrent les râles obsédés d’un homme, tandis que le corps de Siv en réagit par saccades… Des soubresauts attribués aux mouvements avilissants que lui infligeait Garrath, pendant qu’il s’en délectait, guidé d’une cruauté à l’ivresse innommable. Et il l’encensa d’un gémissement immoral, d’une jouissance bestiale à sa luxure sadique… 

Aussitôt terminé, il se sentit serein, se revêtit paisiblement, d’une respiration irrégulière et haletante. Et Siv demeura inerte, tandis qu’elle glissa lentement de la table, attirée par son fils, se laissant choir au sol. Car elle rampa avec errements dans le regard. Et elle chemina, tant bien que mal, vers la dépouille de Jaal… jusqu’à ses côtés. La voici mère, d’un bras qui enveloppa son fils, tel qu’elle l’accomplit à la naissance, douce, et materne avec un enfant fragile d’un début de vie. Et elle acheva le geste… Le geste d’enserrer son enfant au premier jour, prudente et attentive. 

Survinrent ensuite les mots tendres, balbutiés à voix lointaine, quasi sans mot dire, tandis qu’elle le berça, pareil aux nuits originelles, sans plaintes, sans pleurs… De ses mains maculées, salies du sang d’un fils assassiné. Et le guerrier cru bon à quelques paroles :

 – Je t’épargne l’affront de mes hommes, pour la hardiesse dont tu as fait preuve, précisa Garrath, d’un reniflement succinct, tandis qu’il palpa son oreille ravagée et ensanglantée. Hé bien… Voilà un souvenir que je n’omettrai guère, déclara-t-il, d’un pas vers la porte, serein, pendant que l’autre guerrier sortit de la fermette, hilare, et rengainant sa dague calmement. Et sache… qu’il m’est triste au choix qui se limite à l’abnégation d’un court moment. Ta peau parfumée… Tes cuisses bien tièdes… Cela me manquera, annonça-t-il, d’une lippe ironique et malsaine. 

Sitôt après, il se retira, d’un regard au mépris certain, tandis qu’il se moqua de son attitude dénuée de réactions, obnubilée au désir à bercer un corps sans vie, d’un marmonnement inaudible. Et d’un soupir amusé : « Fermez… Fermez et scellez les portes ainsi que les fenêtres. Ensuite, boutez-y le feu ! », ordonna Garrath, d’un air satisfait vers ses guerriers. Et sans attendre, il regagna sa monture, l’enfourcha paisiblement, pendant que l’exécuteur de Jaal le rejoignit. Et ils contemplèrent les autres guerriers, actifs à l’ouvrage de brigands, munis de torches qu’ils enflammèrent et qu’ils jetèrent sur la toiture en paille. 

 – Qu’ils s’assurent de la besogne, précisa l’homme au casque de bataille, d’un regard vers Garrath. Voici le temps, pour vous et moi, de faire route vers la demeure de votre père.

 – J’imagine déjà son impatience…, déclara Garath, d’un haussement des sourcils. Messieurs ! Tâchez que le sol se noircisse de cendres, ordonna-t-il vers les trois cavaliers restants. 

Et d’une talonnade aux flancs de leurs montures, les deux guerriers prirent la route. Sitôt dit, sitôt fait… Les derniers hommes sur place s’affairèrent à leur besogne dévastatrice. Et ils s’attaquèrent promptement à l’étable, mettant en fuite les deux chevaux qui s’y trouvèrent, tandis qu’ils y boutèrent le feu, d’une liesse malsaine. Car ils s’en divertirent de rires et braillèrent chacun face aux flammes ravageuses…

1 Sól et Máni : ils incarnèrent les antiques divinités du soleil et de la lune. Sól, une femme et Máni, un homme, tous deux frère et sœur selon l’ancienne mythologie Nordique.

1Hulfhednar : dans la mythologie nordique, ils sont des guerriers surpuissants, portant une peau de loup, et se battaient sous l’emprise de la fureur d’Odin.

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