Conte 3 : Milclock et les cinq petits roquets – 3ème partie

4 mins

– « Casses-toi pauv’ con ! » lui envoya-t-on depuis l’habitacle d’un véhicule, pressé.

Alors le jeune homme bien docilement s’exécuta. Il traversa la rue claudiquant tenant la petite fille bien serrée contre lui. Dans cette rue, le calme revint. Les gentils gens passaient et repassaient comme si rien de ce qu’ils n’avaient pas voulu voir n’était arrivé.

– « Hep-là ! » l’interpella-t-on aussitôt eut-il le pied posé sur le trottoir d’en face.

Le jeune homme se retourna pour voir, deux francs chevaliers accourant vers lui la main sur leur arme de service.

– « On nous a dit qu’on vous avait tabassé ? Qu’est-ce qui s’est passé, exactement ?! 

Les gens ont mal vus : je suis tombé, Monsieur.

C’est pour ça que vot’ visage est en sang et que vot’ petite sœur pleure de cette façon, on a dit qu’elle hurlait que… 

Ma fille…a eu peur…et je crois que moi-même je lui ai fait très peur et peut-être même un peu mal en tombant. On va soigner ça et ça ira mieux après, pas vrai ? ».

La petite fille ne répondit pas, elle se serra contre lui.

– « Ça va, petite ? » lui demanda alors l’un des deux chevaliers tendant la main vers elle comme pour la toucher.

– « Ne vous approchez pas d’elle et ne la touchez jamais sans mon autorisation… » s’interposa aussitôt le jeune homme « si vous vouliez faire autre chose que rester planqués c’était il y a cinq minutes pas maintenant…si vous permettez, j’aimerai soigner ma fille ».

A son regard, froid qui, pour eux, en disait long sur ce que ce jeune homme devait penser, ils reculèrent.

– « Si on a des questions à… 

Je suis simplement tombé et vous, vous avez des questions à me poser…ok…soit vous m’emmenez et là vous devrez expliquer pourquoi vous n’avez rien fait alors que vous étiez sur le coin en train de regarder comme tous les autres soit je m’en vais et rien de tout ça n’est arrivé. Vous choisissez quoi ? ».

Les deux francs chevaliers se regardèrent et n’écoutant que leur courage infini, l’un des deux répondit :

– « Le sol est glissant par endroit soyez prudent ! ».

Le jeune homme, tenant bien serrée sa petite fille contre lui, s’en alla et disparut parmi tous ces gentils gens bien intentionnés.

Plus tard, dans la soirée, le jeune homme et la petite fille étaient rentrés chez eux, dans l’un des nombreux immeubles de cette grande ville. Un bel immeuble jadis, qu’on laissait pourrir aujourd’hui. Car ceux qui y logeaient n’étaient pas dignes du moindre intérêt, de la moindre compassion. Ils n’étaient là que pour payer un loyer, justifier de sa perception. Parfois, ils permettaient de satisfaire la volonté du bailleur qui n’en était propriétaire que lorsque celui-ci devait justifier de sa conformité auprès d’assurance peu regardante.

Et dans ce petit appartement meublé confortablement même si les meubles dataient. Dans cette mignonne petite chambre où les licornes régnaient en maîtresse absolue sur le rose qui en recouvrait, généralement, les rêves, le jeune homme était agenouillé sur le sol. Appuyé sur le bord de ce petit lit, il caressait affectueusement le visage rougi de sa fille. Ses yeux encore humides trahissaient la peur et l’angoisse, sa déception, son chagrin. Elle ne parlait plus de son cadeau que les quatre petits roquets lui avaient volée. Elle ne parlait plus des jeux auxquels elle voudrait jouer, des films qu’ils pourraient regarder ou des après-midi qu’ils pourraient avoir tous les deux à jouer à la console comme elle ne cessait de le répéter quelques heures plutôt. Elle ne parlait plus tout simplement.

Son regard, ce regard qu’elle avait maintenant, il ne lui connaissait pas. Il avait l’impression d’avoir une autre petite fille devant lui. Une petite fille dont on avait extrait, volé la petite lumière qu’elle avait dans les yeux et qu’on l’avait remplacée par une sorte d’affreuse obscurité.

– « Tu vas pas me laisser toute seule ? 

Tu sais bien que jamais je ne ferai ça…[il lui caressa le visage]…tu sais quand je t’ai vue pour la première fois, instantanément tu as tout changé comme ça, d’un coup…[il lui effleura le bout du nez du doigt]…Pouf !…Tu avais l’air si fragile. On aurait dit une toute petite poupée avec de gros yeux tout bleu…et moi tu sais je n’étais pas…[il baissa la tête]…mais tu as tout changé. Et…je t’ai dit que tu avais l’air d’être tellement fragile mais…mais…c’est pas toi qui l’étais c’était moi. Et d’un coup, comme ça, sans que je comprenne pourquoi ou…comment, tu m’as donné une force que je n’avais pas, que je croyais ne pas avoir…que je n’aurai jamais eu si tu n’avais pas été là…et…depuis, tous les jours tu me rends plus fort, meilleur. Et je ferai tout pour te protéger. Tu es tout ce que j’aie, tu es ma petite toute petite princesse et je t’aime de toutes mes forces…[il lui caressa alors délicatement la joue comme si elle était le plus grand des trésors que le monde n’ait jamais porté]…jamais je ne laisserai quelqu’un te faire du mal et si jamais quelqu’un y arrive quand même alors crois-moi il le paiera…et ça je te le jure ».

La petite fille se pelotonna alors contre lui.

– « Tu crois que le Père Noël i’ va me ramener une autre console ? 

Tu perds pas le nord toi, hein ! ».

Il lui fit alors un gros poutou dans le cou, qui la fit sourire puis rire. Même si ce rire n’était pas tout à fait celui qui était le sien, il n’avait pas disparu. Et c’était à lui qu’il appartenait de faire en sorte qu’il ne disparaisse pas, qu’il ne disparaisse jamais.

Et alors qu’elle s’endormait dans ses bras, le regard de ce jeune homme et jeune père, aujourd’hui, changea. Il passa du regard d’un homme qui regardait un ange à celui d’un homme qui se laissait envahir par le démon.

Toute cette nuit-là alors que la petite fille dormait, lui il resta derrière la fenêtre de cette chambre fixant les lumières nocturnes de cette grande ville. Cogitant, réfléchissant, il revivait cette journée encore et encore pour tenter de revoir leur visage, de comprendre comment ils avaient fait, comment ils faisaient parce qu’ils n’en étaient pas à leur coups d’essai. C’étaient certainement des habitués. Et ils allaient forcément recommencer peut-être pas tout de suite. Peut-être pas dans la même rue. Mais ils allaient recommencer. Il lui faudrait, seulement, être un peu patient.

Dans les jours qui suivirent, il arpenta les rues de ce beau royaume, de cette grande ville. Il parcourut les échoppes illuminées, croisant le regard de tous ces gentils gens, qui ne lui inspirait que l’indifférence le plus souvent de la répulsion. Il guetta dans l’ombre, observa.

Et en cherchant…

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