Mes premiers pas, je les ai faits au bord de la mer, sur une plage de sable fin. J’ai passé là toute mon enfance, une partie de mon adolescence, jusqu’au départ de mes parents. Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû me débrouiller seul. Ça n’a pas toujours été facile et je n’ai pas toujours mangé à ma faim. Très souvent, je me suis couché le ventre vide, là où je le pouvais. J’ai vécu un petit bout de temps comme ça, de ce que je pouvais trouver ou voler, parfois de ce qu’on me donnait, aussi.
Finalement, j’ai fait taire ma peur et je me suis lancé, sinon je serais, sans doute, mort de faim.
J’ai parcouru le monde ou du moins une partie, je suis allé là où aucun Homme n’a jamais dû poser le pied. J’ai vu des choses que la plupart d’entre eux ne verront jamais, les mers bleue turquoise de l’Océan Indien, les îlots de verdures des Maldives. J’ai vu le balai des Poissons Volants dans les mers des Caraïbes. J’ai vogué en compagnie des Baleines à Bosse et des autres rorquals. J’ai suivi les Orques, jusque dans le Grand Nord. J’ai vu les ours blancs, les morses. J’ai marché sur un océan glacé, parmi les Pingouins et Phoques Barbus. J’ai vu les falaises de Quiraing et de Dunnet Head, leurs colonies de Macareux Moines et de Sternes. J’ai affronté les vents et les déferlantes des eaux déchaînées, le froid, la neige, la pluie.
J’ai vu les eaux devenir noire. J’ai vu les vagues devenir rouge. J’ai vu les Hommes détruire les rivages et les plages. Je les ai vus massacrer les Dauphins, les Phoques, les Baleines. Je les ai vus arrachés du cœur des mers et des océans des millions poissons et les laisser suffoquer sur le pont de leur bateau. Je les ai vus mutiler les Requins et les Marsouins. Je les ai vus empalés les Espadons et les Narvals.
J’ai vu leurs navires détruire les mers. Je les ai vus briser la Terre.
Et je suis rentré chez moi. Je voulais revoir le bord de mer de mon enfance, cette plage où j’ai fait mes premiers pas, son sable fin, sa mer. J’y ai rencontré mon épouse, on a eu plusieurs enfants ensemble. Deux n’ont pas survécu. La nature, la vie est ainsi faite.
Nous sommes restés là, nous avons profité, un peu, après en avoir tant vu.
Et un jour, je traversais pour me rendre sur cette plage et je me suis fait écraser. Cet Homme m’a vu, il aurait pu freiner, me sauver, m’épargner. Il ne l’a pas fait et il m’a roulé dessus pour s’amuser.
Je suis resté sur ce sol où mon sang se répandait. La douleur était atroce, mes os étaient brisés, j’hurlais. J’ai alors vu ce petit d’Homme venir vers moi et j’ai cru qu’il allait m’aider. Mais il m’a frappé. Ses coups, malgré ses petits pieds, étaient comme des lames qui s’insinuaient en moi et me déchiraient. J’ai alors vu des grands venir le chercher et se mettre à rire en me regardant agoniser.
Je suis mort à quelques mètres de la plage où je suis né.
Je suis un Goéland, telle est l’Humanité.
Très joli