Conte 6 : Premier Commandement – 5ème Partie

7 mins

Tandis que les autres étaient allés se reposer, alors que la nuit recouvrait tout, l’un d’entre eux resta à monter la garde, veilla, filma, photographia ce qui se passait en face dans cet entrepôt. Les livraisons s’enchainaient à une cadence infernale tout comme les retraits. C’était toujours la même chanson. Une livraison et un balai incessant de voiture de moto et même d’un mec en vélo sac sur le dos à la Uber Eats.

Jamais il ne les coincerait se disait l’homme derrière son appareil photo, les gars en face étaient bien trop organisés, bien trop mobiles et bien trop expérimentés avec des moyens qui dépassaient de loin ceux de la Gendarmerie et de la Police réunis. Jamais il ne les…

Tout à coup, sa réflexion se stoppa nette. Il entendit comme un léger bruit de verre cassé. Il tendit l’oreille durant quelques secondes. Tout aussi soudainement, il ressentit quelque chose. Il n’aurait su dire quoi. Comme un drôle de goût dans sa bouche. Du fer peut-être. Brutalement, il sentit sa gorge se faire envahir par un liquide chaud et visqueux. Il sentit alors son cœur s’emballer, d’un coup, une douleur et cette peur affreuse s’emparer de lui en une fraction de seconde. Il porta alors les mains à son cou. Il y sentit l’orifice creusé par une balle de neuf millimètre juste sous sa pomme d’Adam d’où sortait à flot ce liquide chaud et visqueux qui lui remplissait la gorge. Il tenta d’appeler à l’aide, de prévenir ses collègues. Mais une vague de sang mêlé à sa salive jaillit alors hors de sa bouche.

D’un coup, lourd, il s’affala sur le sol. Son corps en brisa les lames de bois pourries, les fracassa en un bruit sourd qui réveilla les autres.

Sursautant, Carole se retrouva face au suppresseur d’un canon de fusil dont elle pouvait sentir la graisse et la chaleur lui brûler la joue. Elle leva alors les yeux vers celui qui tenait cette arme. Cet homme frêle au crâne rasé et à la barbe fournie lui fit un large sourire qui laissa briller une dent en or. D’un coup, elle sentit la crosse de cette arme s’abattre sur elle. Tout devint alors noir et sans bruit pour elle. Pour tous les autres.

Plus tard, lorsqu’elle s’éveilla, elle sentit d’abord ses bras lui étirer les épaules, ses genoux qui lui faisaient mal, puis ce goût de sang dans sa bouche et cette intense douleur qui lui irradiait le crâne. Elle entendit, ensuite, ces voix assourdies comme si elle était sous une cloche de verre. Elle essaya d’ouvrir les yeux. Elle avait l’impression que ses paupières étaient collées, tellement lourdes. Elle mit plusieurs secondes à les ouvrir complètement.

Sa vision était floue, tellement floue qu’elle eut l’impression d’être plongée dans un brouillard si épais qu’elle ne voyait rien à quelques centimètres.

Doucement, sa vision redevint normale. Elle ne comprit pas tout de suite où elle était. Il y avait ces voix sourdes qui semblaient hurler, grogner, beugler. Elle ne se rendit pas compte tout de suite qu’elle était attachée. Ses poignets étaient enserrés par deux grosses cordes suspendues à l’une des poutrelles métalliques de cet entrepôt. La peau de ses genoux se faisait lacérer par les minuscules morceaux de verres et de métaux qui jonchaient le sol graisseux. Elle tourna alors difficilement la tête vers sa gauche. Là d’où lui semblaient venir les voix. Elle vit alors l’une de ces collègues attachée à côté d’elle, suspendue comme elle à ces poutrelles. Carole la regarda, tenta de l’appeler. Mais aucun son ne semblait vouloir sortir de sa bouche. Pourtant, l’autre se tourna, quand même, vers elle. Carole hurla. Sa collègue avait la moitié de son visage arraché. Des lambeaux de peau pendaient sous son œil gauche dont les paupières avaient grossièrement été découpées. Il semblait ne plus tenir qu’à un fil, prêt à sortir de son orbite. De fins filets de sang ruisselaient sur la chair de sa joue au travers de laquelle l’os de sa mâchoire supérieure pointait.

Carole tenta de se débattre, de se lever et se sauver. Mais, d’un coup, une main l’attrapa par les cheveux. Le même homme à la dent en or la souleva du sol. Il lui baragouina quelque chose dans une langue qu’elle ne reconnut pas, qu’elle ne connaissait pas. De l’arabe peut-être. Il lui montra ses collègues. Son supérieur qui, maintenant, ne semblait plus être qu’un punching-bag, comme un réel amusement, pour deux de ses acolytes. Le corps de l’autre homme suspendu par les pieds la gorge ouverte, saigné comme l’un des porcs mécréants d’ici.

Tout à coup, elle entendit des cris, des hurlements venir d’une petite pièce aux cloisons bleues et rouillées au fond de cette vaste salle d’entreposage. Elle vit alors la dernière de ses collègues se sauver de ce local. Son pull arraché laissait entrevoir son sein lacéré. Son regard s’attarda sur son entrejambe totalement nu où le sang, d’un rouge sombre, ruisselait entre ses cuisses.

D’un coup, il y eut une sorte d’éclair. Un flash lumineux intense. Une détonation qui lui sembla faire trembler tout l’entrepôt. Il lui sembla alors que le temps s’écoulait au ralenti. Elle vit la poitrine de sa collègue éclater comme si un monstre était né à l’intérieur et que, d’un coup, il en sortait déchirant chaque centimètre de sa peau, chaque parcelle de sa chair, arrachant chacun de ses muscles, brisant chacun des os de ses côtes, vaporisant son sang en un nuage de fines particules écarlates. Elle hurla alors.

Carole sentit alors le revers de la main de cet homme s’écraser sur son visage. Elle sentit ses cheveux s’arracher de son cuir chevelu, ses genoux heurter le sol. Elle releva la tête vers lui qui la regardait tout sourire. Il baragouina encore quelque chose.

– « JE COMPRENDS PAS CE QUE T… !!!! » hurlait-elle quand elle sentit la Ranger que cet homme portait, s’enfoncer dans son ventre.

Il s’accroupit alors à côté d’elle, l’obligea à relever la tête en la tirant par les cheveux, lui dit encore quelque chose dans sa langue, froid, dur et déterminé. Deux de ses hommes arrivèrent alors. Ils la détachèrent et l’emmenèrent.

L’homme à la dent en or resta là, accroupi, regardant ses hommes emmener la jeune femme. Son regard se posa, ensuite, sur la mèche de cheveux blonds au sol. Il la ramassa, la coinça entre ses mains velues et en renifla l’odeur. Un véritable délice. L’odeur du pouvoir.

Carole était loin de ses pensées et de ses préoccupations contrairement à une demoiselle de presque onze ans…ou de dix ans et quelques, c‘est pareil ! Allez ! Chipotez pas ! De toute façon, tout le monde se tait maintenant on écoute le monsieur et je veux plus rien entendre ! Vous me gavez !…qui, malgré son jeune âge, n’avait pas froid aux yeux et qui, depuis un certain temps, devenait totalement ingérable.

Damian, cet après-midi-là, encore une fois, avait été appelé, en urgence, par le Directeur du collège d’Amanda. En cours d’EPS, elle avait cassé le nez de l’un des garçons de sa classe parce qu’il s’était moqué de l’une des autres filles à l’embonpoint un peu trop prononcé et de sa poitrine qui dansait lorsqu’elle courait. Amanda n’avait pas apprécié ses remarques blessantes, ses ricanements désobligeants et les surnoms mal intentionnés dont il avait affublé cette gamine. Pas du tout. Et bien qu’il fasse une bonne tête de plus qu’elle, Amanda n’avait pas hésité une seule seconde, elle lui avait collé une sacrée branlée. Le genre de branlée dont on se souvient toute sa vie.

Damian était fier d’elle. Bien sûr. Elle avait fait ce qu’il fallait. Mais là, jamais il ne lui aurait dit. Cela n’aurait fait que l’encourager et la prochaine fois ce serait peut-être pire. Et c’était bien cela qui ne le faisait pas rire. Pas du tout…en dépit du fait d’avoir devant lui, la gueule bleuie d’un petit con au pif qui pissait le sang malgré les deux nappes qui lui sortaient des narines.

Son air de petit dur prêt à se pisser dessus à la moindre caresse, en d’autres circonstances, l’aurait fait éclater de rire. Mais pas là. Cette fois, Amanda avait dépassé les bornes…même si elle avait eu raison. Encore une fois.

Pendant près d’une demi-heure, Damian écouta plus ou moins le Directeur de ce collège lui faire la leçon sur la façon d’élever une préadolescente qui, selon son expertise, et malgré le fait qu’elle soit une excellente élève, avait un sérieux problème de comportement qui ne faisait que s’accentuer depuis ces derniers mois. Il lui prodigua alors tout un tas de conseils et de solutions qui rendrait Amanda plus facile, plus docile, bien plus malléable et même quelques adresses de pédopsychiatre qu’elle devrait, d’après lui, consulter. Sans tarder. Damian l’écouta sans broncher, acquiesça à chacune de ses belles paroles et de ses grands remèdes. Juste avant de quitter son bureau, il lui expliqua bien courtoisement, bien poliment, et avec toute la délicatesse d’un père qui n’avait d’yeux que pour sa fille, de qui elle tenait son problème de comportement. Amanda fut alors exclut trois jours de son collège et hérita de six semaines de colle. Sans compter sur les éventuelles poursuites des parents de ce gamin qui, sans nul doute, seraient très bien conseillés par ce Directeur.

Tandis qu’ils retournaient vers leur vieille Ford fiesta, Damian regardait Amanda. Elle avait tellement l’air fier d’elle. Bien sûr, elle avait eu raison de ne pas laisser ce petit con s’en sortir à si bon compte. Elle avait fait ce que tout le monde aurait dû faire. Mais il ne pouvait pas lui laisser penser qu’elle pouvait agir comme elle le souhaitait sans se soucier des conséquences, sans même les envisager.

– « Tu sais, Princesse, tu ne dois pas…

Il l’avait mérité Papa ! Tu le sais bien ! J’ai fait ce que je devais. J’ai rien fait de mal !  lui rétorqua-t-elle aussitôt, sûre qu’elle avait eu raison.

Non, c’est sûr t’as rien fait de mal, au contraire. Mais…t’as juste agi comme une idiote…parce que c’est toi qui te retrouves punie maintenant. Imagines une seconde que tu l’aies bien amoché et que…je sais pas moi…mais…que ses parents portent plainte. Au final, on se va retrouver où ? Devant un tribunal ? A devoir leur payer des dommages et intérêts ? Ou que tu finisses en maison de correction ? J’en sais rien. Mais est-ce que ça en valait le coup ? D’après toi ? Même s’il l’a mérité. Même si tu as raison. Hein ?…[elle détourna alors les yeux]…d’après toi, Amanda ?

Non.

Non. On est bien d’accord…la prochaine fois, réfléchis bien à ce que toi tu risques et à ce que risquent ceux qui sont autour de toi. Chaque décision que tu prends aura des conséquences pour toi et pour les autres. Tu sais tout ça. T’es loin d’être bête. Tu ne peux pas te mettre toi en danger ou ceux que tu aimes aussi facilement. Tu…[brusquement, son portable se mit à sonner. En en regardant l’écran, il tiqua face à ce numéro qu’il ne connaissait pas]…crois pas que tu vas t’en tirer aussi facilement, cette fois…allô ? ».

De l’autre côté, c’était une voix qu’il ne connaissait pas mais dont le timbre grave lui fit emballer le cœur. Amanda vit alors le visage de son père se transformer, ses traits se forcir comme jamais et son regard se remplir de froideur alors qu’il raccrochait.

– « Papa ? Ça va ?

Viens ! ».

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